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LES
GRANDS ÉCRIVAINS
DE LA FRANGE
Ouvrage publié
avec le concours de l'Institut de France
(Fondations Debrousse et Gas).
CORRESPONDANCE
BO SSUET
XII
(mai 1699 -décembre 1700)
A LA MÊME LIBRAIRIE
COLLECTION DES GRANDS ÉCRIVAINS DE LA FRANCE
PREMIÈRE SÉRIE. DIX-SEPTIÈME SIÈCLE.
PUBLIÉE SOUS LA rUBECTIOH DE
M. AD. REGNIER
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Chaque volume in-S" broché 20 francs.
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MM. L. Brunschwicg, Pierre Boutroux et Félix Gazier.
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Simon au Journal de Dangeau et de suites et appendices par
M. de Boislisle, avec la collaboration de MM. L. Lecestre et
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COLLECTION DES GRANDS ÉCRIVAINS DE LA P^RANCE
DEUXIÈME SÉRIE. XVllI" ET XIX« SIÈCLES
PUBLIÉE SOUS LA DIBECTIO» DB
M. G. LANSON
Professeur à la Faculté des Lettres de l'Université de Paris.
Chaque volume in-8<> broché 20 francs.
Lamartine: Méditations poétiques, par G. Lanson. 2 volumes. . 4o francs.
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CHARTRES. — II
'RIMERIE DURAI
RUE FULBERT.
CORRESPONDANCE
BOSSUET
NOUVELLE ÉDITION
AUGMENTÉE DE LETTRES INÉDITES
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AVEC DES NOTES ET DES APPENDICES
SOUS LE PATRONAGE DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE
Ch. urbain et e. levesque
TOME DOUZIEME
(mai 1699 -décembre 1700)
PARIS
LIBRAIRIE HACHETTE
79, BOULEVARD SAINT-GERMAIK, 79
1920
Tous droits réservés.
IMS 10
i3-3.aa
CORRESPONDANCE
DE
BOSSUET
1924- — A Alphonse de Valbelle.
A Paris, 16 mai 1699.
Si je ne savais, Monseigneur, que vous êtes à
présent très bien instruit, et de bonne part, de ce
qui se passe ici, je continuerais à me donner l'hon-
neur de vous en écrire ; mais je ne puis vous dissi-
muler ce que je viens de voir. C'est la lettre de
convocation de Mgr votre archevêque \ oij, par une
visible affectation, il tâche d'insinuer que le Roi ne
demande à votre province que de rendre son man-
dement commun^ ; par où il exclut indirectement la
Lettre 1924. — L. a. s. des initiales. Collection de Mme veuve
Victor Ejjger, à Paris. Publiée d'abord, mais inexactement, par
J. Delort, Voyages aux environs de Paris, 1821, a vol. in-8 ; réimpri-
mée par La bouderie dans les Mélanges publiés par la Société des
Bibliophiles français, et par les éditeurs de la Correspondance de
Fénelon, t. X, p. 677.
I. Elle se trouve dans la Correspondance de Fénelon, t. X, p. 557-
3. C'est-à-dire que les évèques de sa province adoptent le mande-
ment qu'il a donné. Cette conséquence ne nous paraît pas sortir des
paroles de P'énelon : « Je vous envoie une copie de la lettre par
laquelle le Roi m'a déclaré ses intentions touchant le bref du Pape qui
a condamné mon livre. Vous verrez que Sa Majesté souhaite que nous
fassions, dans une assemblée de notre province, ce que j'ai déjà fait en
XII — I
2 CORRESPONDANCE [mai 1699
demande inévitable qu'on doit faire au Roi, de la
suppression des livres faits en défense. Mais il abuse
de ces paroles, et oublie celles où le Roi désire que
les provinces procèdent à ce qui est nécessaire à
exécuter ponctuellement et avec uniformité la cons-
titution : ce qui ne peut subsister sans supprimer
ce qui est fait [en] défense d'un livre condamné par
le Saint Siège et par son auteur ; d'autant plus que
tous ces livres, imprimés sans permission et de la
seule autorité privée, par eux-mêmes sont reje-
tables, selon les règles de la police. Je n'ai rien à
ajouter, sur cela, à ce que dit le procès-verbal de
notre province, et si M. de Cambrai semble en être
instruit, il montrera qu'il adhère encore à son livre,
puisqu'il s'oppose à la suppression de ce qui est
fait pour sa défense. Il est vrai que Rome ne les a
pas condamnés, ni même eu le temps de les exa-
miner. Mais il est de droit de condamner les dé-
fenses des mauvais livres, et, outre cela, Rome con-
damnant le livre de l'Explication ex connexione
sententiarum, elle condamne par conséquent les
interprétations faites en défense de ce môme livre'.
mon parliculier par mon mandement, pour recevoir et accepter le bref.
Pour moi, Monseijrneur, je suis tout prêt à faire cet acte commun, et
i'ai toute l'impatience que je dois avoir de finir cette affaire... » (A
Valbelle, 3 mai 1699, ^^ans la Correspondance, t. X, p. 557 et 558).
La lettre du Roi a été imprimée au tome IX des OEavres de Fénelon,
p. 189. On y lit en propres termes: « ... ne doutant pas que vous ne
soyez bien aise de faire dans l'assemblée des évêques suffragants de
votre métropole ce que vous avez fait en votre particulier... »
3. Bossuet ici dépasse la mesure. Le Pape a déclaré à plusieurs
reprises qu'il n'avait pas entendu condamner les explications de Féne-
lon (Correspondance, t. X, p. /I26, A29, 43 1, 43/1-438, 553.
Cf II. Bremond, Apologie pour Fénelon, p. Sgo). /
mai 1699] DE BOSSUET. 3
Vous voyez bi^n, Monseigneur, combien cela est
capital, et combien il regarde le soin des évêques
d'ôter des mains des peuples les excuses et apolo-
gies d'un livre dont la pratique est pernicieuse, et
dont la lecture induit à des erreurs déjà condam-
nées. Je puis vous assurer que le Roi même a
trouvé cela très important et sera bien aise de le
faire à la supplication des évêques.
Je suis avec respect, comme vous savez, etc. *.
J. B.,é. de M.
1925. — A l'Abbé Renaudot.
A Paris, if) mai [1699].
Je ne puis tarder davantage à vous rendre grâces.
Monsieur, du soin que vous avez pris de me donner
part d'une lettre qui me donne en effet beaucoup de
joie : cela est d'ami, et je le ressens. Au reste,
quand il vous plaira que nous ayons quelque con-
férence, vous me ferez plaisir. Je serai libre di-
manche, si vous n'êtes point rebuté du moins dune
médecine que je prends demain. La porte vous
sera ouverte toute l'après-dînée.
Je suis à vous, Monsieur, comme vous savez.
J. B., é. de Meaux.
Suscripfion: A Monsieur l'Abbé Renaudot, à la
porte Richelieu, à Paris.
4. Comme dans la lettre du 20 mai (p. i^), Bossuet n'achève pas
la salutation finale.
Lettre 1925. — L. a. s. des initiales, avec suscription delà main
(le Ledieu. Inédite. Collection H. de Bothscliild. Bossuet fait allusion
1 une indisposition dont il a été question au t. XI, p. 289- '.'.go.
4 CORRESPONDANCE [mai 1699
1926. — A l'Abbé Bossuet.
A Paris, ce 18 mai 1699.
J'ai reçu votre lettre du 28 avril. Le Pape a trop
de bonté, et vous ne sauriez trop lui marquer ma
vive et profonde reconnaissance.
M. le prince de Vaïni m'a fait voir ce matin,
dans une lettre de M. l'abbé Pequigny, les senti-
ments qu'il vous a fait l'honneur de vous expli-
quer. Ne partez pas, je vous prie, sans me procurer
l'amitié d'un si galant homme, si bien intentionné
et si savant.
Je me doutais bien qu'on sentirait à Rome la
sécheresse de M. de Cambrai*, comme on la sent
ici. Il est beau au Pape d'avoir dit qu'il sent mieux
qu'il ne s'explique, et nous le voulons entendre
ainsi pour le bien de la paix; mais nous serons
secrètement attentifs à ses démarches.
Je vous envoie à toutes fins le procès-verbal de
notre assemblée, avant qu'il s'imprime. Tenez-le
fort caché : ne le montrez à qui que ce soit qu'à
M. Phelipeaux, et qu'il n'en sorte de vos mains
aucune copie. J'espère qu'il fera honneur à notre
métropolitain et à la province '^ Entre nous, on y
Lettre 1926. — i. Dans son mandement et dans ses lettres au
Pape.
2. Il fut imprimé chez Muguet, in-/i. A Rome, on fut mécontent
de ce qu'il y était dit que les évèques ne sont pas de simples exécu-
teurs des décrets du Saint Siège (Lettre d'un janséniste, 16 juin 1699,
Affaires étrangères, Rome, t. 896, f" 56 : « Les défenseurs de l'in-
faillibilité ne manqueront pas de se récrier là-dessus et tâcheront c" >
mai 1699] DE BOSSUET. 5
a adouci bien des choses. Outre les fautes de
copistes, on y a encore changé des expressions
qu'on n'a pas eu le loisir d'y insérer : suppléez à
tout.
Vous voyez la lettre de M. Giori^ qui donne
sujet à la mienne.
Pour votre départ, quand il ne tiendra qu'à
attendre quelque huit ou quinze jours pour voir à
Rome M. l'ambassadeur, j'y consens ; sinon, je
remets h votre prudence dengager l'affaire de votre
induit, et d'en venir attendre ici l'événement par
le secours de M. de Monaco. J'ai lu ce matin toute
votre lettre à M. de Paris, à Conflans*, d'où je viens.
J'avais tant de choses à vous écrire la dernière
fois, que l'affaire des Bénédictins" m'a échappé. Elle
fait pourtant grand bruit parmi les savants. M. de
Chartres a paru prévenu contre eux ; j'ai taché de
l'apaiser un peu.
Vous aurez les lettres que vous souhaitez pour
les cours de Modène et de Savoie.
Votre conversation avec le Pape sur Mme de
Maintenon est considérable : il en sera fait men-
tion ^ Je vais samedi à Versailles: on est à Marly
jusqu'à ce temps-là. On ne peut trop marquer
l'oblioration qu'on a ici à M. le nonce.
rendre odieuse la conduite des évèques et surtout de M. de Paris ;
mais je crois qu'on avalera tout doucement la pilule »). CF. p. 1 1 et 28-
3. Elle n'a pas été conseivée. Voir plus loin, p. 63.
4- Maison de campagne des archevêques de Paris.
5. Au sujet de leur édition de saint Augustin. Voir Ingold,
Histoire de l'édition bénédictine de saint Augustin, Paris, 1908, in-8
6. Au Roi at à Mme de Maintenon.
6 CORRESPONDANCE [mai 1699
Le Télémaque de M. de Cambrai' est, sous le
nom du fils d'Ulysse, un roman instructif pour
Mgr le duc de Bourgogne. Il partage les esprits : la
cabale l'admire ; le reste du monde trouve cet
ouvrage peu sérieux pour un prêtre^.
7. Le Télémaque commençait à paraître, sans nom d'auteur, sous
le titre de Suite du quatrième livre de l'Odyssée d'Homère, ou les
avantures de Télémaque, fils d'Ulysse, Paris, 1699, in-ta (Cf. l'abbé
Caron, Recherches bibliographiques sur le Télémaque, Paris, 18/I0,
in-8 ; les Œuvres de Fénelon, t. XX; Bausset, Histoire de Fénclon,
livre VI; Saint-Simon, t. VI, p. i56, et t. XXI, p. 29a.)
8. Bossuet en portait le même jugement dans l'intimité, déclarant
l'ouvrage « indigne non seulement d'un évêque, mais d'un prêtre et
d'un chrétien, et plus nuisible que profitable au prince à qui l'auteur
l'avait donné » (Ledieu, t. II, p. 12 à i;'i). Gaston de NoalUes, évèque
de Châlons, écrivait du Télémaque : « J'y trouve de beaux principes
de gouvernement et des maximes solides répandues dans le corps du
livre; mais le style cause de l'indignation, il est poétique outré : je
n'y vois rien d'admirable, les descriptions sont trop détaillées et le
livre me paraît très dangereux et peu propre h inspirer à un jeune
prince une éducation chrétienne... » Et l'archevêque de Paris répon-
dait : « Télémaque n'est pas digue d'un prêtre, et ne convient point à
l'éducation d'un jeune prince qu'on voulait élever chrétiennement »
(Bibliothèque Nationale, fr. 28206, 1" 35, 9 octobre 1699). Mais le
reste du monde lisait avidement et admirait l'ouvrage, dont les éditions
se succédèrent rapidement, malgré les rigueurs de la police. « Dieu
veuille que les instructions que contient ce livre fassent impression
sur le duc de Bourgogne! écrivait la princesse Palatine. S'il s'y con-
forme, il deviendra un grand roi avec le temps » (i^ juin 1699, édi-
tion Jœglé, t. I, p. 229; cf. p. 217). « Il y a de l'agrément dans ce
livre et une imitation de l'Odyssée, que j'approuve fort... Je souhai-
terais que M. de Cambrai eût rendu son Mentor un peu moins prédi-
cateur, et que la morale fût répandue dans son ouvrage un peu plus
imperceptiblement et avec plus d'art... La vérité est pourtant que le
Mentor du Télémaque y dit des choses fort bonnes, quoique un peu
hardies, et qu'enfin M. de Cambrai me paraît beaucoup meilleur poète
que théologien... « (Boileau k Brossette, 10 nov. 1699, édit. Laver-
det, Paris, i858, in-8, p. 3o). De son côté, Quesnel dit : u C'est un
joli roman. Ayant été imprimé à Paris, ou l'a fait arrêter. M. de Har-
lay m'en a fait donner un. Il est admirablement bien écrit... » (Cor-
respondance, t. II, p. 62). Et Mme de Grignan : « Ce n'est point un
archevêque qui a fait l'Ile de Calypso, ni Télémaque: c'est le préce- â
mai 1699] DE BOSSUET. 7
Bonsoir, bon retour.
N'oubliez pas, à Florence, de faire souvenir Mgr le
Grand duc qu'il m'a fait l'honneur de me promettre
son portrait et ceux de sa sérénissime famille, pour
orner mon cabinet de Germigny avec ceux de mes
maîtres.
1927. — L'Abbé Bossuet a son Oncle.
A Rome, ce 19 mai 1699.
Je vois avec plaisir, par la lettre de S. M. à MM. les arche-
vêques*, letour qu'on a pris sur la réception de la constitution.
Je vous avoue que rien ne pouvait être plus selon mon goût
et selon mes idées. Je me suis toujours bien attendu quV«n
témoignant pour le Saint Siège le respect qui lui est dû, on
ne laisserait pas avilir l'autorité épiscopale, et assurément on
ne pouvait rien faire de plus canonique ni de plus authen-
tique. La manière dont le Roi parle de la soumission de
M. de Cambrai- est telle que je souhaitais que le Pape en par-
ieur d'un grand prince, qui devait à son disciple l'instruction néces-
saire pour éviter tous les écueils de la vie humaine, dont le plus fort
est celui des passions. Il voulait lui donner de fortes impressions des
désordres que cause ce qui paraît le plus agréable, et lui apprendre
que le grand remède est la fuite du péril... Les poètes sont pleins
d'une peinture terrible des passions : il n'y en a aucune de cette
nature dans Télémaque ; tout y est délicat, pur, modeste, et le remède
est toujours prêt et toujours prompt, etc. » (A la suite de Mme de
Sévigné, Grands écrivains, t. X, p. 5o8). Voir aussi le sentiment de
Mme Dunoyer (^LcUres (jalanles, Londres, 1757, in-12, t. I, p. 80),
et de l'abbé de Saint-Pierre (Ouvrages de politique et de morale,
Amsterdam, 1737, t. XII, p. a47). Les rigueurs du pouvoir à l'égard
du Téléniaque sont attestées par l'abbé Viguier, lettre du 20 décembre
1699, dans les Mélanges publiés par la Société des Bibliopliiles français,
en i856, p. 371 .
Lettre i921. — i. Voir t. XI, p. 452.
3. Cf. la lettre circulaire du Roi aux métropolitains, t. XI, p. 453.
8 CORRESPONDANCE [mai 1699
làt dans son bref à cet archevêque, pour l'engager peut-être
plus qu'il ne veut, mais autant qu'il est nécessaire.
Aussitôt que j'ai eu reçu ces nouvelles, j'ai cru qu'il était
à propos de voir d'abord M. le cardinal Spada et puis S. S.,
pour connaître comment la conduite de la France serait ici
prise, et avoir lieu de faire valoir le zèle du Roi et le respect
qu'il témoignait en cette occasion pour le Saint Siège et la
personne du Pape, ayant trouvé le moyen de suppléer à tous
les défauts de formalité qui manquaient à la constitution.
M. le cardinal Spada était déjà informé par le nonce, qui
ne lui avait pourtant pas envoyé copie de la lettre du Roi, et
qui souhaita que je lui en fisse la lecture. J'arrêtai sur les
endroits où il fallait, et qui marquent l'obéissance qu'on veut
rendre au Saint Siège. Ce ministre m'en parut content, et me
dit qu'il fallait regarder cettealTaire comme une affaire finie;
ce dont je l'assurai. Il eut la bonté de me dire que S. S. lui
avait ordonné d'écrire à M. le nonce sur mon sujet, pour qu'il
le témoignât au Roi, et j'en suis confus. Il a exécuté cet ordre
dès l'ordinaire dernier, à ce qu'il m'a déclaré.
Après avoir vu M. le cardinal Spada, je vis le Pape, qui
me combla de bontés, et qui me dit que je ne devais pas le
remercier d'une chose à laquelle il était obligé : après quoi,
nous passâmes à ce que le Roi venait de faire, que je tâchai
de lui expliquer de manière qu'il m'en parût content, aussi
bien que de la conduite des évêqucs. Il me dit que le Roi au-
rait souhaité qu'on lui eût envoyé la constitution in carta-
pecora, c'est-à-dire en parchemin, voulant marquer par là
qu'il n'y avait d'autre différence entre le bref et une bulle.
C'est une plaisanterie du cardinal Albani, qui a cherché à
tourner en ridicule la distinction qu'on faisait d'un bref
d'avec une bulle. Je fus obligé d'expliquer doucement à S. S.
de quelle importance étaient certaines formalités, quand il
s'agissait de ne pas innover dans un royaume. Il me parut
que le Pape entrait dans les raisons que je lui exposais, et je
suis persuadé qu'il ne me parlera plus de cartapecora. La
conversation roula un moment sur M. de Cambrai. Je vis
bien, par la manière dont le Saint Père s'expliqua sur sor t
mal 1699] DE BOSSUET. 9
sujet, qu'il n'est pas bien persuadé que ce prélat croie encore
avoir tort. Néanmoins, comme il veut finir, il fait semblant
de penser favorablement de ses dispositions. Le bref qui de-
vait lui être adressé lui est expédié, et en voici toute riiisloire
en peu de mots.
Dès qu'il eut été résolu dans la première congrégation qu'on
écrirait un bref à M. de Cambrai, M. Gozzadlni, secrétaire des
brefs, fit la minute de celui-ci. Dans ces entrefaites arriva le
mandement de M. Cambrai, avec une seconde lettre de ce
prélat. Ces deux nouvelles pièces, jointes aux réflexions que je
fis faire au Pape et aux cardinaux sur la première lettre de
M. de Cambrai, furent cause qu'on changea un peu de plan :
M. le cardinal Albani se fit tout remettre entre les mains, et
composa un bref à sa mode. On le lut dans la congrégation
du jeudi 7 mai, et on voulait que les cardinaux dissent sur-
le-champ leurs avis; mais le cardinal Casanate insista pour
qu'on envoyât copie du bref à chaque cardinal, afin de l'exa-
miner avec plus de soin, et de donner leur avis avec plus de
maturité, l'atlaire étant très délicate et très importante, et dans
des circonstances qui demandaient de la réflexion. En consé-
quence, il fut résolu qu'on enverrait le bref /)er manus : cela
fut exécuté, et on en retrancha plus de la moitié. Le cardinal
Casanate voulait qu'on prît une tournure différente, et il
proposa même un autre projet du bref; mais, parce qu'il ne
parut pas assez favorable à M. de Cambrai, ses partisans
s'échaulfèrent beaucoup pour empêcher qu'il ne fût adopté.
L'amour-propre rendit le cardinal Albani encore plus ardent
à soutenir son ouvrage; car il crut que c'était lui faire affront
que de ne pas se servir du corps de sa lettre. Ainsi on
s'en tint à son bref, avec les différentes corrections qui y
avaient été faites. Le cardinal Casanate m'a avoué que, dans
cet état même, il ne lui plaisait pas entièrement. Néanmoins
il m'a assuré qu'on en avait retranché tout ce qui pouvait
donner lieu à de nouvelles disputes, observant que, si on par-
lait de la piété de M. de Cambrai, cela ne touchait point au
fond, vu que ce point était étranger à l'alfaire.
Le projet du bref du cardinal Casanate était précis, et ne
,0 CORRESPONDANCE [mai i6yi)
contenait rien dont on pût abuser. On aurait dit à M. de
Cambrai qu'on n'attendait pas moins de lui que la soumis-
sion qu'il témoignait dans son mandement, après avoir tant
de fois protesté dans ses défenses qu'il se rendrait au juge-
ment du Saint Siège; qu'on était bien aise de voir l'exécu-
tion de ses promesses, qu'on espérait et même qu'on ne dou-
tait pas qu'il n'eût dans le cœur ce qu'il faisait paraître dans
ses expressions; enfin qu'on l'exhortait à demeurer ferme
dans ses résolutions, et de continuer à détester une doctrine
et des principes dont il voyait résulter dans tout le monde
chrétien de si pernicieuses conséquences. Voilà à peu près
l'idée du bref que le cardinal Casanate avait proposé, et qu'il
n'a pas été possible de faire approuver, à cause des amis de
M. de Cambrai.
P]nfm il avait été comme arrêté par le Pape qu'on enver-
rait le bref à M. le nonce, pour le communiquer au Roi et aux
évéques, avant que de l'adresser à M. de Cambrai. Mais les
amis de cet archevêque ont tant tourmenté le cardinal Spada
et le Pape, qu'on a donné le bref à M. de Chantérac, et on
s'est contenté d'en faire passer une copie à M. le nonce ^. Le
cardinal Albani a assuré le P. Roslet du contraire, et l'en a
persuadé. Mais ce que je vous dis est vrai; je l'ai voulu savoir
du Pape même, qui me l'a confirmé; et M. le nonce a
ordre de vous montrer cette copie, ainsi qu'à M. de Paris.
Il n'y a pas eu moyen, quoi que j'aie pu faire, d'avoir
copie de la seconde lettre de M. de Cambrai, ni du bref
qu'on lui écrit : cela me confirme dans la pensée que cette
seconde lettre n'est pas meilleure que la première. Je crois
être bien Informé que, dans cette lettre, M. de Cambrai re-
jette le malheur qu'il a eu sur la sublimité de la matière
qu'il avait entrepris d'expliquer, et sur la faiblesse de son
génie, qui n'a pu atteindre par des expressions convenables
à une si haute doctrine ; ce qui a fait qu'il a pu se tromper.
Vous voyez l'artifice de cette pensée, et combien il est revenu
3. Cf. la lettre de Gluintéiac, du i4 mai (Correspondance de Fé-
nelon, l. X, p. 578).
mai 1699J DE BOSSUET. Il
de sa spirllualité. Mais je sens bien qu'on ne produira jamais
cette seconde lettre, quoique ici on fasse courir le bruit qu'elle
est plus humble que la première. Si elle était telle qu'il faut,
on ne manquerait pas de la faire valoir. La plupart des car-
dinaux trouvent assez mauvais qu'on ne leur ait pas envoyé
copie du bref, après les corrections faites; et l'on a peur que
le cardinal Albani n'y ait ajouté du sien dans l'expédition.
Le Pape et le cardinal Spada m'ont paru contents des ré-
solutions prises en France; mais je suis le plus trompé du
monde si cette cour, dans le fond, n'est pas un peu fâchée de
l'autorité qu'on donne aux évèques ; cependant on ne fait pas
semblant de le sentir. Le cardinal Casanate, à qui j'ai donné
copie de la lettre du Roi, m'a paru très content. Je l'ai prié
d'en dire son sentiment au Pape et au cardinal Spada; il
m'a promis de le faire.
M. de Chantérac partit jeudi dernier* avec son bref.
On ne sait encore rien de certain sur l'arrivée de M. de
Monaco. Son écuyer et son secrétaire sont cependant déjà
rendus '. D'après les nouvelles que m'apportera M. des Ro-
4. Exactement le vendredi i5, à quatre heures du matin (Ibid.,
p. 572). Maille rapporte qu'on fit beaucoup d'honnêtetés à l'abbé de
Chantérac. Il étail présent lorsque l'agent de Fénelon vint prendre
congé du cardinal Noris. Cette Eniinence lui disant qu'on avait traité
Fénelon avec tous les égards possibles, Chantérac se plaignit qu'on
n'eût pas extrait fidèlement les propositions à condamner et qu'on
y eût ajouté certaines paroles (Sans doute, dit Maille, il pensait à la
première, où l'on a ajouté habitualls, qui est inclus dans stalus^. Noris
répondit que c'avait été pour faire ressortir plus nettement le sens, et
que ce sens était bien celui du livre (Affaires étrangères. Home,
t. 395, fo 299).
5. L'écuyer de l'ambassadeur devait être le chevalier de Graville,
ou Gravelle {Rome, t. 4oG, C i55). Quant à son premier secré-
taire, c'était Charles Léonard Cruau de La Boullaye, correcteur en
la Chambre des Comptes. Le mauvais état de sa santé ne lui permit
pas de rendre beaucoup de services, et il quitta Rome dès le mois
de janvier suivant (Rome, t. Sgi, fo 121 ; t. 895, f°^ la/i et i44 ;
t. 4i3, f° 33; t. 1o5, f'' 20). M. de Monaco avait pris en outre
pour second secrétaire un .nommé Beaudouin, neveu de Noblet
(t. 395, fo 268).
12 CORRESPONDANCE fmai 1699
ches*, je prendrai ma résolution pour demander moi-même
la grâce de mon induit. Je prépare tout à cet effet, et je le
tenterai peu de jours avant mon départ, pour mieux réussir''.
Je compte toujours partir vers le 8 de juin sans délai.
Ce que je vous mandai par ma dernière lettre, du curé
de Seurre, est très avéré. Il était ici depuis la mi-carême; il
ne s'est point déguisé. Il eut la hardiesse, le jour des Ra-
meaux, d'assister à la chapelle, et de prendre des rameaux de
la main du cardinal Paolucci, ofïiciant. Il a signé des quit-
tances de son nom propre. Il voulut demeurer chez le P. Es-
tiennot; Dieu l'aveuglait manifestement. 11 a pris ici plu-
sieurs lettres de recommandation pour Avignon. On croyait
qu'il était venu à Rome pour se faire absoudre au Saint
Office, mais il ne s'y est pas présenté. Il a été reconnu, quinze
jours avant son départ, par un gentilhomme franc-comtois,
nommé le marquis de Rroscia^, qui s'est contenté de le faire
suivre. M. le cardinal de Bouillon fut averti de son départ le
jour même, et on m'a assuré qu'il le faisait poursuivre^. Il
lui sera très aisé de le faire arrêter. Je ne prétends rien
assurer; mais il est très vraisemblable que M. le cardinal a
tout su, le marquis de Broscia étant tous les jours chez cette
Ëminence.
6. Des Roches, pseudonyme de Madot.
7. Edit. : avant mon départ. Pour mieux réussir, je compte.
8. Cf. Phelipeaux, t. Il, p. 280. Ce gentilhomme était J. Cl.
Joseph Froissard, en faveur de qui la terre de Broissia (Jur.i) avait
été érigée en marquisat par lettres d'octobre 1691 ; il fut chevalier
d'honneur au Parlement de Besançon, et épousa, le i3 février 1693,
Hilaire d'Albon Saint-Forgeux.
9. Sur un avis donné par Bouillon, Le Bret avait reçu de la Cour
l'ordre d'arrêter le curé de Seurre à son arrivée à Marseille (Affaires
étrangères, Rome, t. SgS, f» 3o3). On verra (page 27) cette arresta-
tion. Dans une lettre à Mabillon du 5 avril 1701, D. Guillaume
Laparre, procureur général de la Congrégation de Saint-Maur k
Rome, raconte ainsi l'issue de son procès : « Le fameux curé de
Seurre est eu pleine liberté depuis quelques jours. Il avait été arrêté
à Florence il y a deux ans et conduit à Rome dans les prisons de
l'Inquisition. Après avoir bien examiné son procès, qu'on a fait venir
de France, il a été déclaré innocent par le Saint- Office. On dit qu'il
1699] DE BOSSUET. i3
1928. — A Alphonse de Valbelle.
x\ Paris, 7.0 mai 1699.
Selon vos lettres du 1 5 et du 17, vous devez être
parti le 22, et les lettres qui partiront d'ici le 20
ou 21 vous pourront être rendues à Douai, où
vous devez arriver le 28. Je ne vous parlerai plus
de notre procès-verbal * que vous devez avoir reçu
il y a déjà quelques jours. On trouve à Rome
comme ici que la soumission deM. deC[ambraij est
sèche, etc. On n'y avait pas encore reçu son man-
dement, mais seulement la promesse" 011 il se sert
de ce passage : verba mea dolore sunt plena. Mais il
témoigne plus de douleur d'être condamné et humi-
lié que d'avoir erré. Sa lettre à M. d'Arras ^ y a
paru, comme ici, avoir le même air. La pierre de
touche sera la supplication au Roi de supprimer
tous les ouvrages faits en défense d'un livre con-
damné par le Saint Siège et par lui-même*. Il ne
s'ea va en France pour se justifier. Je ne sais s'il fait prudemment.
Car il y apparence que le Parlement de Dijon ne voudra par revenir
de l'arrêt donné contre Ini, par lequel il a été condamné à être brûlé »
(Bibl. Nat., f. fr. igGSi, f^ 52 v").
Lettre 1928. — L. a. n. s. Collection E. Levesque. Inédite.
I. Celui de l'assemblée de la province de Paris.
a. La lettre du 4 avril contenant la promesse d'un mandement,
dans la Correspondance de Fénelon, t. X, p. 479-
3. On peut la voir, ibid., p. 465.
4- On trouvera dans la Correspondance de Fénelon, t. X, p. 502
un mémoire, qui paraît être du Dr Berlize, contre la suppression des
écrits apologétiques de l'archevêque de Cambrai, sollicitée par ressemblée
métropolitaine de Paris. Sur l'attitude adoptée à cet égard par les
différentes assemblées provinciales, voir leurs procès-verbaux, dans les
Mémoires du clergé, t. I. Cf. plus loin, p. 3i.
,/, CORRESPONDANCE [mai 1699
peut reculer là-dessus sans se déclarer pour le livre
et sans vouloir soutenir les explications que le Pape
condamne par ces mots : sive ex connexione sententia-
rum. De droit, sa voix ne doit point avoir lieu
en sa faveur ^ Il peut bien faire recevoir et approu-
ver sa soumission, mais non pas ce qu'il fera contre
ou pour la restreindre ; joint que tous ses livres
sont faits et imprimés sans permission, quelques-
uns même hors du royaume. Tout ceci se dit à
toutes fins et doit être digéré selon l'occasion et
votre prudence.
Vous savez mon respect, etc.
1929. — Le Grand duc a Bossuet.
22 Maggio 1699.
Quanto mi fu di sommo contente il veder terminate le
note controversie con la Bolla ultimainente fatta dal Sommo
Pontefice, non minore è adesso l'obbligo che devo a V. S.
111°" che mediante il foglio resomi da Mons. Madot, e con la
di lei viva voce mi hà resa giustizia con si gentili espressioni
sopra rintercsse che io ho preso nel buon esito di taie causa ;
di che me ne rallegro di nuovo con V. S. 111'"% la quai sen-
tira meglio i miei sentimenti dal medesimo Mons. Madot,
cui gli hô dlchiarati nella miglior forma ed esibitole la mia
prontezza per tutto cio che avesse bramato : del resto poi io
goderô assai nel vedere il S. abbate di Bossuet, nipote di
5. Dans l'assemblée, l'évèque de Saint-Oraer dit que Fénelon
n'aurait pas dû donner son avis sur cette matière, attendu qu'il est
contre tout droit qu'on puisse délibérer et prononcer dans sa propre
cause.
Lettre 1929. — Minute inédite. Florence, Archivio medieeo,
l. 3914.
mai 1699] DE BOSSUET. l5
V. s. m™', che tanto hà adoprato il suo spirito in Roma e
si è falto si grande onore nei far cola le parti da lei appog-
gialele, ne mencherô di riceverlo con le dimoslrazioni di
stima e d'affelto che da me si convengono al di lui merito et
air essere del sangue di V. S. 111™% alla quale confennando
il desiderio che tengo d'impieganni in suo servizio le augure
per fine il colmo délie félicita più perfette.
1980. — A l'Abbé Bossuet.
A Versailles, ce 25 mai 1699.
J'ai reçu votre lettre du 5 ; je la lus hier à M. de
Paris, qui en a rendu compte à la Cour. On est
étonné de trois mots de la lettre de M. de Cambrai
au Pape : innocentiam, prohra. explicationes. M. de
Cambrai pourrait dire ailleurs tout ce qu'il voudrait,
sans que nous songeassions un moment à nous en
plaindre, désirant autant qu'il nous est possible de
ne donner à ce prélat aucune occasion d'exciter de
nouveaux troubles. Mais, aujourd'hui qu'il nous
attaque devant le Saint Siège, si l'on ne nous fait
pas justice, nous ne pouvons nous taire sans nous
confesser coupables.
Innocentiam. Nous n'accusons point ses mœurs,
à Dieu ne plaise ! Il n'en a même pas été question*.
Lettre 1930. — i- Féuelon avait pu croire le contraire, lorsqu'il
s'était vu traité de Montan d'une nouvelle Priscille, et que le public
avait été amené à donner une interprétation fâciieuse à son intimité
avec Mme Guyon, comme on en jug^era d'après une lettre d'Antoine
Bossuet : « Tout Marly, écrit celui-ci, depuis le sceptre jusqu'à la
houlette, lit et relit la Relation. Tout Paris en fait de même. Les
malins ajoutent que Mme Guyon, qui a été fort belle, a les plus
belles mains et la plus belle peau qui se puisse ; qu'elle n'a pas cin-
l6 CORRESPONDANCE [mai 169
mais de sa seule doctrine. Or, si sa doctrine est
innocente, que devient le bref? C'est le Saint Siège
et son décret qu'on attaque, et non pas nous.
Probra. Quels outrages avons-nous faits à M. de
Cambrai P Tout ce que nous avons dit contre sa
doctrine et contre son livre est de mot à mot ce
qui est porté dans la constitution. Si nous avons
dit que le livre était plein d'erreurs portant à de
pernicieuses pratiques, capables d'induire à des
doctrines déjà condamnées ^, telles que celles
des bégards, de Molinos, des quiétistes et de
Mme Guyon, la bulle dit-elle autre chose .^*
Quand il nous a forcés, par ses reproches les
plus violents et les plus amers, à découvrir la
source du mal, on a démontré son attachement
insensé pour une femme trompeuse et fanatique,
mais seulement par rapport à l'approbation qu'il
donnait à sa spiritualité, à sa doctrine et à ses
livres, qui ne respiraient que le quiétisme. Peut-on
excuser les efforts qu'il a faits pour la justifier ?
Veut-on laisser établir qu'un livre plein d'erreurs,
selon toute la suite de son texte, ait été fait avec
une bonne intention.»^ C'est une excuse inouïe,
inventée exprès pour mettre à couvert Mme Guyon,
et pour se mettre à couvert lui-même par le même
principe.
quiinte ans et est en bon point. Ils tirent de là telles conséquences
qu'il leur plaît, sans respecter les caractères ; mais nous ne sommes
pas assez malins pour en rien penser, ni en rien dire » (Lettre dn
3o.)uin i6g8, dans le Fénelon de M. E. Griselle, p. 180).
3. Bossuel autrefois ne se bornait pas à cette qualification, puis-
qu'il y voulait ajouter la note d'hérésie.
mai 1699] DE BOSSUET. 17
ExpUcationes . Si elles sont justes, si elles con-
viennent au livre, le Saint Père a mal condamné le
livre in sensu obvio, ex connexione sententiarum, etc.
Il ne faut que brûler le bref, si ces explications
sont reçues.
Indépendamment de cela, on est prêt à faire
voir dans les explications du prélat autant et d'aussi
grandes erreurs que dans son livre même.
Cependant, si l'on lui passe toutes ces excuses
mises par lui-même sous les yeux du Pape, et si on
le loue, c'est les approuver. Tout l'univers publiera
qu'on laisse la liberté à M.' de Cambrai de se
plaindre des injustices et des opprobres qu'on lui a
faits, comme si nos accusations étaient des calom-
nies, et toutes ses excuses justes et légitimes, puisque
le Pape, les ayant vues, non seulement n'en aura
rien dit, mais encore aura comblé l'auteur de
louanges.
Ce serait là véritablement novissimus error pe/'or
priore\ On espère que le même esprit qui a présidé
aux congrégations précédentes empêchera qu'on
n'affaiblisse pas ce qui y a été fait.
Ajoutons encore œrumnas. Est-ce un si grand
malheur d'être repris de ses erreurs ?M. de Cambrai
ne se plaint que de la correction, en évitant
d'avouer sa faute. Si l'on passe cela à Rome, et si
celui qui avance de telles choses n'en remporte que
des louanges, il se trouvera non seulement mieux
traité que les défenseurs de la vérité, mais encore
honoré par le Saint Siège, pendant que les autres
3. Matt., XXVII, 64-
XII— 2
l8 CORRESPONDANCE [mai 1699
demeureront chargés du reproche d'être des calom-
niateurs.
Dieu détournera ce malheur. On ne dira rien ici:
on attendra dans la ferme espérance que Rome,
assistée d'en haut, ne se démentira pas et n'affai-
blira pas son propre ouvrage.
Quant à la manière dont nous avons procédé
pour l'acceptation du bref, on trouve dans saint
Antonin *, parlant des décrets apostoliques, qu'ils
ont été acceptata, examinata et approhata ; ce qui est
plus que nous n'avons voulu dire.
On trouve dans le même auteur, qui n'est pas
suspect à Rome, sur le motu proprio, que c'était le
terme dont on se servait lorsque le Pape parlait
comme docteur particulier. Cette formule est très
nouvelle : jamais elle n'a été usitée en cas pareil,
et néanmoins nous recevons par respect un décret
où cette clause se trouve.
Tenez pour certain que le bref d'Alexandre VIT, sur
la traduction du Missel, n'a jamais été appuyé de ce
qui s'appelle lettres patentes ^ ni porté au Parlement.
Au surplus, il suffit de voir l'intitula tion au nom
4. Sur saint Antonin, voir notre touie II, p. 3i2. Les mots cités ici
se trouvent dans sa Summa theologica. p. IV, tit. XII, cap. iv, de errore
Fraticellorum, § 38, dans l'édition de Vérone, i74o, t. IV, p. 675.
Bossuet s'est souvenu de ces paroles de saint Antonin, dans sa Defcnsio
declarationis cleri Gallicani, Appendice, 1. II, cap. iv.
5. Les lettres patentes, données le 4 avril 1661 pour l'exécution
du bref et adressées à l'assemblée du Clergé, n'ont pas été enrejristrées
au Parlement. Le Roi y déclara lui-même qu'il n'a rien de contraire
aux libertés de l'Église gallicane. Le Clergé de France renonça à
poursuivre l'affaire et Voisin traduisit sans être inquiété l'office de la
semaine sainte (Affaires étrangères, Rome, t. 143, f" 28; cf. notre
t. XI, p. 343).
mai 1699] DE BOSSUET. ig
du Pape et sa décision, faite avec la pleine autorité
de son conseil, confirmée par le jugement des
Églises particulières, pour reconnaître que de droit
on y doit toute obéissance. Voilà les maximes dont
la France ne se départira jamais.
J'espère demain entretenir ici M. le nonce.
Mme des Ursins mande des merveilles de vous.
S'il ne tient qu'à attendre un peu pour voir
M. l'ambassadeur, je suis d'avis que vous l'atten-
diez. Je suis bien aise, à cela près, que vous vous
disposiez à partir le 8 de juin. J'embrasse M. Phc-
lipeaux. Il me tarde bien de vous voir tous les deux.
Je viens d'écrire à Mme la Princesse, pour lui
demander des lettres pour la cour de Modène ; et
j'espère que Mme de Hanovre d'elle-même voudra
bien se souvenir un peu de moi et des bontés dont
m'honorait Mme la princesse Palatine*, sa mère.
igSi. — A M"* DE Beringhen.
A. Versailles, 26 mai 1699.
Je vous prie, Madame, de faire examiner votre
6. Voir t. XI, p. 829. Anne de Gonzague de Clèves, dont Bossuet
prononça l'oraison funèbre, avait eu trois filles, dont l'une avait
épousé M. le Prince, et dont une autre, Bénédicte Henriette Philippe,
était, depuis le 27 décembre 1671, veuve de Jean-F'rédéric de
Brunswick, duc de Hanovre. Celle-ci se trouvait en 1699 à la cour
de Modène, dont le duc avait épousé sa fille aînée et où s'était fait, le
i5 janvier, le mariage de sa troisième fille, Wilhelmine Amélie de
Hanovre, avec Joseph, roi des Romains. La duchesse de Hanovre
mourut à Asnières le i 2 août 1780.
Lettre Î93i. — L. a. s. Archives de Sainl-Sulpice. Publiée dans
l'édition de Versailles, t. XLHl, Sup., p. 5o.
20 CORRESPONDANCE [mai 1699
novice par M. Culembourg', en qui vous et moi
nous nous fions.
Je ne refuserai point le dimissoire " qu'on demande
pour le sieur Gabriel Drouet, qui doit entrer à
l'Institution \
Je me repose, Madame, selon vos souhaits, pour
me mettre le plus tôt qu'il sera possible en état de
visiter la plus noble partie du troupeau^.
J. Bénigne, é. de Meaux.
SuscripHon : A Madame, Madame l'Abbesse de
Faremoutiers, àFaremoutiers.
1. Antoine Culemhourg, ou de Ciilembourg, était l'un des confes-
seurs de l'al)baye de Fareraouliers. Il quitta quelque lemps cette mai-
son, mais il y revint et fut ensuite nommé clianoine par Mme de
Beringhen, le 28 avril 171 5. Il mourut à Faremoutiers le i5 février
1735, à soixaute-dix-neuf ans (Bibl. Nationale, fr. 11Ô69).
On ne sait à quelle famille il appartenait. Sans doute il était petit-
fils de N. de Culembourg, mareband de vins privilégié suivant la
Cour, et de Claire Jacquiau, décédée à Paris le i3 mai 1698, à quatre-
vingt-six ans, et dont une fille. Claire de Culenibourg, épousa Louis
Garaart, secrétaire du Roi (Bibliothèque Nationale, Dossiers bleus).
2. Dimissoire, permission donnée par l'évêque à un ecclésiastique
de recevoir les Ordres ou de prendre du service dans un diocèse
étranger.
3. L'Institution, noviciat de l'Oratoire, situé au faubourg Saint-
Jacques (c'est aujourd'hui l'hospice des Enfants-Assistés, rue Denfert-
Rochereau, ']li). Gabriel Drouet, fils de Michel (al. Gabriel) Drouet,
médecin, et de Marie Augustine Pinondel, né le 25 mai 1680 et
baptisé le lendemain à Saint-Nicolas de Rebais. Après ses humanités
et sa philosophie faites à Provins, il entra le 28 septembre 1699 au
noviciat de l'Oratoire (Bibl. Nat., f. fr. 8622); ordonné prêtre le
9 avril 1707, il fut nommé curé de Saint-Mars, près de La Ferté-
Gaucher, et il y mourut le i5 janvier 1729. Il eut une sœur,
Jeanne Drouet de Saint-Alexis (i 683-1 7^6), religieuse chez les cha-
noinesses de La Ferlé-Gaucher (État civil de Rebais j Archives de
Seine-et-Marne, H 878).
.'1. Les religieuses de Faremoutiers.
[Ggg] DE BOSSUET.
1982. — L'Abbé Bossuet a son Oncle.
A Rome, ce 26 mai 1699.
J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'é-
criredu 4 mai, par le courrier ordinaire, et le lendemain vos
paquets du 29 avril, par M. Madot, qui est enfin arrivé,
après avoir été obligé de rester huit Jours en chemin, ma-
lade : il est arrivé en bonne santé. Vous croyez bien que j'ai
été ravi de le revoir et d'apprendre de vive voix la confirma-
tion et les détails de ce que je savais déjà, et la véritable
disposition de la Cour à l'égard de M. de Cambrai, de M. le
cardinal de Bouillon et de tout le reste. Je suis très aise que
vous soyez content de ce gentilhomme ; pour lui, il est plus que
satisfait de vous et de son voyage, qui a déplu, aussi bien que
son retour, si fortement à M. le cardinal de Bouillon, que je
ne doute pas que vous ne soyez surpris de la vivacité, pour ne
pas dire violence qu'il a témoignée à ce sujet*. Je vais vous
en faire tout le détail, auquel vous croyez bien que j'ai eu
quelque part.
M. de Madot arriva donc ici vendredi, vers le midi : il des-
cendit chez moi, où je le trouvai au retour de quelques vi-
sites que j'avais été obligé de faire. Après dîné, je le conduisis
très incognilo a la Trinité-du-Mont, chez le P. Roslet, évitant
toutes les rues de passage et surtout le palais de M. le cardi-
nal de Bouillon. Ce n'était pas par crainte, comme vous le
jugez bien, de quelque insuite, mais par ménagement et par
égard pour la colère et l'indignation qu'il avait plu à M. le
cardinal de Bouillon de témoigner très légèrement contre ce
gentilhomme, et ne voulant pas que cette Ëminence crût
qu'on cherchait à le narguer. De la Trinité-du-Mont, je le
Lettre 1932. — i- Les griePs du cardinal contre Madot et l'ahbé
Bossuet sont exposés dans ses dépècties du 23 et du 26 mai (Rome,
t. 401, f°^ 124 et i44- Cf. Revue Bossuet, octobre 1908, p. 226
et suiv.).
22 CORRESPONDANCE [mai 1699
conduisis vers la nuit chez Mme la princesse des Ursins, où
je le laissai. J'eus encore cet égard et, si vous voulez, ce res-
pect pour M. le cardinal de Bouillon, de ne le pas loger chez
moi. Il est vrai néanmoins que, désirant pourvoir à sa sûreté,
je l'avais logé vis-à-vis de chez moi, où il était tout comme
avec moi. M. le cardinal de Bouillon sut vers les deux heures
de nuit, c'est-à-dire vers les dix heures de France, que M. de
Madot était arrivé. Sa tête s'échauffa si fort à cette nouvelle,
qu'il n'eut pas un moment de repos jusqu'à ce qu'on
eût cherché par tout Rome M. Poussin, son secrétaire, à
qui il ordonna en présence de M. le duc de Barwick et de
plusieurs autres, de me venir dire de sa part ce que vous
verrez écrit dans le hillet que je vous envoie. M. Poussin
ayant ordre de me trou\er, et de ne pas me laisser coucher
sans me faire savoir les intentions et les conseils de son Émi-
nence, visita inutilement plusieurs maisons où il ne me
trouva pas. Enfin, il parla chez moi à M. Phelipeaux, et lui
dicta le billet ci-inclus*, écrit de la main de M. Phelipeaux,
excepté les mots soulignés, qui sont de la main du sieur
Poussin.
Je reçus donc, avant que de me coucher, ce billet qui, je
vous assure, ne m'empêcha pas de dormir, d'autant plus que,
le criminel de lèse-altesse n'étant pas logé chez moi, M. le
cardinal n'avait pas, ce me semble, le moindre petit prétexte
de se fâcher contre moi. J'allai dès le lendemain, samedi, de
très bonne heure, chez M. le cardinal de Bouillon, pour m'ex-
pliquer avec lui sur ce sujet, et pour lui rendre compte de
ma conduite, qui ne pouvait être, ce me semble, plus modé-
2. Voici la teneur du billet en question: « Monsieur Poussin est
piissé ici pour vous dire, Monsieur, de la part de M. le cardinal de
Bouillon, que, comme il se pouvait faire que des gens attachés à lui
pourriiienl se porter sans son ordre à quelque extrémité à l'égard
de M. de Madot, qu'on lui a dit loger chez vous, il vous conseillait
de l'en faire sortir en vingt-quatre heures : ce que je vous écris,
afin que vous sachiez, avant de vous coucher, ce que M. Poussin
m'a dit par ordre de M. le cardinal. Je l'ai assuré qu'il ne logeait
point chez vous. »
Ce 22 mai au soir. Phelipeaux.
mai 1699J DE BOSSUET. 23
rée, ni plus pleine d'égards et de considération pour lui. M. le
cardinal voulut me parler d'abord légèrement et un pied en
l'air; mais, sur ce que je pris la liberté de lui demander une
demi-beure de conversation sérieuse, il eut la bonté de me
l'accorder ; et je pris cette occasion, que je désirais il y a long-
temps, pour entrer avec lui dans des explications convenables
sur toute ma conduite à son égard, par rapport à l'affaire de
M. de Cambrai. Je l'assurai en termes pleins de respect et
d'égards, que je n'avais rien fait, rien dit, ni rien écrit que je
ne fusse prêt de soutenir et de lui déclarer à lui-même, s'il
le voulait bien ; qu'ayant toujours agi dans cette affaire la
tète levée et en vue du service du Roi, des évêques et de la
vérité, j'aurais été le plus coupable et le dernier des hommes,
si je n'avais pas averti en France et ici des pièges qu'on vou-
lait tendre pour embrouiller la décision de cette affaire, et si
j'avais manqué d'être attentif à toutes les démarches qu'on
faisait pour empêcher le jugement dans une cause où il y
allait de tout pour la religion, où l'honneur et la réputation
des évêques, du Roi même, étaient intéressés; qui enfin a
remporté la victoire, qui suit tôt ou tard la vérité. Je lui dis
que j'étais prêt à le satisfaire sur tous les points, s'il jugeait
à propos d'entrer avec moi dans les détails nécessaires. Je
vous proteste que je m'en serais bien tiré, et lui fort mal ;
aussi ne crut-il pas devoir accepter mes offres, et se borna-
t-il à répondre qu'il avait fait son devoir sur tout, et que, s'il
était à recommencer, il agirait de même, ne se repentant
point de ce qu'il avait fait; qu'il voyait bien qu'il se trouvait
dans des circonstances fâcheuses, et qu'on était prévenu faus-
sement contre lui, mais qu'il était au-dessus de tout, etc.
Je vins ensuite à ce qui regarde M. de Madot, et je lui
représentai ce que vous pouvez savoir, lui protestant de la
part de M. de Madot que tout ce dont on l'accusait à l'égard
de son courrier, était un tissu de faussetés. M. le cardinal de
Bouillon me parut très irrité contre M. de Madot, ne voulant
en aucune manière écouter ses justifications, et lui faisant
l'honneur de se déclarer son ennemi. Sur ce qui me touchait,
il n'eut pas un mot à répondre à mes raisons, et ne put im-
2^ CORRESPONDANCE [mai 1699
prouver la conduite que j'avais tenue à son égard; et j'ose
dire qu'il fut content de la manière dont je m'expliquai avec
lui là-dessus. Il fut si satisfait, qu'il le témoigna le soir
même à M. le duc de Barwick, disant qu'on ne pouvait mieux
lui parler que je l'avais fait. Je ne laissai pourtant pas de l'as-
surer que je ne pouvais ni ne devais abandonner M. de Madot,
qui s'était bien voulu sacrifier pour me rendre service, et
auquel vous et M. de Paris vous intéressiez; ce qu'il m'a paru
ne pas trouver mauvais. 11 est vrai que je lui exposai mes rai-
sons avec toutes les mesures imaginables. 11 n'avait pas encore
reçu votre lettre qui a passé par les mains de M. de Torcy
et dont vous m'avez envoyé la copie. Je lui en ai dit la sub-
stance, lui déclarant que vous me la rapportiez dans votre
lettre. Sur M. Madot, il m'ajouta qu'il avait su qu'on vou-
lait engager M. le Grand duc à le prendre à son service ; mais
qu'il venait de faire déclarer à l'agent de ce prince qu'il ne
doutait pas qu'il ne le chassât de ses États à sa considération,
et qu'il le poursuivrait partout où il se retirerait. Cela me
parut un peu violent, et tout le monde en juge de même.
Que veut-il donc que devienne ce pauvre malheureux gentil-
homme, qui ne peut demeurer en France, qu'il ne saurait
souffrir à Rome, et qu'il prétend empêcher d'entrer au ser-
vice d'un prince ami de la France? Où se réfugiera-t-il, lui
qu'il sait n'avoir jamais voulu s'engager au service d'aucune
puissance qui pût être ennemie du Roi? Mais j'espère que les
bons offices de cette Éminence ne nuiront pas à M. de Madot,
auprès d'un prince aussi pieux et aussi généreux que M. le
Grand duc. Sûrement il prélérera de remplir les engagements
qu'il a pris avec M. de Paris, avec vous, avec M. d'Estrées et
M. de Janson, plutôt que de satisfaire la haine de M. le car-
dinal de Bouillon, qui est poussée aussi loin qu'elle le peut être.
M. le cardinal de Bouillon a encore trouvé très mauvais
qu'à l'entrée de l'ambassadeur du Grand duc, qui se fit avant-
hier, dimanche, M. de Madot ait été dans un carrosse de cet
ambassadeur; il a fait de cette action une affaire d'État. En-
fin, incapable de garder aucune mesure, son ressentiment a j
éclaté avec une force qui passe tout ce qu'on peut dire. Mal-
mai 1699] DE BOSSUET. s5
gré tant de mauvais procédés, M. de Madot s'est toujours
conduit avec sagesse et circonspection. Il est resté à Rome
uniquement^ pour mettre ordre à ses affaires^, jusqu'à ce
soir, qu'il vient de partir pour Florence; et M. le cardinal de
Bouillon a évaporé en l'air son injuste colère.
Dans la conversation que j'eus avec cette Eminence, elle
me dit qu'en tout autre temps on aurait puni exemplairement
en France M. de Madot, mais qu'il voyait bien qu'il serait
au contraire peut-être récompensé. Il ne dissimule guère le
mécontentement qu'il a du Roi. M. de Madot vous rendra
compte de tout, aussi bien qu'à M. de Paris.
Vous apprendrez par les nouvelles publiques l'éclatante
affaire qu'a eue, à l'entrée de l'ambassadeur de Florence,
M. le cardinal de Bouillon avec l'ambassadeur de l'Empe-
reur. Le carrosse que cet ambassadeur avait envoyé à cette
entrée a été obligé de céder à celui de M. le cardinal, et les
gens de l'ambassadeur firent sagement; car il y avait, le long
de la route, des hommes armées pour soutenir le carrosse de
3. Editeurs : publiquement, pour mettre.
k- « M. de Madot, si vivement expos<' à la colère du cardinal de
Bouillon, ne resta que deux ou trois jours à Rome pour y terminer ses
affaires. Il se rendit de là à Florence, auprès du Grand duc, qui, à la
recommandation de MM. Bossuet, de Janson et de Noailles, lui avait
donné de l'emploi dans ses troupes. Le cardinal de Bouillon écrivit au
Grand duc pour l'engager h lui retirer sa Faveur et à le congédier de
ses Etats. Mais ce prince, ne croyant pas devoir sacrifier ce gentil-
homme, répondit au cardinal qu'il avait retenu M. de Madot à son
service sur le bon témoignage que M. de Meaux et M. de Paris, en
qui il avait une entière confiance, lui en avaient rendu, et qu'il ne
voyait aucune raison pour ne pas tenir la parole qu'il leur avait donnée.
C'est ce que ce prince fit connaître à l'évêque de Meaux par une lettre
du 22 mai 1699, dans laquelle il lui disait que M. de Madot pouvait
l'assurer lui-même des bons sentiments qu'il avait pour sa personne en
considération du prélat. Ce prince ne se borna pas à ces premiers
bienfaits, et, lorsque l'abbé Bossuet, revenant en France, passa à Flo-
rence, M. le Grand duc nomma M. de Madot capitaine de deux cents
carabiniers avec des appoinlements convenables. Il voulut que cet abbé
donnât lui-même à ce gentilhomme la nouvelle de cette grâce singu-
lière, pour lui faire comprendre qu'il l'obtenait à la recommandation
de l'évêque de Meaux. » (^Nole de Deforis.) Cf. l'Appendice, p. 388.
26 CORRESPONDANCE [mai 1690
M. le cardinal, et qui auraient fait mal passer le temps aux
gens de l'ambassadeur. Ce qui fut un peu fâcheux, et qui
doit avoir déplu à M. le cardinal, c'est que quelques Fran-
çais s'avisèrent de courir avant les carrosses, l'épée nue,
jusque dans Rome même. Le fait a paru un peu violent, et le
procédé trop public. On s'attendait aujourd'hui à une bataille
réelle, à l'occasion du cortège qui devait accompagner l'am-
bassadeur de Florence à Monte Gavallo *.
L'ambassadeur de l'Empereur armait publiquement; on ne
s'endormait pas chez M. le cardinal, qui avait près de mille
hommes sous les armes. Mais, une heure avant le départ,
l'ambassadeur de Florence a jugé à propos de prétexter une
indisposition, et a contremandé tous ses équipages. Il doit
aller demain sans cortège à l'audience de S. S. : cela s'est fait
de concert avec le Pape ; et on est persuadé que l'ambassa-
deur de l'Empereur n'est pas fâché d'être sorti de cet embar-
ras. M. le cardinal de Bouillon en doit être bien aise aussi.
L'ambassadeur de l'Empereur, qui est haï ici extrêmement,
courait grand risque. Vous voyez donc que ces deux minis-
tres sont extrêmement animés l'un contre l'autre, et j'en sais
bien la raison : depuis trois mois, leurs dispositions sont
changées; mais cela serait trop long à expliquer".
^. Monleciiviillo, palais situé sur la place Navone ; les papes y rési-
daient habituellement.
5. « Le dimanche, 3/4 mai, le cardinal de Bouillon donna à Rome
une nouvelle scène. Le marquis de Vitelli, ambassadeur extraordi-
naire du Grand duc, fit son entrée publique ; le cardinal, dont les
carrosses avaient été insultés deux fois par ceux du comte Martinitz,
ambassadeur de l'Empereur, dans les entrées des cardinaux Cornaro et
Grimani, envoya ce jour-là beaucoup de gens armés pour agir en cas
de contestation. Dans les entrées publiques, il n'y a pas de rangs
marqués ; les cochers les plus hardis et les plus adroits passent les pre-
miers. Le cocher du carrosse de l'ambassadeur, s'étant aperçu du
grand nombre de gens armés, jugea à propos de se retirer dès Ponte-
Molo {l'ancien Ponte- Milvio) pour ne rien risquer ; ce qui n'empêcha
pas les gens du cardinal d'accompagner le carrosse de leur maître
l'épée à la main. On blâma fort le cardinal ; car l'ambassadeur lui
avait fait des excuses des insultes passées, et ils avaient tous deux
vécu depuis dans une grande intelligence. Le mardi suivant, jour
mai 1699] DE BOSSUET. 27
Cette aiïJaire.est prise ici très diversement. La manière avec
laquelle les choses ont été conduites a eu ses contradicteurs
et ses critiques en très grand nombre''. La seule haine qu'on
porte à l'ambassadeur de l'Empereur pourra calmer les esprits
sur le procédé du cardinal de Bouillon.
Je compte toujours partir vers le 8 du mois prochain, c'est-
à-dire dans quinze jours, et je vais agir pour mon induit,
sans plus attendre M. de Monaco.
On sait ici l'affaire des bénédictins avec les jésuites; mais
elle ne fait aucun bruit, et on sera très favorable aux pre-
miers.
Je n'entamerai point l'affaire de Sfondrate. Je sais, il y a
longtemps, ce qui retient M. l'archevêque de Paris sur cela.
Il croit par ses ménagements devenir cardinal. Le cardinal
Albani se sert de ce moyen pour amortir son zèle, et croit par
là pouvoir tout faire impunément pour le cardinal de Bouil-
lon et M. de Cambrai.
Je verrai S. S. incessamment. Je dis ce qu'il convient sur
la nécessité de défendre les écrits de M. de Cambrai expli-
catifs de son livre. 11 faut toujours agir en France à cet égard
de la manière la plus avantageuse, et parler sur la doctrine
plus fortement que jamais : tout sera approuvé ici.
Au reste, le curé de Seurre est arrêté. Le Saint Office ne
s'est pas fié aux diligences que pouvait faire le cardinal de
destiné à l'audience publique du marquis de Vilelli, le cardinal de
Bouillon fit armer cinq à six cents hommes dans son palais. Ce
héros s'en était allé dès le lundi à FVescati, pour n'être spectateur
de la bataille que de quatre lieues; et il avait confié cette entreiirise
à Certes, qui était d'humeur à se tenir caché dans le palais pendant
qu'on combattrait. Le Pape, averti de cet armement, le regarda
comme un attentat à sa souveraineté, qui exposait Rome au pillage;
il en fut outré de douleur, et envoya dire au marquis de Vitelli de ne
pas venir à l'audience. Le vendredi 3o, le cardinal, de retour de
Frescati, fit demander audience au Pape, qui la refusa et dit qu'il
attendait l'arrivée du prince de Monaco » (Pheiipeaux, Relation,
t. II, p. 285).
6. Mais elle obtint l'approbation de Louis XIV (Lettre du i5 juin.
Affaires étrangères, Rome, t. SgB, f" Sifi).
28 CORRESPONDANCE [mai 1699
Bouillon. Il a dépêché sur son chemin, et ce malheureux a
été arrêté à Florence; il doit être conduit ici incessamment'' ;
on le dit même déjà arrivé. On prétend qu'il y a aussi des
femmes arrêtées, qui lui tenaient bonne compagnie à Rome,
et qu'il avait emmenées de France. Je ne sais que dire du
cardinal de Bouillon sur tout cela. Il est assez probable qu'il
aime mieux que ces malheureux soient arrêtés ici que s'ils
l'avaient été en France : car, le secret des informations du
Saint Office étant impénétrable, on ne saura rien de toutes
les erreurs où le fanatisme de leurs maximes les a précipités.
Fabroni et sa cabale ont fait le P. Gabrielli, l'un des exa-
minateurs les plus zélés pour M. de Cambrai, général de son
ordre*.
On traverse tant qu'on peut notre procureur général des
augustins".
Le cardinal Casanate et les autres cardinaux que j'ai vus
trouvent très bon ce qu'on fait en France pour l'acceptation
de leur décret : ils sont fort contents qu'on ait donné le nom
de constitution à leur bref.
Je me porte bien, Dieu merci, et ne respire qu'après le
moment où je partirai d'ici, et surtout après celui où je vous
re verrai.
1933. — A Alphonse de Valbelle.
A Versailles, 28 mai 1699.
Je reçus ici hier au soir, Monseigneur, vos deux
lettres' de Cambrai du 25. Je me suis trouvé à
portée d'en rendre compte à S. M., qui en a été
7. Voir plus liant, p. 12.
8. Gabrielli appartenait à l'ordre des feuillants; il fut compris
dans la première promotion de cardinaux.
9. Serrani fut nt^anmoins élu jfénéral au mois de juin.
Lettre 1933. — L. a. n. s. Collection E. Levesque. Inédite.
I. Deux lettres rendant complet Bossuet des séances de l'assemblé
provinciale de Cambrai tenues le 3^ et le 25 mai.
mal i699J DE BOSSUET. 29
très satisfaite^. Je n'ai pas oubJié M. de Tournay.
L'Église vous est obligée à tous deux\ J'attendrai
la suite, et en userai de même. Je vous envoie la
lettre de M. de C[ambrai] au Pape en lui promettant
son mandement'. Si elle vient avant l'envoi de ce
paquet, vous l'aurez; sinon, par le prochain ordi-
naire, sans manquer.
Vous savez mon très humble respect.
198 4. — A Alphonse de Yalbelle.
A Versailles, 3o mai 1699.
J'ai reçu. Monseigneur, votre lettre du 26 et,
a. On voit par le procès-verbal {OEuvres de Fénelon, t. IX, p. 189
et suiv.) que Valbelle s'esl docilement inspiré des conseils et des ar-
guments de Bossuet.
3. Ces deux prélats avaient réservé expressément le droit des évèques
à être juges de la doctrine, con Fermement aux maximes de l'Eglise
gallicane. C'est le 26, que Valbelle proposa de demander la suppres-
sion des écrits composés en faveur du livre condamné. Fénelon s'y
rel'usa, disant, entre autres choses, qu'il n'avait aucune raison pour
aller au-delà des termes du jugement porté par le Pape. Néanmoins,
comme président de l'assemblée et contre son sentiment personnel, il
conclut à la pluralité des voix que le Roi serait supplié d'ordonner la
suppression des ouvrages faits pour la défense du livre des Maximes
(Fénelon, Œuvres, t. IX, p. 2o3. On voit que, sur ce point, le
récit de Saint-Simon est inexact : les évèques de Tournay et d'Arras
n'ont pas pris parti pour leur métropolitain, quoiqu'ils se fussent
bornés à donner leurs raisons de vive voix, sans vouloir les laisser par
écrit). Le gros du monde, dit Saint-Simon, se tourna contre l'évèque
de Saint-Omer ; « la Cour même le blâma, et quand il y reparut, il
n'y trouva que de la froideur parmi ceux même qu'il regardait comme
ses amis et qui ne l'étaient ni de M de Cambrai ni des siens »
(Tome VI, p. iSg). Et ailleurs (t. XXVI,p. 73), Saint-Simon dit qu'en
cette circonstance, Valbelle se déshonora. Daguesseau traite « d'indi-
gnes tracasseries » les procédés de ce prélat (^Œuvres, t. XIII, in-Zj,
p. 182).
4. Correspondance de Fénelon, t. X, p. li'jQ.
Lettre 1934. — L. a. s. Communiquée par M. N. Cliaravay. Inédite.
3o CORRESPONDANCE [juin 1699
avec celle du 27, le procès-verbal de voire assem-
blée'. Vous y avez dignement parlé et avec la plus
grande modération et les plus douces insinuations
qui soient possibles, sans qu'on se puisse plaindre
que vous ayez tiré des explications très utiles, et
mené la délibération à la lin que vous vous étiez
proposée, à la pluralité des voix^. Le parfait con-
cert entre vous et Mgr de Tournay a produit un
ouvrage de cette importance, et ce qu'a dit ce der-
nier prélat sur l'acceptation était nécessaire pour
soutenir les droits de l'Eglise de France. Je m'en
allai ce matin au levé dans le dessein de raconter au
Roi ce qui s'était passé, si je n'avais trouvé M. l'ar-
chevêque de Paris dans la même volonté, outre
que j'ai su aussi que S. M. avait reçu le procès-
verbal. Il vous fera assurément beaucoup d'hon-
neur, et bien assurément vous n'avez rien dit qui ne
soit à propos, utile et digne de grande louange.
Vous savez mes respects anciens et sincères.
J. Bénigne, é. de Meaux.
1935. — A l'Abbé Bossuet.
A Paris, i*^"" juin 1699.
Selon l'ordre de votre lettre du 6, j'adresse ce
1. Proces-verbal de rassemblée provinciale des évèques de la province
de Cambray. tenue par les ordres du Roy à Cambray, au palais
archiépiscopal en l'année i6gg. Du vingt-quatrième May 1699,
a4 p. in-4. Il a été reproduit dans les OEuvres de Fénelon, t. IX,
p. 182 à 30/4.
2. Cf. Saint-Simon, t. VI, p. 169, et la lettre précédente, note 3.
Lettre 1935. — Copie des Bénédictins, au Grand séminaire de
juin 1699] DE BOSSUET. 3l
paquet à M. Dupré, à Florence, et je lui écris pour
le supplier dé l'avoir agréable.
Nous attendons avec impatience le bref à M. de
Cambrai, et nous croyons que ceux qui le dresseront
auront égard à l'utilité de l'Eglise et à la dignité du
Saint Siège, plus qu'à quelque petite complaisance
qui ne ferait qu'enorgueillir un esprit superbe, et
donner des forces à un parti tombé.
On est ici fort content du procès-verbal de l'as-
semblée de Reims, que je vous envoie. Mais j'aime-
rais encore mieux vous pouvoir envoyer celui de
Cambrai, où M. de Saint-Omer ayant proposé, comme
Paris et Reims, la suppression de tous les livres faits
en défense de celui des Maximes, M. de Cambrai s'y
est opposé de toute sa force par de méchantes raisons,
et s'est vu contraint de prononcer à la pluralité des
voix, en énonçant que c'était contre son avis, que le
Roi serait supplié de supprimer tous ses livres. On
voit, parle peu de crédit qu'il a eu dans sa province,
combien peu il trouvera de complaisance dans les
autres. Assurément il n'a et n'aura pas pour lui un
seul évêque. M. d'Arras a voulu en quelque sorte
éluder l'acceptation, par des sentiments opposés à
ceux de tout le reste des évêques ; mais enfin elle a
passé dans le fond; et voilà déjà quatre provinces,
c'est-à-dire celle de Toulouse \ qui a commencé, et
I. On lit dans la Correspondance de Fénelon, t. X, p. 694, que la
province de Toulouse ne demanda point la suppression des écrits apo-
logétiques de Fénelon, qu'il en fut de même des provinces de Nar-
bonne, de Sens, de Vienne, d'Albi, d'Auch et d'Arles, et que celle
de Rouen se borna, sans nommer Fénelon, à supplier le Roi « d'or-
donner la suppression de tous livres qui pourraient établir la doctrine
32 CORRESPONDANCE [juin 1699
celles de Paris, de Reims et de Cambrai, uniformes.
M. de Sain t-0 mer et M. de Tournay ont fait
expliquer M. de Cambrai sur sa soumission plus
qu'il n'avait fait encore ; et quoiqu on l'eût pu pous-
ser davantage, on a mieux aimé, pour le bien de la
paix, à lafm demeurer content. Il continue à se ren-
fermer et à travailler, on ne sait à quoi. Pour moi,
je pars vendredi pour mon diocèse. J'y passerai les
fêtes avec l'octave du Saint Sacrement.
Quoi qu'on fasse, nous ne dirons rien sur ce
qu'écrit M. de Cambrai de son innocence, des ou-
trages qu'il prétend avoir reçus et de ses explications.
C'est lui qui nous agace de gaieté de cœur; mais
nous voulons être les plus sages, et le traiter avec
toute sorte d'honnêteté et de douceur. On m'assure
que, sur le /)ro6ra, qui dans le fond attaque plus le
bref que nous, puisque nous n'avons rien dit de son
livre que ce que le Saint Siège en a décidé, il a dit
qu'il m'avait en vue, lorsqu'il écrivait ce mot, parce
que je l'ai nommé le Montande la Priscille. Mais je me
suis assez expliqué. Ni Eusèbe de Césarée et les
auteurs qu'il cite, ni saint Epiphane, ni saint Jérôme,
ni saint Augustin, ni Philastrius, n'accusent Montan
d'autre commerce avec les fausses prophétesses, que
de celui d'une fausse spiritualité". Au surplus, je
censurée ». En somme, dix provinces seulement, sur dix-sept, donnè-
rent sur ce point satisfaction à Bossuet. La suppression désirée fut
prononcée par la déclaration royale du l4 août.
2. Cf. Remarques sur la Réponse à la Relation, art. XI, § x. —
M. Crouslé (Fénelon et Bossuet, t. II, p. 553 et 554) reconnaît que
l'évèque de Meaux « se justifie en vain, quoique en termes fort
décents ». En fait, même restreinte à la doctrine, comme le contexte
semble le demander, l'assimilation à un hérétique tel que Montan ne
i
juin 1699] DE BOSSUET. 33
lui ai fait faire des honnêtetés depuis la censure,
auxquelles il n'a pas répondu un seul mot^ D'autres
personnes ont voulu s'entremettre entre ses amis et
moi ; j'ai répondu très honnêtement, comme je ferai
toujours.
Le P. de La Ferté * a été relégué à Blois, avec dé-
laissait pas d'être injurieuse. Mais, pour le public d'alors, Monlan
n'était pas seulement le propagateur d'un prophétisme fanatique,
dont parlent les écrivains les plus anciens; c'était encore le débauché
que saint Cyrille de Jérusalem {Catech. XVI, 8) appelle « l'homme
le plus méprisable, adonné à toute sorte d'impureté et de dérègle-
ment », et encore, si ce Père s'abstient d'en dire davantage, c'est
pour ne pas offenser la pudeur des femmes de son auditoire. Quant
aux auteurs visés ici par Bossuet, saint Augustin (^Epist. CCWW il,
et de Agone chrisliano, cap. 28) ne parle de Montan qu'en passant ;
il en est de même de Philastrius (Adversus hœreses, cap. xiix);
saint Jérôme (Epist. GXXXIl) dit de lui : « Montanus immundi
spiritus praedicator multas Ecclesias per Prlscam et Maximillam,
nobiles et opulentas feminas, primum auro corrupit, deinde haeresi
poUuit ». Eusèbe (/fist. eccles.. lib. V, cap. xvi) et saint Epipliane
(^Adversus hœreses, xlviii) disent sa doctrine inspirée parie diable,
mais n'incriminent passes mœurs. Les auteurs cités par Eusèbe sont
Apollinaire de Hiérapolis, un certain Apollonius et un anonyme qui
écrivait treize ans seulement après la mort de Maximilla, l'une des
propliétesses de Montan. Ces auteurs contemporains des origines du
montanisme n'accusent point la conduite du faux prophète, et ne le
traitent pas encore d'hérétique (Sur le montanisme, voir Bonwetsch,
Die Geschichte des Monianismus, Erlangen, 1881, in-8 ; E. Kenan,
Marc Aurele, p. 2i3 et suiv. ; Mgr Duchesne, Histoire ancienne de
l'Eglise, t. I, cbap. xv ; de Labriolle, dans la Revue d'histoire et de
littérature religieuse, t. XI. Sur le sens donné par les contemporains
à la comparaison de Fénelon et de Mme Guyon avec Montan et
Priscille, voir la lettre d'Antoine Bossuet citée, p. i5).
3. Voyez t. XI, p. 274.
4. Sur ce jésuite, voir lettre du 10 Juillet 1698, t. X, p. Sg. « On
dit que la cause (de son exil) est que, le jour de Quasimodo, à Saint-
Roch, où il avait prêché le carême, il dit sur l'évangile du jour
qu'il ne fallait point espérer de paix solide pendant qu'on laisserait
subsister tel et tel désordre, et qu'une femme impérieuse, dont la
naissance était obscure et qui devrait rentrer dans la poussière dont
elle avait été tirée, aurait part au. gouvernement » (^Correspondance
XII — 3
34 CORRESPONDANCE [juin 1699
fense de prêcher, à ce qu'on prétend, pour avoir
parlé en chaire très ouvertement contre le Roi et
Mme de Maintenon,
J'embrasse M. PheHpeaux. Venez vite. Ma santé
est bonne, Dieu merci.
1986. — L'Abbé Bossuet a son Oncle.
Rome, ce 3 juin 1699.
J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de
m'écrire, du 1 1 mai. Votre assemblée n'était pas encore faite;
mais, par un courrier extraordinaire, nous avons appris ce
qu'on y avait fait et les résolutions prises, conformes aux
intentions de S. M. marquées par sa lettre. Les mandements
qu'on doit faire dans chaque diocèse feront tout l'etTet et
suppléeront à tout. Je puis vous assurer que tous les cardinaux
approuvent fort les mesures qu'on a prises en France pour
l'authenticité de cette constitution * . Gela ne fait pas ici la
moindre difficulté, quoiqu'ils aient bien senti que l'Église de
France par là autorisait l'article de la Déclaration : Nisi Eccle-
siœ consensus accesserit. Quelques-uns me l'ont dit, et on
de Quesnel. t. II, p. 58, lettre du ao juin 1699). L'exil du P. de La
Farté dura deux ans. Il revint prêcher dans le diocèse de Meaux sous
M. de Bissy (Ledieu, t. III, p. 269 ; t. IV, p. 33i à 333. Voir aussi
Charma et Mancel, le P. André, Paris, i857, in-8, t. Il, p. 190 et
191). Le 24 janvier 1713, Mme de Maintenon écrivait à Noailles :
« Oserai-je vous demander. Monseigneur, s'il y a quelque chose sur
mon compte dans ce qui s'est passé entre vous et le P. Martineau tou-
chant le P. de La Ferté ? Vous savez bien que le Roi a accordé son
retour, et ce n'est pas vous, Monseigneur, qui m'apprendrez à ne
pas pardonner sincèrement... « (Édition La Beaumelle, Amsterdam,
1766, in-i2,t. IV, p. 35l).
Lettre 1936. — Copie préparée par les Bénédictins, au Grand
séminaire de Meaux.
I, Pour lui donner de l'autorité.
Juin 1699] DE BOSSUET. 35
commence ici à ne pas trouver cette doctrine si affreuse : il
n'y a que manière de la leur présenter.
Le Pape est tout de même, je vous en réponds, et reçoit à
merveille tout ce que je lui dis là-dessus.
Quoiqu'on attende à présent M. de Monaco de jour en
jour, ayant envoyé quérir les galères à Marseille dès le i5 de
mai, et une partie de ses gens étant déjà allés à Civita-Vec-
chia, j'ai cru ne devoir pas différer à faire les démarches
nécessaires sur l'affaire de mon induit. J'ai travaillé depuis
trois semaines à bien disposer en général et le Pape et le
cardinal Panciatici à me vouloir renvoyer content. J'ai cru
trouver la conjoncture favoral)le, et j'ai rendu ce matin votre
lettre et celle de M. le cardinal de Janson à M. le cardinal
Panciatici, qui a reçu très bien ma proposition, et m'a dit de
parler au Pape, ce que j'ai fait aujourd'hui ; et S. S. m'a
donné des marques particulières de bonté, et des assurances
de me vouloir faire plaisir, et à vous aussi. Si M. le cardinal
dataire- ne l'empêche, je puis dire que je suis assuré du Pape.
M. le cardinal Casanate, à qui j'ai rendu votre lettre, et dont
je vous envoie la réponse, m'a promis de faire de son mieux
auprès de M. le cardinal Panciatici ; c'est son grand ami. J'ai
rendu aussi votre lettre au cardinal Spada, qui m'a promis
de faire son possible auprès de S. S. Nous verrons ce que
cela opérera. Si je vois qu'on fasse difficulté, alors, si M. de
Monaco arrive à temps, je l'emploierai ; mais je ne désespère
pas que, dans les circonstances présentes, le Pape ne soit bien
aise de me renvoyer content de lui par quelque grâce. Nous
verrons.
Je souhaite ardemment voir M. de Monaco avant que
de partir ; mais je ne puis m'arrêter ici plus que de la semaine
prochaine ; et je compte partir le 10 ou le 12, au plus tard.
Je vais écrire encore d'ici une fois, qui sera le 9, et je vous
marquerai précisément le jour.
Je prends congé de MM. les cardinaux, tant du Saint Office
que des autres, qui me comblent de bontés.
2. Tanara (cf. t. XI, p. 26^). Panciatici était pro-dataire.
36 CORRESPONDANCE [jum 1699
L'affaire de l'armement des ministres^ fait ici plus de fra-
cas que jamais. Le Pape témoigne une grande indignation
contre M. le cardinal de Bouillon, et lui a refusé audience,
et on le prétend dans la résolution de ne le vouloir plus
entendre. S. S. envoya même quérir avant-hier M. Poussin,
pour lui ouvrir son cœur. C'est une chose publique : il n'y a
pas lieu de douter que les Autrichiens n'aigrissent infiniment
l'esprit du Pape ; et le Pape, qui craint de passer pour trop
partial pour la France, paraît vouloir prendre feu. On blâme
ici généralement la manière publique et éclatante dont cette
affaire a été conduite par les gens d'armes de France; mais
on ne blâme pas le fond, c'est-à-dire que M. le cardinal ait
voulu être le plus fort ; mais on souhaiterait que cela se
fût fait moins publiquement. Ce que je puis dire, c'est que
M. le cardinal de Bouillon n'est pas heureux, et mal servi.
S. S. voudrait bien que le Roi ne se fâchât pas du refus
d'audience qu'il fait à M. le cardinal de Bouillon. S. S. a
demandé plusieurs fois de mes nouvelles, ces jours passés, à
M. Aquaviva, son maître de chambre, à Mgr Gozzadini, disant
pourquoi je ne l'allais point voir, et demandant si j'étais
parti : ils m'en ont averti. J'ai bien vu que S. S. voulait un
peu ouvrir son cœur. J'ai cru devoir avertir M. le cardinal de
3. Bouillon, ministre de France, et le comte Martinitz, ambassa-
deur de l'Empereur. « Le cardinal de Bouillon, dont les carrosses
avaient été deux fois insultés par ceux de l'ambassadeur de l'Empe-
reur, dans des entrées publiques d'ambassadeurs, eut soin, à l'entrée
du marquis de Vitelli, ambassadeur extraordinaire du Grand duc, de
faire accompagner son carrosse par un grand nombre de gens, l'épée
à la main. Le carrosse de l'ambassadeur impérial se retira pour éviter
toutes contestations. Le cardinal, qui ne savait ce que c'était que de
reculer, lorsqu'il avait fait une fausse démarche, fil armer dans son
palais cinq ou six cents hommes, destinés à accompagner son carrosse
le jour de l'audience publique du marquis de Vitelli. Le Pape, en
ayant été informé, envoya dire au marquis qu'il n'aurait point d'au-
dience ce jour-là, et fit témoigner au cardinal de Bouillon son mé-
contentement. Gela n'empêcha pas, quelques jours après, le cardinal
de Bouillon de faire demander audience au Pape, qui la lui refusa
et lui fit dire qu'il attendait l'arrivée du prince de Monaco » (Note
de Deforis). On a vu, p. 26, le récit de Phelipeaux.
juin 1699] DE BOSSUET. 87
Bouillon que j'allais aujourd'hui aux pieds du Pape, pour rece-
voir ses ordres, afin de parler conformément à ses intentions
et lui rendre ce petit service. Il n'a pas jugé à propos de me
faire rien dire. J*ai été chez le Pape, et ce bon pape m'a parlé
plus d'une demi-heure, presque les larmes aux yeux, sur ce
qui se passait, avec des sentiments pour le Roi dignes d'admi-
ration. Il m'a fait l'honneur de m'entendre ; et, sans afiecler
la justification de M. le cardinal de Bouillon, je lui ai dit
tout ce qui était possible pour l'empêcher de prendre un
engagement qui put déplaire au Roi, et le mettre en parallèle
avec ses ennemis ; insinuant que le refus d'audience à M. le
cardinal de Bouillon, comme ministre de S. M., pourrait
paraître un peu fort, en faisant connaître que, dans le fond,
M. le cardinal de Bouillon n'avait pas tort de se mettre en
état de défense, pour que ses gens ne pussent être maltraités
par ceux de l'ambassadeur de l'Empereur, qui avaient eu
l'insolence de le faire une fois. Je puis dire que S. S. ne m'a
pas paru si aigrie qu'elle l'était au commencement : elle n'a
cessé de me dire qu'elle craignait bien que le Roi ne fût pas
informé de la vérité, et de me marquer une grande impatience
de voir M. de Monaco.
Le malheur~de M. le cardinal de Bouillon, qui rejaillit sur
le service du Roi, c'est qu'il ne ménage personne pour parler
au Pape, et que les Autrichiens ont tous les jours mille gens
qui le font ; et c'est un miracle que le Pape soit bien disposé
naturellement pour la France. M. le cardinal de Bouillon ne
sait, à la lettre, où il en est. Gela est pitoyable. J'ai été rendre
compte à M. le cardinal de Bouillon de ce qui s'était passé
entre S. S. et moi : il m'a fort remercié. Pour moi, je sais
fort bien distinguer le ministre d'avec l'Altesse*. C'est ce que
j'ai pris la liberté de dire au Pape, qui en a ri et l'a trouvé
fort bon; et je voudrais, dans cette occasion-ci, qu'il prît le
!\. Saint-Simon dit du cardinal de Bouillon : « Sa princerie était
sa folie dominante : il en avait usurpé à Rome tous les avantages qu'il
avait pu; il y prétendait VAUesse éminentissime, qu'il se faisait donner
partout par ses valets ; personne autre à Rome ne voulut tâter de
cette nouveauté... » (t. V, p. 38).
38 GORRESPONDA.NGE [juin 1699
parti de le distinguer'''. Je vous assure qu'il n'est pas impos-
sible de lui faire entendre raison là-dessus ; mais j'ai peur
qu'on ne s'y prenne mal. Je n'en sais rien, mais je le crains,
et que cette affaire ne devienne une grande affaire. Le car-
dinal de Bouillon est outré contre le Pape ; et le grand grief
du Pape, c'est le mépris public qu'on fait de son autorité dans
Rome, s'il souffre de pareilles entreprises.
Voyez si l'occasion pouvait être plus favorable pour moi
pour lui parler de mon induit !
S. S. m'a fort parlé du curé de Seurre, et m'a dit qu'on
pourrait découvrir bien des choses par là ; ce qui m'a donné
occasion de lui parler de cette matière, et de Mme Guyon et
de la cabale; et il est à présent reso capace di tutto'^'.
Dans mes visites des cardinaux, j'insinue la défense des
explications et livres de M. de Cambrai, et en démontre la
nécessité d'une manière à ne pas recevoir de réplique, et
comme une conséquence nécessaire de ce qui s'est fait. Je ne
doute pas qu'on ne fasse quelque chose, surtout si M. le nonce
en parle.
Je vous envoie la copie d'un imprimé qui est ici entre les
mains de quelques cardinaux. Je le crois dicté par M. le car-
dinal de Bouillon et par le P. Charonier, à la lettre, et
imprimé en Hollande. Vous l'avez peut- être vu.
J'écris fort à la hâte, n'ayant pu finir mes audiences et mes
affaires que fort tard ; ce qui fait que je ne pourrai peut-être
pas écrire à M. de Paris, à qui je vous prie de faire mes com-
pliments. Si vous n'êtes pas à Paris, et que vous jugiez à
propos d'envoyer quelque copie de ce que je vous écris sur
les affaires courantes, vous ne feriez peut-être pas si mal.
A.U reste, vous ne pouvez vous imaginer la rage que le car-
dinal de Bouillon a eue de savoir la réponse de M. le Grand
duc sur M. Madot, qui est qu'il avait donné sa parole à vous
et à M. de Paris pour ce gentilhomme, et qu'il ne pouvait
5. De faire cette distinction entre l'Altesse et le ministre du roi de
France.
6. Mot à mot : renseigné sur tout.
juin 1699] DE BOSSUET. 89
y manquer. Cela joint au refus d'Altesse, que l'ambassadeur
du Grand duc a fait, cause une grande aigreur entre ces
puissances. Le cardinal est résolu de s'en venger par rapport
au Roi. Il est bon qu'iP en soit informé.
Vous ne pouvez vous imaginer l'impatience que j'ai de
partir et de vous revoir. C'est mon unique affaire, et la seule
qui me puisse donner de la joie.
M. le duc de Barv^^ick part demain. Le Pape a demandé,
pour les pauvres catholiques d'Angleterre, aux cardinaux
quelques secours d'argent : ils ont accordé leur revenu de six
mois de leurs rétributions.
1937. — A Alphonse de Yalbelle.
A Paris, 3 juin 1699.
Je reçus hier. Monseigneur, le bref dont vous
demandez la copie par votre lettre du 29. Je crains
d'avoir oublié de vous marquer la réception de celle
du 2^, qui était de conséquence. Beaucoup d'hon-
nêtes gens voudraient bien que votre procès-verbal
fût imprimé. Votre avis est fort estimé, et on est
bien aise que vous ayez seul su attirer de M. de
Cambrai quelque chose de plus précis que ce qu'il
avait voulu dire\ Vous savez. Monseigneur, mon
humble et sincère respect.
J. Bénigne, é. de Meaux.
On me mande de Douai que M. de Cambrai y a
défendu à son libraire de vendre ses livres.
7. Le Roi.
Lettre 1931. — L. a. s. Collection E. Levesque. Inédite.
I. Par son insistance, Yalbelle avait amené Fénelon à déclarer que
sa soumission n'était pas purement extérieure, comme Bossuet et
d'autres l'avaient conclu de son mandement.
4o CORRESPONDANCE [juin 1699
igSS. — A l'Abbé Bossuet.
A Meaux, ce 7 juin 1699.
Je continue à vous écrire par Florence, quoique
je pense que, pour avoir l'honneur de voir M. l'am-
bassadeur, vous serez à Rome plus longtemps que
vous ne pensiez. Vous avez vu par mes précédentes
le résultat de l'assemblée de Cambrai, où cet arche-
vêque a prononcé à la pluralité des voix que le Roi
serait supplié de supprimer ses écrits. Il a voulu
spécifier qu'il prononçait ainsi contre son avis. Quant
à sa soumission, il y aurait beaucoup de choses à
dire ; mais on a voulu être content, et ne prendre
pas garde si les discours étaient bien suivis. Onaété
étonné de M. d'Arras, qui, seul de tous les évêques
de France, a témoigné ne pas approuver ce que di-
sent tous les autres du royaume, quoiqu'il soit pris
de mot à mot des procès-verbaux des assemblées du
clergé ' .
ÎSous vous attendons avec impatience.
Je ne sais si je vous ai mandé la mort funeste
de l'abbé de La Châtre ^ par une chute de car-
Lettre 1938. — I. « Ces clt^libérations(des assemblées provinciales)
ne s'accommodent guère avec la sainte infaillibilité. Il n'y a que
M. d'Arras qui sera un grand saint chez eux ; mais je crois qu'il sera seul.
Nous avons reçu cette semaine les procès-verbaux de Sens et de Bor-
deaux, et on les imprimera. Je crois qu'Alexandre VII aurait fait mettre
tout cela à l'Index » (Correspondance de Quesnel, t. II, p. 60). Cf. p. 34-
3. Sur la route de Saint-Léger à Pontchartrain, « l'abbé se brisa
contre des pierres, et les roues lui passèrent sur le corps ; il vécut encore
vingt-quatre heures, et mourut (le 23 mai) sans avoir eu un instant
de connaissance » (Saint-Simon, t. VI, p. ao3). Louis Claude de
juin 1699] DE BOSSUET. ^]
rosse. Sa charge est donnée à l'abbé de Sour-
igSg. — A l'Abbé Bossuet.
A Meaux, 8 juin 1699.
Je n'ai reçu que ce matin votre lettre de Rome,
du 19 mai. Nous avons vu le bref adressé à M. de
Cambrai le 12 mai, en réponse à la lettre de ce pré-
lat, qui accompagnait son mandement. Ainsi il n'est
fait nulle mention de celle du 4 avril, qui le promet-
tait seulement, et que vous m'avez envoyée. Il faut
qu'on ait jugé que la seconde lettre était plus digne
de réponse que celle où il était parlé de \ innocence ,
etc. Le temps peut-être nous en instruira davantage.
Le bref, tel qu'il est, ne dit rien du tout dont M. de
Cambrai puisse tirer avantage. Il est fort sec, et ne
loue précisément que son obéissanceet sa soumission
La Cliastre, abbé de Saint-Sever en Gascogne et aumônier du Roi,
était fils de Louis de La Chastre, dit le marquis de La Cliastre, et de
Charlotte Louise de Hardoncourt. Il menait une vie peu conforme à
son état ; et c'est lui qui avait calomnié l'abbé de Coëtelez (voir t. IX,
p. 286, et Saint-Simon, t. V, p. 83 et ki%).
3. Jean-Louis du Bouchet de Sourches, abbé de Troarn, diocèse
de Baveux, docteur en théologie du 26 juin 169^, « pourrissait aumô-
nier du Roi, en giand mépris », dit Saint-Simon, lorsqu'il fut nommé
évéque de Dol en janvier i^iS. Le noble duc ne le trouvait pas
d'assez haute naissance, et le qualifie de « grand pied plat » ; il
reconnaît cependant qu'il était « très homme de bien », mais aussi
très original (t. XIII, p. 549). Dans son diocèse, il interdit les appels
de la Bulle Unigenitus. Il mourut le 23 juin 17^8, à soixante-dix-
neuf ans. Il était fils du grand prévôt, Louis-François du Bouchet,
marquis de Sourches, et de Marie-Geneviève de Chambes, comtesse
de Montsoreau.
Lettre 1939. — i. Voir la Correspondance de Fénelon, t. X, p. 568.
^a CORRESPONDANCE [juin 1699
à vouloir être instruit et recevoir la parole de vérité
de l'Eglise mère et maîtresse.
Si l'on a quelque jalousie à Rome de l'autorité
qu'on donne aux évêques, elle pourra augmenter
lorsqu'on verra la manière dont elle a été exercée;
mais enfin on n'a fait que répéter ce qui avait été
pratiqué par nos prédécesseurs. M, le nonce a paru
content. Il ne m'a point dit qu'il eût ordre de parler
en votre faveur à cette cour, ni de témoigner qu'on
fût content de vous en celle de Rome. Il m'a seule-
lenient promis d'en parler dans l'occasion, sans me
dire qu'il en eût ordre, et m'a fait mille remercie-
ments de la manière dont vous vous étiez exprimé
à son sujet auprès de S. S. et de ses ministres.
Je vous envoie à toute fin le procès-verbal de Cam-
brai; vous devez avoir reçu le nôtre. M. de Reims
vous a envoyé le sien. Vous y verrez bien exprimé
que le consentement des évêques aux constitutions
apostoliques est réellement un acte d'autorité qui
exclut l'obéissance aveugle, qui ne convient à per-
sonne, et encore moins à ceux qui sont par leur ca-
ractère docteurs de l'Église. N'entrez point dans tout
ce détail, et assurez seulement en général que les
évêques ont intention de rendre au Saint Siège le
respect qui lui est dû. On ne fera pas seulement
semblant ici qu'on craigne d'avoir déplu pour peu
que ce soit".
a. En réalité, le Pape fut loin d'être satisfait de la procédure
suivie en cette circonstance par les évêques de France. « Ce qui vient
d'être fait pour l'acceptation de la constitution du Pape contre
M. de Cambrai n'est qu'une suite des propositions de 1682, dit M. de
Meaux. On s'est senti ferme dans les maximes, et on a agi en con-
juin 1699] DE BOSSUET. 43
1940. — L'Abbé Bossuet a son Oncle.
Rome, ce 9 juin 1699.
J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de
m'écrire de Paris, le 18 mai. Je suis ravi du bon succès et
des résolutions de votre assemblée. Je n'ai communiqué à qui
que ce soit le procès-verbal' que vous m'avez envoyé. J'ose
vous dire que j'en suis très content : ce sont des évêques qui
parlent, et qui savent ce qu'ils doivent à leur caractère et au
Saint Siège. On sentira bien ici ce que les évêques veulent
dire ; mais, comme ils suivent les traces de leurs ancêtres et
témoignent beaucoup de respect pour la personne du Pape et
pour le Saint Siège, on ne soufflera pas. M. l'archevêque s'est
fait un honneur immortel, et toute la province s'est acquis
beaucoup de gloire par les délibérations formées dans son
assemblée. Rien n'est plus sage, ni mieux entendu, ni plus
ecclésiastique et plus régulier. La précaution de faire chacun
un mandement simple, sans s'étendre, plaira ici infiniment,
et elle est très sage. Cela n'empêchera pas, dans la suite, les
évêques de donner les instructions qu'ils jugeront nécessaires
à leurs peuples ; mais il s'agit à présent de finir cette affaire,
et de ne point disputer. Vous aurez vu par mes lettres précé-
dentes combien je souhaitais qu'on défendît les écrits faits
pour la défense du livre condamné, et je suis ravi de la réso-
lution prise sur ce point.
séquence, en meUant toujours la force des décisions de l'Égalise
dans le conseatement des Eglises et dans le jugement des évêques. »
« C'est, continua M. de Meaux, ce que je représentai fortement au Roi,
dès que je lui parlai du bref venu. »... M. de Meaux ne put s'em-
pêcher de dire le chagrin que Rome avait eu de voir sa décision
appuyée de l'autorité des évêques comme si elle en avait besoin pour
être exécutée ; « mais, ajouta-t-il, ils le méritent bien, puisqu'ils se le
sont attiré eux-mêmes premièrement par leur bref au lieu d'une bulle,
et par tous les défauts du motu proprio et autres» (Ledieu, t. II, p. 9).
Lettre 1940. — i. Bossuet avait recommandé le secret (p. 4)-
44 CORRESPONDANCE [juin 1699
Je suis impatient de savoir ce que vous aurez dit de la lettre
do M. de Cambrai au Pape, et des manœuvres qu'on a
employées ici pour lui procurer un bon succès. L'aiïaire est
finie, il n'en faut plus parler. Mais il n'a pas tenu à la cabale
qu'il n'y eût une queue, et c'est encore à quoi tendent toutes
ses intrigues ; mais on y sera attentif plus que jamais.
J'attendrai encore celte semaine M. de Monaco, qui devrait
être arrivé, et qu'on espère voir de jour en jour. Mais, après
ce délai, je pars sans retard la semaine prochaine.
M. le cardinal Pancialici m'a conseillé de voir le Pape
encore une fois, et de lui renouveler ma demande de l'induit.
S. S. est fort bien disposée pour moi; mais elle appréhende
les conséquences, parce que tout le monde pourrait solliciter
de pareilles grâces, qu'elle a peine à accorder, et qu'elle a
refusées, non seulement à M. de Reims, mais à beaucoup
d'autres. Le cardinal Panciatici m'a pourtant dit qu'il fallait
que je la pressasse, et qu'il me servirait de son mieux : cela
me fait bien augurer. Je suis persuadé que, si M. de Monaco
arrivait à temps et que je fusse encore à Rome, le Pape ne ferait
aucune difficulté de m'accorder cette grâce. Mais je veux
savoir cette semaine à quoi m'en tenir. Je tâcherai d'obtenir
ma demande sans le secours de M. l'ambassadeur. Si je ne le
puis, je laisserai les choses dans un tel état que M. de Monaco
pourra toujours faire de nouvelles instances, s'il lèvent bien.
Je ne puis m'empêcher d'espérer tout de la bonté du
Pape.
Je vous prie de bien remercier M. le cardinal de Janson,
qui a bien voulu m'envoyer une seconde lettre pour M. le
cardinal Panciatici. C'est à présent qu'on sent plus que
jamais la perte qu'on a faite ici au départ de M. le cardinal
de Janson-. Le Pape et les cardinaux le témoignent hautement,
et avec des expressions qui font bien voir de quelle estime
toute cette cour est pénétrée pour cette Éminence. Tout ce
que je pourrais vous en dire n'approcherait pas de l'expression
de ces sentiments. J'ai reçu une lettre de M. le nonce, très
a. Janson avait été, avant Bouillon, chargé des affaires de France .
juin 1699] DE BOSSUET. 45
honnête et très obligeante : on ne pense plus, si je ne me
trompe, à le rappeler ^
S. S. continue à refuser audience à M. le cardinal de
Bouillon, et paraît toujours irritée contre lui : elle attend
avec plus d'impatience que personne M. de Monaco. INéan-
moins on croit que ce refus ne durera pas longtemps, et que le
Pape fera céder son ressentiment à l'estime et à l'amitié
infinie qu'il a pour le Roi, et qu'il distinguera le ministre
d'avec la personne, pour laquelle il a un mépris souverain.
C'est le parti que l'on tâche de lui insinuer. Entre nous,
j'y travaille plus que personne ; et, comme non suspect, on
me croit un peu. Le Pape souhaitait fort que l'on fût contre
M. le cardinal de Bouillon en tout ; mais on a cru devoir prendre
un parti mitoyen, qui est le plus sage et le plus convenable,
et, au lieu d'aigrir le Pape, de chercher à adoucir son esprit.
Il faut néanmoins avouer que le Pape a toutes sortes de
raisons de se plaindre du cardinal de Bouillon, qui a mmnqué
de sens dans la conduite qu'il a tenue, et qui a agi plutôt
par vanité et ostentation que par nécessité ; car il est certain
que l'ambassadeur de l'Empereur n'avait pas armé *. Ainsi le
cardinal l'a fait sans égard, sans circonspection et sans néces-
sité. Il aurait pu, dans la crainte de quelque insulte, être sur
ses gardes ; mais la manière dont il l'a fait est des plus
pitoyables, et très injurieuse pour la personne et l'autorité du
Prince. La preuve qu'on a que l'ambassadeur de l'Empereur
n'avait point armé, c'est que le gouverneur de Rome^, qui est
ennemi déclaré de ce ministre et qui sait tout ce qui se passe
dans Rome, en a assuré le Pape. Je le sais de l'un et de l'autre,
à n'en pouvoir douter : par conséquent le cardinal de Bouil-
lon n'avait aucun motif pour faire un si grand éclat et causer
tant de rumeur.
J'espère que M. l'abbé Péquignisera toujours de nos amis.
3. Voir t. XI, p. a46.
Ix. L'abbé a écrit le contraire le 2^ mai (p. 26).
5. Ranuccio Pallavicino, comme il a été dit, t. XI, p. i36.
CORRESPONDANCE [juin lôgi)
ig/ji, — A Alphonse de Valbelle.
A Germigny, lo juin 1699.
J'ai reçu, Monseigneur, vos lettres du 2 et du 6, de
Saint-Omer. J'approuve induire au lieu de conduire \
Je ne puis vous rien dire sur Yerrata^, n'ayant pas
ici le livre, ni en latin, ni en français. Ce sera dans
très peu de jours que je vous répondrai précisément
sur cet endroit. On me mande de Paris qu'on y allait
imp rimer votre procès-verbaP et qu'on l'avait trouvé
bon. Vous avez parlé très sagement sur le repentir*,
et la chose poussée plus avant aurait paru tenir de
l'insulte, au lieu que votre discours, en l'état qu'il
est, n'est pas moins modéré que vif et pressant.
Tout à vous avec respect. Monseigneur.
J. Bénigne, é. de Meaux.
Nous n'avons point ouï parler de bref italien ni
d'aucun autre que de celui dont je vous ai envoyé
copie ^ qui, comme vous voyez, ne dit mot^
Au bas de la page : Mgr de Saint-Omer.
Lettre 1941. — L. a. s. Collection E. Levesque. Inédite.
1. Pour la traduction du bref de condamnation : « ... ex cujus
lectione et usu fidèles sensim in errores ab Ecclesia catholica jam
damnatos induci possent. »
2. \j errata du livre des Maximes.
3. Voir p. 3o.
4. Le repentir que devait témoigner Fénelon.
5. Le bref du la mai, adressé à l'archevêque de Cambrai (^Corres-
pondance de Fénelon, t. X, p. 568).
6. Qui ne dit rien dont Fénelon puisse tirer avantage. Cf. plus
haut, p. 4i-
J
juin 1699I DE BOSSUET. ^y
1942. — Mémoire de Bossuet a Louis XIV,
12 juin 1699.
La peine de M. le cardinal de Bouillon et des au-
tres amis de M. de Cambrai à voir l'abbé Bossuet à
Rome en état de nous avertir de ce qui se passait, a
paru par trop d'endroits pour n'être pas remarquée.
On se servit, pour l'intimider et l'obliger à sortir de
Rome, de la noire calomnie dont les inventeurs ont
été si visiblement confondus par le témoignage de
tout Rome'. Depuis, dans le temps quon voulait,
non pas hâter, mais étrangler et précipiter l'affaire,
M. le cardinal de Bouillon a mandé que l'abbé Bos-
suet proposait des retardements, ce qui ne s'est pas
trouvé véritable; et on ne répète pas ce qu'il a eu à
essuyer de mauvais offices, pour les soins qu'il a eus
de nous avertir.
Ce n'était pas par curiosité que nous désirions
d'être informés ; c'était pour en rendre compte au
Roi. et parce que ces avis fidèles donnaient le moyen
de prévenir les difficultés qui naissaient à chaque pas
dans cette affaire.
Quand le jugement a paru, il n'était pas moins
nécessaire que nous fussions bien instruits des dispo-
sitions de la cour de Rome, parce qu'il fallait les
savoir pour prendre des mesures justes dans l'exécu-
Lettre 1942. — Copie de la main de Ledieu, au Grand séminaire
de Meaux.
I . Voir ce qui en a été dit, au sujet de l'aventure de l'aWié Bos-
suet, t. IX, p, iti8, 187 el 23i.
48 CORRESPONDANCE [juin 1699
tion. Ainsi l'abbé Bossuet nous dépêcha selon sa
coutume; et, à cette dernière occasion, ce fut M. de
Madot, un de ses amis, qui vint nous apporter la
nouvelle.
M. le cardinal de Bouillon éclata à cette fois avec
emportement, et ses amis répandirent à Rome qu'il
ferait assassiner ce gentilhomme, s'il osait jamais y
retourner. Mais, n'osant dire qu'il lui sût si mauvais
gré d'être parti à la prière de l'abbé Bossuet pour
nous apporter les nouvelles, il prit pour prétexte
de son indignation que ce gentilhomme avait pro-
mis d'arriver à Paris avant le courrier que ce cardi-
nal dépêchait au Roi : à quoi non seulement on
n'avait point songé, mais on ne pouvait même pas
le faire, puisque M. de Madot n'était parti que quinze
ou vingt heures^ après ce courrier dépêché au Roi.
Ainsi cette circonstance ajoutée au fait n'était que
le prétexte du véritable sujet de la colère de M. le
cardinal, qui en effet était fâché qu'on nous avertît.
Ce gentilhomme, retourné à Rome le 2 3 de mai, alla
dîner chez l'abbé Bossuet, qui le mena chez le P.
Roslet, minime, à qui il avait des lettres à rendre de
M. l'archevêque de Paris, et de là, sur le soir, chez
Mme la princesse des Ursins, oiise trouvent tous les
Français, et dont il est le serviteur.
Cependant M. le cardinal de Bouillon ayant voulu
croire que l'abbé Bossuet le logeait chez lui, ce qui
n'était pas, puisqu'il avait un autre logis arrêté, a
2. Sur ce point, Bossuet est en désaccord, non seulement avec le
cardinal de Bouillon, mais encore avec lui-même, ainsi qu'il a été dit,
t. XI, p. 341.
4
juin 1699] DE BOSSUET. 49
fait à cet abbé l'affront de lui envoyer, sous le nom
de conseil, l'ordre dont on a joint la copie ^ ; et, pour
le faire avec tout l'éclat qu'il souhaitait, il fit cher-
cher par tout Rome M. Poussin, secrétaire de l'am-
bassade, à qui il commanda devant douze ou quinze
personnes de trouver, à quelque heure que ce fût,
l'abbé Bossuet, pour lui faire savoir ce qu'il lui pres-
crivait avec tant de hauteur et de menaces.
Le lendemain, l'abbé Bossuet se rendit chez M. le
cardinal pour lui représenter, avec le respect dont
il n'a jamais manqué envers lui, qu'il aurait pu lui
épargner l'affront de lui envoyer un tel ordre avec
tant d'éclat, puisqu'il était vrai qu'il n'avait jamais
logé M. de Madot, et qu'il n'avait point à en
réjDondre. Voilà pour ce qui regarde l'abbé Bos-
suet.
Pour ce qui touche M. de Madot, c'est un mal-
heureux gentilhomme, qui, ayant toujours été avec
honneur dans le service, s'est vu contraint de
se réfugier à Rome, depuis trois ou quatre ans, pour
une rencontre qu'on a qualifiée de duel, en atten-
dant qu'il pût se justifier et rentrer dans les bonnes
grâces du Roi^.
Il n'a jamais voulu prendre de parti avec les enne-
mis de son maître, et s'est donné à la fin à M. le Grand
duc, jusqu'à ce qu'il ait le bonheur d'éclaircir sa
malheureuse affaire. Dans la peine de trouver quel-
qu'un qui se chargeât des dépêches de l'abbé Bossuet,
il avait été obligé de le dépêcher. Il est demeuré sous
3. Voir plus haut, p. 22.
Ix. Cf. t. XI, p. 2/,8.
XII - k
5o CORRESPONDANCE [juin 1699
un autre nom " chez l'évêque de Meaux, et n'a vu que
M. le cardinal de Janson, qui le connaissait de Rome
comme un homme de mérite, et M. l'archevêque de
Paris, sur qui l'évêque de Meaux s'est reposé pour
dire sur ce sujet à Sa Majesté ce qu'il trouverait né-
cessaire.
Il est demeuré à Rome quatre ou cinq jours seu-
lement, pour quelques affaires dont il y était chargé.
Si M. le cardinal de Bouillon, comme ministre du
Roi, lui eût ordonné de partir plus tôt, il l'eût fait;
car il a trouvé moyen de lui faire dire qu'il serait
parti à l'instant, toujours prêt à respecter jusqu'à
l'ombre de l'autorité de son roi. Cet ordre lui étant
refusé, il n'a pas jugé à propos de s'ébranler des
menaces ; et ses affaires finies dans le moins de
temps qu'il a pu, il s'est rendu à Florence aux ordres
de M. le Grand duc. M. le cardinal continue à le
poursuivre dans cette cour, et le menace de le perdre
auprès de ce prince, ne voulant laisser aucun asile à
un malheureux dont tout le crime est de nous avoir
apporté des nouvelles, que nous avions raison de
souhaiter.
Cependant on peut assurer qu'il est homme de
cœur et de service, bien connu pour tel par les plus
honnêtes gens de la Cour, parmi lesquels je nomme-
rai M. de Chaseron®, qui en a parlé avec distinction,
L'évêque de Meaux espère que Sa Majesté, daignant
écouter ces faits, n'improuvera pas la conduite de
5. Celui de des Roches.
6. François Amable de Monestay, marquis de Chaseron, brigadier
des armées du Roi en 1696, lieutenant général en 1710, gouverne /
juin 1699] DE BOSSUET. 5l
l'abbé Bossuet, et qu'il paraîtra que les menaces de
M. le cardinal de Bouillon ne sont ni justes ni géné-
reuses ; que ses hauteurs sont à contretemps, et, si
on ose ajouter ce mot. un peu petites".
1943. A M"" DE Maintenon.
M. le marquis de Torcy a été instruit par M. le
cardinal de Bouillon des honnêtetés qu'il a faites à
l'évêque de Meaux sur le sujet de l'abbé Bossuet.
C'est pourquoi on a été obligé de l'instruire de cette
affaire, afin qu'il en pût rendre compte à Sa Majesté.
Mais on a cru qu'on devait ici ' circonstancier da-
vantage les choses, afin qu'il vous plût. Madame,
prévenir plus efficacement les mauvais offices.
J. Bénigne, é. de Meaux.
A Meaux, 12 juin 1699.
de Brest. Il se distingua par sa bravoure à Lens, à Steinkerque, à
Nerwinde, à Oudenarde, à Malplaquet, etc. Il mourut à Paris le
28 décembre 1719, âgé de soixante et un ans. Il était fils de Fran-
çois de Monestay, lieutenant général de Roussillon, et avait épousé
en 1698 Marie-Madeleine Barentin (Le Mercure, décembre 17 19,
p. 190; Bibliothèque Nationale, Pièces originales et Dossiers bleus).
7. A la suite de la copie du Mémoire par Ledieu, on lit cette note
de la même main : « Ce mémoire était pour le Roi, à qui M. de Meaux
l'a fait passer par Mme de Maintenon. Il a ajouté ce qui suit pour
cette Dame même. « Voir lettre suivante.
Lettre i943. — Copie de la main de Ledieu. Voir le mémoire
précédent.
I. Dans le mémoire précédent, qui était joint h cette lettre.
52 CORRESPONDANCE [juin 1699
ig/i/l. — A Antoine de Noailles.
A Germigny, 13 juin 1699.
Dans la tranquillité où je suis ici, mon cher Sei-
gneur, je me suis souvenu d'un endroit de saint
Augustin, qui est cité dans l'ouvrage que vous savez \
mais non pas avec l'exactitude qui est à désirer dans
cet ouvrage. C'est celui du chapitre xiv de Corre-
ptione et Gralia, après le passage d'Esther et de Mar-
dochée, pour montrer que les volontés humaines ne
peuvent pas résister à la volonté de celui qui fait
tout ce qui lui plaît, dans le ciel et dans la terre;
c'est là qu'il faut insérer ces mots : « Ce qui nest
pas vrai seulement à cause qu'il fait ce qu'il veut
de ceux qui n'ont pas fait ce qu'il a voulu : De his
qui faciunt quœ non vult, ipse facit quod vult: mais
Lettre i944. — Copie Pinchart, ms. ii45 de la Bibliothèque de
Reims.
I. L'opuscule que Bossuet avait composé en faveur de l'arche-
vêque de Paris contre l'auteur du fameux Problème, sous le titre
d'Avertissement sur l'édition présente du Nouveau Testament en français
avec des réflexions, etc. Cet écrit a été publié par Quesnel : Justifica-
tion des Réflexions sur le Nouveau Testament... composée en iGgg contre
le Problème ecclésiastique, etc., par feu Messire J.-B. Bossuel, Lille,
1710, in-i3. On en a mal à propos nié l'authenticité : elle est mise
hors de doute par deux manuscrits delà Bibliothèque Nationale (latin
17680 et 17681). L'un est une copie dont la fidélité est attestée par
Ledieu ; l'autre est une copie avec des corrections et additions de la
main de Bossuet (Voir Tabaraud, Supplément aux Histoires de Bossuet
et de Fénelon, Paris, 1822, in-8 ; Guettée, Essai bibliographique sur
l'ouvrage de Bossuet intitulé : Avertissement sur le livre des Réflexions
morales. Paris, i854, in-8; Ledieu, t. IV, p. 333 à 357; ^''- ^-^''^ain,
Bossuet apologiste du P. Quesnel, dans la Revue du clergé français, du
i5 janvier 1901 ; Verlaque, Bibliographie raisonnée des OEuvres de
Bossuet, Paris, 1908, in-8). ^
juin 1699] DE BOSSUET. 53
encore à cause qu'il tourne où il lui plaît, et comme
il lui plaît, les volontés les plus rebelles. Ainsi, ))^
etc. Voilà tout le plan de saint Augustin sur cette
matière.
Au reste, Monseigneur, je goûte avec joie dans
ma solitude le plaisir de vous voir appelé de Dieu à
soutenir la doctrine de saint Augustin sur la grâce et
sur la nécessité d'aimer Dieu d'un amour du moins
commencé, pour être véritablement converti et ca-
pable d'être justifié. On fait les derniers efforts pour
étouffer cette doctrine, sans laquelle il n'y a point de
christianisme, sous prétexte de piété et de Tefficace
des sacrements. Si la doctrine' contraire s'établit jus-
que dans l'épiscopat, comme je vois qu'on y travaille,
tout est perdu. C'est à vous qu'il est réservé de dé-
truire cette doctrine : j y emploierai sous vos ordres
tout ce qui sera jamais en mon pouvoir. Je consacre
à cet important ouvrage tout le reste de ma vie.
Tout à vous, avec le respect sincère que vous
savez.
J. B., é. de Meaux.
ig/jô. — A Alphonse de Valbelle.
A Germigny, i4 juin 1699.
J'ai vérifié dans V errata de M. de Cambrai, Mon-
2. Ces lignes sont une addition autographe écrite en marge du ms.
latin 17680, p. 28. Elles figurent à la place indiquée ici dans l'édition
donnée par Quesnel.
3. La copie porte : Si cette doctrine. Les éditeurs ont corrigé avec
raison.
Lettre 1945. — L. a. s. Collection E. Levesque. Imprimée d'abord
5d CORRESPONDANCE [juin 1699
seigneur, qu'en effet il a corrigé porter au lieu de
parler. Ainsi il fallait suivre cette correction dans la
version. Les libraires, qui l'ont fait faire assez pré-
cipitamment, par l'avidité de contenter le public
curieux, ou plutôt par celle du gain, n'y ont pas
pris garde de si près. Ce que gagne M. de Cambrai
à ce défaut de la version, c'est que sa proposition
est condamnée avec l'adoucissement qu'il y a voulu
apporter, et que la condamnation en est plus précise.
On me mande que votre procès-verbal réussit
fort bien à Paris'. Celte impression était nécessaire
contre les bruits qu'avaient répandus les amis de
M. de Cambrai, qui, en vous faisant emporté, vous
donnèrent un caractère tout opposé au vôtre et à
celui que vous avez montré en particulier dans cette
affaire.
A vous, Monseigneur, avec respect.
J. Bénigne, é. de Meaux.
Mgr de Saint-Omer.
19^6. A M. DE TORCY.
Monsieur,
Puisque vous avez bien voulu que les honnêtetés
de M. le cardinal de Bouillon et la réponse que je
par Labouderie dans les Mémoires publiés par la Société des Bibliophiles
français, et reproduite dans la Correspondance de Fénelon, t. X,
p. 595.
I. Voir le contraire dans Saint-Simon, t. VI, p. 157-160, et plus
haut, p. ag.
Lettre 1946. — L. a. s. Affaires étrangères, /?ome, t. 895, f» Sao.
Inédite. t
juiniôgg] DE BOSSUET. 55
lui ai faite aient passé par vos mains, je vous supplie
encore de vouloir bien encore être informé quelles
en ont été les suites. Elles vous paraîtront par cet
ordre* du même cardinal envoyé à l'abbé Bossuet
par M. Poussin, secrétaire de l'ambassade, dont je
vous supplie de rendre compte au Roi aussi bien que
du mémoire que je prends la liberté d'y ajouter^. Mon
neveu, qui doit être parti à présent de Rome, sera
bientôt en état d'éclaircir tout ce qui regarde sa con-
duite. Mais, comme nous aurions une peine extrême
qu'elle restât un moment douteuse, j'ose vous de-
mander la grâce de l'exposer en mon nom avec un
profond respecta S. M.
Je suis très respectueusement, Monsieur, votre
très humble et très obéissant serviteur.
J. Bénigne, é. de Meaux.
A Germigny, lôjuin 1699.
Au bas : M. le Marquis de Torcy.
19466/5. — Mémoire sur le sujet de l'abbé Bossuet.
Le vendredi au soir, 22 mai, cet abbé reçut de
M. Phelipeaux, un de mes grands vicaires qui esta
Rome avec lui, le billet, joint à ce mémoire', qui lui
fut dicté par M. Poussin, secrétaire de l'ambassade
i. Voir plus haut, p. aa.
2. On le trouvera à la suite de cette lettre.
Lettre 1946 bis. — Affaires étrangères, Rome, t SgS, f 287
Inédit.
i. Nous l'avons donné plus haut, p. aa.
56 CORRESPONDANCE [juin 1699
de Rome, à la réserve de ces mots qui sont soulignés :
sans son ordre, qui sont écrits de la main de
M. Poussin lui-même.
Pour se remettre dans le fait, Monsieur le Marquis
de Torcy est supplié de se souvenir que le sujet ori-
ginal delà plainte de Monsieur le cardinal de Bouillon
contre l'abbé Bossuet était que cet abbé avait dépê-
ché un courrier exprès pour nous apporter, à M. de
Paris et à moi, la constitution apostolique contre le
livre de M. de Cambrai. M. le cardinal de Bouillon
y ajouta la circonstance que ce courrier, qui était
M. de Madot, avait promis de devancer celui que
ce cardinal dépêchait au Roi : chose impossible
même à penser, puisque le courrier dépêché au Roi
avait quinze heures d'avance, et que l'abbé Bossuet
ne songeait qu'à nous avertir de bonne heure, sans
imaginer seulement ces préférences. Cependant, sur
ce seul prétexte, M. le cardinal de Bouillon, qui
peut-être ne souhaitait pas que nous fussions si bien
avertis, témoigna tant d'indignation du départ de
M. de Madot, que ses amis répandaient à Rome de
grandes menaces, et même contre la vie de ce gen-
tilhomme, et l'ordre que porta M. Poussin à l'abbé
Bossuet montre qu'elles n'étaient pas vaines.
Sans raisonner sur la hauteur d'un ordre si mena-
çant donné sous le nom de conseil, on dira, avec le
respect qui est dû à M. le cardinal de Bouillon,
qu'avant que d'envoyer à l'abbé Bossuet par un se-
crétaire d'ambassade en présence de douze ou quinze
personnes, parmi lesquelles était M. le duc de
Barwick, un ordre si éclatant, dont tout Rome ri
juin 1699] DE BOSSUET. 67
retenti, il devait prendre le temps de savoir s'il était
vrai qu'il logeât chez lui ce gentilhomme^; il eût
aisément appris qu'il n'y avait pas seulement songé,
puisque même M. Pheli peaux le déclare dans son
billet. Ainsi il aurait pu se dispenser, après toutes
ses honnêtetés, de mettre en jeu l'abbé Bossuet, qui
ne songeait à rien qui lui pût déplaire, et cependant
faire savoir à celui qui lui déplaisait ce qu'il trouve-
rait à propos. Au reste, s'il lui eût donné quelque
ordre comme ministre du Roi, il aurait obéi à
l'aveugle. Mais, ne l'ayant pas voulu faire, ce gen-
tilhomme a pris à Rome trois ou quatre jours qui
lui étaient nécessaires pour achever les affaires dont
il était chargé, et il s'est aussitôt rendu à Florence
aux ordres de M. le Grand duc, auquel il s'est donné
dans la ruine de sa fortune et le désespoir où il
était de recouvrer les bonnes grâces de son Roi à
cause de la malheureuse affaire qu'on a fait passer
pour un duel : de quoi néanmoins il ne perdra
jamais le désir.
Au reste, on ne prétend point faire aucune plainte
de M. le cardinal de Bouillon, mais expliquer seu-
lement la conduite de l'abbé Bossuet et d'un
malheureux gentilhomme qui n'est persécuté que
pour nous avoir apporté des instructions nécessaires.
Ce n'est point par curiosité que nous les avons dési-
rées. Durant le jugement de l'affaire, il a été souvent
utile que nous sussions ce qui se passait, pour préve-
nir les difficultés qu'on formait à chaque pas, et après
2. On lit en marge, de la maliï de Bossuet .■ « N' qu'il n'y a jamais
logé et avait un logement arrêté ailleurs. »
58 CORRESPONDANCE [juin 1699
le jugement même, il n'était pas moins à propos 'que
nous fussions bien informés, autant qu'il était pos-
sible, de toutes les dispositions de la cour de Rome,
si nécessaires pour déterminer ce qui restait à faire
en exécution: ainsi l'abbé Bossuet ne pouvait se dis-
penser de nous avertir, et il semble que M. le car-
dinal de Bouillon n'en devait pas témoigner tant de
déplaisir.
19^7. — Jean Phelipeaux a Bossuet.
A Rome, ce 16 juin 1699.
Le procès-verbal de l'assemblée provinciale de Paris est
également plein de sagesse et de science ecclésiastique : on
y donne à Rome tout ce qui lui convient, et on conserve avec
force et avec gravité l'honneur de l'épiscopat et les libertés
fondamentales de l'Église de France. On sent bien l'esprit qui
a gouverné cette assemblée'. Par là, M. de Cambrai, aussi
bien que ses adhérents, demeurent sans ressource ; l'erreur est
bien notifiée à tout le monde chrétien, et rien n'est plus
éclatant que la condamnation de son livre.
On a déféré à l'Inquisition le Posl-scriptum^, contenant
des remarques sur le bref, et la Solution du problème ecclé-
3. Les mots à propos ont été écrits par Bossuet pour remplacer
nécessaire.
Lettre 1941. — L. a. s. Collection H. de Rothschild. — i. Celui
de Bossuet.
2. Posl-scriptum de la deuxième Lettre d'un théologien à Mgr l'évêque
de Meaux, avec des remarques sur le nouveau bref de Sa Sainteté. Après
avoir transcrit dans sa Relation (t. II, p. 282 et suiv.)ce facliim indi-
quant les motifs pour lesquels pouvait être éludé le jugement porté
contre Féneion, Phelipeaux ajoute : o Personne ne douta à Rome
que le cardinal de Bouillon et le P. Charonier n'eussent envoyé ce
mémoire à leur gazetier d'Hollande. » Ce factum est du P. Gerberon,
qui s'en est reconnu auteur, devant l'official de Malines, en 1708;
il est dans l'esprit des lettres écrites par ce religieux à Féneion, qui se
garda de répondre à ses avances (^Correspondance de Féneion, t. X,
juin 1699] DE BOSSUET. 69
siasiiqiie^. Je ne doute nullement que l'un et l'autre ouvrage
ne reçoive bientôt la flétrissure qu'il mérite.
Le curé de Seurre pourra bien, dansla suite, donner un spec-
tacle à Rome ' ; et cette cour demeurera persuadée de la justice
du procédé des trois évêques, et de la nécessité où ils étaient
de s'élever contre celte secte, si répandue et si dangereuse.
On parle diversement de l'audience que M. le cardinal
prétend avoir eue du Pape le jeudi après la congrégation du
Saint OtEce, tenue devant le Pape.
On attend incessamment M. de Monaco: il est temps
qu'il arrive et que nous partions.
Je suis avec un profond respect, Monseigneur, votre très
humble et très obéissant serviteur.
Pi
ELIPEAUX.
1948. — L'Abbé Bossuet a son Oncle.
Rome, ce lô** juin 1699.
J'ai reçu ici la lettre que vous m'avez fait l'honneur de
m'écrire de Versailles, le 25 mai.
Me voici encore à Rome, bien malgré moi. Je viens de
passer huit jours fort mal à mon aise, à cause de deux petits
boutons de feu qui me sont venus au-dessous des mamelles,
qui m'ont fait cruellement souffrir '. Ils ne m'ont pas empêché
p. 487 ; t. XI, p. 48 et 5o). Quesnel expliquait l'attitude de Ger-
beron par la rancune que ce bénédictin avait depuis long^temps contre
Bossuet (Voir p. Sa).
3. Solution de divers problèmes très importants pour la paix de
l'Église, Cologne, 1699, in-i2. C'est un écrit (de Gerberon) où le
Problème est attribué aux jésuites, et où il est dit que le jansénisme
est un fantôme.
4. Le curé de Seurre avait été ramené à Rome le i4 juin (Affaires
étrangères, Rome, t. 896, f 56). Piielipeaux augure qu'il donnera le
même spectacle que le P. Bénigne (Cf. t. X, p. 87, 3i3, 3i8 et 33a).
Lettre 1948. — L. a. n. s. Archives départementales, à Melun.
I. A cette occasion, l'abbé reçut la visite de Maille (AlTaires
étrangères, Rome, t. 396, f" 56).
6o CORRESPONDANCE [juin 1699
de me traîner chez les cardinaux et chez le Pape ; Dieu
merci, il n'y a pas eu de fièvre, et depuis hier l'inflammation
est cessée, et la douleur.
On reçut enfin, samedi tS", nouvelle sûrequeM. de Monaco
était arrivé le 10* à Gênes ; cela étant, on l'attend d'heure en
heure. M. le cardinal de Bouillon et Mme des Ursins ont
envoyé leurs carrosses au-devant de lui à Civita-Vecchla. On
ne doute pas qu'il n'arrive celte semaine ; enfin il peut arriver
à tout moment. Tout veut que je l'attende ; mais, aussitôt que
je l'aurai vu, je pars sans aucun retardement.
Comme je compte qu'il sera ici jeudi, je fais état de partir
samedi prochain, pour être à Florence pour la fête de la
Saint-Jean, où on fait des choses merveilleuses.
J'ai reçu trois imprimés des procès-verbaux % qui m'ont été
adressés par M. Ledieu. Hors M. le cardinal de Bouillon, qui
en a reçu, et M. le cardinal Spada, personne n'en a ici. Je
crois pouvoir vous assurer que cette cour ne sera rien moins
que contente du personnage qu'y font les évêques ; mais je
suis le plus trompé du monde si elle ose en rien témoigner,
au moins publiquement. Ayant su que le cardinal Spada
l'avait envoyé de la part du Pape au cardinal Casanate, j'allai
hier chez le cardinal Casanate, pour voir ce qu'il m'en dirait.
Il l'avait lu et renvoyé au cardinal Spada, avec quelques
notes sur les endroits qui lui paraissaient les plus délicats.
Généralement cette cour sent le coup, et volt réduit en pra-
tique le nisi Ecclesiœ consensus accesserit.
Le cardinal Casanate me dit franchement qu'il avait cru
que les évêques ne parleraient pas si fortement, et che il
negozio andarebbe piu piano^ ; c'est-à-dire qu'on ne dirait rien
qui pût faire de la peine à cette cour. Je le fis entrer dans le
particulier et dans ce qu'il pouvait trouver ; il ne me sut dire
que deux endroits : l'un, où l'on dit que « les évêques ne doi-
vent point être réputés simples exécuteurs des jugements des
papes » ; et l'autre, page suivante, où il est dit des décrets
a. De l'assemblée provinciale de Paris. g
3. Que l'affaire marcherait plus doucement. f *
juin iG(j9] DE BOSSUET. 6l
(les papes, « lesquels, suivis du consentement de toute l'Église,
ont entièrement fini les questions. » Par où, dit-il, on semble
rappeler le IV* article de l'assemblée de 82 : Nisi Ecclesiœ
consensus accesserit.
Il ne me fut pas difficile de justifier ces deux endroits,
comme l'esprit de tout le procès-verbal ; et, après avoir établi
que les évêques, hors des conciles généraux et dans les con-
ciles généraux, étaient vé'-itables juges des matières de foi, il
ne put pas raisonnablement disconvenir de la conséquence,
qu'ils ne doivent pas être réputés simples exécuteurs, etc.
Mais il n'eut rien à me répondre, quand je lui fis voir que
l'on ne recevrait pas avec plus de soumission et de respect, et
d'une autre manière, un décret d'un concile général convoqué
par le Pape, où le Pape aurait présidé et auquel l'Église de
France n'aurait pas assisté ; qu'en ce cas, l'acceptation de
l'Église de France serait nécessaire, et qu'en ce cas, les évê-
ques de France seraient également juges de la foi et de la
conformité des décrets avec la tradition que s'ils prononçaient
dans le concile.
Quant au consentement de l'Église qui, sans concile géné-
ral, finissait les affaires, que c'était un fait rapporté, appuyé
sur des exemples fameux, comme celui de l'hérésie* de Pelage,
quand saint Augustin dit : Causa Jînita est"' ; et nouvellement
celui de l'affaire de Jansénius*. Qu'enfin les évêques de
France n'avaient fait que suivre pied à pied la conduite et
les paroles de leurs prédécesseurs.
Il convint avec moi du droit des évêques de juger en pre-
mière instance. Mais ce qui faitde la peine ici, c'est déjuger^
4. Comme celui de la condamnation de l'hérésie.
5. Senno GXXX, 10 [P. L., t. XXXVIIl, col. 78^]. « De hac
causa {l'affaire du pélagianisme) duo concilia missa sunt ad Sedem
apostolicam : inde etiam rescripta venerunt : causa finila est. Ulinam
aliquando finiatur error ! « On a résumé le sens de cette plirase
dans la formule courante : Roma locula est, causa finila est.
G. Ces derniers mots ont été omis dans l'édition DeForIs, et raturés
sur l'autographe.
7. C'est-?i-dire : c'est qu'ils veulent juyer.
02 CORRESPONDANCE [juin Kjgg
après le jugement du Pape, ce qui est une marque de supé-
riorité. Je lui demandai si les évoques, dans les conciles
généraux, n'étaient pas de vrais juges, quoique les papes
eussent jugé; à quoi on ne saurait répondre que du verbiage. Il
m'avoua à la fin que le tout pouvait passer, et était fait avec
grande adresse, mais qu'il savait qu'on voulait s'alarmer là-
dessus, mais qu'il l'empêcherait de tout son possible. Je l'en
ai supplié, et il m'a paru très bien disposé.
Il faut avouer que, dans cette cour, durus est hic sermo .
Mais il faut qu'il[s] le passe[nt], par la raison qu'on ne peut
rien faire contre la vérité, et qu'ils craignent le clergé de
France.
Cette circonstance ne m'est pas trop favorable pour la
grâce que je demande.
Je vis samedi le Pape, qui m'accabla d'honnêtetés, et vous
aussi, mais qui me parut très dur sur le fait de mon induit.
n m'a dit qu'il y penserait et repenserait. Franchement je
crains bien de ne le pouvoir emporter sans M. de Monaco ; ce
sera ma dernière ressource. Je prendrai dans deux jours congé
de S. S., et verrai ce qui en est et ce qu'on en peut attendre".
Enfin le Pape donna audience jeudi, au sortir du Saint
Office, à M. le cardinal de Bouillon, dont j'ai été très aise. Je
sais, et du Pape et de Mgr Aquaviva, que M. le cardinal de
Bouillon lui parla un peu durement. Il m'a paru que S. S.
avait été très peu contente de cette Éminence; mais elle a
bien voulu faire ce pas par amitié qu'il a pour le Roi, dont
M. le cardinal de Bouillon est l'ambassadeur. Quant à sa per-
sonne, on ne peut pas, je vous assure, en être plus mal satis-
fait.
On m'a averti que M. le cardinal de Bouillon avait écrit en
Cour que j'avais traversé son audience : il serait bien ingrat
et bien méchant, si cela était. Je suis sûr quej'ai agi tout au
contraire, et ai pris la liberté de témoigner au Pape qu'il ne
pouvait rien faire de plus agréable au Roi que de recevoir son
ministre. M. lecardinal de Bouillon m'a fait l'honneur de me
8. M. (le Monaco lui-même ne put obtenir la ftiveur si désin'-e. '
juin 1699] DE BOSSUET. 63
remercier des pas qu'il sait que j'ai faits là-dessus. Je puis
vous assurer que ce qui a le plus déterminé le Pape à accor-
der l'audience, a été de voir que tous les Français, même
ceux que M. le cardinal de Bouillon n'aimait pas, étaient
tous réunis à lui faire avoir audience^, et tâchaient de lui
faire séparer le ministre d'avec le cardinal.
J'attends d'avoir vos lettres de Florence*", et vous écrirai
sûrement de Florence le premier ordinaire.
On attend ici avec curiosité le procès-verbal de Reims et de
Cambrai.
Je tiendrai M. Phelipeaux gai et gaillard *'.
Voilà une nouvelle vengeance*- de Mgr Giori. Il n'oublie
aucun bon otfice auprès de S. S. pour ma grâce ; mais je puis
vous assurer, et je crois m'y connaître, qu'elle est moins bien
disposée pour moi à présent qu'il y a huit jours. Je ne fais
et ne ferai semblant de rien.
Je tire sur M. Soin*^ par cet ordinaire une lettre de change
de 338 livres pour l'espamglionzine '* rouge et noir que vous
avez demandé. J'en envoie le mémoire et le compte. La lettre
de change est adressée à M. Soin, si je ne me trompe, à
huit jours de vue, premier et second argent reçu par le sieur
Bonhomme.
J'ai été obligé, pour payer ici ce que je devais et pour les
frais de mon voyage, de tirer sur mon frère près de quinze
mille livres depuis quatre mois, et je ne sais si cela suffira.
9. Voir la lettre du 2 juin, p. 87.
10. C'est-à-dire les lettres adressées à Florence, comme on l'a vu,
p. 3i et 4o.
n. Peut-être y a-t-il là une allusion à la déconvenue de Pheli-
peaux quittant Rome avant que l'abbé Bossuet ait pu obtenir l'induit
lui permettant de disposer des bénéfices de son abbaye. Cf. p. 78.
12. \oirt. X, p. 5i, et plus haut, p. 5. L'abbé Bossuet semble
craindre, que tout en paraissant appuyer sa demande d'induit, Giori
n'ait pas bien disposé le Pape à l'accorder.
i3. Clément Souin, homme d'affaires de Bossuet à Saint-Lucien,
figure déjà au tome IV, p. i33.
i4 Espamrjlionzine. Bossuet, le 27 avril (t. XI, p. 821), écrit :
sparaondrine. Peut-élre quelque espèce particulière de satin ou de
damas.
64 CORRESPONDANCE [juin 1699
1949. — M"'* DE Maintenon a Bossuet.
19 juin 1699.
J'ai fait voir au Roi, Monsieur, tout ce que vous m'avez
envoyé'. Il m'ordonne de vous assurer que M. votre neveu n'a
à craindre aucun mauvais office. On trouve seulement qu'il
a eu tort de se servir d'un homme accusé d'un duel.
Je suis, Monsieur, à mon ordinaire, votre très humble et
très obéissante servante.
Maintenon.
1960. — A l'Abbé Bossuet.
A Meaux, 20 juin 1699.
Votre lettre du 2 m'a été envoyée ce matin par un
exprès de votre frère, par qui je réponds. Plus Rome
est raisonnable, plus je souhaite qu'on la ménage
et qu'on en conserve l'autorité, où consiste le salut
et le soutien de l'Eglise et de la catholicité.
J'attends avec impatience le succès de votre induit.
Les lettres que m'ont écrites sur ce sujet-là M. le
cardinal Panciatici et M. le cardinal Casanata en
réponse aux miennes, sont très obligeantes, parti-
culièrement celle du dernier.
Je suis ravi de la réponse de M. le Grand duc sur
le sujet de M. de Madot. J'ai instruit amplement sur
cette alTaire, et j'ai envoyé des mémoires les plus cir-
constanciés que j'ai puparles voies les plus efficaces.
Lettre 1949. — Ce billet n'a pas trouvé place dans la Correspon-
dance de Mme de Maintenon, édit. Lavallée.
I. Le mémoire qu'on a vu, pages ^7 à 5î.
Lettre 1950. — L. a. n. s. Grand séminaire de Meaux. i
juin 1699] DE BOSSUET. 65
Je ferai savoir les nouvelles de cet ordinaire à
M. de Paris ; il a eu quelques accès de fièvre tierce,
dont lequinquina l'a défait. Pour moi, je suis ici pour
l'octave ' , à mon ordinaire. Je continue à prendre les
bains que j'ai commencés à Germigny, il y aura
demain huit jours, et j'y retournerai les achever,
s'il plaît à Dieu. Ils me font fort bien et on les a crus
nécessaires pour guérir à fond une manière d'érési-
pèle, qui me tient depuis environ deux mois, sans
aucune incommodité considérable, sans m'ôter ni
l'appélit ni le sommeil. J'ai fait la procession à l'or-
dinaire et sans aucune peine. Je demeure fort en
repos et ne songe qu'à vivre avec un bon régime, et
qu'à me rétablir entièrement. Il n'y paraît rien au
dehors. Votre présence achèverai
Vous avez bien fait de parler au Pape comme vous
avez^ait^ Je rendrai compte de tout, et M. le cardinal
de Bouillon vous doit être fort obligé. Il ne paraît
pas à la Cour qu'on prenne grande part à son dé-
mêlé avec l'ambassadeur de l'Empereur, dont on
sait les causes; et on s'en explique presque publi-
quement.
1951. — L'Abbé Bossuet a son Oncle.
Rome, ce a5^ juin 1699.
M. Poussin vous rendra cette lettre; il part cette nuit et
I. L'octave de la Fête-Dieu, qui était tombée le 18 juin.
3. Achèvera la guérison.
3. Voir plus haut, p. 87, 45 et 62.
Lettre 1951. — L. a. n. s. Archives départementales, à Melun.
XII — 5
66 CORRESPONDANCE [juin 1699
fera diligence'. Il vous dira le progrès et la fin du petit mal
que j'ai eu. C'a été une tumeur dans un lieu très incommode,
qu'il a fallu ouvrir avec la lancette. Il en est sorti beaucoup
de matière, après quoi j'ai été entièrement soulagé et en état
le lendemain d'aller au-devant de M. l'ambassadeur, qui
enfin est arrivé de samedi 20^ de ce mois. Je me suis purgé
avant-hier, et dans trois jours je pars très certainement, et ne
ne vous écrirai plus d'ici, s'il plaît à Dieu.
Je n'ai point reçu de lettre de Paris les deux derniers ordi-
naires ; je suppose que je trouverai tout à Florence, d'où je
vous écrirai la première fois.
M. Poussin vous dira tout le particulier de ce qui se passe
ici. Il me presse d'écrire sur le cardinal de Bouillon et la
dernière affaire'^. Je vous dirai que ce cardinal a tous les sujets
du monde de se louer de moi ; mais il est assez malin pour
ne le vouloir pas faire : au contraire, il n'aime [pas] les gens
à qui il peut avoir quelque obligation. Ce que j'ai cru devoir
faire, je l'ai fait par un autre principe que celui d'avoir l'hon-
neur de ses bonnes grâces.
J'ai commencé ce matin à entretenir M. le prince de
Monaco. J'en suis très content ; il fera assurément des mer-
veilles ici ^ Il est capable de tout, veut être instruit, est noble,
magnifique et aime le Roi. Le Pape ne peut plus souffrir le
cardinal de Bouillon, et veut voir le prince de Monaco,
quoiqu'il n'ait point fait d'entrée.
Je parlerai demain à ce ministre de la grâce que je
demande, que je n'aurai point sans son secours.
1. Bouillon avait obtenu du Roi le rappel de Poussin. Malgré ses
sujets de plainte contre son secrétaire, il le recommanda à la bien-
veillance du ministre. Mais, plus tard, il détourna celui-ci de le ren-
voyer occuper le poste de M. de La Boullaye (Affaires étrangères,
Rome, t. 400, fo 181 ; t. 4oi, f"« iio, 226 et 228; t. 4o2, f^ 5»
et 71).
2. Le différend survenu entre Bouillon et Martinitz, et au sujet
duquel l'abbé avait calmé l'irritation du Pape contre le cardinal
(Plus haut, p. 37, 45 et 62).
3. Saint-Simon raconte comment les prétentions du prince furent
cause de son insuccès à Rome (t. VI, p. laS et suiv). i
juin 1699] DE BOSSUET. 67
Vous pouvez m'écrire à présent à Turin.
Je me porte bien, Dieu merci, et vous souhaite une santé
parfaite.
Je n'ai que faire de vous recommander M. Poussin.
1952. — A MiLORD Perth.
A Germigny, 29 juin 1699.
Il a fallu à Sa Majesté^ une bonté extrême pour
vouloir bien se donner la peine d'écrire la lettre que
j'ai osé prendre la liberté de lui demander en faveur
de mon neveu. Il n'a pas voulu paraître à la cour de
Modène sans s'y montrer sous les marques de la
protection de la Reine. Je vous supplie, Milord,
d'en faire à Sa Majesté, avec une profonde soumis-
sion, mes très humbles remerciements, et de me
croire toujours avec un respect sincère, etc.
1953. — L'Abbé Bossuet a son Oncle.
Rome, ce 39 juin 1699.
Je vous écris un mot par le courrier que M. de Monaco
renvoie à la Cour. Je pars sans faute demain*. J'ai pris congé
Lettre 1952. — i. La reine d'Angleterre, Marie Béatrix ÉI<^onore
d'Esté (1658-17 18), fille d'Alphonse IV, duc de Modène, et nièce de
Renault d'Esté, d'abord cardinal, puis duc de Modène en lÔgS (Cf.
J. Du\oQ, Jacques II Stuart, sa famille et les Jacobites à Saint-Germain,
Saint-Germain-en-Laye, 1897, in-12).
Lettre 1953. — Une copie préparée par les Bénédictins, au Grand
séminaire de Meaux.
I. L'abbé, accompagné de Phelipeaux, quitta Rome seulement le
2 juillet (V. la lettre suivante et le ms. d'Avignon, n" 1^35, f"* io5
et 116).
68 CORRESPONDANCE [juin 1R99
ce matin de S. S., dont j'ai reçu toutes les marques de bonté
imaginables, pour vous et pour moi. Je vous rendrai compte
du particulier de cette audience. Il m'a prié de vous assurer,
aussi bien que M. de Paris, de son affection, de son estime
et de tout ce que vous pouviez désirer. J'ai entendu sa messe
ce matin ; il se porte fort bien. J'ai su qu'il avait de la peine
à m'accorderla grâce de l'induit, que je lui ai demandée : il
a dit qu'il craignait l'exemple. J'ai cru ne devoir pas hasarder
un refus, parce que M. de Monaco aurait plus de peine à
ramener le Pape après. Le ministre a reçu des ordres de
s'employer pour moi dans cette affaire. Je lui ai donné votre
lettre, et il m'a comblé de bontés. 11 veut demander celle
grâce à S. S. à sa première audience : je lui ai donné toutes
les instructions nécessaires. M. le cardinal Pancialici m'a
encore donné parole ce malin qu'il ne me serait pas contraire.
M. l'ambassadeur lui en parlera d'abord. J'ai lieu de tout
espérer des offices de ce ministre, qui eut samedi sa première
audience de S. S., conduit par M. le cardinal de Bouillon. On
ne peut être plus content qu'est de lui le Pape, qui m'a fait
l'honneur de s'étendre beaucoup avec moi sur ce sujet, ce
matin.
Je vous dirai les correspondances que j'ai établies ici, qui
sont siires et bonnes et secrètes 2. Comptez à coup sûr que je
pars demain. Ma santé est tout à fait bonne; je suis parfai-
tement guéri, grâce à Dieu. Je ferai le moins de séjour qu'il
me sera possible dans les lieux où je serai obligé de m'arrèter.
Vous pourrez m'écrire à Turin dorénavant et l'adresser à
l'ambassadeur ou au directeur des postes de France. J'ai une
impatience très grande de me voir hors d'ici, et de pouvoir
vous rejoindre.
On ne fera ici semblant de rien sur vos assemblées ; on sait
tout. On a vu le procès- verbal de Cambrai ; on y reconnaît
a. Par ces correspondances, l'abbé entendait surtout ses relations
avec Maille et les autres jansénistes établis à Rome, dans la corres-
pondance desquels il est désigné sous le nom de Polycarpe ou de
parent de Fabien. ^
juillet 1699] DE BOSSUET. 69
bien l'esprit de M. de Cambrai et ses bonnes intentions : cela
ne lui fait pas honneur.
Je n'ai pas le temps d'écrire à mon frère, ni de me recon-
naître.
190^. — L'Abbé Bossuet a son Oncle,
Poggi-Ronzi, à vingt milles de Florence,
vendredi 3* de juillet de 1699.
Je VOUS écris un mot d'ici avant que d'arriver à Florence,
où je serai demain à portes ouvrantes, afin que le courrier
de France qui doit partir demain matin de Florence puisse
vous porter cette lettre, ne sachant pas si il m'en donnera le
temps à Florence.
Nous partîmes hier de Rome en bonne santé, Dieu merci,
et sommes arrivés jusques ici en très bon état.
J'attends de recevoir par les mains de M. Dupré vos
paquets de trois ordinaires, auxquels je ferai réponse si j'ai le
temps.
J'ai laissé à Rome tout tranquille sur ce qui se passe en
France dans les assemblées provinciales. On a vu le procès-
verbal de Cambrai : ils y voient manifestement le caractère et
l'esprit de l'auteur. M. le cardinal Casanate me dit avant-
hier que l'évêque de Saint-Omer avait fait ce que les cardi-
naux du Saint Ofiice devaient faire, en faisant expliquer
M. de Cambrai plus clairement; et que l'attache de cet arche-
vêque à ses explications faisait bien voir ce qu'il retient en
lui-même. On ne parlera de rien. Je vois clairement et suis
sûr que la cour de Rome n'osera se remuer sur rien. Elle
voudrait bien que toutes les assemblées fussent finies, pour
n'en entendre plus parler.
M. de Monaco est bien résolu de ne rien oublier pour
m'obtonir mon induit. J'ai appris, un moment avant que de
Lettre 1954. — L. a. n. s. Archives départementales, à Melun.
70 CORRESPONDANCE [juiUet 1699
partir de Rome, qu'un de mes amis ayant parlé de cette
affaire au Pape, comme d'une grâce qu'il pouvait m'accorder,
et qu'il paraissait même un peu dur de ne me pas accorder
dans les présentes circonstances, le Pape avait paru être en
disposition de me l'accorder, et avait demandé mon placet.
J'en ai fait avertir M. de Monaco, pour pouvoir profiter delà
bonne disposition de S. S., qui a la bonté de témoigner à
tout le monde son contentement à mon égard.
1955. — Le Prince de Monaco a Bossuet.
Rome, ce 7 juillet 1699.
J'ai reçu la lettre, Monsieur, dont vous m'avez honoré le
29 du mois de mai : je suis très sensible aux expressions
obligeantes que vous me faites de votre amitié, qui m'est
infiniment chère, et que je voudrais bien pouvoir mériter
par de véritables services.
M. l'abbé Bossuet est parti depuis quelques jours : j'en ai
été très fâché. Il m'a laissé un mémoire au sujet de l'induit
de son abbaye, pour lequel il avait déjà fait quelque tenta-
tive inutile auprès du Pape. Je prendrai mon temps pour
faire de nouvelles instances à Sa Sainteté, en conséquence
même de ce que m'en a écrit M. le marquis de Torcy de la
part du Roi * ; et il ne tiendra pas à mes soins ni à mes sollici-
tations que vous. Monsieur, et M. votre neveu n'ayez tous
deux en cela un entier contentement.
Je n'ai encore été admis qu'une fois à l'audience du Saint
Père, j'en aurai bientôt une autre : cependant il m'a déjà
parlé très avantageusement de vous, m'ayant dit en propres
termes qu'il vous regardait comme un évêque également doué
de vertus, de piété et de doctrine. M. le cardinal de Bouillon
était présent, et je lui dois la justice de vous dire qu'il fit sur
Lettre i955. — i. Voir Archives des Affaires étrangères, Rome,
t. 39a, p. i45. *
juillet 1699] DE BOSSUET. 71
cela son devoir de même manière que je fis le mien. Je sou-
haite avoir de fréquentes occasions de le remplir par d'autres
endroits, afin de vous donner des preuves convaincantes delà
passion sincère avec laquelle je suis bien certainement, Mon-
sieur, votre très humble serviteur.
Le Prince de Monaco -.
1966. — L'Abbé Bossuet a son Oncle.
Florence, jeudi 9^ juillet 1699.
J'arrivai ici le lendemain de ma lettre ci-dessus*, et trouvai
le courrier de France parti il y avait un quart d'heure. Je
reçus en même temps de la main de M. Dupré les deux
paquets que vous lui avez adressés du i^"" juin, et du 7" et 8*
du même mois.
La plus grande joie que je puisse recevoir est d'apprendre
que votre santé est bonne, et que votre érésipèle n'a aucune
suite. Je ne doute point que le bon air de la campagne et les
bains ne vous remettent entièrement. Le repos y doit, ce me
semble, contribuer encore plus que tout le reste. J'ai trouvé
ici cette cour comme je l'avais laissée, et en particulier M. le
Grand duc plus honnête et plus plein de bonté que jamais
pour vous et pour moi. Comme M. l'envoyé de France^ m'a
voulu loger cette fois-ci chez lui, et ce qui s'appelle me servir
de carrosse, etc., M. le Grand duc s'est contenté de m'envoyer
un magnifique présent de toutes sortes de rafraîchissements
et de provisions^. J'ai eu l'honneur de le voir trois fois dans
2. Sur une lettre mal datée dans les éditions, voir t. VI, p. 35o.
Lettre 1956. — L. a. n. s., écrite au verso de la lettre du 3 juillet.
1. Celle du 3 juillet, p. 6g.
2. Du Pré.
3. Le Grand duc avait, depuis plusieurs années, fait venir de
France, afin de lui donner la surintendance de ses jardins et de ses
vergers, un carme déchaussé, Jean Gobillard, en religion Fr.
Emmanuel de Saint-Fiacre, né à Mauregard, au diocèse de Meaux,
qui mourut à Florence le 11 octobre i-jo^ (^Necrologium Carmelitarum
discalceatorum provinciae Parisiensis, Paris, 1718, in-ia,p. loo).
72 CORRESPONDANCE [juillet 169g
les quatre jours que j'ai été ici, plus d'une heure chaque fois.
Il [m']a paru, comme à totit le monde, que ce prince avait
quelque plaisir à m'entretenir. Il m'a paru content de moi.
Nous avons parlé de bien des choses, dont je vous rendrai
compte quand je vous verrai, et vous jugerez de la confiance
qu'il a bien voulu avoir en moi, et qu'il compte sur vous
comme sur un ami. Les expressions et les sentiments qu'il a
sur votre sujet sont au delà de tout ce que je puis vous dire.
Le premier jour que j'eus l'honneur de le voir, il me dit
qu'il m'attendait pour voir avec moi ce qu'il pourrait faire
pour M. de Madot; et puis me dit qu'il lui avait destiné le
commandement d'une compagnie de carabiniers à cheval, de
deux cents maîtres^, qui est tout ce qu'il a de meilleur, de
plus honoiable et de plus utile en même temps. Vous croyez
bien comme j'ai été sensible à ces marques essentielles de
bonté. M. de Madot est plus que content : il vous marquera
en détail et plus au long ce que c'est que cet emploi. S. A. S.
m'a promis de vous envoyer les portraits de lui et de sa mai-
son, que vous souhaitez ; et la demande que je lui en ai faite,
lui a été très agréable. Vous lui ferez assurément plaisir de
lui écrire en remerciement des bontés dont il m'a de nouveau
honoré, de ce qu'il a fait pour M. de Madot à votre seule
considération, et des portraits qu'il m'a promis pour orner
votre salon de Germigny.
J'ai vu M. le cardinal de Médicis ° à sa campagne, et ici
4. Maître, soldat à cheval. « Les compagnies de cavalerie sont
ordinairement de cinquante maîtres. » (Richelet).
« Eu arrivant à Florence, M. le Grand duc ayant vu M. l'abbé
Bossuet, déclara M. Madot capitaine de sa compag^nie de grenadiers
à cheval, à San Sepolehro. Il commande i^ deux cents grenadiers et à
un capitaine qui a une semblable compagnie. Il a de bons appointe-
ments. M. le Grand duc n'attendait que l'arrivée de M. l'abbé pour
faire cette déclaration » (Phelipeaux à Bertet, de Turin, 8 août 1699,
Ms. d'Avignon, i/i35, f" 116). En 1701, Madot fut fait colonel de la
cavalerie du Grand duc avec un traitement de deux mille écus (Ibid.,
f» 228).
5 François de Médicis, frère du Grand duc, était né en 1660,
et avait été créé cardinal en 1686. Voyant ses neveux sans enfan'i^ il
juillet 1699] DE BOSSUET. 78
deux fois M. le Grand prince^ et Mme la Grande princesse,
qui m'ont parfaitement bien reçu. Mme la Grande princesse
m'a mené voir, dans la chambre où elle couche, les portraits
des princes ses neveux et de Mme la duchesse de Bourgogne^.
Elle m'a paru très sensible à l'attention à lui faire plaisir que
l'on a eue là-dessus.
Vous aurez vu par mes précédentes l'esprit de la cour de
Rome sur M. de Cambrai et sur tout ce qui se passe en
France : je n'ai rien appris de nouveau. Je puis vous dire
qu'autant mes amis, et en particulier Mme la princesse des
Ursins, ont été fâchés de me voir partir, autant M. le cardinal
de Bouillon en a été ravi : c'est une épine à son pied de moins.
Il m'a dit un adieu très tendre, m'a embrassé, et m'a dit
de vous dire que rien ne pouvait empêcher qu'il ne vous
honorât et ne vous aimât toute sa vie.
M. l'ambassadeur m'a paru vouloir faire des merveilles pour
mon induit. J'espère plus que jamais l'obtenir par son moyen.
M. le Grand duc fera aussi agir sous main.
Je vous envoie une lettre de M. le nonce, que j'ai reçue à
Rome, par laquelle vous verrez par lui-même les ordres qu'il
a reçus du Pape par M. le cardinal Spada sur mon chapitre,
et que tout ce que je vous ai mandé là-dessus est bien vrai ^ .
Ne perdez pas cette lettre, je vous en prie.
Vous avez raison de toujours supposer que la cour de Rome
est contente de la réception de son décret en France. Ils
n'oseront jamais, ou je suis bien trompé, faire paraître là-
dessus aucun mécontentement.
rendit son chapeau entre les mains du Pape le ig juin 1709, pour
épouser, le i4 juillet suivant, Eléonore de Gonzague, fille de Vincent,
duc de Guasta'ila ; mais il mourut lui-même sans postérité le 3 février
171 1 (Voir Saint-Simon, t. XIII, p. 352 ; t. XVIII, p. lo/i).
6. Le Grand prince était Ferdinand, le fils aîné du Grand duc. Il
avait épousé en 1688 \olande Béatrix de Bavière, sœur de la Dau-
phine, et tante du duc de Bourg^ogne et de ses frères.
7. On se rappelle que ces portraits avaient été faits par les soins
de Bossuet (tome Vil, p. 44o, et t. VIII, p. iig, la^, 263, etc.).
8. Le Pape avait donné l'ordre de témoigner qu'il était satisfait de
la conduite de l'abbé à Rome. Cf. p. A2.
"jti CORRESPONDANCE [juillet 169 <j
On n'a point parlé dans le bref de S. S. à M. de Cambrai,
de la première lettre, où il parle de innocentiam, etc., par
deux raisons : l'une, pour ne pas témoigner l'approuver en
rien ; et l'autre, parce qu'il n'adressait pas son mandement
par cette lettre. On a parlé de la seconde, par laquelle il
adressait sa soumission, et qu'on n'a jamais pu voir ici.
Je pars dans une heure pour Bologne. Je marcherai toute
la nuit par le clair de lune ; j'y demeurerai tout samedi, et en
repartirai dimanche 12* pour Modène. J'ai reçu la lettre de
Mme la Princesse. Je repartirai de Modène le i4 pour Venise,
où je ferai peu de séjour, pour me pouvoir rendre avant le
25*, si je puis, à Turin, voulant y trouver M. le duc de Savoie,
qui doit aller aux eaux vers les Grisons à la fin de juillet'.
Je vous donnerai de mes nouvelles des lieux où je passerai.
Je n'écris ni à MM. de Paris, Reims, ni à M. le cardinal de
Janson. Je vous prie d'y suppléer pour moi.
Je me porte bien jusques ici. La chaleur est grande; mais
je marcherai la nuit, le plus qu'il me sera possible. Je tiens
et tiendrai M. le grand vicaire gai et gaillard, s'il plaît à Dieu.
Je vous prie de bien remercier M. Dupré, dont je vous envoie
une lettre. On ne peut pas me recevoir et me traiter mieux
qu'il fait.
Les papalins ont été très maltraités à Venise"*.
'9^7- — A l'Abbé Bossuet.
A Paris, 12 juillet 1699.
J'ai reçu vos lettres de Rome, du 27 au 29, [par*]
9. L'abbé et son compagnon arrivèrent à Turin seulement le 7 août
(Ms. d'Avignon, fo xi6).
10. Le 20 juin, on proposa au sénat de Venise d'exclure des princi-
paux emplois les nobles ayant des parents pourvus de dignités ou de
charges à la cour de Rome. Cette mesure fut approuvée et même
aggravée par le Grand conseil (Voir la Gazette de France, 18 et
25 juillet, et 8 août 1699).
Lettre 1957. — L. a. n. s. Grand séminaire de Meaux.
I. Ms. : pour, par distraction.
juillet 1699] DE BOSSUET. 76
des courriers extraordinaires, et depuis, par l'ordi-
naire, celle du 28. Selon celle du 29, vous devez
être parti le lendemain. M. de Monaco n'avait pas
encore reçu ma lettre que vous lui avez rendue. Il
promettait d'agir pour voire induit le plus effica-
cement qu'il lui serait possible^, et parlait très obli-
geamment pour vous à M. le marquis de Torcy.
Je me réjouis avec vous du plaisir que vous aurez
eu d'embrasser M. le comte deBrionne^qui vous aura
procuré une bonne réception dans la cour de Turin.
Je n'en puis point douter, après la manière obli-
geante dont Mme la duchesse de Bourgogne a bien
voulu écrire de vous et de moi. Cette princesse est
toujours la merveille et les délices de la Cour: elle
croît sensiblement, et on est ravi de la voir.
Je pars demain pour Meaux, 011 quelques affaires
m'appellent.
J'embrasse M. Phelipeaux.
2. Les instances de M. de Monaco ne purent obtenir du Pape la
faveur désirée par l'abbé Bossuet, et le Saint Père opposa le même
refus à une demande semblable de l'abbé d'Estrées (Affaires étran-
gères, Rome, t. 893, f» 10, /i août 1699).
3. Henri de Lorraine-Harcourt, comte de Brionne, était né le i5
novembre 1661, de Louis de Lorraine, comte d'Armagnac et de
Catherine deNeufville de Villeroy. C'était le premier danseur de son
temps, « assez honnête homme, mais si court et si plat, dit Saint-
Simon, que rien n'était au-dessous » . Il fut grand écuyer en survivance,
et épousa Marie-Madeleine d'Epinay. Il mourut le 3 avril 1713. Il
avait été chargé d'aller recevoir la future duchesse de Bourgogne,
lorsqu'elle arriva de Savoie en France. Son frère, François-Armand
de Lorraine, qui fut plus tard évèque de Bayeux, possédait, entre au-
tres abbayes, celle de Saint-Faroo de Meaux (Saint-Simon, t. III,
p. i56, 369 à 271 ; t. XXIII, p. ao et ai ; etc.).
^6 CORRESPONDANCE [juillet 1699
1958. — L'Abbé Bossuet a son Oncle.
Modène, mardi 1/4 juillet 1699.
Je partis, comme vous l'avez vu par ma lettre du g de ce
mois, de Florence la nuit du même jour que je passai les
montagnes très fâcheuses de l'Apennin, qui durent près de
trente lieues jusqu'à Bologne, où j'arrivai le lendemain 10,
à midi. Je suis resté le samedi et le dimanche à Bologne, où
j'ai vu les deux cardinaux qui y résident, que je n'avais pas
vus à Rome. L'un est le cardinal Buoncompagno*, archevê-
que, et l'autre le cardinal Dada, légat. Le premier est un
très excellent évêque et très bon homme, et l'autre, un très
habile homme, et qui a beaucoup d'esprit, très informé de
tout ce qui se passe partout. 11 me donna le dimanche
un dîner magniflque, et les deux cardinaux m'ont fait toutes
les amitiés et tous les honneurs imaginables. M. le cardinal
Buoncompagno voulait absolument me loger chez lui. Je me
suis tiré de tous ses compliments en partant de Bologne hier
lundi, à la pointe du jour.
Je suis arrivé ici en trois heures. J'y ai trouvé cette cour.
J'ai vu l'après-dînée Mme la duchesse de Brunswick -, qui m'a
fait mille et mille honnêtetés, et dont j'ai reçu tous les bons
traitements imaginables, Mme la Princesse avait eu la bonté
de lui écrire en particulier sur mon chapitre ; et cette prin
cesse est pleine pour vous de tous les sentiments d'estime et
d'amitié que vous pouvez désirer, aussi bien que M. le duc
Lettre i958. — L. a. n. s. Archives départementales, à Melun.
1. Giacomo Buoncompagno, né à Bologne le 19 mars i653, fut,
après la mort de son frère François, archevêque de cette ville ; et
Innocent XII le créa cardinal en 1695. Il mourut en 1781. — Fer-
dinand d'Adda, né h Milan le 23 août i65o, fut cardinal en 1690,
après avoir été nonce en Angleterre. Il fut évêque d'Albano du
21 janvier 1715 jusqu'î» sa mort, qui arriva le 27 janvier 1719.
a. C'est la même que Bossuet appelait Mme de Hanovre. Voir plus
haut, p. 19.
jaillel 1699] DE BOSSUET. 77
de Modène, qui, quoique incommodé, voulut me faire
l'honneur de me voir, et me dit sur vous tout ce que l'on
peut dire, et me chargea de vous assurer des témoignages de
son estime et de son amitié. Je crois que vous ne pouvez vous
dispenser, ou de lui écrire sur cela, ou dans la lettre qu'il faut,
s'il vous plaît, que vous écriviez à Mme la duchesse de Bruns-
wick, faire un article particulier sur les témoignages de
bonté de ce prince à votre égard et au mien. Je ne sais s'il y
aurait quelque difficulté pour le traitement des évêques à
Mme de Brunswick^ : je ne crois pas qu'il y en doive avoir,
elV Altesse y va sans difficulté, les électeurs ayant un rang
distingué des autres princes, même souverains, jusqu'à avoir
la préséance sur M. le duc de Savoie, qui leur a cédé.
Je voulais partir la nuit passée pour Ferrare et Venise, mais
Mmes les duchesses de Brunswick et de Modène m'ont retenu
encore aujourd'hui, pour me faire voir la maison de cam-
pagne de M. le duc*, qui est fort belle, et me faire entendre
quelque musique ce soir ; après quoi, je pars dans le moment
pour poursuivre mon chemin.
Si le temps reste couvert demain, comme il l'est aujour-
d'hui, et qu'en arrivant demain à la pointe du jour à Ferrare,
je puisse voir le cardinal Astalli ^, légat, et le cardinal Paolucci,
archevêque, j'arriverai demain au soir bien près de Venise,
quoiqu'il y ait plus de cent milles d'ici ; mais [c'est] le plus
beau chemin du monde. J'y serai après-demain au plus tard.
Je ne resterai à Venise que le moins qu'il me sera possible ;
et j'espère en pouvoir repartir lundi ou mardi 21", pour
m'acheminer vers Milan par Padoue, Vérone, Mantoue,
Parme, Plaisance et Pavie. Je ne m'arrêterai partout que
3. Sur le titre que les évêques doivent lui donner.
4. Elle était située à Sassuolo, à quinze kilomètres sud-ouest de
Modène. Cette belle maison de plaisa ice est maintenant une propriété
privée (Ernesto Maranesi, La provincia di Modena descrltta nella sua
orograjla, etc., Modena, 1881, in-12, p. 79).
5. Fulvio Astalli, né à Rome le a/ijuin i655, fut clerc de chambre
du Pape, cardinal en 1686, légat de Ferrare, évêque de Sabine en
171^, puis d'Ostie en 17 19, et mourut doyen du sacré Collège le
lit janvier 1721.
y8 CORRESPONDANCE [juillet 1699
quelques heures, voulant arriver à Turin avant, s'il est pos-
sible, que le duc en parte ^. J'espère recevoir de vos nouvelles
à Venise, et je vous écrirai de là.
On me fait espérer que cette lettre, qui doit partir d'ici
après-demain, arrivera à bon port. Je n'écris pas à mon frère.
Je vous prie de lui faire part de cette lettre. Je me porte bien,
Dieu merci ; M. Phelipeaux aussi, à un rhumatisme près,
qu'il prit dans un nuage en passant l'Apennin. Je le console
par le plaisir d'avoir passé au travers les nuages, et d'aller
vite comme le vent et de braver toutes les chaleurs d'Italie'.
1959. — DoM Gerberon a Bossuet.
Monseigneur, quoique M. de Cambrai semble s'être con-
6. De Turin, l'abbé se rendit à Gênes, d'où il s'embarqua pour
Toulon et Marseille. Dans cette dernière ville, il dut recevoir l'hospi-
talité au palais épiscopal. Phelipeaux se sépara de lui pour aller voir
l'évêque de Montpellier (Ms. d'Avignon, 1/135, f 116). L'abbé Bos-
suet rentra à Paris au milieu de septembre, el son oncle le présenta
au Roi à Fontainebleau (Gazette de Leyde, 34 septembre 1699).
7. Phelipeaux trouva qu'on reconnaissait mal les services qu'il avait
rendus. « On n'a pas tenu grand compte à M. le Trésorier de Meaux
de toutes les peines qu'il a prises dans l'affaire de Cambrai. 11 ne
serait pas d'humeur à faire un second voyage pour un pareil sujet »
(Mabillon à D. Guillaume Laparre, 21 décembre 1699, lettre com-
muniquée par Dom Dubourg. Cf. tome XI, p. a/|2). On a vu (t. XI,
p. 269) que Bossuet avait voulu, mais sans succès, lui faire donner
un prieuré. Un autre auxiliaire, Maille, se plaignit aussi de l'attitude
de l'ambassadeur, qui pourtant avait montré à son endroit d'autres
dispositions à l'abbé Bossuet. « Voilà, écrivait-il, la récompense de
tant de peines et de fatigues qu'il s'est données dans l'affaire de
Cambrai : il a failli plusieurs fois de se ruiner à Rome pour le service
du Roi. Il est fort tenté de se tenir en repos et de cancre sibi et
masis » (Affaires étrangères, Rome, t. 896, f°' 179 et igA)-
Lettre i959. — Imprimée en tète de la Lettre d'un théologien à
Monseigneur l'évêque de Meaux, auquel l'on démontre gur M. de Cambrai
n'a point tenu les erreurs et les fausses maximes qu'on lui a imputées, et
que ce n'est point au sens de ce prélat qu'on a condamné son livre et les
vingt-trois propositions qui en ont été tirées, s. 1., 1699, in-8. —
juillet 1699] DE BOSSUET. 79
damné lui-même à un silence perpétuel, en déclarant qu'il ne
veut pas qu'il soit parlé de lui davantage, et qu'il abandonne
sa propre défens.e, vous ne devez pas vous persuader que tout
le monde soit insensible à l'oppression que la vérité et la jus-
tice souffrent en sa personne. Il est rare qu'on s'intéresse
pour ceux qui renoncent à leur propre droit par faiblesse plu-
tôt que par impuissance, et par je ne sais quelle soumission
dont on ne leur fait point une vertu. 11 s'en trouve néan-
Gabriel Gerberon, né à Saint-Calais, dans le Maine, ie 12 août 1628,
entra chez les bénédictins de la Confjrég^ation de Saint-Maur, prit
l'habit à Rennes, à l'â^e de vingt ans, et se fit bientôt une situation
importante parmi ses confrères. Mais la sympathie ouverte qu'il témoigna
au jansénisme le fit envoyer de monastère en monastère : il était à Cor-
bie en 1676, lorsque, pour échapper à la police, il passa à Bruxelles,
puis en Hollande, où il se fit naturaliser bourgeois de Rotterdam sous le
nom d'Augustin Kergré, ou Kerkré. Revenu à Bruxelles en 1690, pen-
dant la guerre de la France contre la Hollande, il continua à soutenir le
jansénisme par ses écrits. Il fut arrêté le 3o mai 1708, le même jour
que Quesnel, et l'archevêque de Malines lui fit son procès. Réclamé par
Louis XIV, il fut ramené en France en 1707, et emprisonné à Amiens,
puis à Vincennes. Le 18 avril 17 10, il souscrivit une rétractation qu'il
désavoua plus tard, mais grâce à laquelle il fut rendu à ses confrères
de Saint-Germain-des-Prés. Il mourut dans l'abbaye de Saint-Denis,
le 29 mars 17 11, dans sa quatre-vingt-troisième année. D. Gerberon
avait beaucoup de talent, mais les chefs du jansénisme eux-mêmes le
trouvaient trop vif et inconsidéré. Il a publié des éditions de saint
Anselme et de Baius, et traduit en français les Avertissements salu-
taires de la B. Vierge Marie à ses dévots indiscrets, Lille, 167^, in-8.
De plus, il a composé un grand nombre d'ouvrages anonymes ou pseu-
donymes, dont la plupart roulent sur les matières disputées de son
temps et sont oubliés aujourd'hui. Citons seulement VHistoire de la
robe sans couture de N.-S. J.-C, qui est vénérée dans l'église... d'Ar-
genteuil, Paris, 1677, in-12, et VHistoire générale du jansénisme,
Amsterdam, 1700, 3 vol. in-8 (Voir Ledieu, t. III, p. ^9 et 68,- la
Correspondance de Fénelon, t. IX, p. 1^5 ; t. X, p. 487 ; t. XI, p. ^8
à 55 ; Processus offîcii Jiscalis curiœ Mechliniensis contra D. Gab. Gerbe-
ron, Bruxelles, s. d., in-/i ; D. Robert Racine, Nécrologe de l'abbaye de
Saint-Denis, Mazarine, ms. 3875, p. 767 et suiv. ; D. Tassin, Histoire
littéraire de la Congrégation de Saint-Maur ; Hauréan, Histoire littéraire
du Maine ; la Biographie nationale belge ; H. Wilhelm, Nouveau supplé-
ment à l'histoire littéraire de la Congrégation de Saint-Maur ; art. de
M. Bachelet dans le Dictionnaire de théologie catholique de Vacant).
8o CORRESPONDANCE [juillet 1699
moins qui, n'envisageant pas tant M. de Cambrai que le sujet
pour lequel il semble que l'on a résolu sa perte et les manières
avec lesquelles vous le poursuivez, se sentent obligés de faire
connaître la pureté de ses sentiments et la mauvaise foi de
ceux qui lui imposent des maximes contraires à la véritable
piété.
Il vient de paraître un Traité historique^ qui, les retours
sur la Religion P. R. et les manières outrées mises à part,
raisonne assez juste sur la conduite que l'on tient à l'égard
de cetarchevêqueetsurla théologie mystique de M. de Meaux,
qui, malgré toutes ses fuites, ne lui paraît pas moins quié-
tisteni moins condamnable que M. de Cambrai. Mais, comme
l'auteur est un protestant déclaré, vous vous ferez une gloire
d'être attaqué par un ennemi de la communion romaine, et
bien des gens mépriseront ses plaintes et ses réflexions, sans
examiner si elles sont de bon sens.
Que si un protestant même a été touché de la disgrâce de
ce prélat, en qui il reconnaît beaucoup de mérite, et s'il a cru
se devoir élever contre les entreprises du parti que vous avez
formé contre votre confrère, il ne sera pas dit que, parmi les
théologiens de notre communion, il ne se trouve personne qui
se récrie contre une injustice si publique et si manifeste, et
qui parle pour l'innocence et pour la vérité. Ne pensez pas
que les catholiques qui ont de l'amour et du zèle pour l'Église,
laissent passer les assemblées de Nosseigneurs sans faire
remarquer la lâcheté et l'iniquité de celles où l'esprit de cour
préside plus que celui de Jésus-Christ. La mort n'a pas
encore enlevé tous ceux qui savent que les délibérations que
vous prenez pour modèles des vôtres ^, seront éternellement la
honte du clergé de France ; et si vos adorateurs dissimulent
ce qu'ils en pensent, il y en aura sans doute qui ne souf-
friront pas que vos assemblées autorisent des délibérations
I . Trailé historique contenant le jugement d'un protestantsur la théo-
logie mystique, sur le quiétisme et sur les démêlés de l'éuéque de Meaux
avec l'arclicoèque de Cambrai.... avec le Problème ecclésiastique contre
l'archevêque de Paris(j)dt Jurieu), s. 1., 1699, in-ia.
a. Celles de l'assemblée du clergé de 1654 sur Jansénius.
juillet 1699] DE BOSSUET. 81
faites contre toutes les formes, que les évêques les plus apos-
toliques ^ ont méprisées et traitées de tyranniques, et qui n'ont
été appuyées que sur des impostures et sur des calomnies
reconnues et avouées.
En altendant, on a cru devoir justifier la personne de M. de
Cambrai et ses véritables sentiments, suivant l'intention de
Sa Sainteté même et selon les termes de son bref. Qu'il pro-
teste tant qu'il lui plaira qu'il se soumet sans explication ni
restriction à la censure de son livre, comme contenant vingt-
trois propositions que l'on a jugées respectivement téméraires,
scandaleuses, pernicieuses et erronées, il ne peut pas avouer
contre sa conscience qu'il ait tenu aucune des erreurs qu'on lui a
imputées, comme il l'a déclaré très positivement en l'assem-
blée de sa province, et Sa Sainteté a assez marqué qu'elle
n'avait point censuré ces propositions au sens de l'auteur,
quand elle a dit qu'elle les condamnait au sens que les termes
présentent d'abord, in sensu obvio, sans avoir donné la
moindre atteinte aux autres livres et écrits où M. de Cambrai
s'est expliqué et qu'il a envoyés au Pape, qui n'aurait pas
manqué de les envelopper dans la même censure, si le sens
de cet archevêque y avait été condamné. Quand même les
dernières violences, dont on dit qu'on le menace, lui feraient
confesser ce que sa conscience ne lui permet pas d'avouer,
cette confession devrait être regardée comme une faiblesse à
laquelle de grands hommes ont été sujets, si l'on en croit ce
qui est rapporté dans les Baiana'', où l'on voit qu'un primat
d'Espagne et un des plus habiles théologiens de son siècle
ont été contraints, pour donner quelque chose aux puissances,
de révoquer des erreurs qu'ils n'avaient jamais tenues^.
3. Messieurs d'Àlet et d'Angers (Note de Gerberon). Allusion aux
assemblées tenues contre le jansénisme.
4. Baiana, seu Michaelis Bail operum secunda pars , complectens seripta
quœ conlroversias spectani occasione sententiarum M. Baiiexortas,p. i52-
206 et 207, à la suite des Michaelis Baii opéra... studio A. P. theologi
(Gerberon), Cologne, 1696, in-4.
5. Gerberon veut parler de Baius et de Barthélémy Garranza,
dominicain, archevêque de Tolède. Gf. Varillas, Histoire des révolu-
XII — 6
82 CORRESPONDANCE [juillet 1699
Vous direz sans doute que c'est revenir aux anciennes chi-
caneries du fait et du droit. Oui, Monseigneur, on y revient,
et Sa Sainteté même a marqué cette voie. Mais, quoi que
vous puissiez dire, cette distinction n'est point une chicane ;
c'est un retranchement contre l'erreur et l'iniquité, si juste et
si invincible que des évêques et des docteurs qui ont été la
gloire de votre ordre et de l'Eglise de France, y tenant ferme,
en ont soutenu vigoureusement les droits et la liberté, et ont
lait triompher la vérité par la paix que le Pape et Sa Majesté
très chrétienne rendirent à l'Église en l'année 1668.
Pour désabuser donc ceux à qui on aurait pu faire accroire
que M. de Cambrai a tenu et soutenu les erreurs qui ont été
condamnées, quelqu'un a entrepris de montrer qu'encore
qu'elles se trouvent dans son livre, elles ont été censurées
dans un tout autre sens qu'en celui de cet archevêque. Je n'ai
pu manquer à vous faire part de cet écrit, afin que vous
reconnaissiez de bonne foi que la censure du livre de M. de
Cambrai ne tombe pas sur ses sentiments, et que l'on demeure
persuadé par votre aveu qu'il n'est pas plus quiétiste que
vous**.
Je suis, Monseigneur, votre très humble et très obéissant
serviteur.
N. N.
A Bois-Franc, le 16 juillet 1699.
lions arrivées en matière de religion, Paris, 1686-1689, 6 vol. in-4,
t. V, Avertissement; Quétif et Écliard, Scriptores Ordinis Prœdica-
toram, t. II.
6. Les jansénistes s'étonnèrent de l'attitude prise en cette circons-
tance par Gerberon. « Vous demandez de quoi s'avise M. Kerkré, de
prendre la défense du pur amour de M. de Cambrai. Ne le connaissez-
vous pas?... Est-ce d'aujourd'hui que vous savez que c'est un esprit
outré et qui ne garde aucune mesure? H y a longtemps que D. Ger-
beron a une dent de lait contre M. de Meaux, et je crois que c'est
par antipathie contre ce prélat qu'il a pris des sentiments favorables
et conformes à ceux de M. de Cambrai » (Quesnel à du Vaucel,
37 janvier et 20 février 1700, Correspondance, t. II, p. 78 et 82).
juillet 1699] DE BOSSUET. 83
i960. — A Denis Dodart.
A Germijjuy, ig juillet 1699.
Je vous suis obligé, Monsieur, de votre lettre du
i3, quejc n'ai reçue qu 'avant-hier ; elle me dirigera
Lettre 1960. — L. a. s. Bibliothèque de Troyes, ms. 224o.
Publiée d'abord sur une copie de M. Floquet par M. A. Gasté, Lettres
et pièces inédites, Caen, 1898, in-8, p. 87. Cf. E. Griselle, Bossiiet,
abbé de Saint- Lucien, p. Sg-ZlS. — Denis Dodart naquit en i634, pro-
bablement à Glatigny-sur-Bray, de Jean Dodart, bourgeois de Paris,
et de Marie du Bos, fille d'un avocat. Après de brillantes études,
il fut reçu docteur en mt'decine le i3 octobre 1660, et devint inc^de-
cin de la duchesse de Longueville, du prince et de la princesse de
Conti douairière et de la princesse de Gonti, fille de Mlle de La Val-
lière. 11 donna aussi ses soins à Racine, à Boileau, à Bossuet, etc.,
sans parler des pauvres, à qui il se dévouait avec une charité égale
à sa science. Son attachement à Port-Royal déplaisait au Roi ; mais,
dit Saint-Simon, il se conduisit avec tant de prudence que Louis XP/
ne trouva point de prétexte pour satisfaire l'envie qu'il eut toujours
de le chasser de la Cour. Dodart entra à l'Acadt-mie des Sciences en
1678, et s'appliqua à l'étude des plantes, des fondements de la musique
et de la transpiration. On a de lui : Mémoires pour servir à l'histoire
des plantes, Paris, 1676, in-fol.; Mémoire sur les causes de la voix de
l'homme et de ses différents tons (anonyme), s. 1., 1708, in-4 ; Medi-
cina stalica gallica publiée par Noguez à la suite de la Slatica medi-
cina de Sanctorius, Paris, 1725, 2 vol. in-12. Dodart mourut le
5 novembre 1707 et fut inhumé à Saint-Germain l'Auxerrois. 11 avait
épousé Marie Boulard, fille d'un président au présidial de Clermont-
en-Beauvaisis, puis Marie Lucienne Le Picard, qu'il perdit le 3o jan-
vier 1675. Du premier lit, il eut un fils, Claude Jean-Baptiste, qui
fut médecin de Louis XV, et une fille, Marie Angélique. Celle-ci fut
mariée en 1708 à Guillaume Homberg, docteur de Wittemberg,
médecin de Philippe d'Orléans et pensionnaire de l'Académie des
Sciences (Voir les Lettres de Guy Patin, édit. Réveillé-Parise, t. III ;
l'éloge de Dodart par Fonienelle; le Nécrologe de Port-Royal, Ams-
terdam, 1728, in-4, p. 421 ; le Journal de Ledieu ; Racine, Grands
écrivains, t. VI et VII; Correspondance de Mme la duchesse d'Orléans,
Irad. Jaeglé, Paris, 1890, 8 Vol. in-8, t. I, p. 208 ; Saint-Simon, édit.
Chéruel, t. XIV ; Correspondance de (Jucsnel, t. I et II; Lambert, His-
toire littéraire du règne de Louis XIV, Paris, I75l, 3 vol. in-4, t. II,
p. i65; Sainte-Beuve, Pori-/?ovai ; Bibliothèque Nationale, Pièces
84 CORRESPONDANCE [juiUet 1699
dans la prise des eaux, lime semble que tout s'ache-
mine bien, et je conviens qu'il ne faut pas laisser
passer la saison sans en profiter pour faire tout le
possible '.
Je n'ai pu nommer des deux compétiteurs ^ celui
dont on m'a parlé en dernier lieu, puisque je ne le
connaissais pas. Pour M. Collin\je crois bien l'avoir
nommé, mais en passant seulement, et sans qu'on
y ait pu faire attention, parce qu'on ne parla de
cette affaire que par un discours fort vague*. Il est
bon, à toutes fins, que vous preniez la peine de m in-
former de ce que vous jugerez nécessaire.
Je suis, Monsieur, toujours très parfaitement à
vous et très reconnaissant de votre amitié.
J. Bénigne, é. de Meaux.
Suscription: A Monsieur, Monsieur Dodart, doc-
teur en médecine.
I961. M. DE TORCY A BOSSUET.
Marl\ , 2û juillet 1G99.
Monsieur, je vous envoie par ordre du Uoi le mémoire que
originales et Dossiers bleus; Notes de M. L. Graves, à l'hôtel de ville
de Beauvais).
1. Ceci suppose que Dodart avait couselllé à Bossuet une saison
d'eaux, à la suite de l'érésipèle. Cependant on ne voit pas que le
prélat soit allé à Forges ou à Bourbon cette année-là.
2. L'autographe porte : à des deux compétiteurs.
3. Nous ne possédons aucun renseignement sur ce M. GoUin.
4. Il s'agissait sans doute de la nomination à quelque bénéfice dépen-
dant de l'abbaye de Saint-Lucien. Si Dodart s'intéressait au Beauvaisls,
ce n'était pas seulement à cause de sa première femme : son grand-
père, Jean Dodart, avait été notaire au bailliage de Clermont, en rési-
dence à IIodenc-en-Bray (Pièces originales, au mot Aubourc).
Lettre i96i. — Inédite. Affaires étrangères, Rome. t. ^96,
juillet 1699J DE BOSSUET. 85
M. l'abbé Fleury, nommé par S. M. à l'évêché de Fréjus, a
dressé au sujet de l'opposition que l'ancien évêque de Fréjus
lui a fait signifier depuis peu. Quoiqu'elle puisse être regardée
comme nulle, par toutes les circonstances qui l'ont précédée,
cependant, Monsieur, S. M. ne voulant rien décider dans une
pareille matière que conformément aux règles, Elle m'a
ordonné de savoir votre sentiment, et si une semblable oppo-
sition vous empêcberait de procéder au sacre de M. l'abbé de
Fleury pour l'évêché de Fréjus.
Je crois que vous jugerez à propos de ne pas dire que vous
ayez été consulté sur cette affaire, avant que le Roi ait décidé.
Je profile de cette occasion de vous assurer, etc.
1962. — Al Gr.\nd duc de Toscane.
Je ne sais par où commencer à rendre grâces très
humbles à V. A. R.*pour tant de sortes de bontés
f" ii5. Minute. Une lettre semblable était adressée aux archevêques
de Paris et de Reims, ainsi qu'à l'évèque de Chartres. Sur la démission
volontaire de Luc d'Aquin, évèque de Fréjus, le 6 janvier 1697, le
Roi avait nommé pour lui succéder Louis d'Aquin, son neveu. Le
sacre de l'élu devait avoir lieu le 16 juin, lorsque, la veille même,
son oncle, qui jusque-là avait paru s'en tenir aux conditions de sa
démission, fit opposition. On passa outre, et le nouvel évèque prit
possession par procureur le 12 avril 1698. L'opposition continuant
toujours malgré l'arrêt du conseil d'Etat du 28 avril (Archives Natio-
nales, E 1907, p. 81), Louis d'Aquin demanda au Roi de se retirer
de Fréjus ; il fut nommé à Séez, le i^'' novembre 1698. Le jour
même, Louis XIV nommait à Fréjus Hercule-André de Fleury, qui
reçut ses bulles le 3o mars 1699. Luc d'Aquin fit encore opposition
devant le Nonce. Alors le Roi fit demander à Bossuet un mémoire
sur cette affaire, en lui remettant celui de l'abbé de Fleury. On trou-
vera à l'appendice le mémoire de l'évèque de Meaux. D'après ses
conclusions conformes à l'arrêt du 28 avril 1698, le conseil d'Etat dé-
cida en faveur de l'abbé de Fleury, qui fut sacré le 22 novembre 1699.
Lettre 1962. — L. a. s. inédite. Archivio Mediceo, à Florence,
t. 39a.
I . On voit, par les correspondances du temps, que l'on traitait
d'Altesse rovale le Grand duc de Toscane.
86 CORRESPONDANCE [août 1699
dont elle m'honore. Mon neveu m'écrit si touché
des marques qu'il vous a plu lui en donner que les
paroles nous manquent à l'un et à l'autre.
J'attends, Monseigneur, les portraits" qu'elle me
fait espérer pour faire l'ornement de cette maison.
Et que dirais-je, Monseigneur, de M. de Madot,
que vous avez comblé de vos grâces à notre très
humble recommandation.^ Il en est, Monseigneur,
tout pénétré, et nous prenons la part que nous
devons à sa joie et à sa reconnaissance.
J attends mon neveu avec une nouvelle impa-
tience, pour apprendre de sa bouche des nouvelles
particulières de V. A. K. et de sa sérénissime famille.
Elle a en moi un serviteur très reconnaissant, qui
n'a de regret que celui d'être inutile, et qui est et
sera toujours avec tout le respect possible. Monsei-
gneur, de V. A. K. le très humble et très obéissant
serviteur.
A Germiguy, le 2G juillet 1699.
J. Bémgne, é. de Meaux.
1963. — A Claude Le Peletier.
A Meaux, 3 août 1699.
On m'apprit hier, Monsieur, l'heureux mariage
que M. et Mme d'Argouge ont fait de Mme leur fille'.
2. l.es portraits du Grand duc et de sa famille. Voir t. X, p. i,
et plus haut, p. 'yi.
Lettre 1963. — L. a. s. Inédite. Archives de M. le marquis Le
Peletier de Rosambo, au Mesnil (Seiue-et-Oise). — Sur Claude Le
Peletier, voir t. I, p. 099, et t. IV, p. 189. .
i. .Tean-Pierre d'ArgfOuges de Ranues (16^7-1731), conseiller Ai
Parlement, puis maître des requêtes et conseiller d'Etat, avait épousé,
août 1699] DE BOSSUET. 87
Voilà comme Dieu bénit ceux qui sont droits de
cœur. J'ai, Monsieur, une extrême joie des grâces
dont il vous comble, surtout de celles qu'il répand
sur votre retraite ^ Il semble qu'il vous veut donner
et la foi et la récompense des saints patriarches, et
en ce monde et en l'autre.
Villeneuve me roule souvent dans lesprit dans
ina solitude^ Mais je voudrais bien n'y point porter
les restes d'un érésipèle qui n'est pas encore tout à
fait éteint. Le fond de la santé n'en paraît pas altéré,
puisque. Dieu merci, il ne fait perdre nile sommeil,
ni l'appétit, ni les forces ; mais enfin il dure encore
un peu, et il faut, s'il se peut, le déraciner pour en
empêcher le retour dans une saison moins propre.
Continuez-moi celte précieuse, si fidèle et si ancienne
amitié, puisque je suis et serai toujours avec le
même attachement et respect. Monsieur, votre très
humble et très obéissant serviteur.
J. Bénigjje, é. de Meaux.
Au bas de la page : M. Le Peletier, Hôtel d'Effiat *.
le 3i janvier 1677, Françoise Le Peletier (1660-1745), fille
de Claude. Leur fille, Madeleine Geneviève d'Argouges, née le
20 août 1680, épousa le 3o juillet 1699, à Saint-Gervais, Pierre Eon
de La Baronnie, marquis de Cély, maître et plus tard président en la
Chambre des Comptes, qui mourut sans postérité le 4 novembre 1709
(V. Saint-Simon, t. IV, p. 272 ; les Mémoires du marquis de Sour-
ches, t. XI, p. 80, et t. XII, p. m).
2. Claude Le Peletier était surintendant des postes, lorsque, le
18 septembre 1697, il prit sa retraite pour vivre à Villeneuve-le-Roi
dans les exercices de la plus vive piété (Saint-Simon, t. IV, p. 267
et suiv.).
3. C'est à Villeneuve-le-Roi que Bossuet, en 1676, était allé réta-
blir sa santé (t. I, p. 399).
4. Cet hôtel du maréchal d'Effiat, père de Cinq-Mars, fut acquis
par Le Peletier en 1668. Il est situé, rue Vieille-du-Temple, n" a^-
88 CORRESPONDANCE [août 1699
1964. — A Antoine de Noailles.
A GermigDy, 5 août 1699.
Vous vous souviendrez peut-être, mon cher Sei-
gneur, que je vous parlai, il y a quelque temps, du
P. Candide Champy, récollet', et que j'eus l'honneur
de vous dire qu'on lui avait causé quelque chagrin
du côté de Cambrai, 011 il n'était pas favorable aux
sentiments du prélat^ Il souhaite, à l'occasion du
chapitre qui se va tenir à Paris, que je vous renou-
velle, Monseigneur, le bon témoignage que je vous
ai rendu de ce Père. Ce n'est pas, Monseigneur,
qu'il prétende rien^ ; il m'a toujours dit qu'il ne sou-
haitait rien, sinon que tout allât le cours ordinaire et
naturel à son égard.
Je suis, avec le respect et l'attachement sincère que
vous savez, votre très humble serviteur
J. Bénigne, é. de Meaux.
1965. — Jacques Le Noir a Bossuet.
Monseigneur,
En exécution d'une partie de vos ordres, j'ai fait donner à
votre portier un petit paquet, dans lequel vous trouverez
Lettre 1964. — Inédite. Copie par le P. Pinchart, chanoine
régulier, à la Bibliothèque de Reims, ms. ii^5.
1. Voir t. X, p. io5.
2. Fénelon.
3 Qu'il prétende à quelque dignité dans son Ordre. Le chapitre
était le temps marqué pour les élections aux difFérentes charges.
Lettre i963. — Quoique publiée par Deforis (t. X, p. 612), cette
lettre n'a pas trouvé place dans les éditions plus récentes. — Le des-
août 1699]. DE BOSSUET. 89
l'extrait de plusieurs Catéchismes, dont il y en a quelques-
uns du siècle dernier, qui demandent tous l'amour de Dieu
dans le sacrement de Pénitence ^ Si on pouvait trouver,
Monseigneur, de ces anciens Catéchismes, on y verrait tou-
tineitaire ne doit pas être confondu avec le fameux chanoine Jean Le
Noir, théologal de Séez, mort en 1692. C'est Jacques Le Noir, né à
Paris, de Cliarles Le Noir, marchand de toile dans la rue Saint-Denis,
et de Madeleine Cavelier, sa seconde femme. Son père avait été un
des pins lidèles amis de Port-Royal, et lui-même fut étroitement lié
avec les Messieurs; cependant il souscrivit le formulaire en lôg-y,
lorsqu'il prit possession d'un canoiiicat de Notre-Dame de Paris. Il
mourut le 12 janvier 1717, à l'â^e de soixante-quatre ans. Il était
frère de l'avocat Le Noir de Saint-Claude, que son dévouement aux
relijfieuses de Port-Royal fit enfermer en 1707 à la Bastille, d'où il
ne sortit qu'à la mort de Louis XIV. Le chanoine Le Noir comptait
parmi ses amis Bossiiet. Racine et Boileau, et c'est dans sa maison du
cloître Notre-Dame que mourut Boileau {Mémoires de Fontaii.e, t. II,
p. iii'6; Nécrologe des plus célèbres défenseurs de la vérité du XVIII"
siècle, t. II, p. 37; Arnauld, OEuures, t. III, p. 789 et 766; t. IV,
p. 5, 6, 62; Racine, Grands écrivains, t. VII, p. 809; E. Jovy,
Fénelon inédit, p. 293 ; Bibliothèque Nationale, Pièces originales,
2121, fo i83, etc.).
I. Les casuistes enseignaient que, pour obtenir le pardon de ses
péchés dans le sacrement de pénitence, il suffisait de la contrition
imparfaite ou attrition conçue par la crainte des peines de l'enfer,
accompagnée de l'espérance du pardon, sans qu'il fût nécessaire d'y
ajouter même un simple commencement d'amour de Dieu. Leurs
adversaires exigeaient au contraire, pour une attrition suffisante, un
commencement d'amour de Dieu pour lui-même. Bossuet, s'appuyant
sur le concile de trente (Sess. VI, c. vi), était de ce dernier avis
(cf. sa lettre du 12 juin, p. 53), et, pour le soutenir, composa un
traité qui fut imprimé après sa mort. Il s'en était déjà expliqué dans
son Catéchisme, mais d'une manière trop peu précise au gré d'Ar-
nauUI, qui lui adressa, par l'intermédiaire de Le Noir, des observa-
tions auxquelles le prélat répondit à la satisfaction de son critique
{OEuures d'.\rnauld, t. III, p. 789 et 766, lettres du 12 février et
du i4 mars 1694)- Sur cette question, voir A. Lehmkuhl, Theologia
moralis. (j^ édit., 1890, t. II, p. 289. Aujourd'hui, parmi les théolo-
giens, les uns disent que toute attrition sincère suffit pour la rémis-
sion des péchés dans le sacrement de pénitence, attendu qu'elle ren-
ferme implicitement un certain amour de Dieu ; les autres deman-
dent que cet amour soit formulé par un acte explicite. Voir plus loin,
p. 179, 180 et 26a.
90 CORRESPONDANCE [août 1699
jours l'amour de Dieu. M. Queyras* en cite beaucoup dans
son Éclaircissement, etc. Les livres cités dans les deux papiers
écrits de ma main sont, Monseigneur, entre les mains d'un
de mes amis et entre les miennes.
Vous trouverez aussi, Monseigneur, une thèse dressée par
le P. ÏNarri, cordelier conventuel ^ : les atlritionnaires en font
bien du bruit. Ce sont des tlièses qui se soutiennent tous les
mois; il serait bonde la i'aire imprimer ici.
Je n'ai pu aller encore. Monseigneur, consulter les Rituels
pour savoir ce qu'ils disent; j'espère y aller au premier jour
et vous en rendre compte. Permettez-moi, Monseigneur, de
me recommander à vos saintes prières et de vous assurer de
mon profond respect. Votre, etc.
Le Noir\
Le 0 août ID99.
2. Mathurln Quéras, né, non pas en Gascogne, comme le dit le
P. Rapin, mais à La Chapelle-la-Reine, près de Nemonrs, en Gâtinais
(alors dans le diocèse de Sens), le i"' août i6i4, était fils d'Antoine
Quéras et de Suzanne Régnier. Elève du collège des Grassins, puis
précepteur du fils de M. ïubeuf, intendant des finances, il avait pris
le bonnet de docteur le i'^'" mars 16/17, ^près avoir obtenu le qua-
trième rang à la licence de 16^6. Exclu de la Sorbonne |)our avoir
refusé de souscrire à la condamnation d'Âruauid, il fut pris pour
vicaire général par M. de Gondrin, arclievèque de Sens, qui le mit à
la tète de son séminaire. A la mort de ce prélat (167/i), Quéras se
retira à Troyes, dans son prieuré de Saint-Quentin. Il y mourut le
9 avril 1695, laissant la réputation d'uu janséniste modéré, très cba-
ritable et fort austère. Ses papiers sont conservés dans la bibliotlièque
de Troyes, ms. 10G6. L'ouvrage mentionné ici par le chanoine Le
Noir avait paru sans nom d'auteur: Éclaircissement de cette célèbre et
importante question, si le concile de Trente a décidé ou déclaré que
l'attriiion conçue par la seule crainte des peines de l'enfer et sans
aucun amour de Dieu snil une disposition suffisante pour recevoir la
rémission des péchés, etc., Paris, 1686, in-8 {Nécrologe des plus
célèbres défenseurs de la vérité du XVII^ siècle, s. 1., 1761, in-12,
p. 289; le P. Rapin, Mémoires, t. I, p. ii3; t. III, p. lo; G. Her-
mant, Mémoires, t. I, p. 371-878; t. IV, p. /io2 ; Grosley, Mémoires
sur les Troyens célèbres, dans ses OEuvres inédites, Paris, 18 15, in-8,
t. II, p. 337; Bayie, Nouvelles de la république des lettres, février 1686).
3. La thèse de ce cordelier italien ne paraît pas avoir été imprimée.
1. Les éditeurs doiineiu avec la date du 9 août l(\(j() une lettre k
Mme de Beringben qui est de 1693.
oci. 1699J DE BOSSUET. 91
1966. — A M™* CORNUAU.
A Meaux, ce jeudi matin, 1699.
Il y a, ma Fille, de la charité à retirer la per-
sonne dont vous me parlez de son entêtement: vous
lui pouvez montrer ze que vous trouverez à propos.
Elle paraît bonne fille, mais très aisée à surprendre,
et qui doit beaucoup craindre l'illusion'.
Cette sorte d'oraison y est fort exposée, à cause
qu'on y aime la singularité, et qu'on se met au
nombre de ceux qui trouvent bas et vulgaire tout
ce qui n'est pas raffiné: mauvais caractère, qui fait
des superbes d'autant plus dangereusement trompés,
qu'ils s'imaginent être humbles, en croyant que
Dieu agit seulement, sans qu'ils fassent rien ; ce n'est
pas là l'oraison ni la piété que Jésus-Christ nous a
enseignée. La simplicité en est la marque; la voie
commune et battue de la charité en est l'âme ; Jésus-
Christ en est le soutien. Cette personne m'est fort
suspecte de ce côté-là. Il y a bien de la différence
Lettre 1966. -^ Cent cinquante-deuxième dans Lâchât comme
dans Ledieu ; cent cinquante et unième dans Na et Ma ; cent cinquan-
tième dans Ne; cent quarantième de Nd. La date est donnée par
Mme Cornuau; Ledieu indique seulement l'année: 1699. Le mois est
incertain.
1 . Il s'agit d'une personne qui voulait rester passive dans l'oraison,
attendant l'action de Dieu. Les quiétistes ont fort abusé de l'état
passif. On peut voir, à ce sujet, les erreurs où est tombée Mme Guyon,
et dont Fénelon ne s'est pas complètement préservé dans VExamen
des principales questions agitées pendant les conférences d'Issy (ch. v),
ouvrajre inédit de l'archevêque de Cambrai publié dans la Revue des
Facultés catholiques de l'Ouest. Anj;ers, avril 1917, p. k'ik- Cf. Bos-
suet, Instruction sur les États d'oraison, 1. VIII, ch. xxvi et suiv., où
l'évèque de Meaux, à l'aide de sainte Jeanne de Chantai, explique
très bien jusqu'où peut ;iller la diminution de l'activité dans l'oraison.
ga CORRESPONDANCE [oct. 1699
entre s'exciter doucement et tranquillement, et de-
meurer immobile et sans action, en attendant que
Dieu nous excite. Exhortez cette bonne fille à lire
mon traité sur les Etats d'Oraison : elle y trouvera
la spiritualité de l'Ecriture et des saints. Surtout il
faut agir et s'encourager soi-même, et ne pas con-
tracter une habitude d'orgueilleuse et présomptueuse
paresse, qui mène à la langueur, et par la langueur
à la mort.
Vous avez raison, ma Fille, de dire que je ne me
souviens plus, ou presque plus de tout ce que je vous
ai écrit pour votre instruction. Quand ce que Dieu
donne pour les âmes a eu son effet, il n'est plus
besoin de le rappeler" avec effort, et il suffît que le
fond demeure.
Prenez garde, ma Fille, que je n'approuve que les
captivités et les impuissances que peut imposer
l'Epoux céleste. Gardez-vous bien de vous en faire à
vous-même; allez néanmoins sans scrupule, et pré-
férez ce qui est plus simple à ce qui l'est moins.
Notre-Seigneur soit avec vous^.
1967. — A M"'*' DE Beringhen.
A Germiçny, 12 octobre 1699.
Votre lettre m'a trouvé. Madame, prêt à monter
à cheval, c'est-à-dire en carrosse, pour aller coucher
a) Ne, V : répéter. — 6) Ledieu a transcrit toute cette lettre, à l'exception 1
de l'avant-dernier alinéa.
Lettre 1961. — L. a. s. British Muséum, fonds Egerton 33. Pu-
oct. 1699] DE BOSSU ET. g3
à Jouarre après un an et demi d'absence'. L'abbé et
le président^ sont à Paris, où ils apprendront avec
joie l'honneur de votre souvenir.
Vous pouvez "^ faire entrer Mme de La Martelière*, et
faire confesser M. l'abbé Priou^ lorsque vous le trou-
verez à propos pour celles qui le désirent. J'espère
bliée par M. J. F. Nourrisson, Histoire et philosophie, Paris, 1860,
in-18, p. 76.
1. Cette absence prolongée avait eu pour cause la part prise par
Bossuet à la querelle du quiétisme.
2. Deux neveux de M. de Meaux, l'abbé Bossuet et son cousia
germain Bénigne Ghasot, président à mortier au Parlement de Metz.
3. Edit. : pourrez.
4. eidit. : de la Marchère. — Anne Angélique Goujon de Thuisy,
fille de Jérôme Ignace Goujon, marquis de Tbuisy, maître des
requêtes, et d'Anne Françoise d'Haussonville de Vaubecour', avait
épousé, le 3 octobre 1(397, Jean-Baptiste Pierre de La Martellière
(21 juin 1671-9 avril 1721), comte de Fay, seigneur d'Amillis, maître
des requêtes en (69^, qu'on voitfigureren 1696 dans une cérémonie à
Mouroux, près de Faremoutiers. Il était l'arrière-petit-fils du célèbre
avocat Pierre de La Martellière, qui avait plaidé pour l'Université
contre les jésuites (Bibl. Nationale, Pièces originales et Nouveau
d'Hozier ; Archives de Seine-et-Marne, série E, 348 à 4i4)-
5. Edit. : l'abbé de Prion autant que vous le jugerez à propos. —
L'abbé Saiomon Prioux, de la maison et société de Sorbonne, avait
obtenu le huitième rang à la licence de 1688, et pris le bonnet le
3i juillet suivant II devint en 1690 l'un des directeurs du Séminaire
des Missions étrangères et prit part à la rédaction des règlements
de cette Société. Il fut l'un des docteurs qui se déclarèrent contre
Fénelon (t. XI, p. 470), et c'est lui qui, en 1700, déféra à la Faculté
les livres des jésuites (Ledieu, t. II, p. 68). Il mourut en 1708 et
fut inhumé, le 17 septembre, à Saint-Landry, où il avait été trans-
porté de l'église des Missions étrangères (Adrien Launay, Histoire de la
Société des Missions étrangères, Paris, 189/I, 3 vol. in-8, t. I, p. liil\).
Il était fils de Jean Prioux, natif de Rethel, procureur au Parlement
et d'Anne Esmery. Deux de ses sœurs, Agnès et Marie étaient reli-
gieuses à Saint-Nicolas de Melun (Bibl. Nationale, Pièces originales
et Dossiers bleus; registres de Saint-Landry, fr. 32585, f* 46 à 60,
passim). Son portrait, peint par de La Croix, a été gravé par Nicolas
Habert.
94 CORRESPONDANCE [oct. 1699
bien entonner la Messe pontificale^ J'irai à Lusancy
et à La Ferté-sous-Jouarre, et me rendrai ici mer-
credi. Je salue de tout mon cœur Mme d'Armainvil-
liers et toute la religieuse et sainte jeunesse.
J. Bénigne, é. de Meaux.
1968. — A M™" Cornu AU.
A Germig^ny, i4 octobre 1699.
Les circuits qu'ont faits vos lettres pendant mes
voyages à Fontainebleau et ailleurs ' , ont empêcbé
que je susse si tôt le péril oii a été Mme de Luynes,
votre chère supérieure. En arrivant de Jouarre^
j'envoie exprès à Torcy pour en apprendre des
nouvelles: n'oubliez aucune circonstance, ma Fille,
sans quoi je serai toujours en inquiétude.
Abandonnez-vous à Dieu ; ofFrez-lui vos peines pour
ceux qui en souffrent de semblables, de quelque côlé
qu'elles viennent. Vous y trouverez du soulagement.
Je vous ai écrit depuis quelques jours sur ce qu il
6. Sans doute à l'occasion de la bénédiction de l'Abbesse.
Lettre 1968. — Cent cinquante-quatrième dans Lâchai comme
dans Ledieu ; cent cinquante-troisième dans Na et Ma ; cent cinquante-
deuxième dans Ne ; cent quarante-neuvième dans Nd. La date est
Fournie par Mme Cornuau. L'année seule est indiquée par Ledieu,
qui a transcrit toute cette lettre.
1. Nous n'avons pu suivre la trace de Bossuet du 5 août au 8 octo-
bre 1699 ; nous ne saurions donc fixer avec précision la date des
voyages du prélat ?i Fontainebleau, ni dire en quels autres endroits il
a été.
2. On a vu (p. 93 et gS) que, le 12 octobre, Bossnel parlait pour
Jouarre, d'où i! devait revenir le i^.
oct. 1699] DE BOSSUET. 96
y avait de plus pressé dans vos dernières, principa-
lement sur la serge^, en vous expliquant que vous
ne devez point hésiter à en demander la dispense
toutes les fois que vous en aurez besoin. Du reste, ma
Fille, vous n'avez qu'à offrir au saint Epoux létat
où il vous met par la disposition de vos peines. Je
vous ai résolue sur le principal de vos autres dou-
tes. Je vous offrirai de bon cœur à Dieu, Mme votre
supérieure et vous.
J. Bénigne, é. de Meaux.
1969. — Mémoire A M. le Comte de Pontchartrain,
SUR LES RÉUNIS DU DIOCÈSE DE MEAUX.
Le nombre des réunis est environ de deux mille quatre
cents ^, répandus en cinquante ou soixante paroisses du diocèse
de Meaux.
Mon dessein est de pourvoir principalement et d'abord aux
3. Cette lettre n'a pas été conservée. — Sans doute, la sœur Cor-
nuau souffrait «le ne pas porter sur elle du lingfe de toile.
Lettre 1969. — Les éditions placent à la fin de mars 1700 ce
mémoire, qui est en réalité du mois d'octobre précédent. En effet, il
y est répondu dans une lettre du 28 octobre 1699 qu'on lira plus loin.
D'ailleurs, le témoijjnage de Ledieu est formel: «... A Germigny, le
2^ d'octobre, il fit un mémoire de l'état en grénéral de ces religion-
naires, des pnroisses où il y en a un plus grand nombre, des secours
spirituels et des livres dont ils ont besoin, et y joignit le dessein
d'une ou deux missions dans les lieux principaux. Ce mémoire fut
envoyé à la Cour à la fin d'octobre, et tout l'effet qu'il eut en ce
temps, ce fut que trois ou quatre jeunes demoiselle.s mal instruites
dans la religion protestante furent enfermées aux Nouvelles catholi-
ques de Paris » (Ledieu, t. II, p. 5 et 6). Une lettre d'envoi devait
accompagner ce mémoire : nous ne l'avons pas retrouvée.
I. L'Intendant constatait en 1698 l'existence de ces deux mille
quatre cents nouveaux catholiques, vivant pour la plupart comme
avant leur conversion, presque tous vignerons ou artisans, formant
96 CORRESPONDANCE [oct. 1699
plus grands lieux, dont l'exemple fera plus d'eflet dans le
voisinage.
Ces lieux sont Meaux et, autour de Meaux, Nanteuil,
où était le prêche, Mareuil et Quincy; La Ferté-sous-Jouane,
où il y avait autrefois un prêche, et Saacy dans le voisinage ;
Lisy, où était aussi un prêche, et à Claye pareillement ; Saint-
Denis-de-Rebais avec Chalendos •' près de là, où il y avait
aussi un prêche.
Je pourvoirai à Meaux par moi-même et par le clergé de la
ville : on aura soin aussi de Mareuil et de Quincy, qui sont
plus proches, et dont les curés % capables d'ailleurs, ont aussi
des vicaires.
A Nanteuil-les-Meaux*, où était le temple et où il y a
encore"^ six cents personnes des réunis, outre les ecclésiasticjues
que je pourrai envoyer de la ville de temps en temps, on y a
besoin d'un vicaire chargé uniquement du soin journalier des
réunis, et d'un maître et d'une maîtresse d'école.
A La Ferté-sous-Jouarre, qui est un grand lieu, on aura
besoin d'un prêtre résidant : l'école y est bien remplie, tant
pour les garçons que pour les fdles. Le prêtre de La Ferté
sera chargé de Saacy, qui est à une lieue, où il faudra seule-
ment un maître d'école. Le Roi a eu la bonté ci-devant
d'accorder un prêtre à celte ville, Sa Majesté étant sur le lieu*
environ cinq cents familles, au lieu de quinze cents familles hugue-
notes qui vivaient dans le diocèse avant la Révocation ^Mémoires des
intendants, édit. de Boislisle, li^Si, in-4, p. 72 et i5i).
2. Sur le château de Chalendos, situé sur la paroisse de Saint-
Siméon, canton de La Ferté-Gaucher, voir aux Archives de Seine-
et-Marne, E 227 et 229, et Elisée Briet, Le Protestantisme en Brie,
Paris, i885, ia-8. Avant la Révocation, l'exercice du culte protes-
tant se faisait chez le seigneur.
3. Il a déj?! été parlé de Nicolas Chéron, curé de Quincy (tome IX,
p. i5o). Quant au curé de Mareuil, c'était Philippe Charpentier,
qui signe les registres paroissiaux du 27 septembre 1690 au 22 septem-
bre 1735.
4. Le temple de Nanteuil se trouvait dans le hameau de Chermont.
5. Ch. Read, Bossuet déooilé, p 34, imprime : où il y a eu.
6. Louis XIV s'arrêta à La Ferté-sous-Jouarre le 11 mai et le
5 juin 1687 (Journal de Dangeau, t. II, p. 42 et 47)-
ort. 1699] ^^ BOSSU Kï. 97
et en vovant la nécessité, dont la pension a été payée durant
cinq ou six ans sur les confiscations des fugitifs, et qui ne se
paie plus depuis six ans ; et il le faudrait rétablir.
Mon intention serait, dans un si grand lieu, de commencer
par une mission durant tout l'Avent, où trois ecclésiastiques
habiles trouveraient une grande moisson, et au secours des-
quels j'irais le plus souvent que je pourrais.
Pour Lisy, qui est un grand bourg, j'y ai pourvu en toute
manière, excepté à une maîtresse d'école, qui y serait très
nécessaire : moyennant cela, j'espère que les réunis de cette
paroisse donneront l'exemple à tout le diocèse.
Il faudrait un ecclésiastique pour Claye et pour les envi-
rons, outre le curé du lieu, un autre ecclésiastique pour
Saint-Denis-de-Rebais, avec un maître d'école.
C'est en tout, pour le diocèse de Meaux, quatre prêtres, trois
maîtres d'école et deux maîtresses.
On peut mettre les maîtres d'école à cent vingt livres, et les
maîtresses à cent francs. Le Roi a la bonté, pour les prêtres,
d'accorder quatre cents francs, et c'est le moins.
Outre cela, il y a déjà plus d'un an que j'ai fait travailler
le sieur abbé Chabert ' dans toutes les paroisses de ce diocèse
7. André Chabert, « commissaire pour les nouveaux convertis «
au diocèse de Meaux (Cf. notre tome VIII, p. 99 et loo). Depuis
1696, il recevait déià du clergf<^ une pension de /joo livres, dont il
jouit jusqu'en 172/I, date probable de sa mort. Après avoir habité aux
Galeries du Louvre, de 1696 à 1705, puis rue aux Febvres, paroisse
Saint-Martial, dans la Cité, il passa ses dernières années, non loin de
là, rue et paroisse Saint-Cliristopbe (Archives Nationales, G* 23/i).
Ledieu, qui, en 1701, le desservit auprès de M. de Bissy et le traita
de it coureur », écrivait en 1700 : M. de Meaux « envoya le sieur
abbé Chabert dans toutes les paroisses du diocèse où il y a des reli-
gionnaires, dès le commencement de 1699, prendre leurs noms el
facultés, en savoir le nombre, les faire aller aux instructions, et les
enfants à l'école... Au mois d'octobre suivant, à l'occasion d'une
nouvelle déclaration du Roi sur l'instruction et les mariages des
réunis, il leur envoya de nouveau le même abbé Chabert pour savoir
ceux qui s'étaient mariés contre les lois et faire réhabiliter leurs
mariages avec une formule de profession de foi qu'ils devaient faire
auparavant... Enfin l'abbé Chabert, prêchant l'Avent dernier à La
XII — 7
ç)8 CORRESPONDANCE [oct. 1699
où il y a des réunis, à les visiter tous en particulier, et les
mettre en mouvement : la continuation de son travail m'est
absolument nécessaire. Il y a quatorze ans qu'il sert à de
pareils emplois en Languedoc, dans le Bas-Poitou ^ et ailleurs.
Sa Majesté l'a honoré de plusieurs gratifications, et de huit
cents livres de pension par chacun an. Il mériterait qu'il plût
à Sa Majesté de lui fixer cette pension, et même de l'établir
sur un bénéfice, si elle l'avait agréable, afin qu'après avoir
consacré toute sa vie dans ce travail, il put avoir quelque
établissement dans ses vieux jours.
Il n'y a rien de plus nécessaire que des livres français pour
le bon succès de l'ouvrage : j'en ai composé exprès pour cela,
et j'ai répandu plus de deux mille exemplaires de mon caté-
chisme, de prières et d'autres pareils ouvrages. J'ai pris des
mesures pour en faire des impressions au moindre prix qui
se pourra, et, s'il plaisait à Sa Majesté de nous aider dans ce
dessein si nécessaire, une somme de mille écus nous mettrait
au large, afin que personne ne manquât d'instruction.
Il y aurait quelques demoiselles de condition à mettre aux
Nouvelles catholiques de Paris, comme Sa Majesté a eu la
bonté de me le faire espérer. On pourrait à présent com-
mencer par les demoiselles de Chalendos, demeurantes au
château de Chalendos près de Rebais, chez M. de Chalendos'',
Ferté-sous-Jouarre, instruisit particulièrement ceux de cette ville et
du voisinage « (Ledieu, t. II, p. 5, et t. III, p. 244)-
8. Cf. H. de La Fontenelle de Vaudoré, Histoire du monastère et des
évêques de Luçon, Fontenay-le-Gomte, i847, in-8, 2* partie, p. 617.
ç). Cf. Mémoires des Intendants, p. i53. Alexandre Luillier, sieur
de Chalendos, a été souvent confondu avec son cousin germain
Alexandre Luillier, sieur du Breuil, demeuré protestant. Il était fils
d'Alexandre Luillier, seigneur de Chalendos en partie, demeurant au
Pin, près de Lagny, qui avait épousé, le 21 septembre i65i, Marie de
La Planche, fille de feu Philippe de La Planche, sieur de Villiers,
gentilhomme de la chambre du Roi. Il fit son abjuration au mois de
décembre i685 entre les mains de Fr. Caillebot de La Salle, évéque
de Tournay et abbé de Rebais (Mercure, déc. i685, p. 260). Il étaitsi
peu Ji l'aise du côté de la fortune que, convoqué en 1689 avec le bap
et l'arrière-ban de Meaux, il déclara qu'il « s'offrait de servir, m R
qu'il n'avait ni équipages, ni chevaux, ni argent, ni moyen d'en
oct. 1699] DE BOSSUET. gg
leur frère, bien converti : de quatre sœurs, les deux cadettes
sont celles qu'il est le plus nécessaire de renfermer '°.
Il y a aussi les trois demoiselles de Neuville*', sans père et
sans mère, dont le frère est en Angleterre, au service du roi
avoir » {Revue nobiliaire, 1871). Néanmoins il entretenait d'excellents
rapports avec les d'Harville des Ursins, seigneurs de Doue. Il épousa,
le 26 juin 169^, à Saint-Jean, de Rebais, Henriette-Françoise TorF
(al. Storf), fille, croyons-nous, de Peu JonasTorf, sieur de Podendorf,
gentilhomme de la chambre du Roi, et d'Anne Le Clerc ; Louis-
Armand de Scudéry fut témoin de ce mariage, d'où naquirent plu-
sieurs enfants. Alexandre de Chalendos mourut le 7 août 1728, à
l'âge de quatre-vingt-trois ans (Etat civil de Doue, de Rebais et de
Saint-Siméon ; Ilaag, France protestante ; Elisée Briet, le Protes-
tantisme en Brie. Paris, i885, in-8). On a dit que les Luillier de Cha-
lendos étaient de la même famille que Jean L'Huillier, évêque de
Meaux de i483 à l5oo, et que les Luillier aux Coquilles; mais ce
point de généalogie ne semble pas suffisamment établi. Ce qui est
sûr, c'est que, par sa grand'mère, Esther Guichard de Péray, qui
avait épousé en i5gi Théodore Luillier de Chalendos, gentil-
homme de la Chambre, fils de Jf an Luillier, conseiller au Parlement,
et de Calherine Bochart de Champigny, et petit-fils du conseiller
Guillaume Luillier, notre Alexandre Luillier était cousin issu de
germain de Mlle de Péray, prosélyte de Bossuet, puis carmélite sous
le nom de Sœur Charlotte de Saint-Cyprien. D'un autre côté, il était
apparenté aux Bochart de Champigny, et son grand-père Théodore de
Chalendos avait été le cousin germain de Charles Bochart, dit le P.
Honoré de Paris, capucin mort en odeur de sainteté en 162^ (Bibl.
Nationale, Pièces originales et Dossiers bleus, aux mots L'Huillier,
Luii.LiKR et Guichard ; abbé F. Mazelin, Histoire du P. Honoré de
Paris, Paris, 1882, in-12, p. 6).
10. M. de Chalendos avait eu onze frères et sœurs. L'une de ces
sœurs, Henriette, fut mise aux Nouvelles catholiques de Paris, puis,
comme elle ne donnait aucun espoir de conversion, elle fut envoyée
au château de Saumur, où bientôt après elle perdit l'esprit. Elle passa
alors quelque temps chez un chirurgien nommé du Bignon ; après
quoi, elle fut mise chez les Hospitalières de Saumur, où le Roi paya
pour elle trois cents livres de pension (Archives Nationales, 0'46,
II janvier 1702; O1362, F 3^o ; 0'363, fo« 182 et aS/j).
11. Les renseignements font défaut sur la famille de Neuville. —
La duchesse de Hanovre, en 1712, s'intéressait à une Dlle de Neu-
ville, protestante réfugiée, qui aurait voulu rentrer en possession
de ses biens (Correspondance de Madame, trad. Jaeglé, 2* édit., 1890,
in-l8, t. II, p. 162).
lOO CORRESPONDANCE [oct. 1699
Guillaume. Elles n'ont rien, non plus que les demoiselles de
Clialendos; et il faudrait enfermer les deux cadettes : leur
demeure est à Cuisy, paroisse d'Ussy, près de La Ferté-sous-
Jouarre.
Sur la même paroisse d'Ussy, il y a les deux jeunes demoi-
selles de Maulien *-, qu'il faudra aussi renfermer avec le
temps, mais qui ne sont pas présentement sur les lieux.
1970. — A Jacques-Bémgne Winslow.
A Germigny, 3D octobre iGqq.
Je vous envoie, Monsieur, la lettre que vous dé-
12. Aujourd'hui, Moliens. Mme de Molien, Elisabeth de Riiquet,
fille de Charles de R.iquetde Molien et veuve de François de Raquet,
seigneur de Cuisy et de Molien, avait abjuré à Menux entre les mains
de l'évèque, avec son fils Alexandre, âgé d'environ dix ans (3i dé-
cembre i685). Peu de temps auparavant, elle avait perdu son mari,
qu'elle avait épousé en 1675 ; peut-être avait-elle eu les filles dont
parle ici Bossuet. Peut-être celles-ci étaient-elles deux des cinq filles
(Antoinette, Catherine, Elisabeth, Marie et Anne) de feu Samuel de
Raquet, et de feu Marquise d'Aubry, domiciliés au hameau de Cuisy,
qui avaient abjuré à Ussy le 24 décembre i685 (Etat civil d'Ussy).
Lettre 1910. — Inédite. Copie faite sur l'original, qui était en la
possession de M. Lullier, docteur de la Faculté de médecine de Paris
et arrière-petit-fils de Winslow ; communiquée par M. l'abbé Guéry,
aumônier du lycée d'Évreux. — Jacques Winslow, né le 2 avril 1669
à Odensee, dans l'île de Fionie, était fils d'un pasteur luthérien et
petit-fils d'une sœur du célèbre anatomiste Sténon, qui, s'étant Fait
catholique, avait été nommé vicaire apostolique pour les pays du Nord.
Il fut destiné au ministère pastoral, mais ayant renoncé à la théologie
pour étudier la médecine, il vint à Paris en 1698, fut converti par
Bossuet et abjura le luthéranisme ii Germigny, le 8 octobre 1699. Il
prit ensuite le doctorat dans la Faculté de médecine de Paris, puis fut
nommé membre de l'Académie des Sciences, interprète à la Biblio-
thèque du Roi et enfin professeur d'anatomie au Jardin royal. Il se
fit remarquer par son opposition à la résolution prise par la Faculté,
de repousser la bulle Uniqenitiis. Il mourut le /i avril 1760, âgé de
quatre-vingt-onze ans, et fut inhumé à Saint-Benoît. Après la ' évo-
lution, son inscription funéraire a été placée à Saint-Etienne-du Mont
oct. 1699] DE BOSSUET. lOI
sirez pour M. l'abbé Bignon', que vous lui rendrez
vous-même. J'annonce votre dessein de vous loger
chez M. Duvernet^ pour quatre mois. M. de Saint-
André' vous dira le surplus de mes intentions.
(Cf. E. Raunlé, ÉpUaphier da Vieux Paris, t. I, p. 355). On a de
lui nombre de mémoires insérés dans les recueils de l'Académie des
Sciences ; son principal ouvrasse est V Exposition anaiomiqiie de la
strncUirc da corps humain (Paris, 1732, in-4), demeurée longtemps
classique. La bibliothèque Mazarine (ms. 1 167) conserve un recueil
de copies revues par Winslow lui-même et contenant sur sa per-
sonne et sur sa vie de précieux renseignements. Il avait épousé,
vers 171/t, Jeanne-Françoise Gilles, de qui il eut, en 1715, un fils
qui mourut avant lui capitaine de vaisseau, sans postérité, et en
1716 une fille qui se maria, au mois de janvier 17^7, avec un
médecin, Le Clhat de La Sourdière. C'est de celle-ci que descendait
le docteur Lullier-Winslow, l'un des auteurs du Dictionnaire des
sciences médicales, Paris, 181 3 (Voir les Nouvelles ecclésiastiques,
années 1728, I73i, 1736, etc.; Eloge de Winslow prononcé à l'Aca-
démie des Sciences le 12 novembre 1760 par Grandjean de Fou-
chy ; Ch. Urbain, Un prosélyte de Bossuet, dans la Revue du Clergé
français, du i5 septembre 1902, et Anecdotes sur la vie de Bossuet,
dans la Revue d'histoire littéraire, janvier i9o3; Bulletin de la So-
ciété d'histoire de la médecine, t. V (1906), p. 358 et suiv. ; P. De-
launay. Le monde médical parisien au XVIII^ siècle, Paris, 1906,
in-8 ; Vilhem Maar, Autobiographie de ,}.-B. Winslow, Copenhague
et Paris, 191 2, in-8; Bibl. Nationale, Dossiers bleus).
1. Ayant appris que M. Duliamel voulait faire connaître à l'Aca-
démie des Sciences le petit-neveu de Sténon, « M. de Meaux, mon
père et mon patron, me procura la connaissance de M. l'abbé Bignon
par une lettre, qu'il me donna pour lui porter moi-même » (Winslow,
dans la Revue du Clergé, p. i3i). — L'abbé Bignon (cf. t. V, p. 809)
était président de l'Académie des Sciences.
2. Ayant formé ce projet, dit Winslow (^Revue du Clergé, p. 120),
j'en écrivis h M. de Meaux, « qui l'approuva par une réponse vraiment
paternelle écrite de sa propre main, que je garde encore précieuse-
ment », C'est cette réponse que nous donnons ici. — Guichard Joseph
du Verney (i 648- 1730), membre de l'Académie des Sciences et profes-
seur d'anatomie au Jardin du Roi. Il fut l'un des médecins de Bossuet,
qui l'avait connu dès le temps de l'éducation du Dauphin (Voir les
Éloges de Fontenelle, édit. Fr. Bouillier, Paris, s. d., in-i8, p. 2^8).
3. L'abbé de Saint-André avait été le parrain de confirmation de
Winslow et l'avait préparé à faire sa confession générale.
I02 CORRESPONDANCE [oct. 1699
Je reçois tous les témoignages de votre amitié
comme un bon père' celle de son enfant, et suis à
vous de tout mon cœur, priant Dieu d'augmenter
ses dons en vous,
J. Bénigne, é. de Meaux.
1971. — Le Comte de Pontchartrain a Bossuet.
28 octobre 1699.
J'ai lu au Roi le mémoire que vous avez pris la peine de
m'envoyer*. S. M. prendra sa résolution sur tout ce qui
regarde les missionnaires et les maîtres et maîtresses d'école
dont vous parlez.
A l'égard des Dlles de Clialendos, de Neuville et de Molien "^,
j'envoie dès aujourd'hui à M. Phelypeaux ^ des ordres pour
[\. Bossuet suivit avec sollicitude son prosélyte dans la vie. En
témoignage d'affection, illui avait donné, à la confirmation, sou nom
de Bénigne, comme en fait foi le certificat qu'il lui délivra :
« M. Wiaslovv ayant déjà.Ie nom de Jacques, qui est l'un des miens,
je lui ai donné en le confirmant celui de Bénigne que je porte aussi ;
et je lui en ai donné ce témoignage, ce jour de Saint-Saintin,
XI octobre 1699, ^- Bénigne, é. de Meaux. »
Lettre 1911. — Archives Nationales, 0'/i3, f° 35/», copie.
Publiée par Cli. Read dans Bossuet dévoilé, p. 34-
I. Celui qu'on vient de lire, p g5 et suiv.
:>.. La copie : A l'égard de la Dlle de Chalendos de Neuville et de
la Dlle Molien. Leçon fautive, comme il paraît, soit par le texte du
mémoire de Bossuet, soit par celui de la lettre à Plielipeaux que nous
allons transcrire.
3. Jean Phelypeaux, intendant de Paris (l. \I, p. 73). Voici le
texte de la lettre que lui adressa Pontchartrain : « Ayant reçu de
M. l'évèque de Meaux un mémoire par lequel il me marque qu'il
serait nécessaire de mettre dans la maison des Nouvelles catholiques
de Paris les demoiselles de Chalendos et de Neuville, j'en ai rendu
compte au Roi, qui m'a ordonné de vous écrire d'envoyer prendre
une des Dlles de Chalendos, qui s'appelle Henriette et qui demeure
au château de Chalendos près de Rebais, et les deux cadette ides
iiov. 1699] DE BOSSUET. io3
faire mettre dans la maison des Nouvelles catholiques de
Paris celles que vous proposez.
1972. — Le Comte de Pontchartrain a Bossuet.
9" novembre 1699.
J'ai reçu la lettre que vous m'avez écrite concernant le
nommé de Vrillac', de La Ferté-sous-Jouarre, qui s'est
absenté et qui a laissé un bien assez considérable, que vous
voudriez appliquer aux dépenses à faire pour l'instruction des
nouveaux catholiques. Mais, comme la confiscation ne peut
avoir lieu que quand il sera condamné, il faut attendre
qu'il ait été rendu un jugement'- contre lui; après quoi, je
Dlles de Neuville, qui demeurent à Guissy, paroisse d'Ussy, près La
Ferté-sous-Jouarre. lesquelles vous ferez conduire, s'il vous plaît, aux
?Souvelles catholiques. Il y a aussi sur la même paroisse d'Ussy deux
jeunes demoiselles nommées de Molien, que M. de Meaux croit néces-
saire de renfermer ; mais, comme elles ne sont pas présentement
sur les lieux, il ne faudra les envoyer aux Nouvelles catholiques que
de concert avec M. de Meaux et dans le temps qu'il dira » (0'i43,
f° 354 v", 28 octobre 1699). Les deux demoiselles de Neuville
furent transférées des Nouvelles catholiques au château de Saumur
à la fin de janvier 1701, en même temps que Mlle Henriette de
Chalendos (0'/i5, f»^ l5 et 34).
Lettre 1912. — Archives Nationales 0'43, f" 36o. Publiée par
M. Gh. Read, Bossuet dévoilé, p. 36.
1. On verra plus loin qu'on veut parler de Jacques de Vrillac, sieur
de Biard, marchand à La Ferté-sous-Jouarre. Il était frère de Pierre
de Vrillac, avec qui Bossuet échangea plusieurs lettres (Gf. t. III,
p. i48, 181, 2o4j 335 et 279). I! s'était converti, et avait pu ainsi
être mis en possession des biens de ses parents fugitifs ; puis il s'était
retiré à létranger (vers le mois d'octobre 1699). Après avoir perdu
sa première femme, Gatlierine de Besset, en juillet 1676, il avait
épousé en secondes noces Madeleine Le Glerc, veuve de Louis Lon-
gelet (Registres de la communauté protestante, à La Ferté).
2. Ge jugement fut rendu conformément aux désirs de Bossuet.
Gependant le prélat n'obtint pas toute la fortune du fugitif. En effet,
Io4 CORRESPONDANCE [nov. 1699
le proposerai au Roi suivant vos intentions ^ Je suis, etc.
une somme de dix mille livres en fut dlstr;iite au profil du marquis de
Louville, à la suite d'une requête adressée par celui-ci au Conseil, et
dont voici le résumé. « Le sieur de Louville, gentilhomme de la
manche de Mgr le duc d'Anjou, expose que le sieur de Lliumière,
son oncle maternel, doit par un contrat de constitution une somme
de dix mille livres en principal, tant à Jacques de Vrillac, sieur de
Biard, qu'à Charlotte de Vrillac, sa sœur. Cette Charlotte de Vrillac
est temme du sieur Le Sueur, ci-t!evant ministre de La Ferté-sous-
Jou.irre, qui s'est retiré depuis longtemps en Hollande avec toute sa
famille, et il n'est resté en France que Jacques de Vrillac de Biard,
frère de cette Charlotte, qui a joui de ses biens en vertu de la décla-
ration du Roi, ayant fait abjuration. Ce nouveau converti, s'élant
repenti de s'être fait catholique, a tout abandonné, a passé depuis
deux mois dans les pays étrangers et a laissé auprès de La Ferté-sous-
Jouarre et ailleurs pour plus de vingt-cinq mille livres d'effets, sans
compter les dix mille qui lui sont dues par moitié avec sa sœur.
Comme il méditait sa retraite depuis longtemps, il a offert plusieurs
fois au dit sieur de Lhumière de le quitter pour peu de chose des
dix mille livres qu'il lui devait ; ce qu'il a re été pour ne pas contri-
buer à son évasion et encore moins contrevenir aux ordres de S. M.
Le fugitif et sa sœur, femme du ministre, n'ont laissé aucun héritier
en France, tous étant sortis pour fait de religion. Le sieur de Lou-
ville représente encore que son oncle est lui-même le dénonciateur
de sa propre dette, dont personne que lui n'a connaissance, et il lui
aurait été aisé par ce moyen, en gardant le silence, d'en profiter.
Mais, comme il a cru par délicatesse que sa conscience y serait en-
gagée, il a recours à S. M., à qui tout ce bien appartient par sa
confiscation, pour lui demander en faveur de son neveu la remise
de ladite somme de dix mille livres seulement. Et au cas que la piété
de S. M. la porte à vouloir employer de ces sortes de biens en œu-
vres pies, elle en trouvera encore dans ceux dont est question pour
plus de vingt-cinq mille livres » (Séance du conseil d'Etat, 2 janvier
1700, aux Archives Nationales, TT 435. En marge : Bon pour les dix
mille livres et les arrérages). — Charles Auguste d'Allonville, mar-
quis de Louville, frère du mathématicien, était, par sa mère Marie
Charlotte de Vaultier, neveu de Philippe de Vaullier, sieur de Lhu-
mière, terre voisine de Guérard (Voir t. V, p. 280, et t. VI, p. 379).
3. Read : selon vos instructions.
[699J DE BOSSUET. io5
1978. — Le Comte de Po^tchartraix a Bossuet.
Il novembre 1699.
Vous avez sans doute connaissance de la lettre qu'un théo-
logien vous écrit, qui tend à éluder la condamnation du
livre de M. de Cambrai par la distinction du fait et du droit '.
Cette lettre se débite à Paris, et j'en ai reçu un exemplaire
par la voie de M. d'Argenson. J'en ai parlé au Roi, qui m'a
ordonné de savoir de vous ce que vous croyez qu'on doive
faire pour la défense de cette lettre par rapport aux consé-
quences que peut avoir une sévère défense ou une trop grande
dissimulation. Cette lettre parle d'un Traité historique con-
tenant le jugement d'un protestant sur la théologie mystique -, le
quiélisme et les démêlés d'entre vous et M. de Cambrai,
imprimé en Hollande depuis quelque temps. Je vous prie
aussi de me faire savoir votre sentiment sur ce livre, et si
vous jugez qu'on doive faire quelques diligences pour en dé-
fendre le débit ^.
Je suis, etc.
197 A. — A M""' Cornu AU.
A Paris, 26 novembre 1699.
J'écris à Mme de Luynes, pour la prier, ma Fille,
de ne point venir à Paris sans vous. Je m'offre à
Lettre 1913. — Bibliothèque Nationale, Clérarabault 689, f» i43o.
Publiée dans la Correspondance admlnistratire sous le règne de Louis XIV,
par Guil. Depping-, Paris, i855, in-4, t. I\ , p. 197.
I. Voir plus haut, p. 82.
3. C'est le traité de Jurieu, dont il a été question, p. 80.
3. Le même jour, Pontchartrain demanda aussi l'avis de l'arche-
vêque de Paris (Archives Nationales, 0^3, ï° 363).
Lettre 1974. — Cent cinquante-cinquième dans Lâchât comme
dans Ledieu ; cent cinquante-quatrième dans Na et Ma ; cent cin-
Io6 CORRESPONDANCE [nov. 1699
demander votre obédience à Mgr l'archevêque',
même à faire pour vous tout ce qui se pourra pour
voire repos. Vous pouvez prendre les mesures dont
vous me parlez. Ne suivez pas votre inclination,
mais les ouvertures que vous trouverez ; et vous les
devez regarder comme un témoignage de la volonté
de Dieu et un effet de sa bonté.
Je pars demain ^ s'il plaît à Dieu; je ferai par
lettres, le mieux que je pourrai, ce que le temps ne
me permet pas de faire de vive voix.
Vous avez pour père, en ce qui regarde votre vo-
cation, Mgr l'archevêque : remettez-vous en ses bon-
tés plus que paternelles, et ne m'épargnez pas dans
le besoin.
Saluez de ma part Mme de Luynes, et croyez-moi
tout à vous, et toujours résolu à ne vous abandonner
point.
Je prie Notre-Seigneur, ma Fille, qu'il soit avec
vous.
J. Bénigne, é. de Meaux.
Vous" pouvez vous confesser à la personne dont
a) Les lignes suivantes, mises dans le corps de la lettre par les éditeurs,
sont un post-scriptum, comme l'indiquent le ms. Ma et la copie de Ledieu,
où cette lettre est transcrite intégralement.
quante-lroisième dans Ne et dans un manuscrit de l'abbaye de Gomer-
fontaine venu récemment à notre connaissance; cent cinquantième
dans Nd. La date est donnée par Mme Cornuau ; Ledieu s'est borné
à noter l'année.
1. L'archevêque de Paris, dans le diocèse duquel était situé Torcy ;
les religieuses devaient donc avoir son agrément pour sortir de leur
couvent.
2. Bossuet, dont la présence à Meaux est constatée le 2/i novembre,
se trouvait à Paris le 26 ; il était à Versailles le 39. En disant qu'il
part demain. Bo>suet veut peut-être parler de son voyage à Versailles,
qui est en effet de cette époque et dura jusqu'au 9 décembre. t
nov. 1699J DE BOSSUET. 107
VOUS me parlez: ne vous embarrassez pas de certai-
nes matières qui vous peinent.
1975. — A MM. DU Pkésidial de Meaux.
A Versailles, 26 novembre 1699.
Messieurs, je ne puis m'empêcher d'envisager
toujours avec crainte les fâcheuses suites de l'aflaire
qui partage aujourd'hui toute notre ville. Quel qu'en
puisse être l'événement, il sera toujours funeste à la
charité que je désirerais y pouvoir conserver au
prix de mon sang. Je vous supplie donc, Messieurs,
par les entrailles de la miséricorde de Jésus-Christ,
de me donner vos justes ressentiments contre les
auteurs, quels qu'ils soient, de cet ouvrage de té-
nèbres. J'écris, en même temps, à M. le Président
MacéS que je ne croirai jamais capable d'une entre-
Lettre 1975. — L. s. Copie faite par A. Floquet sur l'original
appartenant à M. de Longpérier, de Meaux. Inédite. — Le3i mai 1699
avait été répandue à Meaux une chanson injurieuse au Présidial et à
chacun de ses membres. On accusa M. Macé, président en l'élection,
d'en être l'auteur. Il s'en défendit. De part et d'autre le feu s'alluma
et on craignit un grand procès. Bossuet, pour préparer les esprits
h la paix, écrivit aux membres du Présidial cette lettre, qu'il envoyait
à Nicolas Payen, chef du Présidial, avec qui il était en relation
d'amitié. De retour à Meaux, il sollicita si bien les parties qu'elles
firent leur soumission entre ses mains et signèrent la paix le 3i dé-
cembre 1699. Toutefois l'affaire ne fut complètement terminée que
le 10 mai 1700 (Ledieu, t. II, p. 4, 5, 3a et 33).
I. Macé le fils, dit Ledieu (t. II, p. 4 et 33). C'était Antoine
Macé, qui avait depuis peu succédé, comme président en l'élection de
Meaux, à son père, encore vivant et aussi nommé Antoine. Celui-ci
Io8 CORRESPONDANCE [nov. 1699
prise comme celle-ci. La déférence que vous aurez
pour votre pasteur, qui vous honore, qui vous con-
sidère, qui vous aime autant que je fais, ne peut être
qu'avantageuse à un corps aussi sage, aussi modéré,
aussi digne de considération que le vôtre. Faites-
moi donc cet honneur, que je compterai pour beau-
coup, de laisser là une poursuite qui ne peut jamais
produire que du mal en causant des inimitiés et des
vengeances où je ne vois point de fin. Que si vous
ne croyez pas pouvoir m'accorder un renoncement
entier, j'espère, du moins, que vous ne me refuserez
pas un délai jusqu'à ce que je sois sur les lieux, ce
qui sera bientôt, s'il plaît à Dieu. Je me sentirai
éternellement votre obligé pour cette complaisance,
et je la reconnaîtrai par tous les services dont je
serai jamais capable envers votre compagnie et en-
vers tous les particuliers qui la composent, étant
d'ailleurs avec une estime particulière, Messieurs ,
votre très humble serviteur.
J. Bénigne, é. de Meaux.
était fils de Romaine Monguillon, qui figure dans notre tome II,
p. 371, comme fondatrice desI^Ues charitables de La Ferlé-Gaucher,
et il y a lieu de corriger ce que nous avons dit alors des Macé établis
à Meaux. Quant à Macé le fils, il épousa Catherine Navarre, cousine
du chanoine de ce nom (Ledieu, t. IV, p. 6 i). Il mourut sans doute
en 1700, car, aux mois d'août et de septembre de cette année, son
office fut vendu par sa veuve, tutrice de quatre enfants mineurs, à
l'avocat Denis Muly (Registres paroissiaux de La Ferté-Gaucher et
de Saint-Remy de Meaux; Bibliothèque Nationale, Pièces originales).
/i
nov. 1699] DE BOSSUET. 109
1976. — A Nicolas Payen,
Vous aurez sans doute bien agréable que je vous
prie de vouloir rendre à MM. du Présidial, dont vous
êtes le digne chef, la lettre que je vous envoie. Je
vous l'adresse toute ouverte, afin que vous en voyiez
le contenu et que vous appuyiez de votre crédit le
dessein que la seule charité pastorale et paternelle
m'a inspiré. J'espère, Monsieur, y réussir, si vous
y joignez voire suffrage, que votre mérite, autant que
votre charité, rend si considérable en cette occasion.
Ce succès vous fera honneur, je l'oserai dire, et me
fera un plaisir extrême. J'attends cet effet de 1 ami-
tié qui est entre nous, et je serai toujours avec la
confiance et l'estime que vous savez. Monsieur,
votre très humble serviteur.
J. Bénigne, é. de Meaux,
A Versailles, 26 novembre 1699.
Au bas: M. le Lieutenant général.
1977. A M"" DE Bëringhen.
A Versailles, 29 novembre 1699.
Je suis très aise, Madame, que M. de La Roque\
Lettre 1916. — L. a. s. Collection du baron H. de Rothschild.
Inédite. — Bossuet a daté sa lettre en tète et à la fin.
Lettre 1911. — L. a. s. Archives de Saint-Sulpice. Publiée pour
la première fois dans l'édition de Versailles, t. XLIII, Supp., p. 5i.
I. François de La Rocque, originaire du diocèse de Glermont,
maître es arts du 28 août iG^Q, avait obtenu le vingt et unième rang
iio CORRESPONDANCE [déc. 1699
notre ancien théologal, prêche TAventet le Carême
chez vous. Il est approuvé pour cela et pour les con-
fessions mêmes des religieuses. C'est un homme de
piété et de doctrine.
Je ne puis, Madame, vous remercier assez de
toutes vos bontés, ni vous témoigner assez com-
bien^ je vous suis acquis, et à la sainte maison.
J. Bénigne, é. de Meaux.
1978. — A M""" DE Beringhen.
A Versailles, 4 décembre 1699.
Je serais fâché, Madame, que vous sussiez d'autre
que de moi la disposition que je fais de la personne
à la licence de i654, et pris le bonnet le 3o juin de la même année. Il
fut théologal sous M. de Ligny, el vicaire capitulaire sede vacante. A
la fin de novembre 1681, après la nomination de Bossuet à Meaux,
il quitta cette ville, et vint se fixer h Paris. Il fut professeur au
collège de Navarre, et, de juillet 1701 au 1" août 1708, puis du
mois d'août 1707 jusqu'à sa mort, en 1718, doyen de la Faculté de
théologie. 11 souscrivit le fameux Cas de conscience ; mais, sur les
instances de Bossuet, il retira sa signalure.il prêchait avec succès. Il
ne faut pas le confondre avec l'abbé de La Roque, officiai de Rouen,
directeur du Journal des savanis et correspondant de R. Simon
(Bibliothèque Nationale, fr. i/i^gO, et lat. giô/», f io5 ; Pierre Jan-
vier, Les fastes et annales des évêques de Meaux, t. I, f 65 ; Ledieu,
t. II, p. 877; Histoire du Cas de conscience , Nancy, 1705, 8 vol. in-12,
t. I, p. 126 et 254 ; le Mercure, juin 1708, p. 89 à 91 ; juillet 1712,
p. 287 et suiv. ; article de M. Gh. Urbain dans la Revue d'histoire
littéraire, janvier 1908, p. 106).
2. Edit. : témoigner combien.
Lettre 1918. — L. a. s. Archives de Saint-Sulpice. Publiée dans
l'édition de Versailles, t. XLIII, Supp., p. 5i Suscription de la main
de Ledieu.
déc. 1699] DE BOSSUET m
de votre curé* pour la curedeTancrou\ Nous aurons
le loisir de penser à son successeur. Je suis, Madame,
comme vous savez, plein d'estime et de confiance pour
vous.
Je ne crois pas pouvoir confier cette paroisse à
un plus capable d'y mettre l'instruction en vigueur.
J. Bénigne, é. de Meaux.
Sascription : A Madame l'Abbesse de Faremou-
tiers à Faremoutiers.
1979. — Leibniz a Bossuet.
Monseigneur,
Lorsque j'arrivai ici, il y a quelques jours. Monseigneur le
duc Antoine Ulrich me demanda de vos nouvelles ; et quand
je répondis que je n'avais point eu l'honneur d'en recevoir
depuis longtemps, il me dit qu'il me voulait fournir de la
matière pour vous faire souvenir de nous : c'est qu'un abbé
de votre religion, qui est de considération et de mérite, lui
avait envoyé le livre que voici ' , qu'il avait donné au public
1. Philbert Lasne de Villeneuve, d'abord curé de Condé-Sainte-
Libialre de 1690 à 1692, puis de Faremoutiers à partir de 169.3. Il dut
prendre possession de la cure de Tancrou au mois de janvier 1700. 11
fut, le i5 novembre 1700, pourvu du doyenné de Gandelu. Il donna
sa démission en 1722, et mourut à Tancrou le ig mai 1728, âgé de
soixante-dix-buit ans. Il avait appelé de la bulle Unigenilus en 1719
(Registres paroissiaux de Faremoutiers et de Tancrou ; Nivelle, la
Constitution Unicjenitus déférée, etc., t. III, p. 282).
2. Tancrou fait aujourd'hui partie du canton de Lizy-sur-Ourcq.
Lettre i919. — L. s. Une copie de Ledieu, dans la collection de
M. H. de Rothschild. Publiée d'abord dans les Œuvres posthumes
de Bossuet, t. I, p. 445.
I. Secretio eorum quœ de fïde catholica ah lis quae non sunt de Jïde,
in controversiis plerisque hoc sœculo motis. juxta regulam fidei ab Exe.
D. Franc. Veronio, sacrœ Theologix doctore. antehac compilatam, ab
112 CORRESPONDANCE [déc. 1699
sur ce qui est de foi, que S. A. S. m'ordonna de vous com-
muniquer pour le soumettre à votre jugement, et pour tâcher
d'apprendre. Monseigneur, selon votre commodité, s'il a
votre approbation, de laquelle ce prince ferait presque autant
de cas que si elle venait de Rome même ; m'ayant ordonné
de vous faire ses compliments, et de vous marquer combien
il honore votre mérite éminent.
Le dessein de distinguer ce qui est de foi de ce qui ne l'est
point paraît assez conforme à vos vues et à ce que vous
appelez la méthode de l'exposition ; et il n'y a rien de si utile,
pour nous décharger d'une bonne partie des controverses,
que de faire connaître que ce qu'on dit de part et d'aulre
n'est point de foi. Cependant S. A. S., ayant jeté les yeux
sur ce livre, y a trouvé bien des difficultés : car, première-
ment, il lui semble qu'on n'a pas assez marqué les conditions
de ce qui est de foi, ni les principes par lesquels on le peut
connaître; de plus, il semble, en second lieu, qu'il y a des
degrés entre les articles de foi, les uns étant plus importants
que les autres.
Si j'ose expliquer plus amplement ce que S. A. S. m'avait
marqué en peu de mots, je dirai que, pour ce qui est des con-
ditions et principes, tout article de foi doit être sans doute
une vérité que Dieu a révélée ; mais la question est, si Dieu
en a seulement révélé autrefois, ou s'il en révèle encore, et si
les révélations d'autrefois sont toutes dans l'Écriture sainte,
ou sont venues du moins d'une tradition apostolique, ce que
ne nient point plusieurs des plus accommodants entre les
protestants.
Mais, comme bien des choses passent aujourd'hui pour être
de foi, qui ne sont point assez révélées par l'Écriture et où
la tradition apostolique ne parait pas non plus, comme, par
omnibus Sorbon. Doclor. in plena congregatione Facultatis Theologix
approbatam. necnon anno i645 in gen. convenlu ab universo Clero GalU-
cano receptnm ac per Illustres et Doctissimos D. D. de Walenburch
cpiscopos laudatam. ex ipso Concilio Tridentino et prœfala régula com-ï
pendioseexcerpta. anno Christi iGgtj, un vol. in-i6, sans nom d'auteu.,
ni de ville, ni d'imprimeur.
déc. i699l DE BOSSUET. Il3
exemple, la canonicité des livres que les protestants tiennent
pour apocryphes-, laquelle passe aujourd'hui pour être de foi
dans voire communion, contre ce qui était cru par des per-
sonnes d'autorité dans l'ancienne Église, comment le peut-on
savoir, si l'on n'admet des révélations nouvelles, en disant
que Dieu assiste tellement son Église qu'elle choisit toujours
le bon parti, soit par une réception tacite ou droit non écrit,
soit par une définition ou loi expresse d'un concile œcuméni-
que? Où il est encore question de bien déterminer les condi-
tions d'un tel concile, et s'il est nécessaire que le Pape prenne
part aux décisions, pour ne rien dire du Pape à part, ni encore
de quelque particulier qui pourrait vérifier ses révélations par
des miracles. Mais, si l'on accorde à l'Église le droit d'établir
de nouveaux articles de Coi, on abandonnera la perpétuité,
qui avait passé pour la marque de la foi catholique. J'avais
remarqué autrefois que vos propres auteurs ne s'y accordent
point et n'ont point les mêmes fondements sur l'analyse de
la foi, et que le P. Grégoire de Valentia^, jésuite, dans un
2. Les protestants donnaient le nom d'apocryphes aux livres de
l'Écriture Sainte que les catholiques appellent deutérocanoniques.
Pour l'Ancien Testament, ce sont les livres ou parties de livres qui ne
se lisent que dans les Septante ; les livres contenus dans la Bible
hébraïque sont désignés sous le nom de protocanoniques. Pour le Nou-
veau Testament, on appelle deutérocanoniques les livres ou fragments
sur lesquels il régna dans certaines Eglises quelque incertitude au
sujet de leur réception dans le canon des livres inspirés. La discus-
sion sur les livres deutérocanoniques reviendra dans les lettres de
Leibniz des années suivantes.
3. Ce jésuite, né en mars i55i, à Médina del Campo, dans la
Vieille-Gastille, mort à Naples le 25 avril i6o3, enseigna longtemps
la théologie à Dillingen, à Ingolstadt et au Collège romain. Il prit
une pHrt très active à la controverse avec les protestants, comme aux
discussions que fit naître la congrégation de Auxiliis (Voir Somraer-
vogel, Bibliothèque, t. VIII ; le P. Ignace Agricola, Historia Provinciœ
Societaiis Jesu Germanise superiom. Augsbourg et Munich, 1627-1639,
in-fol., t. II, p. 2^0 ; Xav. Santagata, hioria délia Compagnia di Gesii
appartenente al regno di Napoli, Naples, 1756, in-4, t. III, p. 112
à 119 ; les différentes histoires de la congrégation de Auxiius). L'ou-
vrage auquel fait allusion Leibniz est intitulé-: Analysis fidei calholicœ.
hoc est ratio methodica eam in universumjidem ex certis principiis probandi
XII — 8
ll/i CORRESPONDANCE [déc. 1699
livre l'ait là-dessus, la réduit aux décisions du Pape, avec ou
sans le concile ; au lieu qu'un docteur de Sorbonne, nommé
Holden *, voulait (aussi dans un livre exprès) que tout
(juam sancta Romana Ecclesia adversus miiUiplices sectariorum errores
projiletur, Ingolsladt, i585, in-4. CF. Phil. L. Hanneken, Paralysis
fidei fapœx juxta Analjsinjidei catholicse Gregoriide ] alenlia, Giessen,
l683, in-4.
l^. Henri Holden, né en lÔgG, était fils de Richard Holden, petit
propriétaire de Cliaigley, près de Longridge (Lancashire). En 1618,
il passa à Douai sous le nom de Johnson ; il vint, en 1628, étudier à
Pans, se fit naturaliser et prit le bonnet de docteur en i636. Il
s'adonna ensuite au ministère dans la paroisse de Saint-iNicolas-du-
Chardonnet. Alteutit aux querelles qui, de son temps, divisaient les
catholiques anglais, il prit parti pour Thomas Blackloe, plus connu
sous le nom de Ihomas Anglus, adversaire des jésuites. Dans l'attaire
d'Arnauld en ïjorboiine, il estima que ce docteur devait être absous ;
néanmoins il souscrivit la censure une fois votée. Holden mourut au
mois de mars I0U2. Son principal ouvrage est : Diuinœ Jidei analjsis,
seu de Jidei chrisLianœ resolutione (Paris, i652, iu-12 ; édition aug-
mentée de dillérents opuscules et d'une Vie de l'auteur, par Godes-
card, Fans, 1767, in-12). Là, Holden s'attache à distinguer dans la
théologie ce qui est proprement de foi et ce qui est librement con-
troversé entre catholiques. Cet auteur a donné en outre : Lettre d'un
docteur en théotoyie à une personne de condition touchant les questions du
temps, Paris, lOoi, in-12 ; A letter to a friend of his upon the occasion
0/ Mr. blackLuw, submiltiny his writings to the See of Rome, Paris,
1(557, in-4 ; Epistola 5 februarii anno i656 ad Antonium Arnaldum de
censura in ipsum Lata, el Epistola 22aprili.s i656 de censura in D. Arnal-
dum lala, s. l., lOÔb, in-4; Novum Teslamentum brevibus annotationibus
iUustratum, Pans, lObo, 2 vol. in-12; A Checii, or enquiry into the
laie acl uf the roman Inquisition, Paris, 1662, in-4 (Voir Dodd, The
Church history oj Euyland, Bruxelles, 17^9, 2 vol. in-fol. ; Jos. Gillow,
Dictiunary of the tnydsh catholics, t. 111, p. 332 ; National biography,
I. WVli; Ch. butier, Historical memoirs respecting the Eaglish, Irish
and Scottish catholics, Londres, 1819, 2 vol. in-8; Robert Pugh,
Blackloe's Cabal discouered, 2«' édit., s. I., i(38o, in-4; The memoirs
of Gregorio Panzuni, gioing an account oJ his agency in England in
the years iG3/i.-iGd6, édit. Jos. Berington, Biruiingham, 1798, in-8 ;
Anl. Arnauld, UEuores, t. XIX et XX ; EUies du Pin, Bibliothèque.
xvii'^ siècle, t. il, p. 151-177; les Mémoires de Rapin, t. H, p. 32i,
et de G. Hermant, t. 1, p. 671, et t. V, p. 420 ; d'Argentré, Varix
disputationes, à la suite des Opéra theologica de M. Grandin, Paris,
1713, in-4, 2* part., p. 221-225 ; La France catholique, i835,t. JV ;
déc i6y.j] DE BOSSUET. Il5
devait avoir déjà été révélé aux apôtres, et puis propagé jus-
qu'à nous par l'entremise de l'Église : ce qui paraîtra le
meilleur aux protestants. Mais alors il sera difficile de justifier
l'antiquité de bien des sentiments qu'on veut faire passer pour
être de foi dans l'Église romaine d'aujourd'hui.
Et quant aux degrés de ce qui est de foi, on disputa, dans
le colloque de Ratisbonne de ce siècle ', entre Hunnius, pro-
article de Hundhausea dans le Kirchen-Lexikon ; Scheeben, Dog-
mcitik, Paris, 1877, tiad. française, t. I, p. 178 et suiv. ; le P. Kleut-
gen, die Théologie der Vorzeit vertheidigt, Munster, i853-i86o, 3 vol.
in-8 ; Hurter, Nomenclator. I. III, col. lOii ; l'abbé Féret, La faculté
de théologie de Paris, Paris, iQoi, in-8, t. III, p. 220.
5. La conférence de Ratisbonne se tint du 28 novembre nu 7 décem-
bre 1601, devant Maximilien, comte palatin du Rhin, duc de Bavière,
et son cousin Philippe-Louis, aussi palatin du Rhin, comte de Vel-
dentz et Sponheim. La doctrine luthérienne y était représentée par
Gilles Hunnius, Jacques Heilbronner, etc. ; et les catholiques avaient
pour champions Albert Hunger, pro-chancelier de l'Université
d'Ingolstadt, les P. P. Gretser et Tanner, de la Compajjnie de
Jésus, etc. Cette conférence n'aboutit à aucun résultat et provoqua
des deux côtés plusieurs écrits : Acta coUoquii Ratisbonensis de norma
doctrinœ catholicœ et controversiarum religionis judice. aathoritate, con-
sensu, et in prœseniia Serenissimi Principis acD. D. Maximiliani, eomitis
palatini Rheni, utriusque Bavariœ ducis, et Illustrissimi quoque Principis
ac D. D. Philippi Ludovici. eomitis palatini Rheni. ducis Bavariœ,
habiti anno 1601 , édita ejasdeni Serenissimi ducis Maximiliani voluntate
oplima fide juxta authenticum exemplar. Munich, 1602, in-4 ; Hunnius,
Relalio historica de colloquio Ratisbonensi, Erfurt, 1602, In-^ ; Tanner,
Examen narrationis quam Hisloricas relationis nomine insignitarn de collo-
quio Ratisbonensi edidil Mgidius Hunnius prœdicans Wittebergensis ad
normam historicse veritatis institutum. Munich, 1603, in-/( ; jEgidii
Hunnii et Heilbrunneri Anti-Tannerus, hoc estscriplum apologeticum con-
tra mendacij Adarni Tanneri, Francfort, i6o3, in-8; J. Gretser, Rc-
sponsum ad thèses Hunnianas de colloquio cum Poniificiis ineundo, et
Digressiones sex contra ejusdem Hunnii calumnias, Ingolstadt, 1602,
iii-^ ; Basilii de Varna (anagramme d'Andreae Libavii) Analysis dia-
lectica colloquii Ratisponensis anni iGoi, de norma et judice omnium con-
troversiarum Jidei christianx habiti, cum collatione Relationis Adami
Tanneri et Responsi Jacobi Grelseri ad thèses Mgidii Hunnii, Francfort,
1602, in-4 ; Apologeiicus Adami Tanneri S. J. adversus calumnias.
mendacia cxteraque errata quibus /Egidius Hunnius prœdicans Witteber-
gensis suum Examen prœfationis Colloquio Ratisbonensi Monachi recuso
Il6 CORRESPONDANCE [déc. 1699
testant, et le P. Tanner, jésuite'', si les vérités de peu d'im-
portance qui sont dans l'Écriture sainte, comme, par exemple,
celle du chien de Tobie (suivant votre canon), sont des
articles de foi, comme le P. ïanner l'assura^. Ce qui étant
posé, il faut reconnaître qu'il y a une infinité d'articles de
foi qu'on peut non seulement ignorer, mais même nier
impunément, pourvu qu'on croie qu'ils n'ont point été
révélés : comme si quelqu'un croyait que ce passage : Très
sunl qui leslimonium perhibent^, etc., n'est point authentique.
prœjîxse exornare volait, Munich, iGo3, iii-4 (Cf. Matthieu, Histoire
de France et des choses mémorables advenues aux provinces étrangères
durant sept années de paix, Paris, i6o5, in-4, 1. IV, ad. an. lOoi ;
Adr. Baillet, les Satires personnelles qui portent le titre d'Anti, art.
XXI et I.X (dans le tome VU dos Jugements des savants, Paris,
T723, in-Zi).
6. Gilles Hunnius, célèbre théologien luthérien, né le 20 décembre
l55o, à Winnenden, en Wurtemberg, mort le 4 avril i6o3, à
Wittemberg. Il étudia à Tubingue, fut admis au doctorat en 1670,
enseigna à Marbourg et à Wittemberg, fut théologien des deux land-
graves, Louis et Guillaume de Hesse, membre du sénat ecclésiastique
et surintendant de l'Eglise de Wittemberg. Il se signala par son into-
lérance, combattit non seulement les catholiques et les calvinistes,
mais encore les disciples du luthérien Illyricus. Ses écrits, parmi les-
quels on remarque Caloinus judaizans. Wittemberg, iSgS, ln-8, ont
été réunis à Wittemberg, 1606-1609, 5 vol., in-fol. (Voir Melchlor
Adam, Vitse Germanoruni theologoram, Ileldelberg, 1620, ln-8; Adam
Contzen, S. J., Jubilum jabilorum, Mayence, 1618, in-8 ; Micraelius,
Syntagma historiœ ecclesiasticœ , i63o, in-8, p. 70 ; Dictionnaire de
Bayle, t. 111 ; [Schenk, Vitœ theologoram Marburgens. ; R. Simon,
Lettres, t. II, p. ^2 et suiv. ; G. Frank, Geschichte der protestantischen
Théologie. Leipsig, 1862-1905, in 8, l. I, p. 2/(8 ; article de Henke,
dans l'Encyclopédie de Hertzog; J. Janssen, V Allemagne et la Ré-
forme, trad. E. Paris, Paris, 1907, in-8, t. VII, p. 453 et passim. —
Adam Tanner, né it Inspruck en 1571, mort à Unken, en Tyrol, le
25 mai i632. Entré dans la Compagnie de Jésus en 1690, il enseigna
vingt-deux ans à Munich, à Ingolsladt et à Vienne, et fut chancelier
de rUiilversité de Prague. La longue liste de ses ouvrages se trouve
dans la Bibliothèque de Sommervogel, t. VII. Cf. le P. Ignace Agrl-
cola, op. cit. ; Hurter, Nomenclator, t. III, col. 638.
7. Acta colloquii, p. i32 (Sesslo undeclma).
8. ï Joan., V, 7, 8. f
déc. 1699] DE BOSSUET. 117
puisqu'il manque dans les anciens exemplaires grecs'. Mais il
sera question maintenant de savoir s'il n'y a pas des articles
tellement fondamentaux qu'ils soient nécessaires necessitate
medii, en sorte qu'on ne les saurait ignorer ou nier sans
exposer son salut, et comment on les peut discerner des
autres.
La connaissance de ces choses paraît si nécessaire, Mon-
seigneur, pour entendre ce que c'est que d'être de foi, que
Mgr le Duc a cru qu'il fallait avoir recours à vous pour les
bien connaître, ne sachant personne aujourd'hui, dans votre
Église, qu'on puisse consulter plus sûrement, et se flattant,
sur les expressions obligeantes de votre lettre précédente, que
vous aurez bien la bonté de lui donner des éclaircissements.
Je ne suis maintenant que son interprète, et je ne suis pas
moins avec respect, Monseigneur, votre très humble et très
obéissant serviteur.
Leibniz.
Wolfenbuttel, 11'' Décembre 1699.
1980. A M™' DE LUYNES.
A Paris, dimanche malin [i3 décembre 1699?].
Je fus d'autant plus fâché, ma Fille, de ne vous
trouver pas hier*, que je ne vois aucune assurance
à pouvoir retourner chez vous avant votre départ. Je
ne perds pas pour cela l'espérance ni le dessein de
de vous aller voir à Torcy, oii je suis très aise de
9. Voir plus loin, p. i55 et i56.
Lettre 1980. — L. a. sifjnée des initiales. Collection de M. Le
Blondel, à Meaux.
I. Peut-être le samedi 12 décembre. Bossuet était revenu du
voyage à Versailles dont il avait parlé à Mme Cornuau (p. 106). Le
lendemain de ce dimanche i3, jour où il aurait écrit cette lettre, il
retournait à Meaux (Ledieu, t. Il, p. 3).
Il8 CORRESPONDANCE [déc. 1699
vous voir retourner". Les tentations de quitter ce lieu
étant surmontées par l'obéissance, vous ferez l'œuvre
de Dieu avec plus de liberté, et l'Eglise en sera
édifiée. Vous songerez plus que jamais à vous rendre
la mère et l'exemple en toutes choses de votre com-
munauté : vous vous sanctifierez aussi bien qu'elle
par ce moyen.
Je vous recommande la Sœur de Saint-Bénigne,
qui s'attachera plus que jamais à vous obéir, et
même à vous soulager dans ce que vous voudrez lui
ordonner. Consolez-la, je vous prie, du peu d'espé-
rance que je lui donne de la voir.
Notre-Seigneur soit avec vous à jamais.
J. B., é. de Meaux.
1981. — A Antoine de Noailles.
X Meaux, i4 déc. lOgg.
Ceux' avec qui je parlai hier, mon cher Seigneur,
chez M. l'archevêque de Reims conviennent de dé-
clarer leur soumission à toutes les constitutions et
brefs d'Innocent X, Alexandre Vil et Innocent XII,
et la conformité de leur doctrine avec votre ordon-
nance et celle de M. de Reims". Ils conviennent
2. Mme de Luynes avait fait le voyage de Paris, d'où elle allait re-
tourner à Torcy.
Lettre 1981. — L. a. s. Collection H. de Rothschild. In<idite.
I. Certains docteurs favorables au jansénisme.
i. L'ordonnance de Noailles publiée le 20 août i6g6 contre Bar-
cos, et celle de l'archevêque de Reims contre deux thèses de Jtiéo-
logie soutenues au oollige des jésuites de celte ville (Voir i. IX,
p. 55).
déc. 1699] DE BOSSUET. 119
aussi de la définition de la grâce suffisante selon les
principes de saint Augustin. Mais il est vrai en même
temps que, loin d'en apporter aucune preuve, ils
affaiblissent celles qu'on peut apporter en sa faveur :
par exemple, celles qu'on tire de la possibilité des
commandements à l'égard des justes, de l'expression
Si velles, etc., du principe Non deserit nisi desera-
tur^, du livre De Vesprlt et de la lettre\ ainsi que
des autres: ce qui nous ferait un procès plus grand
que celui qu'on semble avoir terminé par le silence
réciproque ^
On ne peut désirer plus de docilité qu'en marquent
lesPP^ Ils travaillent sur les fondements que nous
avons posés, et vous pouvez leur témoigner toute sorte
de satisfaction de ce côté-là. Du reste, c'est à vous
et à nous d'assurer la fermeté incontestable des défi-
nitions de l'Eglise et à la fois de la doctrine de
saint Augustin. J'espère que tout ira bien et qu'on
fermera la bouche aux calomniateurs \ Tout se
3. Allusion aux règles établies par Mabillon dans son projet de
préface à l'édition bénédictine de saint Augustin. Bossuet s'est ex-
pliqué sur ces rèfjfles dans ses notes sur cette préface (Revue Bossuet,
juillet 1900, p. i5o, et juin. 190/I, p. iA5): il est question du Perse-
verares si velles de saint Augustin dans la quatrième règle (juillet 1900,
p. 167, et juillet i90,'4, p. 1^7). La maxime: Non deserit (Deus) nisi
deseratur, que le concile de Trente emprunte à saint Augustin, est
expliquée, ib id., '\\n\let 190/1, P- 1/18.
4. Le traité de saint Augustin De spiritu et littera [P. L., t. XLIV,
col. 201].
5. Ce qu'on a appelé la Paix de l'Église.
6. Les Pères bénédictins, éditeurs de saint Augustin. Voir Ingold,
Histoire de l'édition bénédictine de saint Augustin, p. 19 1 et suiv.
7. Les jésuites, qui ont accusé de jansénisme l'édition de saint
Augustin. Le 2 juin 1700, l'Inquisition, outre le Problème, condamna
la Lettre de l'Abbé de *** aux R. R. P. P. Bénédictins sur le dernier
I20 CORRESPONDANCE [déc. 1699
passa sans la moindre contestation, quoique j aie
touché toutes les cordes.
J'aurai l'honneur de vous rendre compte au plus
tôt de l'écrit que vous m'avez confié.
Vous savez mon respect et mon cordial attache-
ment.
J. Bénigne, é. de Meaux.
1982. — A M"' DE Beringhen.
A Meaux, ig décembre 1699.
Il est vrai, Madame, que je vous ai ôté un bon
curé ' ; mais il m'était nécessaire au lieu où je l'ap-
pelle. Nous aurons tout loisir de conférer ensemble
sur le sujet de son successeur.
Il vaque à votre nomination une cure considéra-
ble, et qui a bien besoin d'un bon pasteur: c'est
celle de Morou^ dans votre voisinage. Gomme je
sais vos intentions très pures pour fournir l'Eglise
de bons pasteurs, je vous indique les sieurs Lenfant
tome de leur édition de saint Augustin, Cologne, iii-4 ; la Lettre d'un
Bénédictin non réformé aux R. R. P, P. Bénédictins de la Congrégation
de Saint-Maur (s. 1 ), 1699, in-12, et la Lettre d'un abbé commenda-
taire adressée à MM. les prélats de France sur la réponse d'un théologien
des R. R. P. P. Bénédictins à la lettre de l'abbé Allemand (s. 1.),
1699, in-12, voir t. XI, p. i3i et 347.
Lettre 1982. — L. a. s. Collection de M. le chanoine Jacquelin,
à Meaux.
1. Pliilbert Lasne de Villeneuve, nommé à la cure de Tancrou,
comme il a été dit à la page 1 1 1 .
2. Mouroux, commune importante située entre Faremoutier. ' et
Coulommiers.
déc. 1699] DE BOSSUET. I2I
et Foliez\ vicaires de Coulommiers, elles sieurs Lan-
dri [et] Saints"^ vicaires de Saint-Nicolas de cette
ville, comme les meilleurs sujets du diocèse. Vous
ne sauriez trop prendre garde à ce bénéfice, dont le
dernier possesseur" n'a pas été de grande édification.
Je salue Madame votre sœur de tout mon cœur.
J. Bénigne, é. deMeaux.
Suscripiion : A Madame l'Abbesse de Faremou-
tiers, à Faremoutiers.
3. Éditeurs : L'enfant et Folien. Etienne Lenffant resta vicaire à
Coulommiers jusqu'en 1702, et fut, cette année-là, nommé à la cure
de La Ferté-sous-Jouarre, qu'il conserva jusque dans les premiers
mois de 1737. Il mourut à La Ferté le 8 octobre suivant, à l'â<je de
soixante et onze ans et deux mois. Quant à Jean Folliez (et non Folien),
il éla t bachelier en théolo[jie ; il avait été vicaire à La Chapelle-sur-
Grécy en 1697 et i6g8 ; il fut nommé curé, non pasde Mouroux, mais
de Faremoutiers, en 1700; il passa en 1706 à Quincy, puis fut mis
en 1709 à la tête de la paroisse Saint-Nicolas de Meaux, où il resta
jusqu'à sa mort, le 28 juillet 1726 : il était alors âgé de soixante-
deux ans (Etat civil de Coulommiers, de Faremoutiers, de Quincy et
de Meaux; cf. Ledieu, t. IV, p. 171 et 175).
4. Editeurs: Landis, vicaires. D'ailleurs les registres paroissiaux ne
permettent pas de croire à l'existence de deux vicaires de Saint-
Nicolas de Meaux du nom de Landry. Il faut donc corriger Deforis et
les autres éditeurs, et lire : « les sieurs Landry et Desaint, vicaires».
Landry (Thomas Jacques) et Desaint (Philippe François) quittèrent
bientôt après la paroisse Saint-Nicolas ; mais nous ne savons quels
postes leur furent alors assignés. Jacques Landry figure à Mauregard,
en 171 A, comme curé de Villeneuve-sous-Dammartin.
5. C'était Denis Richer, bachelier en théologie, qui, le 16 mars
168/i, n'ayant encore que les ordres mineurs, avait pris possession de
la cure de Mouroux, vacante par la mort de son oncle, Louis Richer,
décédé le 12. Il faut croire qu'en 169g, il avait donné sa démission
et l'avait ensuite retirée, car il resta à la tète de la paroisse de Mou-
roux jusqu'au mois de janvier 1715.
122 CORRESPONDANCE fjanv. 1700
1983. — Le Comte de Pontchartrain a Bossuet.
fA Versililles, 3 janvier 1700.]
Le sieur de La Roque *, qui avait été enfermé au château
[de Saumur] pour avoir fait une préface à un mauvais livre,
fut mis en liberté l'année passée, à condition de rester dans la
ville [de Saumur] ^ jusqu'à nouvel ordre, ce qui fut fait après
que mon père ^ vous eut consulté par ordre du Pioi sur son
sujet. Ce même homme demande à présent la liberté entière
de se retirer où il trouvera à propos. Je vous prie de prendre
la peine de me mander quel est votre sentiment à cet égard,
afin qu'en rendant compte au Roi de sa lettre, je puisse en
même temps dire à S. M. ce que j'aurai appris de vous*. Je
suis...
Lettre 1983. — Bibliothèque Nationale, Clérambault, 690, f" 3.
Publiée par M. A. Gasté, Lettres et pièces, p. 38. — Jérôme Phelypeaux
(167^-17/17), fils de Louis, comte de Pontchartrain, fut d'abord connu
sous le nom de M. de Mnurepas. Il était conseiller au Parlement de
Paris lorsqu'il succéda comme secrétaire d'Etat à son père nommé
chancelier le 5 septembre 1699. C'est alors qu'il « se comtifia »,
comme dit Saint-Simon, et prit le nom de Pontchartrain. Sous la
Régence, il dut se démettre de sa charge de secrétaire d'Etat en fa-
veur de son fils, le comte de Maurepas, futur ministre de Louis XV
(Consulter Saint-Simon. Sourclies et autres mémorialistes; L. Dela-
\aud, Jérôme Phelypeaux de Pontchartrain. La Rochelle, 191 1, in-8).
I. Daniel de Larroque, déjà mentionné, t. XI, p. 2.08.
3. La minute dans Clérambault et la copie O'/i/J, f" i portent:
d'Angers, mais par erreur. Cf. t. XI, p. 258 et 0^l^l^, f° 10.
3. Voyez t. XI, p. 258.
/j. Le témoignage de Bossuet fut favorable, puisque Larroque était
en liberté au mois de mars et réclamait les papiers qui lui avaient été
confisqués (Ibid., f 97). On lit aussi (fr. 2/1988, f» 89), à la date du
a8 juillet 1700 : « Le sieur de Larroque, qui a une pension sur les éco-
nomats, a été emprisonné pendant quelques années pour une faute
qu'il avait commise plutôt par nécessité que par d'autres motifs. Et,
sur le rapport favorable qui a été tait au Roi de sa capacité, tant par
M. de Meaux que par d'autres personnes qui en ont rendu de bons
témoignages, S. M. l'a fait mettre en liberté et m'a ordonné de vous
écrire de lui faire payer celte pension. « (A Daguesseau).
janv. I700] DE BOSSUET. l a3
1984. — A Leibniz.
A Meaux, 9 janvier 1700.
Monsieur,
Rien ne me pouvait arriver de plus agréable que
d'avoir à satisfaire, selon mon pouvoir, aux demandes
d'un aussi grand prince que Mgr le duc Antoine
Ulrich, et encore m'étant proposées par un homme
aussi habile et que j'estime autant que vous. Elles se
rapportent à deux points : le premier consiste à juger
d'un livret intitulé : Secretio, etc., ce qui demande
du temps, non pour le volume, mais pour la qualité
des matières sur lesquelles il faut parler sûrement
et juste. Je supplie donc Son Altesse de me permet-
tre un court délai, parce que, n'ayant reçu ce livre
que depuis deux jours, à peine ai-je eu le loisir de
le considérer.
La seconde demande a deux parties, dont la pre-
mière regarde les conditions et les principes par
lesquels on peut reconnaître ce qui est de foi, en le
distinguant de ce qui n'en est pas ; et la seconde
observe qu'il y a des degrés entre les articles de foi,
les uns étant plus importants que les autres.
Quant au premier point, vous supposez, avant
toutes choses, comme indubitable, que tout article
Lettre 1984. — De la main d'un copiste, avec signature et cor-
rections auiographes de Bossuet, Hanovre, Papiers de Leibniz,
f" A26. Publiée d'abord dans les Œuvres posthumes, t. I, p. 448. —
Il existe une minute de la m.iin d'un copiste avec corrections de la
main de Bossuet dans la collection Henri de Rothschild. Les éditeurs
ont aiouié les mots : Premier fait, deuxième fait, troisième fait, etc.,
là où le manuscrit na que des numéros d'ordre, i, 2, 3, etc.
124 CORRESPONDANCE [janv. 1700
de foi doit être une vérité révélée de Dieu, de quoi
je conviens sans difficulté ; mais vous venez à deux
questions, dont l'une, si Dieu en a seulement révélé
autrefois, ou s'il en révèle encore ; et la seconde : si
les révélations d'autrefois sont toutes dans VÉcriture
sainte ou sont venues du moins d'une tradition apos-
tolique, ce que ne nient point plusieurs des plus accom-
modants entre les protestants.
Je réponds sans hésiter, Monsieur, que Dieu ne
révèle point de nouvelles vérités qui appartiennent à
la foi catholique, et qu'il faut suivre la règle de la
perpétuité, qui avait, comme vous dites très bien,
passé pour la règle de la cathoHcité, de laquelle
aussi jamais l'Eglise ne s'est départie.
Il ne s'agit pas ici de disputer de l'autorité des
traditions apostoliques, puisque vous dites vous-
même, Monsieur, que les plus accommodants, c'est-
à-dire, comme je l'entends, non seulement les plus
doctes, mais encore les jîIus sages des protestants,
ne les nient pas ; comme je crois, en effet, l'avoir
remarqué dans votre savant Calixte' et dans ses
disciples. Mais je dois vous faire observer que le con-
cile de Trente reconnaît la règle de la perpétuité,
lorsqu'il déclare qu'il n'en a point d'autre que « ce
qui est contenu dans l'Écriture sainte, ou dans les
traditions non écrites, qui, reçues par les apôtres de
la bouche de Jésus-Christ, ou dictées aux mêmes apô-
tres par le Saint-Esprit, sont venues à nous comme de
main en main » (Sess. IV, de Canon, script.).
I. Cf. t. II, p. 180.
janv. 1700] DE BOSSUET. 125
Il faut donc, Monsieur, tenir pour certain que
nous n'admettons aucune nouvelle révélation, et que
c'est la foi expresse du concile de Trente, que toute
vérité révélée de Dieu est venue de main en main
jusqu'à nous ; ce qui aussi a donné lieu à cette
expression qui règne dans tout ce concile, que le
dogme qu'il établit a toujours été entendu comme il
l'expose : Sicut Ecclesia catholica semper intellexit.
Selon cette règle, on doit tenir pour assuré que
les conciles œcuméniques, lorsqu'ils décident quel-
que vérité, ne proposent point de nouveaux dogmes,
mais ne font que déclarer ceux qui ont toujours été
crus, et les expliquer seulement en termes plus clairs
et plus précis.
Quant à la demande que vous me faites, s'il faut,
avec Grégoire de Valence, réduire la certitude de la
décision à ce que prononce le Pape, ou avec ou sans
le concile, elle me paraît assez inutile. On sait ce
qu'a écrit sur ce sujet le cardinal du Perron^, dont
l'autorité est de beaucoup supérieure à celle de ce
célèbre jésuite ; et, pour ne point rapporter des
autorités particulières, on voit en cette matière ce
qu'enseigne et ce que pratique, même de nos jours,
et encore tout récemment, l'Eglise de France ^
Nous donnerons donc pour règle infaillible, et
certainement reconnue par les catholiques, des véri-
tés de foi, le consentement unanime et perpétuel de
toute l'Eglise, soit assemblée en concile, soit dis-
2. Voir t. XI, p. 062.
3. Dans les assemblées provinciales tenues en 1699 pour la récep-
tion du bref de condamnation des Maximes des saints.
ia6 CORRESPONDANCE [janv. 1700
persée par toute la terre, et toujours enseignée par
le même Esprit*. Si c'est là, pour me servir de vos
expressions, ce qui est le plus agréable aux protes-
tants, bien éloignés de les détourner de cette doc-
trine, nous ne craignons point de la garantir, comme
incontestablement saine et orthodoxe.
Mais alors, continuez-vous, il sera difficile de
justifier t antiquité de bien des sentiments qu'on veut
faire passer pour être de foi dans l'Église romaine
d'aujourd hui.
Non, Monsieur, j'ose vous répondre avec con-
fiance que cela n'est pas si difficile que vous pensez,
pourvu qu'on éloigne de cet examen l'esprit de con-
tention, en se réduisant aux faits certains.
Vous en pouvez faire l'essai dans l'exemple que
vous alléguez, et qui est aussi le plus fort qu'on
puisse alléguer, de la canonicité des livres que les
protestants tiennent- pour apocryphes, laquelle passe
aujourd'hui pour être de foi dans votre communion
contre ce qui était cru par des personnes d'autorité
dans l'ancienne Église. Mais, Monsieur, vous allez
voir clairement, si je ne me trompe, cette question
résolue par des faits entièrement incontestables.
I. Le premier est que ces livres, dont on dispute,
ou dont autrefois on a disputé, ne sont pas des livres
nouveaux ou nouvellement trouvés, auxquels on ait
donné de l'autorité. La seconde lettre de saintPierre,
celle aux Hébreux, l'Apocalypse, et les autres livres
qui ont été contestés, ont toujours été connus dans
l'Eglise, et intitulés du nom des apôtres à qui encore
4. Edit. : le même Saint-Espril.
janv. 1700] DE BOSSUET. 127
aujourd'hui on les attribue. Si quelques-uns leur ont
disputé ce titre, on na pas nié pour cela l'existence
de ces livres, et qu'ils ne portassent cette intitula-
tion, ou partout, ou dans la plupart des lieux 011 on
les lisait, ou du moins dans les plus célèbres.
II. J'en dis autant des livres de l'Ancien Testa-
ment. La Sagesse, lEcclésiastique, les Machabées et
les autres, ne sont pas des livres nouveaux : ce ne
sont pas les chrétiens qui les ont composés ; ils ont
précédé la naissance de Jésus-Christ, et nos pères,
les ayant trouvés parmi les Juifs, les ont pris de leurs
mains pour l'usage et pour l'édification de l'Eglise.
III. Ce n'est point non plus par de nouvelles
révélations ou par de nouveaux miracles qu'on les a
reçus dans le canon. Tous ces moyens sont suspects
ou particuliers, et par conséquent insuffisants à fon-
der une tradition et un témoignage de la foi. Le
concile de Trente, qui les a rangés dans le canon,
les y a trouvés il y a près de douze cents ans, et dès
le quatrième siècle, le plus savant sans contestation
de toute l'Eglise.
IV. Personne n'ignore le canon xLvn du con-
cile III de Carthage", qui constamment est de ce
siècle-là, et où les mêmes livres, sans en excepter
aucun, reçus dans le concile de Trente, sont recon-
nus comme livres « qu'on lit dans l'Eglise sous le
nom de divines Ecritures et d'Ecritures canoniques :
5. En 397. Cf. Mansi, Colleclio, t. III, p. 891 ; H. Denziger,
Enchiridion symbolorum, definitionum, etc., edit. décima, 1908, p. ^2,
cite le texte des Statuta concilii hipponensis. reproduit dans le canon
XLvii du concile de Garthage.
128 CORRESPONDANCE [janv. 1700
sub nomine divinarum Scriptararum, etc., canonicae
Scriptarœ, etc.
V. C'est un fait qui n'est pas moins constant, que
les mêmes livres sont mis au rang des saintes Ecri-
tures, avec le Pentateuque, avec l'Evangile, avec
tous les autres les plus canoniques, dans la réponse
du Pape Innocent I" à la consultation du saint évê-
que Exupère de Toulouse (cap. 7), en l'an 4o5 de
Notre-Seigneu^^ Le décret du concile romain, tenu
par le pape saint Gélase, fait le même dénombre-
ment au v*" siècle, qui est ^ le dernier canon de
l'Eglise romaine sur ce sujet, sans que ses décrets
aient jamais varié. Tout l'Occident* l'a suivie, et le
concile de Trente n'a fait que marcher sur ses pas.
VI. Il y a des Eglises que, dès le temps de saint
Augustin, on a regardées comme plus savantes et
plus exactes que toutes les autres, doctiores ac diligen-
tiores Ecclesise {Dedoclr. chr., lib. II, n" 22). On ne
peut dénier ces titres à l'Eglise d'Afrique, ni à l'Eglise
romaine, qui avait outre cela la principauté ou la
primauté de la chaire apostolique, comme parle
saint Augustin : Jn qaa semper apostolicœ cathedrse
viguit principatus^ , et dans laquelle on convenait,
dès le temps de saint Irénée, que la tradition des
apôtres s'était toujours conservée avec plus de soin.
VII. Saint Augustin a pris séance dans ce concile ;
6. Epist. ad Exuperium, 20 febr. 4o5. Cf. Denziger, Enchiridion,
p. /.4.,
7. Éclit. : et c'est là... sans que ces décrets. — Ex Epist. XLll,
an. 495. Cf. Denziger, p. 71.
8. Edit. : Tout l'Occident a suivi l'Église en ce point.
9. Epist. XLIII, III, 7. [P. L., t. XXXII, col. 162].
janv. 1700] DE BOSSUET. 129
du moins il était du temps '", et il en a suivi la tra-
dition dans le \i\reDe la doctrine chrétienne, où nous
lisons ces paroles : Tout le canon des Ecritures con-
tient ces livres, cinq de Moïse, etc., où sont nommés
en même rang : « Tobie, Judith, deux des Macha-
bées, la Sagesse, Y Ecclésiastique, quatorze épîtres de
saint Paul, et notamment celle aux Hébreux, » ainsi
qu'elles sont comptées, [tant] dans le canon de
Cartilage que dans saint Augustin : deux lettres de
saint Pierre, trois de saint Jean, et l'Apocalypse^^ ».
VIII. Ces anciens canons n'ont pas été une noa-
veauté introduite par ces conciles et par ces papes,
mais une déclaration de la tradition ancienne, comme
il est expressément porté dans le canon déjà cité du
concile III de Carthage : (( Ce sont les livres,
dit-il, que nos pères nous ont appris à lire dans
Véglise, sous le titre d'Ecritures divines et canoni-
ques y), comme marque le commencement du canon '^.
IX. La preuve en est bien constante par les sui-
vantes remarques. Saint Augustin avait cité, contre
les pélagiens, ce passage du livre de la Sagesse (iv,
II) : lia été enlevé de la vie, de crainte que la malice
ne corrompît son esprit. Les semi-pélagiens avaient
contesté l'autorité de ce livre, comme n'étant point
canonique ; et saint Augustin répond « qu'il ne fal-
lait point rejeter le livre de la Sagesse, qui a été jugé
digne depuis une si longue antiquité, tamlongaanno-
sitate, d'être lu dans la place des lecteurs, et d'être
10. Edit. : de ce temps-là.
11. De doctrina chrisliana, lib. II, c. viii. n. i3.
12. Mansi, Concil. nova collcct., i III, col. 891.
XII — 9
l3o CORRESPONDANCE [janv. i-oa
OUÏ par tous les chrétiens, depuis les évêques Jus-
qu'aux derniers des laïques, fidèles, catéchumènes et
pénitents, avec la vénération qui est due à l'autorité
divine. » A quoi il ajoute (( que ce livre doit être pré-
féré à tous les docteurs particuliers, parce que les
docteurs particuliers les plus excellents et les plus
proches du temps des apôtres se le sont eux-mêmes
préféré ^^, et que, produisant ce livre à témoin, ils
ont cru ne rien alléguer de moins qu'un témoignage
divin : Nihil se adhibere nisi divinum testimonium
crediderunt » ; répétant encore à la lin le grand
nombre d'années, tanta annorum numerosilate , oii ce
livre a eu cette autorité (Lih. de prsed. sanct.,
cap. i/i). On pourrait montrer à peu près la même
chose des autres livres, qui ne sont ni plus ni moins
contestés que celui-là, et en faire remonter l'auto-
rité jusqu'aux temps les plus voisins des apôtres,
sans qu'on en puisse montrer le commencement.
X. En effet, si l'on voulait encore pousser la tra-
dition plus loin, et nommer ces excellents docteurs
et si voisins du temps des apôtres, qui sont marqués
dans saint Augustin, on peut assurer qu'il regardait
au livre'* des Témoignages de saint Cyprien, qui est
un recueil de passages*' de l'Ecriture, où, à l'ou-
verture du livre, la Sagesse, l'Ecclésiastique et les
Machabées se trouveront cités en plusieurs endroits,
avec la même autorité que les livres les plus divins,
et après avoir promis deux et trois fois très expres-
i3. La copie ici donne à tort : se les sont eux-mêmes préfér«^s.
l4- Edit. : qu'il avait en vue le livre...
l5. Edit. : des passages.
janv. 1700] DE BOSSUET. l3l
sèment, dans les préfaces, de ne citer dans ce livre
que des Ecritures prophétiques et apostoliques.
XI. L'Afrique ni l'Occident *' n'étaient pas les
seuls à reconnaître pour canoniques les livres que
les Hébreux n'avaient pas mis dans leur canon. On
trouve partout dans saint Clément d'Alexandrie et
dans Origène *\ pour ne point parler des autres Pères
plus nouveaux, les livres de la Sagesse et de l'Ecclé-
siastique cités avec la même autorité que ceux de
Salomon, et même ordinairement sous le nom de
Salomon même, afin que le nom d'un écrivain
canonique ne leur manquât pas; à cause aussi, dit
saint Augustin '^ qu'ils en avaient pris l'esprit.
XII. Quand Julius Africanus" rejeta dans le
prophète Daniel l'histoire de Susanne, et voulut
défendre les Hébreux contre les chrétiens, on sait
comme il fut repris par Origène^". Quand il s'agira
de l'autorité et du savoir, je ne crois pas qu'on
balance entre Origène et Julius Africanus. Personne
n'a mieux connu l'autorité de l'hébreu qu Origène,
qui l'a fait connaître aux Eglises chrétiennes ; et,
sans plus de discussion, sa lettre à Africanus, dont
16. Édit. : l'Afrique et l'Occident.
17. Clément d'Alexandrie cite plus de vingt fois la Sagesse et plus
de cinquante fois l'Ecclésiastique. Origène allègue plus de vingt
fois comme parole divine la Sagesse, plus de soixante-dix fois l'Ecclé-
siastique.
18. De doctrina chrisliana, 1. II, c. vin, n. i3.
19. Sextus Julius Africanus, historien du m» siècle, converti du
paganisme et élevé à la prêtrise, vécut en Palestine et à Alexandrie.
I II avait composé une Chronographie, dont on retrouve des fragments
i dans Eusèbe et dans le Svncelle. Sa lettre à Origène fut imprimée,
j Bâle, 1674. Cf. P. G., t" XI, col. ^I-l^8.
20. P. G., à la suite de la précédente lettre, col. 47-80.
j33 correspondance [janv. 1700
on nous a depuis peu donné le grec'V établit le fait
constant que ces livres, que les Hébreux ne lisaient
point dans leurs synagogues, étaient lus dans les
églises chrétiennes, sans aucune distinction d'avec
les autres livres divins.
XIII. Il faut pourtant avouer que plusieurs
Églises" ne les mettaient pas dans leur canon, parce
que, dans les livres du Vieux Testament, elles ne
voulaient que copier le canon des Hébreux, et
compter simplement les livres que personne ne con-
testait, ni juif, ni chrétien. Il faut aussi avouer
que plusieurs savants, comme saint Jérôme et quel-
ques autres grands critiques, ne voulaient point
recevoir ces livres pour établir les dogmes ; mais leur
avis particulier n'était pas suivi, et n'empêchait pas
que les plus subUmes et les plus fidèles'' théolo-
giens de rÉgUse ne citassent ces livres en autorité,
même contre les hérétiques, comme l'exemple de
saint Augustin vient de le laire voir, pour ne point
entrer ici dans la discussion inutile des autres
auteurs. D'autres ont remarqué, devant moi, que
saint Jérôme lui-même a souvent cité ces livres en
autorité avec les autres Écritures, et ainsi que les
opinions particuUères des docteurs étaient, dans
leurs propres Uvres, souvent emportées par I" esprit
de la tradition et par l'autorité des ÉgHses.
ui. Origenis Dialogus contra Marcionitas, Exhorlalio ad marlyrium,
Responsum ad Africain epistolam de historia Susannœ. grœce et latine,
éait. Je«n Rodolphe Wettstein, Bàle, 1674, in-/4. Ces opuscules
.Haient «lors publiés pour la première fois. #
33. Édit. : Églises chrétiennes.
■jZ. Copie de Ledieu : les plus solides.
janv. 1700] DE BOSSU ET. i^'S
XIV. Je n'ai pas besoin de m'étendre ici sur le
canon des Hébreux^*, ni sur les divers significations
du mot d'apocryphe, qui, comme on sait, n'est pas
toujours également désavantageux. Je ne dirai pas
non plus quelle autorité parmi les Juifs, après leur
canon fermé '^' par Esdras, pouvaient avoir, sous
un autre titre que celui de canoniques, ces livres
qu'on ne trouve point dans l'hébreu. Je lais-
serai encore à part l'autorité que leur peuvent con-
cilier les allusions secrètes qu'on remarque aux
sentences de ces livres, non seulement dans les
auteurs profanes, mais encore dans l'Evangile. Il me
semble que le savant évêque d'Avranches^^ dont le
nom est si honorable dans la littérature, n'a rien
laissé à dire sur cette matière ; et pour moi, Mon-
sieur, je me contente d'avoir démontré, si je ne me
trompe, que la définition du concile de Trente sur la
canonicité des Ecritures, loin de nous obliger à
reconnaître de nouvelles révélations, fait voir au
contraire que l'Eglise catholique demeure toujours
inviolablement attachée à la tradition ancienne,
venue jusqu'à nous de main en main.
XV. Que si enfin vous m'objectez que du moins
cette tradition n'était pas universelle, puisque de très
grands docteurs et des Eglises entières ne l'ont pas
connue, c'est, Monsieur, une objection que vous
avez à résoudre avec moi. La démonstration en est
a4- Le canon hébreu ou palestinien contient les vingt-quatre
livres de la Bible hébraïque.
25 Édit. : leur canon par Esdras. — Entendez : la collectioii
des Livres saints close au temps d'Esdras.
26. P.-D. Huet.
l34 CORRESPONDANCE [janv. 1700
évidente : nous convenons tous ensemble, protes-
tants ou catholiques, également des mêmes livres du
Nouveau Testament; car je ne crois pas que per-
sonne voulût suivre encore les emportements de
Luther contre l'Epître de saint Jacques ^\ Passons
donc une même canonicité à tous ces livres, contes-
tés autrefois ou non contestés : après cela, Monsieur,
permettez- moi de vous demander si vous voulez
affaiblir l'autorité ou de l'Epîlre aux Hébreux, si
haute, si théologique, si divine, ou celle de l'Apo-
calypse, oii reluit l'esprit prophétique avec autant
de magnificence que dans Isaïe ou dans Daniel. Ou
bien dira-t-on peut-être que c'est une nouvelle révé-
lation qui les a fait reconnaître. Vous êtes trop ferme
dans les bons principes pour aujourd'hui les aban-
donner. Nous dirons donc, s'il vous plaît, tous deux
ensemble, qu'une nouvelle reconnaissance de quel-
que livre canonique, dont quelques-uns auront douté,
ne déroge point à la perpétuité de la tradition, que
vous voulez bien avouer pour marque de la vérité
catholique. Pour être constante et perpétuelle, la
vérité catholique ne laisse pas d'avoir ses progrès :
elle est connue en un lieu plus qu'en un autre, plus
clairement, plus distinctement, plus universellement.
Il suffit, pour établir la succession et la perpétuité
de la foi d'un livre saint, comme de toute autre
vérité, qu'elle soit toujours reconnue ; qu'elle le soit
dans le plus grand nombre sans comparaison ;
37. C'est, disait-il, « une épître de paille, dans laquelle il n'y a
rien d'évany^hque « {Vorwort zum Neiien Testament, 4, dans les
Werke, Mît. Walcli., t. XIV, col. io5). Voir F. Vlgouroux, Les Livres
Saintset la critique rationaliste, 5^ édit., in-12, Paris, 1901, 1. 1, p. 428.
t
janv. 1700] DE BOSSUET. l35
qu'elle le soit dans les Eglises les plus émi-
nentes, les plus autorisées, les plus révérées; qu'elle
s'y soutienne, qu'elle gagne et qu'elle se répande
d'elle-même, jusqu'à tant que le Saint-Esprit, la
force de la tradition, et le goût, non celui des
particuliers, mais l'universel de l'Eglise, la fasse
enfin prévaloir, comme elle a fait au concile de
Trente.
XVI. Ajoutons, si vous l'avez agréable, que la
foi qu'on a en ces livres nouvellement reconnus
a toujours eu dans les Eglises un témoignage au-
thentique dans la lecture qu'on en a faite dès le
commencement du christianisme, sans aucune mar-
que de distinction d'avec les livres reconnus di-
vins ; ajoutons l'autorité qu'on leur donne partout
naturellement dans la pratique, comme nous
lavons remarqué ; ajoutons enfin que, le terme de
canonique n'ayant pas toujours une signification
uniforme, nier qu'un livre soit canonique en un
sens, ce n'est pas nier qu'il ne le soit en un
autre ; nier qu'il soit, ce qui est très vrai, dans
le canon des Hébreux, ou reçu sans contradiction
parmi les chrétiens, n'empêche pas qu'il ne soit
au fond dans le canon de l'Eglise, par l'autorité
que lui donne la lecture presque générale, et par
l'usage qu'on en faisait par tout l'univers. C'est
ainsi qu'il faut concilier, plutôt que commettre
ensemble les Eglises et les auteurs ecclésiastiques,
par des principes communs à tous les divers sen-
timents, et par le retranchement de toute ambi-
guïté.
l36 CORRESPONDANCE [janv. 1700
XVII. II ne faut pas oublier un fait^* que saint
Jérôme raconte à tout l'univers, sans que personne
l'en ait démenti, qui est que le livre de Judith avait
reçu un grand témoignage par le concile de Nicée^^.
On n'aura point de peine à croire que cet infatigable
lecteur de tous les livres et de tous les actes ecclé-
siastiques ait pu voir par ses curieuses et laborieuses
recherches, auxquelles rien n'échappait, quelque
mémoire de ce concile, qui se soit perdu depuis.
Ainsi ce savant critique, qui ne voulait pas admettre
le livre dont nous parlons, ne laisse pas de lui
donner le plus grand témoignage qu'il pût jamais
recevoir, et de nous montrer en même temps que,
sans le mettre dans le canon, les Pères et les con-
ciles les plus vénérables s'en servaient dans l'occa-
sion, comme nous venons de le dire, et le consa-
craient par la pratique.
XVIII, Quoique je commence à sentir la lon-
gueur '° de cette lettre, qui devient un petit livre,
contre mon attente, le plaisir de m'entretenir, par
votre entremise, avec un prince qui aime si fort la
religion, qu'il daigne même m'ordonner de lui en
parler de si loin, me fera encore ajouter un fait qu'il
approuvera. C'est, Monsieur, que la diversité des
canons de l'Ecriture, dont on usait dans les Eglises,
ne les empêchait point ^' de concourir dans la même
théologie, dans les mêmes dogmes, dans la môme
28. Édit. : le fait.
29. S. Jérôme, Prœfatio in librum Judith [P. L., t. XXIX, col. Sg].
30. Ms. : sentir par la longueur. La copie de Ledieu : à sentir la
longueur.
3i. Ms. : ne les empêchaient point. Ledieu : ne les empêchai» ;^as.
janv. 1700I DE BOSSUET. 187
condamnation de toutes les erreurs, et non seule-
ment de celles qui attaquaient les grands mystères,
de la Trinité, de l'Incarnation, de la Grâce ; mais
encore de celles qui blessaient les autres vérités
révélées de Dieu, comme faisaient les montanistes,
les novatiens, les donatistes, et ainsi du reste. Par
exemple, la province de Phrygie, qui, assemblée
dans le concile de Laodicée, ne recevait point en
autorité, et semblait même ne vouloir pas lire dans
l'Eglise quelques-uns des livres dont il s'agit, contre
la coutume presque universelle des autres Eglises,
entre autres de celles d'Occident^", n'en condamnait
pas moins avec elles toutes les erreurs qu'on vient de
marquer ; de sorte qu'en vérité il ne leur manquait
aucun dogme, encore qu'il manquât dans leur
canon quelques-uns des livres qui servaient à les
convaincre.
XIX. C'est pour cela qu'on se laissait les uns aux
autres une grande liberté, sans se presser d'obliger
toutes les Eglises au même canon ; parce qu'on ne
voyait naître de là aucune diversité dans la foi, ni
dans les mœurs : et la raison en était que les fidèles,
qui ne cherchaient pas les dogmes de foi dans les
livres '^ non canonisés en quelques endroits, les
trouvaient suffisamment dans ceux qui n'avaient
jamais été révoqués en doute ; et que même ce qu'on
ne trouvait pas dans les Ecritures en général, on le
recouvrait dans les traditions perpétuelles et univer-
selles.
Sa. Edit. : de celle d'Occident. Ledieu : de celles d'Occident.
33. Èdlt. : dans ces livres.
l38 CORRESPONDANCE fjanv. 1700
XX. Sur cela môme nous lisons dans saint
Augustin, et dans l'un de ses plus savants écrits,
cette sentence mémorable : L'homme qui est affermi
dans la foi, dans l'espérance et dans la charité, et qui
est inébranlable à les conserver, n'a besoin des Ecri-
tures que pour instruire les autres ; ce qui fait aussi
que plusieurs vivent sans aucuns livres dans les soli-
tudes (Lib. I de Doct. chr., xxxix, n" /i3). » On sait
d'ailleurs qu'il y a eu des peuples qui, sans avoir
l'Ecriture, qu'on n'avait pu encore traduire en leurs
langues barbares et irrégulières, n'en étaient pas
moins chrétiens que les autres ; par 011 aussi l'on
peut entendre que la concorde dans la foi, loin
de dépendre de la réception de quelques livres de
l'Ecriture, ne dépend pas même de toute l'Ecriture
en général ; ce qui se pourrait prouver encore par
TertuUien^* et par tous les autres auteurs, si cette
discussion ne nous jetait trop loin de notre sujet.
XXI. Que si enfin on demande pourquoi donc le
concile de Trente napas laissé sur ce point la même
liberté que l'on avait autrefois, et qu'il défende, sous
peine d'analhème, de recevoir un autre canon que
celui qu'il propose (Sess. IV), sans vouloir rien dire
d'amer, je laisserai seulement à examiner aux pro-
testants modérés si l'Eglise romaine a dû laisser
ébranler par les protestants le canon dont, comme
on a vu, elle était en possession avec tout l'Occident,
non seulement dès le quatrième siècle, mais encore dès
l'origine du christianisme, canon qui s'était affermi
34. Liber de Prasscr'ndionibus, XIV [P. L., t. II, col. Sa].
janv. 1700] DE BOSSUET. iSg
depuis par l'usage de douze cents ans, sans aucune
contradiction ; canon enfin dont on prenait occasion
de la calomnier, comme falsifiant les Ecritures, ce
qui faisait remonter l'accusation jusqu'aux siècles
les plus purs : je laisse, dis-je, à examiner si l'Eglise
a dû tolérer ce soulèvement, ou bien le réprimer par
ses anathèmes.
XXII. Il n'est donc rien arrivé ici que ce qu'on
a vu arriver à toutes les autres vérités, qui est d'être
déclarées plus expressément, plus authentiquement,
plus fortement, par le jugement de l'Eglise catholi-
que, lorsqu'elles ont été plus ouvertement, et, s'il
est permis de dire une fois ce mot, plus opiniâtre-
ment contredites ; en sorte qu'après ce décret, le
doute ne soit plus permis.
XXIII. Je n'ai point ici à rendre raison pourquoi
nous donnons le nom d'Eglise catholique à la com-
munion romaine, ni le nom de concile œcuménique
à celui qu'elle reconnaît pour tel. C'est une dispute
à part, oîj l'on ne doit pas entrer ici ; et il me suffit
d'avoir remarqué les faits constants d'où résulte
l'antiquité et la perpétuité du canon dont nous usons.
XXIV. Après tout, quelque inviolable que soit la
certitude que nous y trouvons, il sera toujours véri-
table que les livres qui n'ont jamais été contestés
ont dès là une force particulière pour la conviction ;
parce qu'encore que nul esprit raisonnable ne doive
douter des autres après la décision de l'Eglise, les
premiers ont cela de particulier que, procédant ad
hominem et ex concessis, comme on parle, ils sont
plus propres à fermer la bouche aux contredisants.
l/io CORRESPONDA.NCE [janv. 1700
Voilà, Monsieur, un long discours, encore que je
n'aie fait que proposer les principes. C'est à Dieu à
ouvrir les cœurs de ceux qui le liront. Ce dont je
vous prie, c'est de le présenter à votre grand prince,
de prendre les moments heureux 011 son oreille sera
plus libre, et enfin de le lui faire regaider comme un
effet de mon très humble respect. Le reste se dira
une autre fois et bientôt, s'il plaît à Dieu.
Je suis cependant, et serai toujours, avec une
estime et une affection cordiale, Monsieur '% votre
très humble serviteur.
J. Bénigne, é. de Meaux'^
1985. — A M-"" DUMANS.
A Meaux, 13, janvier 1700.
Mon neveu m'a rapporté de vos nouvelles, ma
35. Ces derniers mots, ainsi que la signature, sont de la main de
Bossuet.
36. Cette lettre fut envoyée de Wolfenbuttel à Leibniz, par
M. du Héron, le 3 février 1700 (Hanovre, f" SgS) Leibniz écrivit à
ce sujet : « ... Je vous remercie tiès humblement du soin que vous
avez en de me procurer la lettre de M. l'évêque de Meaux, qui est
assurément très savante et délicate au possible. Il faudra savoir là-
dessus les sentiments de Mgr le Duc, pour qui proprement elle a été
écrite, et \e viendrais (^sic) recevoir les ordres de S. A. S. là-dessus,
pour savoir si elle veut que la matière soit approfondie par des gens
du métier. Car, puisqu'elle ne reg.trde ni le droit, ni l'histoire, ni les
mathématiques, ni la philosopiiie, ,|'ai peur (et ce n'est pas sans rai-
son) que M. de Meaux ne me prenne pour un homme trop ambitieux
et téméraire si je voulais entrer en lice avec lui. Outre que je suis
déjà trop embarrassé d'occupations pour avoir envie de m'en attirer
des nouvelles en voulant tenir tète au plus grand homme de contro-
verses de votre parti... » (/6(rf., f" 39'4).
Lettre i9i.5. — L. a. s. Collection de M. Le Blondel, h Meaux.
Une fopie à la Bibliothèque Nationale, fr. i5i8i.
i
janv. i-oo] DE BOSSUET. I^I
Fille, et votre lettre me fait connaître une partie de
vos dispositions et de celles de la Maison. Détachez-
vous de vous-mêmes, et remplissez- vous de Jésus-
Gluist, afm de le faire naître dans ces âmes tendres,
en sorte qu'il y établisse sa demeure.
Ayez soin de Mme de Rodon\ et écrivez moi de ses
nouvelles ; donnez-lui ma bénédiction avec ma lettre,
et croyez, ma Fille, que je n'oublie aucune de vous,
et vous moins que personne.
J. Bénigne, é. de Meaux.
Suscription : A Mme Dumans, à Jouarre, par La
Ferté-sous-Jouarre.
1986. — A DoM Martène.
A. Versailles, 26 janvier 1700.
J'ai reçu, mon Révérend Père, en arrivant de
Meaux à Paris, il y a deux ou trois jours, le docte
et curieux ouvrage' que vous m'avez envoyé, avec
la lettre qui l'accompagnait, et je n'ai pas tardé à
commencer cette lecture. Le dessein me plaît tout
à fait ; et je juge, par le peu que j'en ai lu, que l'exé-
cution n'en est pas moins heureuse : ainsi je vous
rends grâces de votre souvenir. Notre commune
patrie ', outre votre habit et votre congrégation, que
I. Voir t. IV, p. 67.
Lettre 1986. — Publiée dans l'édit. de Versailles, t. XXXVIJl,
p. 66. — D. Martène a eu sa. notice, t. IV, p. 52.
I. Les deux premiers volumes du grand ourrage : De anllquis
Ecclesix ritibus, Rouen, 1700-1702, 3 vol. in-4.
3. D. Martène était né en Bourgogne, à Saint-Jean-de-Losne,
l42 CORRESPONDANCE [fév. 1700
j'honore, me fait prendre un intérêt particulier au
succès de cet ouvrage ; et c'est, mon Révérend Père,
ce qui m'oblige à vous dire ce qui m'est venu de
divers endroits : qu'étant très exact dans les rits
anciens, vous en avez rapporté un petit nombre,
comme actuellement pratiqués, qui ne le sont plus
depuis assez longtemps. On m'a allégué pour
exemple la coutume de ne se point agenouiller
devant le Saint-Sacrement dans l'église de Lyon '.
C'est ce que je vous laisse à examiner ; et je me
contente que vous sachiez ce qui se dit, afin que
rien ne manque à l'exactitude que l'on attend d'une
main aussi savante que la vôtre. Soyez cependant
persuadé de l'estime singulière avec laquelle je
suis, etc.
1987. — A Leibmz.
A Versailles, 2 février l'joo.
Monsieur, des deux difficultés que vous m'avez pro-
ville à laquelle Bossuet se rattacluiit par la famille de sa mère ; il
était cousin de l'abbé Jannel, de qui nous avons parlé, t. II, p. 68
(Bibl. Nationale, fr. 20538, fo^ /i3 ei U).
3. En rappelant la coutume générale de faire la génuflexion devant
le Saint-Sacrement en signe d'adoration, Dom Martène signale une
exception (t. I, p. 666) : « Canonici lugdunenses ex antiqua Ecclesiœ
consuetudine hactenus stando id praestant. » Mais, s'il est vrai qu'ils
ne font pas la génuflexion, il n'est cependant pas exact qu'ils se
tiennent del)out en faisant une simple inclination. Dans le rite lyon-
nais, la génuflexion est remplacée par une « révérence à l'autel
en pliant les genoux comme les femmes et comme les enfants de
chœur des églises cathédrales, ainsi qu'il est expressément ordonné
dans l'ancien ordinaire de cette église » (Le sieur de Moléon (Le
Rriin des Maiettes), Voyages liturgiques de France. Paris, 1757, in-8,
p. Ag-So). Cet usage subsiste encore.
Lettre 1981. — De la main d'un copiste, avec une signature
f('v. I700] DE BOSSUET. 1^3
posées dans votre lettre du 1 1""* décembre 1699, de
la part de votre grand et habile prince ', la seconde
regardait les degrés entre les articles de foi, les ans
étant plus importants que les autres ; et c'est celle-là
sur laquelle il faut tâcher aujourd'hui de le satis-
faire.
Vous l'expliquez en ces termes : « Quant aux degrés
de ce qui est de foi, on disputa dans le colloque de
Ratishonne de ce siècle, entre Hunnius, protestant,
et le P. Tanner, jésuite, si les vérités de peu d'impor-
tance qui sont dans l'Ecriture sainte, comme, par
exemple, celle du chien de Tobie, sont des articles de
foi, comme le P. Tanner l'assura : ce qui étant pobé,
il faut reconnaître qu'il y a une infinité d'articles de foi
qu'on peut non seulement ignorer, mais même nier
impunément, pourvu quon croie qu'ils n'ont point été
révélés ; comme si quelqu'un croyait que ce passage,
Très sunt qui testimonium perhibent, etc., nest
point authentique, puisqu'il manque dans les anciens
exemplaires grecs. Il sera question maintenant de
savoir s'il y a des articles tellement fondamentaux
qu'ils soient nécessaires, necessitate medii, en sorte
quon ne les saurait ignorer ou nier sans exposer son
salut, et comment on les peut discerner d'avec les
autres. »
Il me semble premièrement, Monsieur, que, si
autographe. Hanovre, Papiers de Leibaiz, f" 4l5. Imprimée pour la
première fois dans les OEavres posthumes, t. I, p. /jôg. Datée,
dans les éditions, du 3o janvier; cette date est celle de la minute
(collection H. de Rothschild). Mais la copie qui a été envoyée à
Leibniz porte la date du 2 Février (Cf. Ledieu, t. II, p. i4 et p. i5).
I. Antoine Ulrich.
144 CORRESPONDANCE [fév. 1700
j'avais assisté à quelque colloque semblable à celui
de Ratisbonne, et qu'il m'eût fallu répondre à la
question du chien de Tobie, sans savoir ce que dit
alors le P. Tanner, j'aurais cru devoir user de dis-
tinction. En prenant le terme d'article de foi selon
sa signification^ moins propre et plus étendue, j'au-
rais dit que toutes les choses révélées de Dieu dans
des Ecritures canoniques, importantes ou non
importantes, sont en ce sens articles de foi ; mais
qu'en prenant ce terme d'article de foi dans sa signi-
fication étroite et propre, pour les dogmes théologi-
t[ues immédiatement révélés de Dieu, tous ces faits
particuliers ne méritent pas ce titrée
Je n'ai pas besoin de vous dire que je compte ici,
parmi les dogmes révélés de Dieu, certaines choses
de fait sur lesquelles roule la religion, comme la
nativité, la mortel la résurrection de Notre-Seigneur.
Les faits dont nous parlons ici sont, comme je viens
de le marquer, les faits particuliers. Ily en a de deux
sortes : les uns servent à établir les dogmes par des
exemples plus ou moins illustres, comme l'histoire
d'Esther et les combats de David ; les autres, pour
ainsi parler, ne font que peindre et décrire une
3. Edit. : selon la signification... dans les Écritures.
3. Un article de foi est « une proposition révélée distincte et apte
h s'unir à d'autres pour entrer avec elles dans l'organisme vivant de la
doctrine chrétienne ». Parmi les objets de la connaissance surnatu-
relle, il est des propositions qui ne sont pas manifestées pour elles-
mêmes, mais en vue des notions principales : elles ne peuvent être
iippelées vérités de foi. Vacant (Diclionnaire de Théologie, aktigle de
1 01, p. 2024). Quand il s'agit des textes inspirés, il y a lieu de distin-
guer entre la substance des faits et la forme littéraire dont elle r^i
revêtue.
fcv. 1700] DE BOSSUET. i45
action, comme seraient, par exemple, la couleur des
pavillons qui étaient tendus dans le festin d'Assuérus,
et les autres menues circonstances de celte fête royale ;
et de ce genre serait aussi le chien de Tobie, aussi
bien que le bâton de David, et, si Ion veut, la cou-
leur de ses cheveux. Tout cela, de soi, est tellement
indifférent à la religion qu'on peut ou le savoir ou
l'ignorer, sans qu'elle en souffre pour peu que ce
soit. Les autres faits qui sont proposés pour appuyer
les dogmes divins, comme sont la justice, la misé-
ricorde et la providence divine, quoique bien plus
importants, ne sont pas absolument nécessaires,
parce qu'on peut savoir d'ailleurs ce qu'ils nous
apprennent de Dieu et de la religion.
Pour ce qui est de nier ces faits, la question se
réduit à celle de la canonicité des livres dont ils sont
tirés. Par exemple, si l'on niait ou le bâton de
David, ou la couleur de ses cheveux et les autres
choses de cette sorte, la dénégation en pourrait
devenir très importante, parce qu'elle entraînerait
celle du livre des Rois, oii ces circonstances sont
racontées.
Tout cela n'a point de difficulté, et je ne l'ai rap-
porté que pour toucher tous les points de votre
lettre. Mais, pour les vrais articles de foi, qui regardent
les dogmes* théologiques immédiatement révélés de
Dieu, encore que la discussion en demande plus
d'étendue, il est aisé d'en sortir.
Je rappelle tout à trois propositions : la première,
li. Édit. : Mais pour les difficultés qui regardent les vrais articles
xle foi et les dogmes.
XII - 10
l46 CORRESPONDANCE [fév. 1700
qu'il y a des articles fondamentaux et des articles non
fondamentaux : c'est-à-dire des articles dont la con-
naissance et la foi expresse est nécessaire au salut,
et des articles dont la connaissance et la foi expresse
n'est pas nécessaire au salut.
La seconde, qu'il y a des règles pour les discerner
les uns des autres.
La troisième, que les articles révélés de Dieu,
quoique non fondamentaux, ne laissent pas d'être
importants, et de donner matière de schisme, sur-
tout après que l'Eglise les a définis.
La première proposition, qu'il y a des articles
fondamentaux, c'est-à-dire dont la connaissance et la
foi expresse est nécessaire au salut, n'est pas disputée
entre nous. Nous convenons tous du symbole attri-
bué à saint Athanase, qui est l'un des trois reconnus
dans la Confession d'Augsbourg comme parmi nous,
et on y lit à la tête ces paroles : Quicunqae vult salvus
esse, etc., et au milieu : Qui vuUergo salvus esse, etc. ,
et à la fin : Hsec est fides catholica, quam nisi quis-
que, etc.. absque dabio in œtenuiin peribit.
Savoir maintenant si les articles contenus dans
ce symbole y sont reconnus nécessaires, necessitate
medii, ou necessitate prœcepti, c'est, à mon avis, en
ce lieu une question assez inutile, et il suffira peut-
être d'en dire un mot à la fin,
La seconde proposition, qu'il y a des règles pour
discerner ces articles, n'est pas difficile entre nous,
puisque nous supposons tous qu'il y a des premiers
principes de la religion chrétienne qu'il n'est permis
à personne d'ignorer ; tels que sont, pour descerire
fév. 1700] DE BOSSUET. lAy
dans un plus grand détail, le Symbole des apôtres,
l'Oraison dominicale, et le Décalogue avec son
abrégé nécessaire dans les deux préceptes de la cha-
rité, où consiste", selon l'Evangile, toute la Loi et
les prophètes.
C'est de quoi nous convenons tous, catholiques
et protestants, également ; et nous convenons encore
que le Symbole des apôtres doit être entendu comme
il a été exposé dans le symbole de Nicée, et dans
celui qu'on attribue à saint Athanase.
On se peut réduire à un principe plus simple en
disant que ce dont la connaissance et la foi expresse
est nécessaire au salut, est cela même sans quoi
on ne peut avoir aucune véritable idée du salut
qui nous est donné en Jésus-Christ : Dieu vou-
lant nous y mener ® par la connaissance, et non
par un instinct aveugle, comme on ferait des bêtes
brutes.
Dans ce principe, si clair et si simple, tout le
monde voit d'abord qu'il faut connaître la personne
du Sauveur, qui est Jésus-Christ, Fils de Dieu ; qu'il
faut aussi connaître son Père, qui l'a envoyé, avec
le Saint-Esprit, de qui il a été conçu, et par lequel
il nous sanctifie ; quel est le salut qu'il nous propose,
ce qu'il a fait pour nous l'acquérir, et ce qu'il veut
que nous fassions pour lui plaire : ce qui ramène
naturellement l'un après l'autre les symboles dont
nous avons parlé, l'Oraison dominicale et le Déca-
logue ; et tout cela, réduit en peu de paroles, est
5. Edit. : dans lesquels consiste,
fi. Edit : amener.
l48 CORRESPONDANCE [fév. 1700
ce que nous avons nommé les premiers principes de
la religion chrétienne,
La troisième proposition a deux parties : la pre-
mière, que ces articles non fondamentaux, encore
que la connaissance et la foi expresse n'en soit pas
absolument nécessaire à tout le monde, ne laissent
pas d'être importants. C'est ce qu'on ne peut nier,
puisqu'on suppose ces articles révélés de Dieu, qui
ne révèle rien que d'important à la piété, et dont
aussi il est écrit : Je suis le Seigneur ton Dieu, qui
renseigne des choses utiles (Isa., xlvhi, 17).
Ce fondement supposé, il y a raison et nécessité
de noter ceux qui s'opposent à ces dogmes utiles, et
qui manquent de docilité à les recevoir quand
l'Église les leur propose. La pratique universelle de
l'ancienne Église confirme cette seconde partie de la
proposition. Elle a mis au rang des hérétiques, non
seulement les ariens, les sabelliens, les paulianisles,
les macédoniens, les nestorions, les eutyquiens, et
ceux en un mot qui rejetaient la Trinité et les autres
dogmes également fondamentaux ; mais encore les
novatiens ou cathares, qui ôtaient aux ministres de
l'Église le pouvoir de remettre les péchés ; les mon-
tanistes ou cataphrygiens, qui improuvaient les
secondes noces ; les aériens, qui niaient l'utilité des
oblations pour les morts, avec la distinction de
l'épiscopat et de la prêtrise ; Jovinien et ses secta-
teurs, qui, à l'injure du Fils de Dieu, niaient la
virginité perpétuelle de sa sainte Mère, et jusqu'aux
quartodécimants, qui, aimant mieux célébrer la
Pâque avec les juifs qu'avec les chrétiens, tâchr/ent
fév. 1700] DE BOSSUET. 1^9
de rétablir le judaïsme et ses observances, contre
l'ordonnance des apôtres. Les auteurs opiniâtres de
ces dogmes pervers ont été frappés d'anathème par
les Pères \ par les conciles, même quelques-uns par
le grand concile de Nicée, le premier et le plus véné-
rable des œcuméniques ; parce qu'encore que les
articles qu'ils combattaient ne fussent pas de ce pre-
mier rang, qu'on appelle fondamentaux, l'Eglise ne
devait pas souffrir qu'on méprisât aucune partie de
la doctrine céleste que Jésus-Christ et les apôtres
avaient enseignée.
Si MM. de la Confession d'Augsbourg ne con-
venaient de ce principe, ils n'auraient pas mis au
nombre des hérétiques, sous le nom de sacramen-
taires, Bérenger et ses sectateurs, puisque la présence
réelle, qui fait leur erreur, n'est pas comptée parmi
les articles fondamentaux.
L'Eglise fait néanmoins grande différence entre
ceux qui ont combattu ces dogmes utiles et néces-
saires à leur manière, quoique d'une nécessité infé-
rieure et seconde, avant ou depuis ses définitions.
Avant qu'elle eût déclaré la vérité et l'antiquité, ou
plutôt la perpétuité de ces dogmes, par un jugement
authentique, elle tolérait les errants, et ne craignait
point d'en mettre même quelques-uns au rang de
ses saints ; mais, depuis sa décision, elle ne les a
plus soufferts, et, sans hésiter, elle les a rangés au
nombre des hérétiques. C'est, Monsieur, comme
vous savez, ce qui est arrivé à saint Cyprien et aux
donatistes. Ceux-ci convenaient avec ce saint martyr
7. Edit. : frappés par les Pères.
l5o CORRESPONDANCE [fév. 1700
dans le dogme pervers où l'on rejetait" le baptême
administré par les hérétiques ; mais leur sort a été
bien différent, puisque saint Cyprien est demeuré
parmi les saints, et que les autres sont rangés parmi
les hérétiques : ce qui fait dire au docte Vincent de
Lérins, dans ce livre tout d'or qu il a intitulé Com-
monitorium, ou Mémoire sur l'antiquité de la foi :
0 changement étonnant! Les auteurs d'une opinion
sont catholiques, les sectateurs sont condamnés comme
hérétiques: les maîtres sont ahsous, les disciples sont
réprouvés ; ceux qui ont écrit les livres erronés sont
les enfants du royaume, pendant que leurs défenseurs
sont précipités dans F enfer ^. Voilà des paroles bien
terribles pour la damnation de ceux qui avaient
opiniâtrement soutenu les dogmes que les saints
avaient proposés de bonne foi, dont on voit bien que
la différence consiste précisément à avoir erré avant
que l'Eglise se fut expliquée, ce qui se pouvait
innocemment, et avoir erré contre ses décrets
solennels, ce qui ne peut plus être imputé qu'à
orgueil et irrévérence.
C'est aussi ce que saint Augustin ne nous laisse
point ignorer, lorsque, comparant saint Cyprien avec
les donatistes : Nous-mêmes, dit-il, nous n'oserions
pas enseigner une telle chose, contre un aussi grand
docteur que saint Cyprien, c'est-à-dire la sainteté
et validité du baptême administré parles hérétiques,
si nous n'étions appuyés sur l'autorité de l'Eglise uni-
verselle, à qui il aurait très certainement cédé lui-
8. Edit. : qui rejetait. ^
9. Commonitorlum. VI [l^. L., i. L, col. 6/(6].
fév. i^oo] DE BOSSUET. l5l
même, si la vérité éclaircie avait été confirmée dès
lors par un concile universel : Cui et ille pvocal
dabio cederet, si qaaestionis hujus veritas eliquata et
declarata per plenarium conciliam solidaretar (hih. II
de Bapt., /j).
Telle est donc la différence qu'on a toujours mise
entre les dogmes non encore entièrement autorisés
par le jugement de l'Eglise, et ceux qu'elle a déclarés
aulhentiquement véritables : et cela est fondé sur ce
que la soumission à l'autorité de l'Eglise étant la
dernière épreuve où Jésus-Christ a voulu mettre la
docilité de la foi, on n'a plus, quand on méprise
cette autorité, à attendre que cette sentence : S'U
n écoute pas VEglise, qu'il vous soit comme un païen
et un puhlicain^" .
Il ne s'agit pas ici de prouver cette doctrine, mais
seulement d'exposer à votre grand prince la méthode
de l'Eglise catholique pour distinguer, parmi les
articles non fondamentaux, les erreurs où l'on peut
tomber innocemment, d'avec les autres. La racine et
l'effet de la distinction se tire principalement de la
décision de l'Eglise. Nous n'avançons rien de nou-
veau en cet endroit, non plus que dans toutes les
autres parties de notre doctrine. Les plus célèbres
docteurs du iv'" siècle parlaient et sentaient** comme
nous. Il n'est pas permis de mépriser des autorités
si révérées dans tous les siècles suivants, et d'ailleurs,
quand saint Augustin assure que saint Cyprien aurait
cédé à l'autorité de l'Eglise universelle si sa foi
10. Matt., XVIII, i-j.
11. Edit. : pensaient.
l52 CORRESPONDANCE [fév. 1700
s'était déclarée de son temps par un concile de toute
la terre, il n'a parlé de cette sorte que sur les paroles
expresses de ce saint martyr, qui, interrogé par
Antonien, son collègue dans l'épiscopat, quelles
étaient les erreurs de Novatien : « Sachez première-
ment, lui disait-il, que nous ne devons pas même
être curieux de ce qu'il enseigne, puisqu'il est hors
de l'Eglise : quel qu'il soit, et quelque autorité qu'il
s'attribue, il n'est pas chrétien, puisqu il n'est pas
dans l'Eglise de Jésus-Christ : Christianus non est,
qui in Christi Ecclesia non estyy {Ëpist. ad Anton.).
Saint Augustin n'a pas tort de dire qu'un homme
qui ne souffre pas qu'on juge digne d'examen une
doctrine qu'on enseigne hors de l'Eglise, mais qui
veut qu'on la rejette à ce seul titre, n'avait eu garde
de se soustraire lui-même à une autorité si invio-
lable.
Il n'est pas même toujours nécessaire, pour méri-
ter d'être condamné, d'avoir contre soi une expresse
décision de l'Eglise, pourvu que d'ailleurs sa doc-
trine soit bien connue et constante. C'est aussi pour
cette raison que le même saint Augustin, en parlant
du baptême des petits enfants, a prononcé ces
paroles : <( Il faut, dit-il, souffrir les contre-
disants dans les questions qui ne sont pas encore
bien examinées, ni pleinement décidées par 1 auto-
rité de l'Eglise : In qaxstionibus nondum plena Eccle-
siai aactoritate discussis. » — « C'est là, continue 'ce
Père, que l'erreur se peut tolérer ; mais elle ne doit
pas entreprendre d'ébranler le fondement de l'Eglise :
Jbi ferendas est error, non usque adeo progredidebA,
fév. 1700] DE BOSSUET. i53
ul fundamentam ipsam EcclesisB quatere moliatur »
(Serm. XIV de Verb. Apost.).
On n'avait encore tenu aucun concile pour y traiter
expressément la question du baptême des petits en-
fants ; mais, parce que la pratique en était constante et
universelle, en sorte qu'il n'y avait aucun moyen de
la contester, loin de permettre de la révoquer en
doute, saint Augustin la prêche hautement comme
une vérité toujours établie, et dit que ce doute seul
emporte le renversement du fondement de l'Eglise.
C'est à cause que ceux qui nient cette autorité
sont proprement ces esprits contentieux que l'Apôtre
ne souffre pas dans les Eglises (l Cor., xi, 16). Ce
sont ces frères qui marchent désordonné me nt , et non
pas selon la règle qu'il leur a donnée, dont le même
Apôtre veut qu'on se retire (II Thess., ni, 6). On ne
se doit retirer d'eux qu'à cause qu'ils se retirent les
premiers de l'autorité de l'Eglise et de ses décrets,
et se rangent au nombre de ceux qui se séparent eux-
mêmes (Ep. Judae, y 19) : d'où l'on doit conclure
qu'encore que la matière de leur dispute ne soit
peut-être pas fondamentale, et du rang de celles
dont la connaissance est absolument nécessaire à
chaque particulier, ils ne laissent pas, par un autre
endroit, d'ébranler le fondement de la foi, en se sou-
levant contre l'Eglise, et en attaquant directement
un article du Symbole aussi important que celui-ci :
Je crois l'Eglise catholique.
S'il faut maintenant venir à la connaissance néces-
saire necessitate medii, la principale de ce genre est
celle de Jésus-Christ ; puisqu'il est établi de Dieu
l54 CORRESPONDANCE [fév. 1700
comme l'unique moyen du salut, sans la foi duquel
on est déjà jugé, et la colère de Dieu demeure sur nous
(Joan., m, 18, 36). Il nest pas dit qu'elle y tombe,
mais qu'elle y demeure ; parce qu'étant, comme nous
le sommes, dans une juste damnation par notre nais-
sance. Dieu ne fait point d'injustice à ceux qu'il
y laisse. Ce peut être à cet égard qu'il est écrit : Qui
ignore sera ignoré (i Cor., xiv, 38) ; et, quoi qu'il en
soit, qui ne connaît pas Jésus-Christ n'en est pas
connu ; et il est de ceux à qui il sera dit au juge-
ment : Je ne vous connais pas^'~.
On pourrait ici considérer cette parole de Notre-
Seigneur : La vie éternelle est de vous connaître, vous
qui êtes le seul vrai Dieu, et Jésus-Christ que vous
avez envoyé^'. Cependant, à parler correctement, il
semble qu'on ne doit pas dire que la connaissance de
Dieu soit nécessaire necessilate medii, mais plutôt
d'une nécessité d'un plus haut rang, necessilate
finis, parce que Dieu est la fin unique de la vie
humaine, le terme de notre amour, et l'objet où
consiste le salut ; mais ce serait inutilement que nous
nous étendrions ici sur celte expression, puisqu'elle
ne fait aucune sorte de controverse parmi nous.
Pour le hvret intitulé Secretio^\ etc., il est très
bon dans le fond. On en pourrait retrancher encore
quelques articles : il y en aurait quelques autres à
éclaircir un peu davantage. Pour entrer dans un plus
grand détail, il faudrait traiter tous les articles de
12. Matt., vu, 33.
i3. Joan., XVII, 3.
i4- Cf. p. III.
fév 1700I DE BOSSUET. l55
controverse ; ce que je pense avoir assez fait, et avec
toutes les marques d'approbation de l'Eglise, dans
mon livre de l'Exposition.
Je me suis aussi expliqué sur cette matière dans
maréponse lalineàM. l'abbé de Loccum^". Si néan-
moins votre sage et babile prince souhaite que je
m'explique plus précisément, j'embrasserai avec joie
toutes les occasions d'obéir à S. A. S.
Rien n'est plus digne de lui que de travailler à
guérir la plaie qu'a faite au christianisme le schisme
du dernier siècle. Il trouvera en vous un digne ins-
trument de ses intentions ; et ce que nous avons tous
à faire, dans ce beau travail, est, en fermant cette
plaie, de ne donner pas occasion au temps à venir
d'en rouvrir une plus grande.
J'avoue, au reste. Monsieur, ce que vous dites des
anciens exemplaires grecs sur le passage : Très
sunt, etc. ; mais vous savez aussi bien que moi que
l'article contenu dans ce passage ne doit pas être
pour cela révoqué en doute, étant d'ailleurs établi
non seulement par la tradition des Eglises, mais
encore par lEcriture très évidemment. Vous savez
aussi, sans doute, que ce passage se trouve reçu dans
tout l'Occident; ce qui paraît manifeste, sans même
remonter plus haut, par la production qu'en fait
saint Fulgence dans ses écrits'^ et même dans une
i5. De scripto cuititulus: Co^'itaùones privatae... Episcopi Meldensis
senlenlia (Œuvres, édit. Lâchât, t. XVII, p. 458-/199).
16. Sur saint Fulgeuce et le veiset des trois témoins, voir
J.-P. Martin, Introduclionà la critique textuelle du Nouveau Testament.
partie pratique, P;iris, 1886, t. V, p. 73-82. Dans la Responsio ad
Arianos [P. L., t. LXV, col. aa^J et dans le De Trinitale liber unus.
i56 CORRESPONDANCE [fév. 1700
excellente confession de foi présentée unanimement
au roi Hunéric par toute l'Eglise d'Afrique. Ce
témoignage, produit par un aussi grand théologien
etparcette savante Eglise, n'ayant point été reproché
par les hérétiques, et au contraire étant confirmé par
le sang de tant de martyrs, et encore par tant de
miracles dont cette confession de foi" fat suivie,
est une démonstration de la tradition, du moins de
toute l'Eglise d'Afrique, l'une des plus illustres du
monde. On trouve même dans saint Cyprien '^ une
allusion manifeste à ce passage qui a passé naturel-
lement dans notre Vulgate, et confirme la tradition
de tout l'Occident.
Je*" suis, avec toute l'estime possible. Monsieur,
votre très humble serviteur,
J. Bénigne, é. de Meaux.
Suscription: A Monsieur de Leibniz, à Hanovre^".
cap. IV (ibid., col. 5oo), saint Fulgence fait allusion au verset 7 du
cl». V de la f^ Epître de saint Jean. La façon dont il allègue saint
Gyprien, qui ne fait allusion qu'au verset 8 de saint Jean, l'.ipplica-
tion spirituelle que les Pères, au vi'" siècle, faisaient de ce verset à la
Trinité, montrent que l'évèque de Ruspe vise en réalité ce verset.
Actuellement la grande majorité des commentateurs catholiques
ne reconnaît pas l'authenticité du verset touchant les trois témoins
célestes. Mais l'idée énoncée en ce verset se trouve démontrée
par ailleurs dans l'Ecriture et était reçue universellement dans la
tradition. En somme, c'est un témoignage traditionnel qui s'est intro-
duit après le vi<* siècle dans le texte latin du Nouveau Testament;
mais il est sûr que les mss. grecs des dix premiers siècles ne con-
tiennent pas ce passage.
17. Edit. : confession de la foi.
18. Sur saint Cyprien et le verset des trois témoins, voir P. Mar-
tin, op. laud.. p. III. Saint Cyprien ne connaît en réalité que le
verset 8, sur les trois témoins terrestres.
19. Cette conclusion et la signature sont de la main de Bossuet.
20. Cette lettre fut envoyée à son destinataire par M. du Héron,
70o] DE BOSSUET. 167
1988. — Nicolas Payen a Bossuet.
Monseigneur, je viens joindre mes très humbles prières à
celles de MM. les ofTiciers de ville. Ils sont dans le dessein
de rendre à M. Pelletier* le prix de son office de lieutenant
de Roi ; ils en ont obtenu la permission, mais la difficulté,
c'est d'avoir à la main les deniers nécessaires pour (aire une
si belle action. Le fonds ne leur manque pas, car, par leur
sage économie, ils ont en dépôt plus de dix mille livres : il
ne s'agit que d'obtenir de M. l'Intendant la liberté de tou-
cher à ce fonds réservé : Noli me tangere, quia sum Cse-
saris.
Le crédit de l'hôtel de ville et celui de tous les corps
ensemble est bien peu de chose, si vous ne le soutenez de
votre autorité. Ils demanderont assez, mais ils ne seront pas
écoutés si vous n'avez agréable de prévenir M. l'Intendant en
leur faveur. Cependant, Monseigneur, il est de l'intérêt de
la ville de faire cesser tout d'un coup des sujets de contesta-
tion qui se renouvelleront à toutes les heures du jour, et de
tarir pour toujours une source inépuisable de procès et de
différends. Il n'y a que vous. Monseigneur, qui puissiez faire
qui écrivit le 16 février à Leibniz : « Je reçus hier, Monsieur, une
lettre de M. l'évêque de Meaux pour vous. Je vous l'envoie sans
l'avoir montrée à S. A. M. le duc Antoine Ulrich. Le temps de la
foire (de Brunswick) n'est g^uère un temps convenable à de pareilles
lectures. Si votre fluxion tous empêche d'y venir, si vous jugez à
propos de me l'envoyer, je prendrai le plus de sa commodité pour la
lui lire. Si vous vous portez assez bien, comme je le souhaite, pour
faire ce vovage, je vous prierai de me la communiquer, afin (jue je
puisse voir de quelle manière il répond aux difficultés que vous lui
aviez proposées ». (Hanovre, f" Sga).
Lettre 1988. — Publiée par M. Gasté (Deux lettres, p. 46), d'après
le recueil de N. Payen, où elle est Intitulée : Lettre à M. l'Evêque
de Meaux pour le remboursement de l'office de lieutenant de Roi.
I. Pelletier (al. Le Pelletier), lieutenant de Roi de Meaux. Cf.
lettre du 19 janvier 1698, t. IX, p. i34.
l58 CORRESPONDANCE [fév. 170a
un si beau coup et procurer à tout le monde un bien dont
la mémoire ne se perdra jamais 2.
J'ai l'honneur d'être avec beaucoup de respect, Monseigneur,
votre très humble, très obéissant et très obligé serviteur.
A Meaux, ce 4 février 1700.
1989. — A Pierre de La Broue.
A Versailles, ce 21 février 1700.
Je crois, Monseigneur, vous devoir envoyer la let-
tre de notre confrère Monseigneur l'évêque d'Alais ' .
et la réponse que j'y ai faite. Je n'ai pas besoin de
vous dire que je persiste toujours dans mes premiers
engagements et dans le même désir de vous voir
2. L'intervention de Bossuet dut être efficace, car, dans ses lettres
d'anoblissement, du mois de juin 1714, Guillaume Léger Le Pelle-
tiei' est qualifié de s(»us-lieutenant aux Gardes françaises et ci-devant
lieutenant de Roi au gouvernement de Meaux. Ce document nous
apprend qu'il s'est distingué à Ramillies, à Oudenarde et en maintes
autres circonstances, et il rappelle que son père était décédé doyen
des conseillers au présldial de Meaux et que, depuis l'an 1^20, ses
ancêtres avaient possédé successivement la première charge du bail-
liage et prévôté de Grécy-en-Brie (Bibliotlièque Nationale, Pièces
originales).
Lettre 1989. — Copie authentique, au Séminaire de Meaux.
I. François Chevalier de Saulx, docteur de Sorbonne, abbé de
Psalmody, vicaire général de Nîmes, puis évèque d'Alais (de 169/4 ît
1712). Il était en compétition avec P. de La Broue au sujet de la
députation des Etats du Languedoc, dont il a été parlé, t. X, p. i58
(Voir Sourches, t. II, p. 76; t. VII, p. 83; t. X, p. Ixki ; t. XIII,
p. 525). C'est l'évêque d'Alais qui eut le dessus et qui, le 21 juin
1701, porta la parole au nom des autres députés des États, en pré-
sentant au Roi les cahiers de cette assemblée (Ga/Zia christiana, t. VI,
col. 517). Ce prélat était un gentilhomme poitevin (Beauchet-Fil-
\eAii,Dict. des familles du Poitou. Poitiers, 1891, t. II, p. 434)- H est
parlé de lui dans l'Histoire (jénérale du Languedoc, on l'on a imprimé
une lettre qu'il écrivit sur la révolte des Cévennes.
fév. 1700J DE BOSSUET. lÔQ
ici : on vous, aura même rendu compte de la démar-
che que j'ai faite auprès de M. du Maine. Je ne vous
dis rien davantage ; et j'espère que vous demeurerez
aussi parfaitement assuré de moi, que je suis engagé
à poursuivre de mon côté tout ce qui vous touche.
Vous serez bien aise, mon cherSeigneur, desavoii-
de moi que je fais demain, s'il plaît à Dieu, le
•6^''
Briffe, fille de M. le Procureur général, et que, par
la grâce de Dieu, je trouve dans cette alliance tout
ce que je pouvais désirer^.
J'ai eu une petite indisposition ' par un épanche-
ment de bile, qui m'a causé un vomissement, et m'a
obligé à quelques remèdes que Dieu a bénis, en
sorte qu'il y aura sujet de croire que ce mal n'aura
aucune suite, n'y ayant eu, par sa grâce, ni fièvre,
ni altération, ni aucun autre accident fâcheux.
Je suis, Monseigneur, avec le respect que vous
savez, votre très obéissant serviteur.
J. Bénigne, é. de Meaux.
2. Ce mariage avait été ménagé, dit Ledieu, en huit jours par
l'abbé Bossuet. Le contrat en fut signé le 21 février par le Roi el
tous les princes et princesses. L'abbé y abandonnait à Louis Bossuel,
son frère, la créance de quatre-vingt-dix mille livres qu'il avait sur
lui pour la part qui lui revenait dans la charge de maître des
requêtes qu'avait possédée leur père (Ledieu, t. II, p. 18 et 19).
3. Louis Bossuet d'Azu, maître des requêtes après son père, épou-
sait Alarguerite de La Briffe, fille du procureur général Arnauld de
La Briffe, seigneur de Ferrières, et de sa première femme Martlie
Agnès Potier de Novion. Le mariage se fit le 22 février dans la cha-
pelle de M. de La Briffe. L'avant-veille, l'évêque de Meaux avait
fait porter à sa future nièce, en présent de noces, deux brillants pour
les oreilles, valant neuf mille livres. (Ledieu, ibid.).
4. Sur la nature de cette indisposition et sur le traitement dont
elle fut l'objet, voir Ledieu, t. II, p. 16 et suiv.
[6o CORRESPONDANCE [fév. 1700
1990. — A Antoine de Noailles.
Vendredi matin [27 février 1700].
Je vous renvoie, mon cher Seigneur, la censure
des Docteurs' ; vous aurez demain avant midi, s'il
plaît à Dieu, la qualification comme je l'ai faite. La
seconde thèse, sur la contrition -, est plus délicate. Je
vous envoyerai la manière dont je l'ai tournée,
dimanche au soir, à votre arrivée à Versailles.
Pour vous dire un mot de mon sentiment, je
trouve, en eflet, que la thèse atteint, combat le péché
philosophique, mais très imparfaitement, sans y
Lettre 1990. — La. s. imprimée par M. Gasté {Lettres et
pièces inédites, p. 40' d'après une copie Paite en i844, à Metz, par
A. Floquet sur l'autographe appartenant à M. d'Hunolslein. Celte
lettre accompajfnait un autre document aussi publié par M Gasté (op.
cit.. p. 57) et qui, à en juger par son contenu, a été envoyé le 37
févripr, suivant Ledieu, t. II, p. 19 et suivantes. Or le 27 février
1700 était bien un vendredi. Nous sommes donc autorisés à dater du
même jour et la lettre et le long fragment dont nous la faisons suivre,
p. 162.
I. Touchant une thèse soutenue le \l\ décembre 1699 au collège
Louis le-Grand. On peut lire dans la Reoue Bossuet du 25 jan-
vier 1901, p. 35, une censure de cette thèse signée le 26 février
de quinze docteurs (Pirot, Tournely, Frassen, etc.). Mais ce n'est
pas de celle-ci que parle Bossuet. Les expressions qu'il reproduira
tout à l'heure se lisent dans une autre censure (fr. 20 70^, f» 235), du
3i ianvier, signée de Boileau, T. Roullaud, Lefeuvre, L. de Targuy,
Anquetil et J.-B. J. Favart (Sur cette aflaire, on peut voir un recueil
du P. Léonard, aux Archives Nationales, M 243, f"^ i32 et suiv. Ce
Père a transcrit, en particulier, une brochure apologétique des jé-
suites imprimée en 1700 et intitulée: Lettre à un docteur de Sorbonne
touchant la thèse soutenue chez les Jésuites le i4 décembre iGgg).
a. Cette seconde thèse, sur l'attrition ou contrition imparfaite,
avait été soutenue aussi chez les jésuites du collège Louis-le-Grand,
le 3 février (Ledieu, t. II, p. 19). /
fév. i-oo] DE BOSSUET. l6l
parler ni de lattention actuelle, ni des autres cir-
constances intolérables de cette erreur.
Je suis assuré que les propositions en question
ont déjà été censurées dans le livre de V Apologie ^
Du reste, la distinction de M. Pirot est très bonne,
et il en faut profiter ; mais elle n'affaiblit point les
qualifications [des] docteurs et il ne faut que les
tourner pour les rendre plus fortes, et y ajouter la
note d'erronées*.
3. Apologie pour les Casuistes contre les calomnies des Jansénistes,
par un théologien et professeur en droit canon (le P. Georges Pirot,
jésuite), Paris, 1657, '"-'^- Cet ouvrage fut condamné par
Alexandre Vil, le 21 août 1609 ; le 16 juillet de l'année précédente,
la Faculté de Paris avait censuré un grand nombre de propositions
extraites de cette Apologie (Voir plus loin la circulaire de l'assem-
blée du clergé, du 17 septembre 1700).
4. La thèse visée ici roulait sur les pécheurs endurcis. Elle était
du P. Germain Bescbeler, né à Châlons le 10 août 1670, dune
famille établie à Vitry-Ie-François, à Épernay et à Chàlons, et dont'
une branche quitta la France à la révocation de l'édit de Nantes. Il
régenta au collège de Reims, et se livra à la prédication. Il mourut
à Cliâlons le i/^ août 1720 (L. Carrez, Calalogi socioruniet officiorum
provincix Campaniœ socielatis Jesii, Chàlons, 1906, in-8 (J. Erman,
Mémoires pour servir à l'histoire des réfugiés français, etc., t. IX,
Berlin, 1799, in-8, p. 27; Bibliothèque Nationale, Dossiers bleus).
A la même famille appartenait le P. Thierry Beschefer, qui mourut
fort âgé à Reims, le 4 février 171 1, après avoir été missionnaire
chez les Iroquois du Canada (1670), puis supérieur du collège de
Québec (C. de Rochemonteix, Les Jésuites de la Nouvelle France,
Paris, 1896, in-8, t. III, p. 371).
— Le texte de la thèse incriminée nous a été conservé par d'Argentré:
« VIII. — Unum peccatnm saepe est pœna alterius peccati, non
tamen per se, sed tantum per accidens, quatenus nempe obcaecatione
punitur et obduratione, cum Deus prius desertus peccatorem deserit.
Très sunt desertionis gradus : primus gratiam uberiorem, secundus
minorera aliam, tertius vero omnem omnino excludit ; peccata gravia
primo et secundo desertionis gradu in bac vita puniuntur ; nuUa
autera punirl desertione summa ita ut Deus opem gratis omnem pec-
catori subtrahat niagis videtur opinioni Augustin! congruere et
aperte docet author libri de Vocalione gentium.
XII - II
l62 CORRESPONDANCE (fév. 1700
Je prie Dieu qu'il vous illumine pour démêler les
artifices de ceux qui ne travaillent, par des chemins
détournés, qu'à donner de spécieux prétextes à l'er-
reur, et que plus il vous élève et continuera à vous
élever** sur le chandelier, plus il vous rende humble
et docile à sa vérité. Je suis en lui, mon cher Sei-
gneur, tout à vous et avec le respect que je dois.
J. Bénigne, é. de Meaux.
ï
1990 bis. — A Antoine de Noailles.
[37 février 1700J.
(( Eorum^ qui aiunt peccatores nonnallos ita deseri
a /)eo(etc. jusquesà la fin)exconclusionibus theolo-
Eorum qui aiunt peciatores nonnullos ita deseri a Deo ut ab inte-
riore illius luce penitus secludantur et priventur omni motu, non una
est opinio ; alii enim errant dum asserunt peecatori plane obcaecato
et indurato peccata niliilominus impiitari, alii tolerabilius sentiunt
dum neg^anl » {Collectio judiciorum de novis erroribus, t. III, p. 4 '2).
5. Allusion à la prochaine promotion de cardinaux, dont Noailles
devait faire partie.
Lettre i990 bis. — Pièce publiée, pour la partie française, par
M. Gasté (cf. p. 160); inédite pour la partie latine.
I. Ce qui suit se trouve en une minute avec corrections et signa-
ture autographes, aux Archives Nationales, M 836, n" 19. Nou.s
allons donner le texte de la consultation appréciée et corrigée par
Bossuet, afin que l'on puisse comprendre mieux sa pensée.
Excerptum ex conclusionibus tlieologicis de Peccalo et gratia
(col. f'' ; sect. 8«).
...Très sunt desertionis gradus : primus gratiam uberiorem, secun-
dus minorem aliam, tertius vero omnem omnino excludit. Peccata gra-
via 1° et 2" desertionis gradu in hac vita puniuntur : nuUa auteni puniri
desertione summa ita ut Deusopem omnem peecatori subtraliaf, niagis
videlur Augustiniopinioni congruereetaperledocetautborlibri de foca-
tione gentium. Eorum qui aiunt peccatores nonnullos ita deseri a Deo
fév. 1700] DE BOSSUET. l63
gicis in rcgio Lud. Magni GoUegio propugnatis, die
i/j dec. 1699. Appendice VHP.
Quod hujus divisionisprior pars erro ris insimulat,
sive theologica locutione erroneam reputat sanam et
orthodoxam ac multis S. S. P.P. atque optimae notœ
theologis probatam, nec non Sacris Scripturis dic-
tisque dominicis valde conformem" sententiam qu*
ut ab interiori illius luce penitus secludantur et priventur omni motu,
non una est opinio. Alii enim errant, dum asserunt peccatori plane
obcœcato et obdurato peccata nihilominus imputari ; alii tolerabilius
sentiunt dum negant, etc.
Harum conclusionuin veritas... propuguabitur die lunae i4* deceni-
bris 1699, in Regio Ludovici Magni collegio Societatis Jesu.
Errant qui asserunt peccatori plane obcœcato et obdurato peccata
nihilominus imputari. De qua propositione posl accuratum et diuiur-
nuin examen ita sentimus : Ilaec propositio, in quantum erroris insi-
mulat tlieologorum orthodoxe sentientium verani sanamque doetri-
nam, temeraria est, scandalosa, sanclis Patribus injuriosa ; in
quantum vero negat a Deo imputari peccata homini plane obcœcato et
obdurato, falsa est, temeraria, scandiilosa, piarum aurium offensiva,
verbo Dei contraria, latam impiis atque perversis hominibus aperiens
viam ad elTrenem scelerum licentiam et ad excusandas excusationes
in peccatis (Psalm. cxl). Haec eadem propositio magno animarum
detrimento rénovât doctrinam a pluribus episcopis nostro saeculo
proscriplam in celebribus censuris* adversus exitialem libellum
editis qui inscribitur vernacule Apologie pour les casuistes, elc, quem
et Facultas theologica Parisiensis ** damnandum duxit et reipsa da-
mnavit ob perniciosas plerasque propositiones quarum uni aut pluribus
non absimilis est hodierna isthaec propositio: Errant qui asserunt, etc.,
quae insuper turpem de peccato philosophico doctrinam ab Aposfolica
Sede*** rejectam clanculum Fovere, eique per latus patrocinari non
obscure videtur. Datum Parisiis, die trigesima prima et ultima
Januarii an. R. S. 1700.
BoiLEAu, T. RouLLAND, Lefeuvre, S. Theologia; proFessor regius,
L. DE Targny, Anquetil, J.-B.-J. Favart.
2. Au-dessus de conformem, non effacé, on lit : consentaneam.
* Censuras Episcoporum Gallia; in librum qui inscribitur Apologie poar
les casaisles, i(j58 et iGSg.
** Censura Facultalis Parisiensis, an. i658. Censura Lovaniensis in simili
materia, an. 1667.
*** Decretum Alex. Papae VIII, an. 1690.
i64 CORRESPONDANCE [fé,. 1700
asserit peccatori plane obcaecato et indurato nihilo-
minus imputari peccata, temeraria est, scandalosa,
Patribus ac theologis contumeliosa (ac vim evan-
i::elic8e praîdicationis ' sive adhortationis et commi-
nationis infringit).
Quod autem eadem divisio '' altéra parte supponit,
esse aliquos theologos qui eo modo quo ipsi obcœ-
cationem et indurationem explicant, propter eam
peccata imputari negent, falsum est ac temerarium.
Quatenus vero eadem propositio significat eam sen-
tentiam falso theologis quibusdam attributam, tole-
rabilem esse, sive tolerabiliorem comparatione facta
ad alteram sententiam ; non autem certo et aperte
falsam ac nemini theologo tolerabilem visam qua
scilicet statuatur obcœcatos et induralos atque a Dec
penitus desertos, justoque judicio, sed occulto, sibi
ac suis cupiditatibus omnino traditos, peccato non
esse obnoxios, aut eis ipsa peccata quantumvis hor-
renda non imputari ; falsa item est, temeraria, scan-
dalosa, verbo Dei contraria, erronea, impiis atque
perversis hominibus viam aperiens ad effrenampec-
candi licentiam et ad excusandas excusationes in
peccatis.
Hœc eadem propositio..., etc., comme dans les
qualifications des Docteurs.
Eadem insuper... etc., comme dans les mêmes
qualifications, excepté que je mettrais simplement
eiqae per latus non obscure patrocinatur , plutôt que
3. Au-dessus de ccclesiastica: , non rayé, on voit : evangelicœ . Le
c.'t)piste a écrit : prœdicatoris au lieu de prsedicationis.
4. Ces deux mots : eadem divisio, sont ajoutés de la main de Br f
suet au-dessus de nutcni altéra.
fév 1700] DE BOSSUET. l65
palrocinari videlur. et j'ajouterais : nec sufficit pes-
siml dogmatis aliquam partem elidere ut in haruni
conchisionum prima appendice factam, cum illud in
totum, et quavis specie ohtrudatur , radicitus amputari
aique ab omni theologiœ lamine arceri oporteat.
Neque propterea intendimas probare alias harum
conclusionum partes , ut est illa appendicis V, de invin-
cibiliignorantiajuris naturalis aliaeque ejusmodi aut ea
quse speciant (appendice quarta) ad imputandos ortho-
doxis theologis ac scholis errores gravissimos quos
damnant.
J'espère, mon cher Seigneur, que vous trouverez
comme moi qu'il n y a rien de plus important, dans
la conjoncture présente, oîi l'on tâche d'établir qu'il
faut être ou janséniste ou moliniste, de venger
l'Ecole de saint Thomas de l'erreur énorme de faire
Dieu auteur du péché et d'ôter absolument au libre
arbitre la faculté ad alteram partem contradictionis .
Cela me paraît de la dernière importance. Vous
savez néanmoins que je soumets mes lumières aux
vôtres, et par la connaissance que j'en ai et par la
confiance que Dieu assiste ceux qui sont en place et
bénit leur application.
La saine doctrine de saint Augustin et de saint
Bernard^ est, premièrement, que les péchés où
l'on tombe par nécessité en conséquence de la
désertion et en punition des péchés précédents,
sont vrais péchés ; secondement, qu'il ne laisse pas
5. S. Augustin., Opus imperf. contra Julianum, lib. I, xciv [P. L.,
t. XLV, col. II 10]. S. Bernard., Serm. in Cantic., lxxxi, 7 [P. L.,
t. GLXXXIII, col. 1174J.
l66 CORRESPONDANCE [fév. 1700
d'être véritable que Dieu ne refuse jamais tout
secours absolument en cette vie au pécheur, quel-
que endurci qu'il soit, et qu'on doit toujours lui
dire que Dieu le veut encore sauver et qu'il est
lui-même le seul auteur de sa perte. Troisième-
ment, que ces deux doctrines sont très compa-
tibles, et que c'est mal à propos qu'on les oppose.
Quatrièmement, que ces deux Pères, et notamment
le premier, lorsqu'ils admettent comme véritable
que le péché inévitable n'est pas péché, y mettent
toujours l'exception du péché qui est tellement péché
qu'il est encore peine du péché. Cinquièmement,
qae, malgré la nécessité de pécher 011 l'on tombe
comme on vient de voir, la liberté de contradiction*
demeure toujours par le libre choix entre les péchés,
à peu près comme dans les péchés véniels \ Si vous
6. La liberté de contradic'.ion est la faculté qu'on a d'agir ou de
n'agir pas, de faire telle chose ou de ne pas la faire, comme d'écrire
ou de ne pas écrire. Elle se dislingue de la liberté que les théologiens
appellent Ubertas contrarietalis, qui est le pouvoir d'agir après avoir
choisi entre deux partis contraires, comme aimer ou haïr, mentir ou
dire la vérifé. Un pécheur peut être tellement affaibli par ses habi-
tudes mauvaises et ses résistances continuelles à la grâce, qu'il se
trouve dans une nécessité morale de pécher un jour ou l'autre,
bien qu'en chaque cas particulier, il reste toujours libre de ne le pas
faire, en sorte que si, en telle ou telle occasion, il évite de pécher,
sa faiblesse est telle qu'il succombera dans une autre.
7. Le juste ne peut moralement, avec les secours ordinaires de la
grâce, éviter tous les péchés véniels (Conc. Tridenlinum, Sess. VI,
can. i3); il ne le peut sans un privilège spécial de grâce. Cepen-
dant il demeure libre dans chacun des péchés qu'il commet. Cette
impuissance morale n'affecte pas chacun des actes en particulier, mais
l'ensemble, en sorte que, dans cet acte pris en particulier, il peut évi-
ter le péché, mais, par le fait de la fragilité humaine, ici ou là, il tom-
bera dans une faute vénielle plus ou moins délibérée (S. Thomas,
Suin. th., 1°, II"®, q. 109, art. 8; Suarez, Tractatus de (jratia, iib. I?C^
cap. VIII, art. 17 à 33).
mars 1700] DE BOSSUET. 167
m'ordonnez de vous rapporter les passages de ces
deux saints, je crois le pouvoir faire en peu de jours,
aidé de vos ordres et de vos prières.
Pour exposer toute ma pensée, je crois qu'il faut
faire la censure en latin et la faire en même temps
traduire et publier en française
J'espère que vous serez content du tour que j'aurai
à vous proposer sur la thèse de l'attrition,
J. Bénigne, é. de Meaux.
1991. — Pierre db La Broue a Bossuet.
A Mazerettes, ce lO mars 1700.
Je vous rends mille grâces, Monseigneur, de toutes vo*;
bontés ; et je commence par me réjouir avec vous du mariage
de M. votre neveu. Je ne connais pas la demoiselle, mais on
me mande que le mérite de la personne répond à tout le
reste' : ainsi il y a mille sujets de vous en féliciter.
J'ai vu la lettre de M. l'évêque d'Alais : elle ne m'a pas
surpris, car je connaisses manières; mais j'aurais cru qu'il
vous aurait fait plus d'honnêtetés qu'il ne vous en fait. Vous
aurez vu, Monseigneur, dans la lettre que j'ai cru devoir
écrire à M. l'évêque de Chartres, combien tout ce que
8. L'archevêque était décidé à publier une censure de ce genre.
Pour détourner le coup, les jésuites donnèrent d'abord une décla-
ration dont Bossuet dit qu'elle était pire que la thèse même, puis-
qu'elle tendait à l'excuser. L'évêque de Meaux, le 29 mars, envoya à
l'arclievèque le projet d'une rétractation édifiante (Ledieu, t. II,
p. 21 et 28), et il est probable que c'est conformément à ce projet
que le P. Beschefer fit, le 3 avril, une déclaration dont 11 sera parlé
plus loin.
Lettre 1991. — i. L'abbé Millet, qui fut le précepteur de l'abbé
Bossuet, revient souvent dans ses lettres sur l'élog^e de Mme Bossuet
(Ms. de Lyon, 77^ à 777, passim). Au contraire, Ledieu se scanda-
lise des familiarités de cette jeune femme avec son beau-frère.
l68 CORRESPONDANCE [mars 1700
M. l'évoque d'Alais dit des prétendus engagements qu'il pré-
tend que j'avais pris avec lui, est faux et sans fondement. Il
est étonnant que, le lui ayant nié bien formellement, il ose
encore l'avancer, et citer des témoins qui ne le disent pas
assurément. Mais ce n'est pas de quoi il s'agit : il s'agit si
c'est lui faire une injustice, comme il le prétend ; il s'agit s'il
s'est cru déshonoré de ce que M. l'évêque de Montpellier- a
été député avant lui, et pourquoi il prétend l'être de ce que
je songe à être député après M. l'évêque de Montpellier, à
qui c'est moi, et non M. l'évêque d'Alais, qui a cédé. Vous
pouvez le demander à M. l'évêque de Montpellier, que vous
aurez bientôt à Paris. Il ne fut pas seulement parlé de
M. l'évêque d'Alais, qui ne fut que fort peu de jours aux
derniers États de Narbonne, où la chose se décida il y a envi-
ron quinze mois. Avec tout cela, Monseigneur, je vous
avoue que cette concurrence avec un homme dont les
manières sont si rudes, ne laisse pas de me faire une extrême
peine ; et je souhaiterais fort qu'avant d'en venir à une
espèce de combat, qui ne me paraît point convenir à deux
évêques, on trouvât quelque moyen d'apaiser M. l'évêque
d'Alais. Je ne sais si M. de Basvllle le pourrait faire; mais je
crois qu'il faut auparavant laisser user à M. l'évêque d'Alais
toute sa poudre. 11 sera plus traitable quand il verra qu'il ne
lui reste plus guère d'espérance de réussir : car, s'il n'arrive
point de changement, je crois que j'aurai les trois quarts des
voix. Mais, encore une fois, il me semble que c'est un scan-
dale dans l'Eglise, qu'on voie deux évêques disputer à qui
s'éloignera de son évêché ; et je voudrais bien qu'avant le
terme des États prochains, les choses fussent réglées entre
nous deux. Vous aurez à Paris, et dans l'assemblée même du
clergé, deux ou trois de nos prélats^ qui vous diront ce
2. L'évêque de Montpellier était, depuis 1696, Cliarles-Joachim
Colbert de Croissy.
3. Les évêques du Languedoc députés à l'assemblée de 1700 furent
celui de Béziers, pour la province de Narbonne, celui de Montauban
pour la province de Toulouse, et celui de Cabors pour la province
d'Albi.
mars 1700] DE BOSSU ET. 169
qu'ils pensent de la prétention de M. l'évêque d'Alais : ils
savent nos usages, et je ne crois pas qu'ils soient suspects à
M. l'évêque d'Alais. Le P. Le Valois, à qui M. d'Alais avait
écrit comme pour lui demander conseil, me mande ce qu'il
lui a répondu, qui me paraît fort sage : je ne sais si
M. l'évêque d'Alais s'en laissera toucher. Ce que je puis vous
assurer, Monseigneur, c'est que le seul plaisir de vous voir
et de passer quelques mois auprès de vous, m'a fait désirer
la députation, et que sans cela je l'aurais déjà cédée sans
peine à M. l'évêque d'Alais.
Nos nouveaux convertis font un peu mieux : M. Le
Gendre*, intendant de Montauban, a donné ordre à un
subdélégué qu'il a dans le pays de Foix, d'ordonner de sa
part à tous les nouveaux convertis d'assister à la messe, et
qu'il ne leur donnait de terme que jusqu'au premier
dimanche de carême, auquel il entendait que tout le monde
y assistât. Cet ordre a eu un très grand succès, et il y a eu
très peu de personnes dans une paroisse très nombreuse qui
n'y soient venues. Ils sont encore venus en plus grande Ibule
aux sermons que je leur fais tous les dimanches sur la
matière de rEucliaristie, que je traite avec beaucoup d'éten-
due, et d'une manière familière, avec les livres à la main.
Je ne sais si Dieu bénira nos soins ; mais ces commence-
ments sont heureux.
Je suis toujours avec un respect et une reconnaissance
infinie, etc.
1992. — Frémont a Bossuet.
De Rouen, ce 17 mars 1700.
Le sieur Le Normand, ci-devant curé de Mareuil-la-
A- Sur Le Gendre, voir plus loin, p. 170.
Lettre 1992. — L. a. s. Bibliothèque de sir Thomas Phillips, à
Cheltenham. Inédite. — Les renseignements font défaut sur le sijjna-
taire de cette lettre. Il était sans doute apparenté à Thomas Frémont,
I^o GORllESPONDANCE [mars 1700
Ferlé*, dans votre diocèse, m'étant venu trouver en cette
ville pour se consoler de sa disgrâce et du malheur qu'il a eu
de n'avoir pas obéi. Monseigneur, aux premiers ordres et
avis de Votre Grandeur, m'a fait voir la consultation des
quatre des plus célèbres avocats du Parlement de Paris en
matière bénéficiale, qui sont unanimement d'avis qu'il est
toujours en état et en pouvoir de résigner ou permuter sa
dite cure, attendu l'appel interjeté de la sentence de votre
officiai qui le condamne à s'en démettre dans quatre mois,
lequel suspend de droit l'exécution de cette sentence. Plu-
sieurs avocats les plus éclairés de ce pai-lement sont aussi de
même sentiment que ceux de Paris. Fondé sur ces assurances
et certitudes de droit, le S'" Le Normand a cherché, Monsei-
gneur, dans Paris le plus honnête ecclésiastique que ses amis
ont pu lui indiquer par préférence à plusieurs. Us lui ont
donné un bachelier en théologie qui est un ecclésiastique des
qui figure, en 1671^, comme procureur au Parlement de Rouen
(Bibliothèque Nationale, Tlioisy, ig/l, f" 6).
I. Mareuil-la-Ferté, aujourd'hui Mareuil-sur-Ourcq, canton de
Betz, département de l'Oise, faisait autrefois partie du diocèse de
Meaux. François Olivier Le Normand, curé de celte paroisse, avait,
par ses dérèglements, mis Bossuet dans la nécessité de lui demander
sa démission ; mais, s'y étant refusé, il avait été arrèlé, et traduit
devjint i'officialité, qui le condamna, au mois de novembre 1699, à
sortir du diocèse et à perdre ou permuter dans les quatre mois son
bénéfice. De plus, le juge royal de Meaux, qui connut de son affaire
pour le cas privilégié, le punit de la confiscation de ses biens et le
bannit à perpétuité des bailliages de Meaux et de La Ferté-Milon,
par sentence du i4 novembre 1699. ^^ Procureur général, qui avait
réclamé pour l'accusé les galères, fit appel a minima. tandis que le
condamné interjetait appel comme de juge incompétent. Le Par-
lement confirma la sentence du premier juge, sauf en ce qui re-
gardait la confiscation, et il y ajouta le bannissement de la ville,
prévôté et vicomte de Paris. L'abbé Le Normand avait été accusé
d'avoir, avec la complicité d'une certaine Antoinette Cailla, veuve
Claude Lemaire, lente d'abuser par force de Marguerite Hujart, sa
paroisienne. Les gens de Mareuil avaient pris parti pour leur curé;
c'est ce qui explique l'indulgence dont il bénéficia en appel (CP.
Ledieu, t. H, p. '1, et Archives Nationales, X'-'A r)oi, arrêt du 7 jan
vier 1700).
mars i7ooJ DEBOSSUET. 171
plus recommandablcs de Paris en science, bonne vie, mœurs
et mérites, doué d'un esprit doux et pacifique, de toutes les
belles qualités qu'on peut désirer, que plusieurs évêques ont
désiré avoir dans leur diocèse, avec lequel il a permuté sa
dite cure de Mareuil dès le commencement de janvier dernier
et envoyé en cour de Rome. C'est ce qui l'oblige. Monsei-
gneur, de supplier très humblement V^otre Grandeur, avec
tout respect et soumission, d'agréer et trouver bon qu'il ait
permuté avec cet honnête ecclésiastique qui l'a tiré du che-
min où il était du fâcheux désespoir par ses bons et salu-
taires conseils pleins de charité et de consolation, [reconnais-
sant] toutes ses fautes passées, dont il m'a témoigné plusieurs
fois être vivement touché et repentant. Il a voulu vous don-
ner. Monseigneur, ce bon ecclésiastique pour curé de Mareuil,
afin de réparer par ses bons exemples et conduites le scan-
dale qu'il a causé dans cette paroisse. Il attend de confiance,
Monseigneur, dans la bonté de Votre Grandeur, qu'il en
espère et attend toute justice'^, et moi aussi, en particulier,
comme son allié de parenté, qui suis avec un très profond
respect,
Votre très humble et très obéissant serviteur.
Frémont, avocat.
J'adresse celle-ci dans le paquet d'un de mes amis que je
prie de faire tenir à Votre Grandeur, qui aura la bonté
d'excuser ma liberté.
1993. — A Pierre de La Broue.
Paris, 19 mars l'joo.
J'ai appris, Monseigneur, et c'est de Sa Majesté
elle-même, que, dans la ville de Monlauban, tous
2. Le 9 janvier 1701, l'évèqiie mit fin à cette affaire en accordant
par bonté à l'ancien curé de Mareuil « une pension de trois cents
francs pour arrêter ses chicanes » (Ledieu, ibid., p. 170).
Lettre 1993. — Copie authentique au Grand séminaire de
Meaux.
lya CORRESPONDANCE [mars 1700
les réunis allaient à la messe, à la réserve de trois ou
quatre. Je présume qu'il en est à peu près de même
dans la plupart des autres villes de vos quartiers. Je
vous supplie de me mander en secret dans quelles
dispositions ils sont pour les sacrements, et si cet
acte les dispose à les recevoir. Pour moi, j'éprouve
le contraire; et ceux qui vont à la messe, à quoi
plusieurs sont disposés, et à qui on ne demande
autre chose quant à la disposition du cœur, croient
s'être acquittés de tout par ce moyen, et ne songent
plus à rien du tout ; en sorte qu'on ne trouve pas leur
conversion plus avancée. Je crois, au reste, que ceux
qui paraissent si contents de cette assistance à la
messe, y voient autre chose; et, sans entrer là-dedans,
je vous demande pour mon instruction et par rap-
port à mon expérience, comment vous croyez qu'on
peut profiter des exemples que l'on vous donne en
vos pays.
J'attends avec impatience votre réponse sur la
lettre que je vous ai envoyée, pour en parler encore
une fois et encore plus à fond à M. du Maine*. Au
reste, je suis à vous avec le respect, Monseigneur,
que vous savez.
J. Bénigne, é. de Meaux.
igg/i- — Pierre de La Broue a Bossuet.
A Toulouse, ce 21 mars 1700.
Nous venons, Monseigneur, de députer M. l'abbé de Gatel-
I. Voir p. i58 et 173.
Lettre 1994 Voir la lettre du 21 février, p. i58. i
mars 1700] DE BOSSUET. 178
lan * à l'assemblée du clergé ; et je suis assuré que vous ne
serez pas fâché de l'avoir auprès de vous.
Il me mande que M. l'évèque d'Alais a écrit de nouveau à
M. le duc du Maine, et qu'il lui fait entendre que, quoique
vous ayez trouvé mon procédé fort étrange à son égard, vous
n'avez pas voulu pourtant m'obliger à lui céder. Ce n'est pas
tout : il publie que M. le duc du Maine lui a promis la dépu-
tation. Vous saurez pourtant facilement le contraire par la
réponse de M. le duc du Maine, dont le secrétaire de ce
prince a fait part à M. l'abbé de Catellan. Il est aisé de
juger de là combien M. l'évèque d'Alais est avantageux dans
ses discours. Je suis bien assuré que M. le duc du Maine
prétend aussi peu lui avoir promis la députalion, que j'ai peu
prétendu m'en désister en sa faveur, par la manière honnête
dont je lui répondis quand il m'en parla la première fois.
Cependant, Monseigneur, comme il est déclaré à présent que
ce sera M. le duc du Maine qui prendra connaissance de
tontes les affaires de nos États, et qu'il mande à M. l'évèque
d'Alais qu'il décidera la contestation qui est entre lui et moi,
après avoir examiné les raisons de l'un et de l'autre, je ne
sais s'il ne serait pas à propos que vous fissiez auprès de lui
les mêmes démarches cjue vous eûtes la bonté de faire auprès
de M. le cardinal de Bonzy. Car la meilleure raison que je
puis avoir, c'est que M. le cardinal de Bonzy vous l'avait pro-
mis, et qu'il lui était libre de le promettre à qui il lui plai-
sait, sans que M. l'évèque d'Alais eût sujet de se plaindre.
M. l'évèque de Béziers ^, au reste, qui doit être de l'assem-
blée du clergé, et qui vous honore très particulièrement,
expliquera à merveille toutes mes raisons, nos usages, nos
maximes, etc., et défendra fort bien ma cause, soit auprès de
vous, soit auprès de M. le duc du Maine. Je mande à
1. L'abbé de Catellan fut député du secoad ordre pour la pro-
vince de Toulouse. Il est, en cette circonstance, qualifié de prieur
du prieuré simple de Saint-Sulpice de Brésil, au diocèse de Mirepoix.
2. L'évèque de Béziers était Jean Armand de Rotundis de Bisca-
ras, transféré de Lodève ; il mourut le i5 février 1702 (E. Sabatier,
Histoire de la ville et des évêques de Béziers, Béziers, i85/t, in- 8).
1^4 CORRESPONDANCE [mars 1700
M. l'abbé de Gatellan le règlement que M. l'archevêque de
Toulouse' faisait avant-hier à table pour nos députations, qui
me paraît plein de justice et propre à calmer tous les dllTé-
rends ; il aura l'honneur de vous en rendre compte.
Nous avons ici M. l'évêque de Senez*, qui enchante toute
la ville de Toulouse par ses sermons. 11 a fallu faire des
échafauds dans l'église où il prêche, pour satisfaire à la pas-
sion qu'on avait de l'entendre.
Je suis toujours très respectueusement et avec une extrême
reconnaissance, etc.
1995. — Le Comte de Pontchartrain a Bossuet.
J'ai rendu compte au Roi aujourd'hui du mémoire que
vous aviez donné', concernant les maîtres et maîtresses
d'école et les ecclésiastiques à établir dans plusieurs lieux de
votre diocèse. S. M. a agréé l'établissement des maîtres et
maîtresses d'école, et l'imposition des sommes demandées
pour cela. A l'égard des ecclésiastiques, il faut remettre celte
dépense à un autre temps ^.
J'écris au P. de La Chaise-' de faire souvenir S. M. d'une
3. Jean-Baptiste Michel Golbert de VillaceiF, nommé au siège de
Toulouse en 1687 ; il mourut le 11 juillet 1710.
l\. Jean Soanen. Cf. t. IV, p. 6<i.
Lettre 1995. — Archives Nationales, OL'iA, 1" i35. Publiée pa i-
M; Gh. Rend, dans Bossuet déuollé, p. 35.
1. Celui du 2^ octobre 1699, qu'on a vu, p. 95.
2. Pontchartrain écrit dans le même sens à l'intendant Pliely-
peaux, 0144, f i34.
3. Cette lettre se trouve au f" i35 v" du registre 0'44-
« M. l'évêque de Meaux ayant représenté au Roi que le S' Ciiabert,
qui travaille depuis plusieurs années dans son diocèse pour l'instruc-
tion des nouveaux convertis et qui jusqu'à présent a eu quelques gra-
tifications de 800'* par an, méritait une pension établie par un béné-
fice, afin de pouvoir l'exciter à continuer son travail, S. M. m'a
ordonné de vous écrire de l'en faiie souvenir lors de la distributio/
des bénéfices ». On verra, à la date du 29 décembre 1701, qu'une
avril 1700] DE BOSSUET. 176
pension pour le sieur Chabert, que vous marquez dans votre
mémoire * comme un homme qui la mérite, à cause du tra-
vail qu'il fait dans votre diocèse. Je suis, etc..
A Versailles, ce 29 in:irs 1700.
1996. — Pierre de La Broue a Bossuet.
A Mazerettes, le i*"'' avril 1700.
Ce que le Roi vous a dit des nouveaux convertis de Mon-
tauban est très vrai, Monseigneur ; mais il n'en est pas de
même partout ailleurs, surtout en Languedoc, où M. de
Basville n'a pas cru pouvoir se donner les mouvements que
M. Le Gendre s'est donnés' à Montauban, quoiqu'il soit vrai
généralement que, depuis que la paix est confirmée et que
les délais dont on les amusait ont été passés, plusieurs se
sont déterminés à venir à l'église et à assister à tous les
exercices. Il est même arrivé à Mazères-, où sont la plupart
pension de neuF cents livres fut accordée à l'abbé Gliabert (cf. plus
haut, p. 97).
4. Voir le mémoire cité, p. 97.
Lettre 1996. — i. Gaspard François Le Gendre, baptisé le
l5 février 1668, fut successivement conseiller au Ghàtelet (1687),
puis au Parlement (1689), et maître des requêtes (1698). Il fut ensuite
envoyé en qualité d'intendant à Montauban (8 novembre 1699), à
Pau (29 mars 1716) et à Tours (7 mars 1718). Il avait pris pour
femme, en 1*395, Marie- Anne Pajot, fille de Pajol d'Osembray, contrô-
leur des postes. Il mourut le 28 juin 1740. Sous son administration,
des troubles éclatèrent dans sa province, à l'occasion d'un impôt mis
sur les baptêmes et sur les mariages (1707). Voir les Mémoires de
Saint-Simon, t. XIV, p. 317, et t. XV, p. io3, et la Correspondance
des contrôleurs généraux, édition de Bolslisle. Dans la lettre qu'il
écrivit à Bossuet le 21 avril (plus loin, p. i8i et 182), Le Gendre dit
lui-même à quels procédés il a eu recours; cf. ses lettres, dans la
Correspondance des contrôleurs généraux, t. II, p. 28.
2. Deforis, qui avait d'abord imprimé : Mazerettes, s'est corrigé
dans Verratum. à la fin du t. X de son édition. — Mazères, importante
commune du canton de Saverdun (Ariège), patrie de Gaston de Foix.
176 CORRESPONDANCE [avril 1700
de mes nouveaux convertis, quelque chose de semblable à ce
qui est arrivé à Montauban. Je m'y trouvai au commence-
ment du carême, pour leur prêcher sur la matière de FEu-
charislie, que j'avais réservée pour moi ; et ce fut en ce temps-
là que M. Le Gendre y envoya son subdélégué, avec ordre de
déclarer de sa part aux nouveaux convertis qu'ils eussent à
aller à la messe, et à commencer dès le premier dimanche de
carême. On fît même mettre, par ordre du maire et des
consuls, des gens à la porte de l'église, pour marquer ceux
qui y viendraient. Cet ordre eut tout l'efTet qu'on attendait,
et il n'y eut que quelques obstinés de l'un et de l'autre sexe
qui manquèrent à la messe. Ils vinrent avec encore plus
d'aflluence au sermon, et ils ont continué depuis à peu près
de même à venir au sermon et à la messe. Plusieurs sem-
blent se disposer à s'approcher des sacrements ; mais de
ceux-là le plus grand nombre a des raisons particulières : jps
uns, parce qu'ils demandent qu'on les marie; les autres,
parce qu'ils sont entrés dans le conseil de ville sous cette
condition, et après avoir promis et signé devant un commis-
saire du Parlement, qui vint pour la réformation du conseil
de ville, de vivre et de mourir en bons catholiques. Nous
verrons plus particulièrement les mouvements qu'ils feront
pour s'approcher des sacrements dans le temps où nous
allons entrer ; mais je ne crois pas que nous devions les
presser sur cela.
11 est important, ce me semble, de travailler à les bien
instruire sur la matière de l'Eucharistie, qui est presque la
seule qui les empêche d'être sincèrement catholiques.
J'espère, pour moi, que l'assistance à la messe les disposera
insensiblement à tout le reste. Elle fait d'ailleurs un bien
infini à l'égard des enfants qui sortent des écoles, et qui ne
venaient plus à la messe ni aux autres exercices, aussitôt
qu'ils avaient atteint l'âge où ils sont dispensés d'aller aux
écoles : pour ceux-là, je crois qu'il n'y a nul inconvénient de
les presser de s'approcher des sacrements. Ce que j'ai princi-
palement remarqué. Monseigneur, c'est qu'on gagne beau-
coup à demeurer ferme sur les mariages, et à ne les point
avril 1700] DE BOSSU ET. 177
marier qu'ils n'aient fait une déclaration signée et publique',
qu'ils viennent de leur propre mouvement, sans aucune con-
trainte, déclarer, etc., et se soumettre aux peines que l'Église
impose à ceux qui manquent à un semblable engagement.
Plusieurs ont eu de la peine à faire cette déclaration ; mais
ceux qui l'ont faite ont tenu parole jusqu'ici. 11 serait bien à
soubaiter que le Roi voulût punir de quelque peine ceux qui
vivent ensemble comme mariés, sous prétexte que nous avons
refusé de les marier : ce que nous n'avons refusé de faire
que parce qu'ils ont refusé eux-mêmes de se mettre en état
de recevoir ce sacrement. Je ne sais pourquoi on tarde tant
à donner une déclaration sur cette matière ; mais, quoi qu'il
en soit, on gagne, ce me semble, beaucoup à demeurer ferme
jusqu'au bout sur cette manière d'agir envers eux. Ils se las-
sent de vivre dans cet état : ils craignent pour l'étal de leurs
enfants, et à la fin ils prennent une bonne résolution et la
suivent : c'est le moyen qui jusqu'ici m'a le mieux réussi.
11 est difficile au reste. Monseigneur, de décider la question
que vous proposez, à cause du peu de temps qu'il y a que la
plupart des nouveaux convertis viennent à la messe ; mais je
ne saurais croire que cette assistance, qui a toujours, au
moins dans mon diocèse, été accompagnée de respect, ne leur
soit à la fin très utile, lis perdent peu à peu l'aversion qu'ils
avaient pour la messe ; ils forment leurs dispositions exté-
rieures et intérieures sur celles des anciens catholiques ; on
trouve une occasion favorable de les instruire sur le sacrifice
de nos autels, le grand acte de la religion chrétienne, et celui
qui, ce me semble, lui concilie plus de vénération. Cette
matière leur est entièrement inconnue, et elle a quelque
chose de si grand et de si auguste, que j'ai commencé de
reconnaître que rien n'était si capable de les rendre bons
catholiques que de les bien instruire sur ce sujet, et surtout
de leur proposer la pratique de l'ancienne Église, si claire et
si constante sur cet article de notre croyance. Voilà, Mon-
3. Voir plus loin, p. ^22, la déclaration que signaient les nou-
veaux catholiques du diocèse de Meaux.
Xlî — la
178 CORRESPONDANCE [avril 1700
seigneur, ce que j'ai remarqué depuis deux ou trois ans à
l'égard de nos nouveaux convertis. J'ai résolu de continuer à
les instruire à fond sur l'Eucharistie, dont je compte faire
une douzaine de sermons, et peut-être davantage. 11 m'a paru
que ceux que j'avais faits n'étaient pas sans fruit : je les fais
familièrement, et les livres souvent à la main. Je vous sup-
plie, Monseigneur, de me mander si vous croyez que je fasse
bien, et en quoi je pourrais mieux faire.
Au reste, ce que le Roi vous a dit de Montauban, est dû
principalement à la vivacité et à l'application de M. Le
Gendre. Mais cela fait voir combien il serait facile, même
sans aucune punition, au moins par de très légères à l'égard
des plus opiniâtres, de faire assister tout le royaume aux
exercices de la religion catholique ; et cette uniformité, quand
même on attendrait encore quelques années à voir les nou-
veaux convertis approcher des sacrements, ne doit-elle être
comptée pour rien ? Combien y a-t-il de catholiques qui pas-
sent plusieurs années sans se confesser ni communier ? On
gagnerait au moins certainement le plus grand nombre des
enfants, que l'on "perd presque toujours au sortir des écoles.
Mais en voilà trop. Monseigneur : vous voyez en cela plus
que personne. Instruisez-nous; nous ne demandons qu'à tra-
vailler, et à travailler utilement.
J'ai eu l'honneur de vous écrire au sujet de la députation.
Je suis toujours avec un respect infini, etc.
^997- — ^ Antoine de Noailles.
A Mc;iux, 6 avril 1700.
Après avoir, mon cher Seigneur, bien considère-
ce matin la déclaration \ et la lettre de M. Pirot à
Lettre 1991. — L. a. s. Papiers Cond.'-, à Chantilly. Sur ceti.
lettre, il faut voir Ledieu, t. II, p. 26.
I. Drclaratio data illustrissimo archiepiscopo Parisiensi a Theolo<j'i
avril 1700] DE BOSSUET. 179
laquelle vous me renvoyez, je vois que la chose est
faite, qu'on nous a satisfait sur les deux difficultés
de la thèse des endurcis*, et que vous avez pu en
être content.
Je prie Dieu qu'on vous satisfasse sur la thèse de
^attrition^ en sorte que la saine doctrine et votre
ordonnance* demeurent dans toute leur force : c'est
là l'endroit important pour la vérité et pour votre
autorité.
Permettez-moi de vous dire qu'en cette occasion,
il faut beaucoup prendre garde, par rapport à la
volonté d'accomplir le commandement', à la distinc-
Societatis Jesu Germano Beschefer, redore coUegii Parisiensis afférente,
novitialus qiioque redore prœsente ul offensioni ex thesi piihlica obortœ
fieret salis (du 3 avril 1700) (S. 1. n. d., in-/l, Bibl. Nationale, Ld^'»
245, in-4 ; Ada erudilorum, 1700, p. 383).
3. Cette thèse avait été soutenue au collège Louis-le-Grand le
i4 décembre précédent. Elle avait déjà été l'objet d'une censurer
portée le 3i janvier 1700 par des docteurs particuliers (Boileau,
T. RouUand, Lefeuvre, L. de Targny, Anquetil et Favart), qui y
avaient relevé la proposition suivante : Errant qui asserunt peccatori
plane obcœcato et obdurato peccata nihiloininus imputari (Bibl. Nat., fr.
20754, f" 235). Sur quoi, dans sa déclaration, le P. Beschefer proteste
qu'il n'a jamais pensé que les pécheurs, arrivés à l'aveuglement et à
l'endurcissement, ne péchassent plus, ni que Dieu ne leur imputai
point leurs péchés ; qu'il reconnaît au contraire que l'Ecriture et les
saints Pères enseignent l'aFfirmative de ces deux propositions, de
sorte que sa thèse, à cet égard, a besoin d'explication. Il proteste
aussi qu'en croyant qu'en cet état les pécheurs ne sont pas privés de
toute sorte de grâce, il n'a pas voulu censurer les théologiens catho-
liques qui sont dans un sentiment opposé souffert par l'Église, mais
qu'il a seulement entendu qu'ils se trompent» (Ledieu, t. II, p. 26.
Cf. d'Argentré, Colledio judiciorum, t. III, p. 4i2). Voir plus haut
la lettre du 27 février, p. 160.
3. Cette thèse avait été aussi souteuue chez les Jésuites, le
3 février 1700.
4- Relative au P. Beschefer.
5. Le commandement de l'amour de Dieu ou charité. Le
P. Antoine Sirmond, jésuite, avait soutenu que, pour accomplir ce
l8o CORRESPONDANCE [avril 1700
tion d'implicitement et d'explicitement ; car c'est par
là qu'on se sauve de l'obligation d'accomplir le pré-
cepte de la charité absolument ; et cependant c'est
un endroit 011 la condamnation d'Alexandre VII,
d'Innocent XI et d'Alexandre VIII est formelle.
Je ne sais si, dans la thèse du 3 février 1700, on
ne doit pas demander quelque explication sur l'igno-
rance invincible du droit natureP, qu'il semble
qu'on ne peut admettre au plus qu'à l'égard des
conséquences éloignées, quoad consecutiones remotas .
Je soumets tout, à mon ordinaire, à votre pru-
dence, avec un respect sincère, mon très cher
Seigneur,
J. Bénigne, é. de Meaux.
1998. — L'Intendant Le Gendre a Bossuet.
A Montauban, ce 21 avril 1700.
Rien n'est plus obligeant, Monsieur, que la lettre dont
vous m'avez honoré : je suis charmé de voir que l'éloigne-
précepte, il suFfisait d'observer les autres commandements, sans être
obligé à produire aucun acte explicite d'amour de Dieu, attendu que
l'observation du premier commandement était impliquée par celle
des autres. Voir P. L. R. P. (J.-P. Camus), Notes sur un livre intitulé
la Défense de la vertu, Paris, iG^S, in-8 ; A. Arnauld, OEuvres.
t. XXIX, p. I à 78 ; Pascal, Provinciale A", avec les notes de VVen-
drock.
6. Ceci semble se rapporter, non pas à la thèse du 3 février sur
l'attrition, mais à celle du 16 février sur la loi (Voir Ledieu, t. II,
p. 19, 21).
Lettre 1998. — Il Faut rapprocher cette lettre de celles que Le
Gendre adressa vers le même temps au contrôleur des finances Cha-
millart et au secrétaire d'État ChâteauneuF, dans la Correspondance
des contrôleurs généraux, édit. de Boislisle, t. II, p. 28. On ^rouve
avril 1700! DE BOSSUET. 181
ment ne diminue point les bontés que vous avez toujours
eues pour moi et pour toute ma famille.
Si vous approuvez, Monsieur, la conduite que nous tenons
ici pour ramener les nouveaux convertis à l'Église, nous
sommes trop heureux. Vous êtes le modèle et l'oracle qu'on
doit consulter sur les affaires de la religion les plus épi-
neuses : c'est vous qui avez la gloire de leur avoir rendu
simple et naturel, dans vos savants écrits, ce qu'ils croyaient
si difficile auparavant. La pureté de la doctrine que vous leur
avez enseignée dans votre livre de l'Exposition de la foi, a
plus attiré d'âmes à Dieu que les plus beaux sermons et ces
faibles secours que nous pourrions employer si nous ne mar-
chions sous votre étendard.
Pour vous rendre compte exactement. Monsieur, comme
vous le souhaitez, de la conduite que nous avons tenue pour
déterminer les nouveaux convertis à venir à l'église, et de
l'effet que cette première démarche a produit sur leur cœur,
j'aurai l'honneur de vous dire qu'en arrivant dans la pro-
vince, j'ai envoyé quérir dans mon cabinet tous les nouveaux
convertis de Montauban, l'un après l'autre, pour leur expli-
quer l'envie que le Roi avait de détruire entièrement l'héré-
sie dans son royaume, et de réunir tous ses sujets à l'Église ;
et pour cela qu'il fallait qu'ils se fissent instruire par ceux en
qui ils avaient le plus de confiance.
Je Irouvai d'abord beaucoup d'opiniâtres, qui ne voulaient
entendre parler ni de messe ni d'instruction. Je leur repré-
sentai qu'après avoir épuisé les voies de douceur, le Roi
serait obligé de faire sur eux des exemples de sévérité*, s'ils
ne se mettaient à la raison. Dieu a touché leurs cœurs ; ils se
dans ce recueil d'utiles renseignements sur les affaires de la religion
à cette époque du règne de Louis XIV.
I. Le (jendre écrit à M. de GliàteauneuF : « ... Il est nécessaire
d'accorder quelques secours à beaucoup de nouveaux convertis qui
sont dans le besoin ; j'ai déjà eu l'Iionneur de vous en écrire plusieurs
fois et de vous supplier de m'envoyer. quelques lettres de cachet, le
nom en blanc, dont la seule inspection fera trembler ceux qui en
seront menacés. »
l82 CORRESPONDANCE [avril 1700
sont tous déterminés par la douceur à venir à la messe. Cette
première démarche deviendrait inutile, si nous ne joignions
l'instruction à la pratique : c'est à quoi M. l'évêque de Mon-
tauban, tous les Pères jésuites, M. d'Arbussy*, avocat général
de la Cour des Aides, et les plus habiles gens de la ville ont
travaillé avec un soin et une application continuelle.
Quand quelqu'un manque à aller à la messe ou à l'instruc-
tion, aussitôt je l'envoie quérir, pour lui représenter de
quelle conséquence il est de ne se point relâcher dans une
affaire aussi importante que celle de la religion. Cela a pro-
duit un si bon effet, que presque tous nos nouveaux convertis
les plus opiniâtres, qui regardaient avec horreur la porte de
l'église, vont assidûment à la messe. Ils l'entendent avec
assez de dévotion ; ils s'accoutument à nos cérémonies, et
enfin ils commencent à convenir que, si on en avait usé de
même après la révocation de l'édit de Nantes, ou immédia-
tement après la guerre, ils seraient tous, à l'heure qu'il est,
bons catholiques. Ils deviennent tous les jours plus dociles,
2. C'est le même que l'ancien pasteur, Joseph Arbussy, auteur
d'un ouvrafje de controverse approuvé par Bossuel (Voir notre
tome I, p. 5o8). Fils de Pierre Arbussy et de Suzanne Béraud, il
était né à Montauban le 17 avril lôa/J- H avait été nommé ministre à
Sorèze dès l'année i645, et était passé l'année suivante à l'église de
Montauban. Plus tard, il avait ajouté à ses fonctions celles de pro-
fesseur d'hébreu à l'Université et de principal du collège de sa ville
natale. Mais, à la suite c|e divisions survenues parmi ses coreligion-
naires au sujet du fameux J. de Labadie, ancien jésuite devenu son
collègue, Arbussy fut suspendu de son ministère à Montauban ; il
alla ensuite desservir l'église de Bergerac. Il abjura en 1670, reçut du
clergé, de 1675 au 29 juillet 1710, date de sa mort, une pension de
7/io livres, qui, dans les années i()86 et 1687, fut portée à 800, puis
ramenée h 7/io et enfin réduite à 600. Le i3 août 1689, il fut nommé
avocat général à la Cour des Aides de Montauban. La France pro-
testante le fait, iV tort, mourir le 5 avril 169/I. Il fut inhumé dans
l'église des Cordeliers de Montauban (Archives Nationales, G^'3 2o).
Consulter : Lettre de Joseph Arbussy à tous les fidèles des Eglises
réjormées de France, Montauban, i6ii7, in-Zj ; Réponse (attribuée à
J. de Coras) à un libelle intitulé Lettre de Joseph Arbussy, i658;
Colomirs, Gallia orientnlis, La Haye, 1666, in-i4 ; Ilaag, la Fr 0ice
protestante, édil. II. Bordier, Paris, 1877, in-8.
.nrll 1700] DE BOSSUET. l83
ri ne demandent que' d'être instruits. Cela en a disposé plus
de cent à se confesser et à communier à Pâques avec édilica-
tion. Toutes les filles nouvelles converties qui sont dans les
couvents, qui ne voulaient entendre parler ni de messe ni
d'instruction, vont depuis deux mois à la messe, se sont fait
instruire, et ont toutes été à confesse à Pâques. Voilà, Mon-
sieur, l'effet que cette première démarche a produit sur leur
cœur.
Tous ces heureux commencements ne doivent point nous
éblouir : je demeure d'accord que toutes ces dispositions
favorables sont aisées à détruire, si l'on n'en profite avec
vivacité. Mais aussi je prendrai la liberté de vous dire,
quoique avec peu d'expérience, qu'il me paraît que si l'on
n'avait pas engagé les nouveaux convertis par la douceur
mêlée d'autorité à aller à la messe, non seulement ils n'au-
raient jamais été catholiques dans le cœur ni à l'extérieur,
mais leurs enfants auraient été aussi huguenots qu'eux, une
seule parole des pères et mères étant capable de détruire en
un moment le fruit de dix années de couvent ou d'instruc-
tion.
Le Roi ne pouvait donner une plus grande marque de sa
bonté à la ville de Montauban que de lui envoyer le P. de
La Rue^ dans ce mouvement heureux. Il a enlevé les cœurs
avec une rapidité étonnante, et a trouvé le secret de gagner
la confiance de tous les nouveaux convertis. Je lui ai com-
muniqué la lettre que vous m'avez fait l'honneur de
m'écrire : je crois qu'il vous explique son sentiment par
3. Le P. de La Rue, cf. t. I, p. 878 ; t. III, p. 78 et 76 ; t. X,
p. 17D. Le P. de La Rue était arrivé à Montauban le jeudi 18 février,
el il y séjourna jusque vers la fin de septembre de la même année.
Le Gendre dit de même h M. de Cliâteauneuf : « Le Roi ne pouvait
nous faire un plus jjrand présent que de nous envoyer le P. de La Rue
dans ces heureux commencements : l'église est trop petite pour con-
tenir tous ceux qui ont envie de l'entendre, quoique nous ayons fait
faire des tribunes de tous côtés. Son éloquence et sa douceur font
une grande impression sur l'esprit des nouveaux convertis. C'est un
homme admirable en public et en particulier... » (Correspondance des
contrôleurs généraux, t. II, p. 28).
l8A CORRESPONDANCE [avril 1700
celle que je prends la liberté de vous envoyer de sa part*.
Dieu n'a pas renfermé ses grâces dans la seule ville de
Montauban ; il les a répandues dans toute la généralité, où
les nouveaux convertis commencent à ouvrir les veux et à
prendre le bon parti. 11 y en a plus de quinze mille, dans les
principales villes, qui ont commencé à aller à la messe, et
beaucoup qui ont approché des sacrements à Pâques. Il n'y a
rien. Monsieur, de si nécessaire pour terminer heureusement
une affaire aussi importante, que d'établir l'uniformité dans
les provinces voisines et dans tout le royaume^, afin que nos
jeunes plantes ne puissent pas se plaindre que l'on cultive
leur terre, pendant que l'on néglige celle de leurs voisins. Ce
n'est pas une petite affaire, ni l'ouvrage d'un jour ; mais
n'est-on pas bien récompensé, quand on travaille pour la
gloire de Dieu et pour le succès d'une affaire que le Roi a
si fort à cœur ?
Je vous supplie très humblement. Monsieur, de corriger
dans ma conduite tout ce que vous y désapprouverez : vous
pouvez compter sur une soumission entière à vos avis et à vos
conseils, personne au monde ne vous honorant plus que moi,
et n'étant avec plus de respect, etc.
Le Gendre.
4- A défaut de cette lettre, on lira avec intérêt celle que le P. de
La Rue écrivit au contrôleur jjénéral Cliamillart, le 31 septembre
1700 (Dans la Correspondance des contrôleurs généraux, t. II, p. 56).
5. Le P. de La Rue dit de même : « ... Qu'il serait aisé de porter
ce grand ouvrage à sa dernière perfection, si cette uniformité de
sentiments se trouvait entre tous les prélats et les intendants des
provinces ! Il ne faudrait qu'une parole du Roi pour l'établir où elle
n'est pas. En vérité, rien ne retarde plus la parfaite réunion que
l'attention que font les réunis à la diversité des manières dont on a
usé à leur égard. Elle leur persuade que le Roi ne veut pas qu'ils
aillent à l'église, puisque, en tant de provinces, on ne les presse
point sur ce sujet. Cependant, si on laisse languir l'ouvrage encore
cinq ou six années, il ne s'achèvera jamais, et six cent mille âmes sans
religion formeront dans le royaume un peuple également ennemi de
l'Église et de l'État... » (Loc. cil.).
â
avril 1700] DE BOSSUET. l85
1999. — Leibniz a Bossuet.
Wolfenbuttel, 3o avril 1700.
Monseigneur, il y a plus de deux mois que j'ai écrit deux
lettres très amples pour répondre distinctement à deux des
vôtres ' que j'avais eu l'honneur de recevoir, sur ce qui est
de foi en général et sur l'application des principes généraux
à la question particulière des livres canoniques de la Bible.
J'avais laissé le tout alors à Wolfenbuttel, pour être mis au
net et expédié ; mais j'ai trouvé, en y arrivant présentement,
que la personne qui s'en était chargée ne s'est point acquit-
tée de sa promesse. C'est ce qui me fait prendre la plume
pour vous écrire ceci par avance, et pour m'excuser de ce
délai, que j'aurai soin de réparer.
Je suis fâché cependant de ne pouvoir pas vous donner
cause gagnée sans blesser ma conscience, car, après avoir
examiné la matière avec attention, il me paraît incontestable
que le sentiment de saint Jérôme a été celui de toute
l'Eglise ^ jusqu'aux innovations modernes qui se sont faites
Lettre 1999. — Minute autographe sig^née, Hanovre, Papiers de
Leibniz, f* 10 et 11. Imprimée d'iibord dans les OEuvres posthumes
de Bossuet, t. I, p. 5o6. Le premier éditeur a cru fautive la date
du 3o avril, estimant que la présente lettre devait être postérieure
aux deux autres qui y sont mentionnées comme précédemment
écrites et qui, dans les éditions, sont datées du i4 et du a^ mai.
Mais celles-ci sont datées du jour où elles furent mises au net et
expédiées, et non du jour où elles furent rédigées : c'est ce qu'ex-
plique une lettre au duc Anloine Ulrich (édit. Fouclier de Careil,
t. II, p 3i3) ; d'ailleurs, Bossuet (p. 202) lait allusion à la lettre du
3o avril.
1. Celles du 9 janvier et du 2 février, p. 128 et i^a.
2. Sous l'influence du milieu juif où il avait longtemps vécu, saint
Jérôme ne reconnaît comme canoniques que les vingt-quatre livres
de la Bible hébraïque. En cela il s'éciirte du sentiment des anciens
Pères (Voir l'article Canon des Ecritures dans Vigoureux, Diction-
naire de la Bible, t. II, col. -i54, et le Canon chrétien de l'Ancien
Testament, dans Vacant, Dictionnaire de Théologie, I. II, col. 1674 à
i582).
l86 CORRESPOi\DANCE [avril 1700
dans votre parti, principalement à Trente ; et que les papes
Innocent et Gélase, le concile de Carthage et saint Augustin
ont pris le terme d'Écriture canonique et divine largement,
pour ce que l'Église a autorisé comme conforme aux écri-
tures inspirées ou immédiatement divines ; et qu'on ne
saurait les expliquer autrement sans les faire aller contre le
torrent de toute l'antiquité chrétienne ; outre que saint
Augustin favorise lui-même avec d'autres cette interpré
tation ^. Ainsi, Monseigneur, à moins qu'on ne donne encore
avec quelques-uns une Interprétation de pareille nature aux
paroles du concile de Trente (que je voudrais bien le pou-
voir souffrir), la conciliation par voie d'exposition cesse ici ;
et je ne vois pas moyen d'excuser ceux qui ont dominé dans
cette assemblée, du blâme d'avoir osé prononcer anathème
contre la doctrine de toute l'ancienne Église. Je suis bien
trompé si cela passe jamais, à moins que, par un étrange
renversement, on ne retombe dans la barbarie, ou qu'un ter-
rible jugement de Dieu fasse régner dans l'Église quelque
chose de pis que l'ignorance ; car la vérité me semble ici trop
claire, je l'avoue. Il me paraît fort supportable qu'on se
trompe en cela à Trente ou à Rome, pourvu qu'on raye les
anathématismes, qui sont la plus étrange chose du monde,
dans un cas où il me paraît impossible que ceux qui ne sont
point prévenus très fortement se puissent rendre de bonne
foi.
C'est avec cette bonne foi et ouverture de cœur que je parle
ici. Monseigneur, suivant ma conscience. Si l'allaire était
d'une autre nature, je ferais gloire de vous rendre les armes :
cela me serait honorable et avantageux de toutes les
manières. Je continuerai d'entrer dans le détail avec toute
sincérité, application et docilité possible ; mais, en cas qu'en
procédant avec soin et ordre, nous ne trouvions pas le
3. Dans le traité de Doct. christ., II, viii, i3 [P. L., t. XXXIV,
col. 4']. saint Au(>fustiu donne un canon des Ecritures conforme à
celui des conciles de Carlliage de son lenips, et à celui du concile t
de J rente.
mai 1700] DE BOSSUET. 187
moyen de convenir sur cet article, quand même il n'y en
aurait point d'autres, quoiqu'il n'y en ait que trop, il faudra
ou renoncer aux pensées iréniqiies là-dessus, ou recourir à la
voie de l'exemple que je vous ai allégué autrefois*, auquel
vous n'avez jamais satisfait, et où vous n'avez voulu recou-
rir^ qu'après avoir épuisé les autres moyens ; j'entends ceux
de douceur : car, quant aux voies de fait et guerres, je sup-
pose que, suivant le véritable esprit du christianisme, vous
ne les conseilleriez pas ; et que l'espérance qu'on peut avoir
dans votre parti de réussir un jour par ces voies (laquelle,
quelque spécieuse qu'elle soit, peut tromper) ne sera pas ce
qui vous empêchera de donner les mains à tout ce qui paraî-
tra le plus propre à refermer la plaie de l'Eglise.
Monseigneur le Duc a pris garde à un endroit de votre
lettre, où vous dites que cela ne se doit point faire d'une
manière où il y ait danger que cette plaie se pourrait rou-
vrir davantage, et devenir pire ; mais il n'a point compris en
quoi consiste ce danger, et il a souhaité de le pouvoir com-
prendre, car, non plus que vous, nous ne voulons pas des
cures palliatives, qui fassent empirer le mal.
Je suis avec zèle, Monseigneur, votre très humble et très
obéissant serviteur.
Leibniz.
2000. — A M"'" DE L\ Maisonfort.
Le i*"" de mai 1700.
1. D. Comme on rapporte de diverses personnes qu'elles
étaient dans une actuelle et continuelle présence de Dieu, au
/j. Celui de la suspension du concile de Constance par rapport aux
Bohémiens. Voir t. VI, p. 3o, 335 et 336.
5. Edit. : venir.
Lettre 2000. — A Sainl-Sulpice, une copie faite pour Mme de
La Maisonfort. — « Cette lettre, écrit Mme de La Maisonfort, est
celle dont il est pnrlé dans la précédente (celle qui se trouve au t. XI,
l88 CORRESPONDANCE | mai 1700
moins pendant qu'elles veillaient, j'aurais quelque penchant
à croire que Dieu fait cette grâce à quelques âmes.
R. Cela se peut, mais je n'en sais rien.
2. D. 11 est rapporté de la Mère de l'Incarnation, ursuline ',
que rien ne la pouvait distraire de son union avec Dieu, ni
les travaux, ni la conversation, ni la nuit, ni le jour.
R. Je crois que ces âmes ont souvent des distrac-
tions dont elles ne s'aperçoivent pas; mais, comme
elles ont une grande facilité à revenir à Dieu, on en
conclut, etc.
3. D. Elle dit elle-même : « Je me vois par état perdue dans
la divine majesté, qui, depuis plusieurs années, me tient
dans une union que je ne puis expliquer H y a près de
cinquante ans que Dieu me tient dans cet état Ce que je
fais à mon oraison actuelle, je le fais tout le jour, à mon
coucher, à mon lever et ailleurs^. »
R. Si sa disposition avait été un acte direct et
continu, elle aurait dû ignorer son état: car ce ne
peut être que par réflexion qu'on sait tout ce que
cette Mère démêle ici.
4. D. Je n'ai lu que quelques endroits de la Vie de cette
religieuse^ ; mais, par ce que j'en ai vu, il m'a paru que
cette union, quoique continuelle, ne l'empêchait pas de
s'exciter aux actes distincts.
R. Cela est vrai.
p. 3io). J'y propose à M. de Meaux quelques difficultés sur son
livre des EtHts d'oraison. Il n'y répondil que le i*"^ de mai 1700. »
1. Voir la Vie de la Vénérable M. Marie de l'Incarnation, première
supérieure des Ursulines de la Nouvelle France (par le P. Claude Mar-
tin, son fils), Paris, 1677, in-^, p. ^7, 55 et 78.
2. Dans une lettre de la Vénérable à son fils, du 25 septembre
1670. (Léon Cliapot, Histoire de la Vénérable Mère de l'Incarnation, ,
Paris, 1892, t. II, p. 32 1). *
3. Voir la lettre du i" juin 1695 à Mme Cornuau, t. VII, p. ii5.
mai 1700] DE BOSSUET. 189
5. 1). Il est dit et souvent répété dans la Vie du bienheureux
Grégoire Lopez'', qu'il était dans un acte perpétuel et conti-
nuel d'amour de Dieu, et, dans une conversation qu'il eut
avec un de ses amis, à qui il fit cette confidence, il dit qu'il
connaissait une âme qui, depuis trente-six ans, n'avait pas
discontinué un seul moment de faire de toute sa force un
acte de pur amour de Dieu.
R. Si cela est, il n'a pas péché ; et en effet il disait
à son confesseur : Mon Père, par la grâce de Dieu,
je ne me souviens pas de l'avoir offensé. Mais c'est
discontinuer de faire un acte direct, de revenir sur
son état. Je ne dis pas qu'on ne puisse avoir une
certaine sorte de présence de Dieu qui peut, quoi-
qu'on la nomme simple, compatir avec de délicates
réflexions.
6, D. Il est rapporté dans la Vie de Grégoire Lopez~% qu'un
grand et savant prédicateur, nommé le P. Jean de Saint-
Jacques, l'étant allé trouver pour lui parler sur ce sujet,
Dieu fit en lui quelque chose de semblable à la disposition de
Grégoire Lopez ; et, par une lumière intérieure, il lui fil
connaître que c'était là la manière dont Grégoire Lopez
l'aimait de toutes ses forces, sans qu'aucune chose créée put
empêcher cet acte d'amour, et qu'en cette sorte il était com-
patible avec les œuvres extérieures, faites, par obéissance ou
autrement, pour la gloire de Dieu.
R. On ne peut répondre de ce que Dieu a fait
dans certaines âmes : il est le maître de ses dons ;
mais elles ont dû être toujours dans la disposition de
4. Par les citations que fera lout à l'heure Mme de La Maisonfort,
on voit qu'elle lit celte vie traduite de l'espagnol de Fr. Losa par
Arnauld d'Andilly, Paris, 1671^, in-12. Op. cit., ch. xxix. On y voit
que l'ami dont il est ici question était le P. Jean de Saint-Jacques,
Franciscain, et que celui-ci était convaincu que c'est de lui-même
que parlait Grégoire Lopez.
5. Ibid.
icjO CORRESPONDANCE [mai 1700
Il exclure aucun des actes essentiels au chrétien ;
on ne doit en aucun moment les exclure, il faut tou-
jours être disposé à les faire.
D. Quoiqu'il soit rapporté à la page 398 de la Vie de ce
saint homme, qu'il disait qu'il ne pouvait faire autre chose,
si Dieu ne lui en donnait le moyen, il est rapporté en
d'autres endroits qu'il faisait divers autres actes, à quoi il
paraît qu'il s'excitait, sans attendre d'inspirations particu-
lières ; ainsi il fallait que son acte continu fut bien différent
de celui des nouveaux mystiques.
R. Il est vrai.
D. A la page 295 et à la suivante, il est rapporté qu'il ne
croyait pas que nulle pure créature, excepté la sainte Vierge,
demeurât toujours dans une sorte d'union à Dieu fort par-
faite, quoique, dans l'union ordinaire, telle que celle dont
il avait plu à Dieu de le favoriser, il pût bien y avoir une
continuelle persévérance.
R. Je suis bien persuadé que la sainte Vierge a été
unie à Dieu d'une manière très éminente ; mais on
ne sait point au vrai comment Dieu Ta mue, et quel-
que passive qu'ait été sa voie, elle n'a [pas] laissé
d'être méritoire ; car Dieu, quand il lui plaît, laisse la
liberté dans les états passifs, comme il est croyable
qu'il la laissa à Salomon dans ce ravissement où il
choisit la sagesse \ puisque Dieu le récompensa de
ce choix.
Quelquefois aussi Dieu y agit avec une pleine
autorité ; et quoique l'âme alors ne mérite point,
cela ne laisse pas de lui être très utile, parce que
Dieu, par là, en la captivant, la prépare et la dispose
à des actes très parfaits.
t
G. III Rej.., III, 5-i3.
mai 1700] DE BOSSUET. 191
9. D. Grégoire Lopez était, comme saint François de Sales
et d'autres que vous citez, Monseigneur, bien éloigné d'atta-
cher la perfection aux états passifs. Cette Vie m'a paru d'une
assez grande autorité ; car, outre ceux qui ont approuvé la
traduction', le chapitre xxxviii contient neuf ou dix, tant
éloges de la vertu de ce saint homme qu'approbations du
livre, et il y a six ou sept évêques*. Ainsi j'ai été surprise
que vous n'ayez pas cité ce livre.
R. Je n'ai pas eu besoin de cette autorité ; celle
de l'Ecriture m'a paru encore plus grande.
10. D- Dès que, dans le temps convenable, on fera les actes
distincts à quoi le chrétien est obligé, et qu'on ne voudra
point exclure de l'état de contemplation ni les Personnes
divines, ni aucun des attributs, ni les mystères de Jésus-
Christ ; et que, comme il est dit dans les Articles d'Issy xxiv
et xxxiv, on sera persuadé que tout ce qui n'est vu que par
la foi est l'objet du chrétien contemplatif : vous ne blâme-
riez pas, ce me semble, que dans l'oraison on suive son
attrait, n'occupât-il toujours, dans le temps de l'oraison
actuelle, que du même objet.
R. Je ne blâme point cela : il suffit de ne point
exclure.
11, D. La Mère de l'Incarnation disait que quelquefois' elle
voulait se distraire pour s'occuper des mystères, mais qu'aus-
sitôt elle les oubliait, et que l'esprit qui la conduisait la
remettait plus intimement dans son fond.
R. Je crois bien que cela était ainsi. Quand on
est dans la disposition de ne point exclure les autres
7. La traduction porte l'approbation des docteurs de Breda, curé
de Saint-André, Genêt, curé de Saint-Benoît, Martin, curé de Sainl-
Eustache, Gobillon, curé de Saint-Laurent, et Fortin, proviseur du
collège d'Harcourt.
8. Les six évéques sont de la Nouvelle Espagne.
9. Loc. cit. Cf. L. Cliapot, Histoire de la vénérable Mère Marie de
l'Incarnation, t. M, p. 821.
iga CORRESPONDANCE [mai 1700
actes, ils viennent, quand même on ne s'en aperce-
vrait pas.
12. D. Dans la définition de l'état passif*'*, vous dites, Mon-
seigneur, que l'âme demeure alors impuissante à produire
des actes discursifs ; il me paraît que cela n'est pas toujours
de la sorte.
R. Cette impuissance n'est pas toujours absolue.
13. D. 11 paraît par divers endroits des écrits de saint Fran-
çois de Sales, qu'il voulait que certaines âmes se conten-
tassent, lorsqu'elles apercevaient de la distraction dans leur
oraison, de revenir à Dieu par un simple retour, et que de
ramener ainsi leur esprit à Dieu était le seul effort qu'il vou-
lait qu'elles fissent alors.
R. Ce simple retour est très suffisant ; c'est l'acte
le plus eflectif : souvent les autres ne sont que dans
l'imagination.
14. D. Supposé que ce simple retour ne fût pas suffisant dans
certains tennps que l'attrait s'est retiré, vous ne demanderiez
pas que ces âmes en revinssent à la méditation, mais qu'elles
se contentassent de faire de petits actes courts de temps en
temps.
R. Non à une méditation méthodique ; mais,
quand l'opération de Dieu cesse et qu'on a besoin
du discours, il faut y revenir, et c'est y revenir que
de faire ces actes courts. Ce qu'on a condamné dans
la XVI* proposition^', c'est qu'il est dit qu'alors l'âme
n'a plus besoin de revenir au discours. Or, quand
Dieu laisse les âmes à elles-mêmes, il faut bien
qu'elles s'excitent, et au lieu de dire : toutes les fois
10. Cf. t. VII, p. 35oet 35i.
11. [Il indique la xvi^ proposition condamnée par le breFd'Inno- ^
nt XII contre le livre des Maximes.]
15.
116.
mai 1 700] DEBOSSUET. jq3
quune âme (de cet état), lauteur aurait dû dire :
ordinairement^'^ .
D. La M. de Chantai voulait que ces âmes se conten-
tassent, quand elles ne sentaient plus d'attrait, de dire de
temps en temps quelque parole d'abandon et de confiance, et
de demeurer en révérence devant Dieu.
R. Je ne blâmerai jamais cela.
D. Je comprends bien, Monseigneur, que, sans les orai-
sons extraordinaires, on peut parvenir à une grande pureté
d'amour, et que la purification des péchés n'est point atta-
chée à ces oraisons.
R. Cela est certain.
17. D. Mais cet épurement des puissances de l'âme, qui est si
bien expliqué au cinquième livre des Étals d'oraison, pour-
rait-il se (aire sans la contemplation ?
R. C'est dans la contemplation que se fait cet
épurement : c'est là proprement lacle de contempla-
tion, cet acte pur, simple et direct ; mais, sans la
contemplation, on peut avoir une très grande cha-
nté, en quoi consiste la vraie perfection.
• D. Je n'entends pas bien pourquoi la proposition xiii
(d'Issy) joint à la vie la plus parfaite l'oraison la plus parfaite,
parce qu'en expliquant cet article, vous marquez que l'in-
tention de cette proposition est de montrer aux quiétisles, qui
s'imagment être les seuls qui connaissent la simplicité, la ma-
nière dont tous les actes se réduisent à l'unité dans la charité.
^ R. L'oraison et la vie la plus parfaite peuvent être
séparées, supposé que l'oraison la plus parfaite soit
l'oiaison passive. La fin de cette xni« proposition n'a
pas été de marquer que ces deux choses sont insé-
parables, ni de distinguer les parfaits des imparfaits
12. Voir pourtant Féneloii, Ma
XII
194 CORRESPONDANCE [mai 1700
par la réunion des vertus dans la charité, puisque
tous les actes méritoires dans les justes doivent être
commandés par la charité ; mais les parfaits sont
plus fidèles que les autres à rapporter à la charité
les actes des vertus inférieures. C'est la vertu univer-
selle, qui comprend sous soi tous les objets des autres
vertus, pour s'en servir à s'exciter et à se perfec-
tionner elle-même ; mais les parfaits, quoique plus
rarement que les imparfaits, font quelquefois des
actes de vertu qu'ils ne rapportent pas à la charité,
et qui ne sont pas commandés par elle.
19. D. Il est dit, p. 4i3 [livre X, article xv], qu'une âme
continuellement passive ne pourra pécher, même vcnielle-
ment.
R. Cela est vrai.
20 !)• Mais ne pourrait-elle pas résister à cet attrait?
R. Dès qu'elle y résisterait, elle ne serait plus
passive.
21 D. Ou si Dieu agit avec une pleine autorité, comment cet
état est-il méritoire? La sainte Vierge, qu'on suppose dans
cet état, est pourtant parvenue à un si haut degré de
mérite.
R. Cet état n'est pas méritoire, lorsqu'on n'y a
pas l'usage de son libre arbitre; mais quelquefois on
y agit avec liberté. L'état de la sainte Vierge était
méritoire, et au-dessus de tout ce qu'on en peut
dire.
22. D- Je sais, Monseigneur, que vous dites en quelque
endroit que le libre arbitre agit dans la passiveté ; qu il y a
certaines actions tranquilles que l'âme y exerce ; que cela
mai 1700] DE BOSSUET. 196
suffit pour y mérifer ; que la liberté se conserve même quel-
quefois dans les extases et les ravissements.
R. Tout cela est vrai.
23_ D. Ainsi ma difTiculté, c'est qu'il est dit, p. 4i3 de votre
livre, comme je viens de le marquer, qu'une âme toujours
passive ne pourrait déchoir de la grâce.
R. Quand on pèche, on cesse d'être passif; ce
n'est plus alors Dieu qui meut l'âme.
24. D. L'article viii (c?7ssj) dit que l'Oraison dominicale est
l'oraison journalière de toute âme fidèle. Cela se doit-il
entendre à la rigueur? Il est rapporté de la M. de l'Incarna-
tion, carmélite, qu'elle ne pouvait dire un Pater de suite",
et il me semble que cela se dit encore de quelques autres.
R. n est vrai ; mais elle avait intention de le dire,
elle en disait le principal. Quelqu'un qui manquerait
quelquefois de dire le Pater, parce qu'il serait occupé
d'autres bonnes choses, et parce qu'il n'y penserait
point, ne pécherait pas; mais il n'en serait pas de
même de celui qui ne voudrait pas le dire.
25. D- 11 est l'apporté dans la Vie de la Mère de Chantai^''
qu'à la messe, pour préparation et action de grâce de la com-
munion, elle demeurait dans la simple union à Dieu.
R. Je ne blâme point tout cela.
26. D. Elle dit'° qu'ayant voulu, dans le temps de la com-
munion, faire des actes plus distincts, Dieu l'en avait
reprise. Je crois donc. Monseigneur, que ce que vous blâmez
est un certain laisser-faire Dieu, qui exclut par état la propre
excitation.
R. Oui.
l3. Dans sa Vie, par Andr<* Duval, p. 663 (Voir noire t. VII,
p. Sac).
i4 Par Maupas du Tour, p. 294.
i5. Ibid.
IÇ)6 GORRESPONDAPsCE [mai 1700
27. D. Je crois de même que ce que vous désapprouviez par
rapport à la contrition, c'est de ne vouloir jamais s'y exci-
ter ; mais que vous n'exigeriez pas toujours d'une personne,
qui, loin de faire profession de haïr le péché en la manière
(jue Dieu le hait, sans douleur, sait au contraire qu'on doit
s'en affliger, et s'en afflige ; qui va, dans la résolution de ne
le plus commettre, chercher le pardon dans le sacrement de
pénitence; vous n'exigeriez, dis-je, pas toujours d'une telle
personne qu'allant à confesse, elle fit des actes distincts de
contrition, puisque, lors même qu'elle serait demeurée dans
son recueillement, il serait à supposer qu'elle aurait eu dans
le fond du cœur vraiment la contrition.
R. Gela est vrai.
28. D. Dans une de mes anciennes lettres, je vous demandais
comment un pécheur, que Dieu convertirait miraculeusement
à la mort, pourrait en un moment faire tous les actes
distincts que Dieu a commandés. Vous répondez que Dieu ne
convertira jamais parfaitement aucun homme, sans lui faire
faire distinctement divers actes que vous expliquez *•'. Mais,
par la page ii5 [article v du livre IV] de votre livre, il
semble que, dans certaines circonstances, un acte d'amour
peut suffire à la justification du pécheur.
R. C'est qu'il y a des occasions on un acte
d'amour, sans songer en particulier à regretter un
péché qu'on aurait commis, ne laisserait pas de jus-
tifier.
29. D. Dans une autre de vos réponses, parlant sur l'oraison
de simple présence de Dieu, vous dites que, quand Dieu
retire un long temps son opération, c'est alors le temps de
s'exciter comme les autres fidèles. Ces actes courts que prati-
quait et que conseillait la M. de Chantai ne suffiraient-ils
pas
R. Oui : les actes les plus longs ne sont pas les
16. Voir t. VII, ,3. a5i.
mai 1700J DE BOSSUEÏ. 197
meilleuis. Jaimela simplicité, et je conviens de ce
que disait cette Mère.
30. D. Je n'entends pas tout à fait bien ces mots de la
page 5o, ligne 12 [article mii du livre II] : La raison essen-
tielle et constilutive de Dieu et ces autres-ci, ligne 19 :
Dans un acte de simple et pure intelligence.
R. Ce mot raison, qui vous a paru obscur en cet
endroit, est un terme de l'Ecole, qui signifie ce qui
donne la forme à une chose, qui la fait être. J'ai
marqué, à cet endroit du livre, que dans l'Ecole on
n'est pas d'accord de la notion qu'il faut avoir de ce
qui fait proprement l'essence divine.
Un acte de simple et pure intelligence est un acte
où l'imagination n'a point de part.
31 D. Je n'entends pas bien non plus, à la page 228 [art. xliv
du livre VI], ces mots d'un passage de saint Clément
d'Alexandrie : U âme parfaite ne médite rien moins que d'être
Dieu.
R. Par participation.
32. D. L'oraison que saint François de Sales appelle oraison
de patience, et celle qu'on nomme proprement oraison de
pure foi, n'est-ce pas la même chose? l'âme alors non seule-
ment ne raisonnant ni ne discourant plus, mais étant privée
de tous les goûts.
R. Cette oraison est celle que le saint explique en
se servant de la comparaison de la statue '\ Dans
cette oraison, les actes sont insensibles ; on les croit
perdus, mais ils ne le sont pas'*,
17. Voir t. VIT, p. 39/i.
18. On s'esl dera;indé quelle était la pénitente de Bossuet qui fuii
le sujet de la lettre suivante de Mme de Maintenon à l'archevêque de
Paris : « Je voudrais bien, Monseigneur, ne point voir la dévote de
TgS CORRESPONDANCE |mai 1700
2001. — Leibniz a Bossuet.
Wolfenbultel, ce i/i mai 1700.
Monseigneur,
Vos deux grandes et belles lettres ' n'étant pas tant pour
moi que pour Mgr le duc Antoine Ulrich, je n'ai point
manqué d'en faire rapport à S. A. S., qui même a eu la
satisfaction de les lire. Il vous en est bien obligé ; et, comme
il honore extrêmement votre mérite éminent, il en attend
aussi beaucoup pour le bien de la chrétienté, jugeant, sur ce
qu'il a appris de votre réputation et autorité, que vous y
pourriez le plus contribuer. Il serait fâché de vous avoir
flonné de la peine, s'il ne se félicitait de vous avoir donné en
même temps l'occasion de tourner de nouveau vos grands
M. de Meaux ; il y a bien des clioses qui sont plus belles de loin que
de près. Je ne suis ni intérieure, ni expérimentée dans les voies de
Dieu, et je n'entends pas la moitié des consultations que cette per-
sonne faisait à son directeur. Sauvez-moi donc, si vous le pouvez,
cette visite inutile pour elle et pour moi. Mais si, nonobstant ce que
l'ai l'honneur de vous dire, je vous Fais le moindre plaisir en lui pro-
curant ce qu'elle désire, qu'elle vienne, Monseigneur, samedi ou
dimanche après-dîner à Saint-Gyr. Ce sont les jours où j'y vais le
plus ordinairement... » (.3 mai 1700, dans la Correspondance géné-
rale, t. IV, p. 827). Nous sommes tentés de croire que cette lettre de
Mme de Maintenon est mal datée et postérieure à la mort de Rossuet :
s il en était ainsi, la « dévote de M. de Meaux » serait Mme Goruuau.
Lettre 2001. — Imprimée d'abord dans les Œuvres posthumes de
Bossuet, t. I, p. 471. 11 existe, pour cette lettre et pour la suivante,
trois minutes autoffraphes, Hanovre, Papiers de Leibniz, f°^3ii, 3i2
et 3i3 ; nous les désigpnons par A, B, G, et nous suivons la dernière,
comme plus conforme au texte donné par le premier éditeur. En marge,
Leibniz a écrit : « Geci est le commencement d'un discours de ceni
vingt-quatre paragraphes sur le canon du Vieux Testament, que j'ai
partagé en deux lettres. » Ges deux lettres sont celles du id et du
2 I mai. La copie destinée à Bossuet fut exécutée par les soins du due
Antoine Ulrich, à qui Leibniz donna ses instructions le 4 mai (Fou-
.lur de Gareil, t. II, p. 3i3).
i . B : grandes et importantes lettres.
mai 1700] DE BOSSUET. 199
talents à ce qu'il croit le plus utile, et même très conforme à
la volonté du Roi,, suivant ce que M. le marquis de Torcy
avait (ait connaître.
1. Comme vous entrez dans le détail, j'avais suppliéce prince
de charger un théologien de la discussion des points qui le
demandent ; mais il a eu ses raisons pour vouloir que je con-
tinuasse de vous proposer les considérations qui se présente-
raient, et dont une bonne partie a été fournie par S. A.
même ; et j'ai tâché d'expliquer et de fortifier ses senliments
par des autorités incontestables.
II. 11 trouve fort bon que vous avez choisi une controverse
particulière, agitée entre les Tridentins et les protestants :
car, s'il se trouve un seul point, tel que celui dont il s'agit
ici, où il est visible que nous avons contre certains analhé-
malismes, prononcés chez vous, des raisons qui, après un
examen fait avec soin et avec sincérité, nous paraissent invin-
cibles^, on est obligé chez vous, suivant le droit et suivant
les exemples pratiqués autrefois', de les suspendre à l'égard
de ceux qui ne s'éloignent point pour cela de l'obéissance
due à l'Église catholique.
III. Mais, pour venir au détail de vos lettres, dont la
première donne les principes qui peuvent servir à distinguer
ce qui est de foi de ce qui ne l'est pas, et dont la seconde
explique les degrés de ce qui est de foi, je m'arrêterai prin-
cipalement à la première, où vous accordez d'abord. Monsei-
gneur, que Dieu ne révèle point de nouvelles vérités qui appar-
tiennent à la foi catholique ; que la règle de la perpétuité est
austii celle de la catholic té ; que les conciles œ^-uméniqaes ne
proposent point de nouveaux dogmes ; enfin, que la règle infail-
lible des vérités de la foi est le consentement unanime et perpé-
tuel de toute l'Église. J'avais dit que les protestants ne recon-
naissent pour un article de la foi chrétienne que ce que Dieu
2. A et B : nous avons des raisons qui, après un examen fait avec
soin et avec sincérité, nous paraissent invincibles contre les anatlié-
matismes de Trente.
3. A et B : pratiqués dans l'Eglise.
200 CORRESPONDANCE [mai 1700
a révélé d'abord par Jésus-Christ et ses apôtres ; et je suis
bien aise d'apprendre, par votre déclaration, que ce sentiment
est encore ou doit être celui de voire communion.
IV. J'avoue cependant que l'opinion contraire, ce semble,
d'une infinité de vos docteurs me fait de la peine : car on
voit que, selon eux, l'analyse de la foi revient à l'assistance
du Saint-Esprit, qui autorise les décisions de l'Église univer-
selle ; ce qui étant posé, l'ancienneté n'est point nt'rcssalre,
et encore moins la perpétuité.
Y. Le concile de Trente ne dit pas aussi qu'elles le sont*^,
quoiqu'il dise, sur quelques dogmes particuliers, que l'Église
l'a toujours entendu ainsi ; car cela ne tire point à consé-
quence pour tous les autres dogmes.
VI. Encore depuis peu, Georges BulP, savant prêtre de
l'Église anglicane, ayant accusé le P. Petau d'avoir attribué
aux Pères de la primitive Église des erreurs sur la Trinité,
pour autoriser davantage les conciles à pouvoir établir et
manifester, constiluere et pnlefacere, de nouveaux dogmes ; le
curateur de la dernière édition des Dogmes Théologiques ^ de
ce Fère, qui est apparemment de la même société, répond
dans la préface : Est quidem hoc dogma catholicx ralionis, ah
Ecclesia conslitui fidei capita ; sed propterea minime sequilur
Petavium malis arlibus ad id confirmandam usiim.
Ml. Ainsi le P. Grégoire de Valentia a bien des approba-
teurs de son Analyse de la foi ; et je ne sais si le sentiment du
cardinal du Perron, que vous lui opposez, prévaudra à celui
de tant [d'Jautres docteurs. Le cardinal d'ailleurs n'est pas
toujours bien sur, et je doute que l'Église de France d'aujour-
d'hui approuve la harangue '^ qu'il prononça dans l'assemblée
4. Edit. : qu'elles sont n^eessHires.
5. Il sera parlé de ce théolo{jien, p. 822.
6. La première édition de cet ouvrage considérable, mais mallieu-
reiistmenl inaelievé, avait paru de i64^ à i65o. Celle dont parle
Leibniz a été donnée, non par un jésuite, mais par Jean Le Clerc,
savant proteilant, accusé de latitudinarisme et même de socinianisme,
caché celte fois sous le pseudonyme de Theophilus Alethinus, Anvers
(Amsterdam), 1700, 6 tomes in-fol.
7. Parce qu'elle était favorable à l'ultramontanisme. Cf. plus haut.
1
mai 1700I DI-: BOSSUEÏ. , 201
des États, un peu après la mort de Henri IV, et qu'il n'au-
rait osé prononcer dans un autre temps que de minorité* ; car
il passe pour un peu politique en matière de foi.
VIII. De plus, suivant votre maxime^, il ne serait pas dans
le pouvoir du Pape ni de toute l'Éylise, de décider la ques-
tion de la Conception immaculée de la sainte Vierge. Cepen-
dant le concile de Bâle entreprit de le faire, et il n'y a pas
encore long'emps qu'un roi d'Espagne envoya exprès au
Pape pour le solliciter à donner une décision là-dessus, ce
qu'on entendait sans doute sous analhème. On croyait donc
en Espagne que cela n'excède point le pouvoir de l'Église. Le
relus aussi, ou le délai du Pape, n'était pas fondé sur son
impuiss nce d'établir de nouveaux articles de foi.
IX. J'en dirai autant de la question De auxiliis gratue,
qu'on dit que le pape Clément VIII avait dessein de décider
pour les thomistes contre les molinistes ; mais, la mort l'en
ayant empêché, ses successeurs trouvèrent plus à propos de
laisser la chose en suspens.
X. 11 semble que vous-même, Monseigneur, laissez quelque
porte de derrière ouverte, en disant que les conciles œcumé-
niques, lorsqu'ils décident quelque vérité, ne proposent point de
nouveaux dogmes, mais ne font que déclarer ceux qui ont iou-
p. 155. Cette Harangue, faite de la part de la Chambre ecclt^siastique
en celle du Tiers-État sur l'article du serment, Paris, i6i5, in-4, se
trouve parmi les Diverses œuvres du cardinal, Paris, 1622, in-fol.,
p. Sg^ ei suiv. Bossuet l'a appréciée du point de vue gallican dans la
Dejensio declarotionis, lib. IV, cap. xiv à xvii.
8. Edit. : que celui d'une minorité.
9. « Nous n'admettons aucune nouvelle révélation : toute vérité
révélée de Dieu est venue de main en main |usqu'à nous », avait écrit
Bossuet (cf. p. 125). Mais ce que Leibniz oublie ici, c'est que la vérité
peut bien n'être pas révélée par son concept particulier, mais seule-
ment dans une autre vérité qui sans elle n'aurait point son concept
intégral. Ainsi l'Immaculée conception se trouve révélée dans la
pureté parfaite de la Vierge et sa divine maternité (cf. l'abbé de
Broglle, Conférences sur la vie surnaturelle, t. II, 1882, dixième con-
férence: Histoire du dogme de ilminnculéc conception, p. 439-478, et
Diclionnaire de Théologie calholique, de \ acant, art. Dogve, de M. Du-
blancliy).
'J.02 CORRESPONDANCE [mal 1700
jours été crus et les expliquer seulement en termes plus clairs et
plus précis. Car, si la déclaration contient quelque proposition
qui ne peut pas être tirée, par une conséquence légitime et cer-
taine, de ce qui était déjà re.u auparavant, et par conséquent
n'y est point comprise virtuelleinent, il faudra avouer que la
décision nouvelle établit en elîet un article nouveau, quoi-
qu'on veuille couvrir la chose sous le nom de déclaration.
XI. C'est ainsi que la décision contre les monolhélites éta-
blissait en effet un article nouveau, comme je crois d'avoir
marqué autrefois "• ; et c'est ainsi que la transsubslanliation a
été décidée bien tard dans l'Église d'Occident, quoique cette
manière de la présence réelle et du changement ne fût pas
une conséquence nécessaire de ce que l'Eglise avait toujours
cru auparavant.
XII. Il y a encore une autre difficulté, sur ce que c'est que
d'avoir été cru auparavant. Car voulez-vous, Monseigneur,
qu'il suffise que le dogme que l'Église déclare être véritable
et de foi ait été cru en un temps par quelques-uns, quels
qu'ils puissent être, c'est-à-dire par un petit nombre de per-
sonnes et par des gens peu considérés ; ou bien faut-il qu'il
ait toujours été cru par le plus grand nombre, ou par les
plus accrédités? Si vous voulez le premier, il n'y aura guère
d'opinion qui n'ait toujours eu quelqvies sectateurs, et qui ne
puisse ainsi s'attribuer une manière d'ancienneté et de per-
pétuité ; et par conséquent cette marque de la vérité, qu'on
fait tant valoir chez vous, sera fort alTaiblie.
XIII. Mais si vous voulez que l'Église ne manque jamais
de prononcer pour l'opinion qui a toujours été la plus com-
mune ou la plus accréditée, vous aurez de la peine à justifier
ce sentiment [par] les exemples'*. Car, outre qu'il y a opi/u'ones
communes contra communes, et que souvent le grand nombre
et les personnes les plus accréditées ne s'accordent pas, le mal
est que des opinions qui étaient communes et accréditées
cessent de l'être avec le temps, et celles qui ne l'étaient pas
10. CF. t. V, p. a^C.
11. .Ms. : dans les exemples.
mai 1700] DE BOSSUET. 2o3
le deviennent. Ainsi, quoiqu'il arrive naturellement qu'on
prononce pour l'opinion qui est la plus en vogue lorsqu'on
prononce, néanmoins il arri\e ordinairement que ce qui est
eudoxe dans un temps était paradoxe auparavant, et vice versa.
XIV. Comme, par exemple, le règne de mille ans était en
vogue dans la primitive Église, et maintenant il est rebuté'^.
On croit maintenant que les anges sont sans corps, au lieu
que les anciens Pères leur donnaient des corps animés, mais
plus parfaits que les nôtres*'. On ne croyait pas que les âmes
qui doivent être sauvées parviennent sitôt à la parlaite béati-
tude'^; sans parler de quantité d'autres exemples.
XV. D'où il s'ensuit que l'Église ne saurait prononcer en
13. Le Millénarisine consiste dans la crovance à un rèfjne tem-
porel et triomphant du Christ et de ses saints sur la terre durant
mille ans, avant la fin des temps. S'il y eut un certain nombre de
Pères ou d'auteurs ecclésiastiques des quatre premiers siècles à 1 ,idop-
ter, il ne fut pas reg^ardé par eux comme un enseignement traditionnel,
mais comme une opinion privée qu'ils pensaient pouvoir appuver sur
quelques texte? de l'Ancien et du Nouveau Testament, et surtout sur
l'Apocalypse (Cf. Bossuet, V Apocalypse, part. II, eh. xx, Réflexions
sur l'opinion des Millénaristes; Oiclionnaire de la Bible de Vigouroux,
l. IV, col. 1090-1097; le P. Le cœur, le Règne temporel de Jésus-
Christ, Paris, 1868, in-8 ; Th. H. Martin, la Vie future suiuant la
foi et suivant la raison, Paris, 1870, in-i8, p. 6t5 et suiv. ; L. Gry, le
Millénarisine dans son origine et ses développements, Paris, igoii, in-8).
i3 Par suite d'une interprétation donnée à quelques textes de
l'Ancien Testament, et sous l'influence du Pseudo-Enoch, les Pères
des premiers siècles, tout en admettant que les anges sont des esprits,
les croyaient revêtus d'une matière subtile et étliérée. A partir
du iv^ siècle, en Face des Pères latins qui leur attribuaient une
corporéité relative, les Pètes grecs regardaient les anges comme àioi-
jxatoi. La spiritualité absolue des anges, enseignée ensuiie par toute
l'Ecole, n'est cependant point un dogme de foi catholique. ISi le
IV« ci.ncile de Latran, ni celui du Vatican n'ont eu l'intention de
définir la nature de ces esprits célestes (Cf. Dict. de Théologie catho-
lique de Vacant, t. I, col. i iqS).
i4. Il pourrait sembler au premier abord, par certains textes, que
des Pères, comme saint Hilaire, saint Ambroise, saint Jean Chrysos-
tôme, saint Augustin, enseignent que la béatitude des élus est diiïérée
jusqu'à la résurrection générale; mais il s'agit, dans ces textes, non
du bonheur incomphl, dont peut jouir l'àme, même séparée du
2o4 GORRESPOxNDANGE [mai 1700
faveur de Fincorporalilé des anges, ou de quelque autre opi-
nion semblable ; ou, si elle le faisait, cela ne s'accorderait pas
avec la règle de la perpétuité, ni avec celle de Vincent de
Lérins ' ^ du semper et ubiqiie, ni avec votre règle des vérités de
foi, que vous dites être le consentement unardme et perjjétuel
de toute l'Église, soit assemblée en concile, soit dispersée par
toute la terre. En effet, cela est beau et magnifique à dire,
tant qu'on demeure en termes généraux ; mais, quand on vient
au fait, on se trouve loin de son compte, comme il paraîtra
dans l'exemple de la controverse des livres canoniques.
XV^I. Enfin on peut demander si, pour décider qu'une
doctrine est de foi, il suffit qu'elle a été "^ simplement crue
ou reçue auparavant, et s'il ne faut pas aussi qu'elle ait été
reçue comme de foi. Car, à moins qu'on veuille se fonder sur
des nouvelles révélations, il semble que, pour faire qu'une
doctrine soit un article de foi, il faut que Dieu l'ait révélée
comme telle, et que l'Église, dépositaire de ses révélations,
l'ait toujours reçue comme étant partie de la foi, puisqu'on
ne pourrait savoir que par révélation si une doctrine est de
foi ou non.
XVII. Ainsi il ne me semble pas qu'une opinion qui a
passé pour philosophique auparavant, quelque reçue qu'elle
ait été, puisse être proposée légitimement sous anathème ;
comme, par exemple, si quelque concile s'avisait de pronon-
cer pour le repos de la terre contre Copernic, il semble qu'on
aurait droit de ne lui point obéir.
corps, mais de la béatilude complète, qui a pour sujet i'àme unie au
corps {glorifié. Cf. Perrone, Prselectiones theologicœ. t. I, De fatura
hom nis vita, cli. VI, prop. iv, obj. 2", Th. H. Martin, op. cit., p. 621.
i5. Quod ubique. quod semoer. quod ab omnibus creditum est. Cette
règle n'evclut pas le progrès (profcctus) ou dt^veloppement du dogme,
mais seulement toute modification qui en changerait substantiel-
lement la nature. Saint Vincent compare lui-même l'accroissement
légitime du dogme au développement du corps humain et à celui du
végétal (Coinrnonit. c. xxiii, P. L., t. L, col. 668). Cf. article Dogme,
dans le D'ccl. de théologie catholique de Vacant, t. IV, col i625-i632 ;
et dans le Dictionnaire apologétique d'Alès, t. I, col. 11 21-1184.
16. Édit. : qu'elle ait été.
mai 1700] DE BOSSUET. 2o5
XVIII. Et il paraît encore moins qu'une opinion qui a
passé longtemps pour problématique, puisse enfin devenir un
article de foi par la seule autorité de l'Église, à moins qu'on
ne lui attribue une nouvelle révélation, en vertu de l'assis-
tance infaillible du Saint-Esprit : autrement l'Église aurait
d'elle-même un pouvoir sur ce qui est de droit divin.
XIX. Mais, si nous refusons à l'Église la faculté de changer
en article de foi ce qui passait pour philosophique ou pro-
blématique auparavant, plusieurs décisions de Trente doivent
tomber, quand même on accorderait que ce concile est tel
qu'il faut ; ce qui va paraître particulièrement, à mon avis, à
l'égard des livres que ce concile a déclarés canoniques, contre
le sentiment de l'ancienne Église.
XX. Venons donc maintenant à l'examen de la question
de ces livres de la Bible, contredits de tout temps, à qui le
concile de Trente donne une autorité divine, comme s ils
avaient été dictés mot à mot par le Saint-Esprit, à l'égal du
Pentateuche, des Évangiles et autres livres reconnus pour
canoniques du premier rang, ou prolocanoniques ; au lieu que
les protestants tiennent ces livres contestés pour bons et
utiles, mais pour ecclésiastiques seulement, c'est-à-dire dont
l'autorité est purement humaine, et nullement infaillible.
XXI. J'étais surpris. Monseigneur, de vous voir dire que je
verrais clairement cette question résolue par des faits incontes-
tables en faveur de votre doctrine ; et je fus encore plus sur-
pris en lisant la suite de votre lettre : car j'étais comme
enchanté pendant la lecture, et vos expressions et manières
belles, fortes et plausibles, s'emparaient de mon esprit. Mais,
quand le charme de la lecture était passé, et quand je com-
parais de sang-froid les raisons et autorités de part et d'autre,
il me semble que je voyais clair comme le jour, non seule-
ment que la canonicité des livres en question n'a jamais
passé pour un article de foi ; mais plutôt que l'opinion com-
mune, et celle encore des plus habiles, a été toujours à l'en-
conlre.
XXII. Il y a même peu de dogmes si approuvés de tout
temps dans l'Église que celui des protestants sur ce point ;
2o6 CORRESPONDANCE [mai 1700
et on pourrait écrire en sa faveur un livre de la perpétuité de la
foi à cet égard, qui serait surtout incontestable par rapport à
l'Église grecque, depuis l'Église primitive jusqu'au temps pré-
sent ; mais on la peut encore prouver dans l'Église latine''.
XXIII. J'avoue que cette évidence me fait de la peine; car
il me serait véritablement glorieux d'être vaincu, Monsei-
gneur, par une personne comme vous êtes. Ainsi, si j'avais
les vues du monde et cette vanité qui y est jointe, je profite-
rais d'une défaite qui me serait avantageuse de toutes les
manières ; et on ne me dirait pas pour la troisième fois :
/Eneœ macjni dexlra cadis '*. Mais le moyen de le faire ici sans
blesser sa conscience, outre que je suis interprète en partie
des sentiments d'un grand prince? Je suivrai donc les vingt-
quatre paragraphes de votre première lettre, qui regardent
ce sujet; et puis j'y ajouterai quelque chose du mien,
quoique je ne me fonde que sur des autorités que Chemnice,
Gérard, Calixte, Rainold'* et autres théologiens protestants
17. Voir plus loin, p. a/ig.
18. yEneid., 1. X, v. 83o.
19. Il a été parlé de Callixte, t. VI, p. lio. — Martin Chemnitz
(i522-i586), un des plus remarquables tliéoioj^iens réformés, disciple
de Mélanclilon, fit à Wittemberg des cours publies sur les Loci com-
munes rerum Iheologicariim de son maître, qji, dans leur troisième édi-
tion, étaient devenus pour les luthériens ce que le livre des Sentences de
Pierre Lombard avait été au moyen âge. Chemnitz en fit un manuel,
Loci theologici (Francfort, 1691, in-4), qui passa pour une œuvre dog-
matique de premier ordre dans l'Eglise luthérienne. Contre plusieurs
ouvrages de jésuites il publia un écrit de controverse : Theologia-
Jesuitarum prœcipuacapilu, La Rochelle, i58o,in-8 ; dans son Examen
conciliitridentini, comprenant quatre parties en un vol. in-fol., Franc-
fort, 1578, la première partie traite de la Sainte Ecriture. Bellarmin
a réfuté Chemnitz dans ses Controverses. L' Harmonia evangelica de
Chemnitz a été continuée par Polycarpe Lyser, Francfort, lÔyS (Voir
Melchior Adam, Vitœ theologorum Germanorum qui super iori seculo
Ecclesiam Christi propaganmt et propugnaocrunt, etc., 3« édit.,
Francfort, i7o3, in-fol. ; J. Janssen et L. Paslor, L'Allemagne
et la Réforme, trad. française, Paris, 1907, t. VII, p. 445, 406).
— Jean Itainolds ou Reynolds, né à Pinhoe, près d'Exeter, eji
i5/i9, ^tait fils d'un fermier. Après avoir enseigné la philosophi' *t
le grec, il prit une part très active aux controverses religieuses, assista
mai 1700] DE BOSSUET. 207
ont déjà apportées, dont j'ai choisi celles que j'ai crues les
plus ellicaces.
XXIV. Comme il ne s'agit que des livres de l'Ancien Tes-
tament qu'on n'a point en langue originale hébraïque et qui
ne se sont jamais trouvés dans le canon des Hébreux, je ne
parlerai point des livres reçus également chez vous et chez
nous. J'accorde donc que, suivant votre § i , les livres en
question ne sont point nouveaux, et qu'ils ont toujours été
connus et lus dans l'Eglise chrétienne, suivant les titres qu'ils
portent ; et (§ 2) que particulièrement la Sagesse, l'Ecclé-
à la fameuse conférence de Haraptoncourt, en i6o4, et combattit
l'Eglise romaine. Ses idées le rapprochaient plus des pur. tains que
des anglicans. 11 fut principal du collège de Corpus Clirisli, à Oxford,
et doyen de Lincoln. 11 mourut le 21 mai 1607. Son frère William
(i5/i4?-i594) prit les ordres dans l'Église anglicane, puis se conver-
tit en 1575 au catholicisme. Les principaux ouvrages de Jean Mai-
nolds sont : Sex thèses de sacra Scriptara et Ecclesia. Londres, i58o,
in-4 ; The Summe oj the conférence helween John Rainolds and John
Hart touching the Head and tue J'nilh of Church, Londres, i58/i, in-4 ;
De Hoinanœ Ecclesiœ idololatria, Oxford, 1096, in-4, et surtout Cen-
sura Ubroruin apocryphorum Veteris Testainenli adoersus Pontijîcios.
Oppenheim, itjii, 2 vol. iQ-4 (R. Simon, Lettres, t. IV, p. 67, et
Histoire critique du Vieux Testament ; Ellies du Pin, Bibl. des auteurs
séparés de la communion romaine, t. IV, p. 563 ; Anthony Wood,
Athense Oxonienses, Londres, i8i3-i8ao, 4 vol. in-4; Th. Fuller,
Church History of Britain, Londres, i655, in-fol. ; National Biography,
t. XLVII). — Jean Gerhard ([582-i637), un des plus célèbres théo-
logiens de la confession d'Augsbourg, « appelé la perle de l'ortho-
doxie luthérienne » (Tholuck, Geist der lutherischen Theoloyen.
p. 5o). Il naquit à Quediimbourg, en Saxe, fut professeur à léna de
1616 à 1637, date de sa mort. Il a laissé une grande quantité d'ou-
vrages, parmi lesquels on cite ses commentaires sur différents livres
de la Bible et Loci communes theobgici, léna, 1610-1622, en 9 vol.
in-fol. ; Liber confessionis catholi'.se in quo doctrina catholica et evange-
lica Ecclesiaram Aagustanœ conjessioni addictarum ex Romano-Catho-
licorum scriplorum suffragiis confirmatur, léna, i634-i637, 4 vol.
iu-4 (Voir Ellies Dupin, op. cit., t. III; Adr. Beier, Syllabus
rectorum et professorum Jen., 1659, iu-8, p. 485 ; Allgemeine deutsche
Biographie, t. VUI, p. 767 ; Erdm. Rod. Fischer, Vita J. Gerhardi
ad ilLustrandam historiam ecclesiasl., Leipsig, 1723, in-8; J -Fr. Cotta,
de \ ita scriptisque auctoris en tète de son édition des Loci theologici.
Tubingue, 1762, 10 vol. in-4 ', Tholuck, Vorgeschichte des Rationalis-
2o8 CORRESPONDANCE [mai 1700
siaslique, Judith, Tobie et les Machabées ont précédé la nais-
sance de Notre-Seigneur -^.
XXV. Mais je n'accorde pas ce qui est dans le § 3, que le
concile de Trente les a trouvés dans le canon (le mot pris en
rigueur) depuis douze cents ans. Et quant à la preuve conte-
nue dans le § A, je crois que je ferai voir clairement ci-des-
sous que, dans le concile III de Carthage, saint Augustin,
que plusieurs croient y avoir été"^', et quelques autres, qui
ont parlé quelquefois comme eux et après eux, se sont servis
des mots de canonique et de divin d'une manière plus géné-
rale et dans une signification fort inférieure, prenant cano-
nique pour ce que les canons de l'Église autorisent, et qui est
opposé à l'apocryphe ou caché, pris dans un mauvais sens ;
et divin, pour ce qui contient des instructions excellentes sur
les choses divines, et qui est reconnu conforme aux livres
immédiatement divins ^^.
XXVI. Et puisque le même saint Augustin s'explique fort
nettement en d'autres endroits, où il marque précisément,
après tant d'autres, l'infériorité de ces livres, je crois que les
règles de la bonne interprétation demandent que les passages
où l'on parle d'une manière plus vague, soient expliqués par
ceux où l'auteur s'explique avec distinction".
XXVII. On doit donner la même interprétation (i< 5), à la
lettre du pape Innocent I, écrite à Exupère, évêque de ïou-
nus. Halle, i853-i85^, t. I; G. Franck, Gcschichte (1er Jenaischen
Theolog. ; J. Janssen et L. Pastor, L'Allemagne et la Réforme, tra-
duction française, Paris, t. Vil, Paris, 1907, in-8, p. ^540
20. Voir plus haut, p. laôetsuiv.
31. Première rédaction : qui y a été présent, à ce qu'on croit.
32. Cette distinction ne répond pas à la réalité. Cf. la réponse de
Mossuet dans sa lettre du 17 août 1701, n"* xxxvi à xi.ix.
aS. Saint Augustin connaît les divergences entre les diverses Eglises,
et en particulier les doutes de l'Eglise orientale : De doctr. Christ, II,
vui, 12; De Cioitate Dei. XVII, xx, i. Mais personnellement il ne
varia jamais sur la valeur des livres deutérocaniques. Aussi, dit Har-
nack, Précis de l'histoire des Dogmes, p. i5o, « l'opinion de sain'/
Vugustin fît règle pour l'Occident tout entier ». Voir la lettre de
lîossuet, du 17 août 1701, n^^ xxxvii à xxxi.x.
mai t70o] DE BOSSUET. 209
louse, en 4o5, et au décret du pape Gélase ; leur but ayant
été de marquer les livres autorisés ou canoniques, pris large-
ment, ou opposés aux apocryphes, pris en un mauvais sens,
puisque ces livres autorisés se trouvaient joints aux livres
véritablement divins, et se lisaient aussi avec eux ^*.
XXVIII. Cependant ces auteurs ou canons n'ont point
marqué ni pu marquer en aucune manière, contre le senti-
ment reçu alors dans l'Église ^•'^, que les livres contestés sont
égaux à ceux qui sont incontestablement canoniques, ou du
premier degré ; et ils n'ont point parlé de celte infallibilité
de l'inspiration divine, que les Pères de Trente se sont hasar-
dés d'attribuer à tous les livres de la Bible, en haine seule-
ment des protestants et contre la doctrine constante de
l'Église.
XXIX. On voit en cela un bel échantillon comment les
erreurs prennent racine et se glissent dans les esprits. On
change premièrement les termes par une facilité innocente
en elle-même, mais dangereuse par la suite ; et enfin on
abuse de ces termes pour changer même les sentiments,
lorsque les erreurs favorisent les penchants populaires, et que
d'autres passions y conspirent.
XXX. Je ne sais si, avec le § 6, on peut dire que les
Églises de Rome et d'Afrique (favorables en apparence,
comme on vient d'entendre, aux livres contestés) étaient
censées, du temps de saint Augustin, doctiores et diligenliores
Ëcclesiœ ; et que saint Augustin les a eues en vue, livre II,
chapitre xv, de Doctrina christiana, en disant que, lorsqu'il
s'agit d'estimer l'autorité des Livres sacrés, il faut préférer
ceux qui sont approuvés par les Églises où il y a plus de doc-
trine et plus d'exactitude.
XXXI. Car les Africains étaient à l'extrémité de l'Empire,
et n'avaient leur doctrine ou érudition que des Latins, qui
ne l'avaient eux-mêmes que des Grecs. Ainsi on peut bien
24. Cf. Ibid,, n^" XXXIII et xxxiv.
25. Ils n'ont point parlé contre le sentiment traditionnel et la pra-
tique générale de l'Eglise. Voir plus bas, p. 2/49.
XII — lA
2 10 GO nui: S POND AN CE [mai 1700
assurer que doctiores Ecdesiœ n'étaient pas la romaine ni les
autres Eglises occidentales, et encore moins celles d'Afrique.
XXXII. L'on sait que les Pères latins de ce temps n'étaient
ordinairement que des copistes des auteurs grecs, surtout
quand il s'agissait de la sainte Écriture. Il n'y a eu que saint
Hiérôme et saint Augustin, à la lin, qui aient mérité d'être
exceptés de la rrgle, l'un par son érudition, l'autre par son
esprit pénétrant.
XXXIII. Amsi l'Église grecque l'emportait sans doute du
côté de l'érudition ; et je ne crois pas non plus que l'Église
romaine de ce temps-là puisse être comptée inler Ecclesias
diligentiores. Le faste mondain Qyphus sœculi), le luxe et la
vanité y ont régné de bonne heure, comme l'on voit par le
témoignage d'Ammien Marcellin, païen *^, qui, en blâmatil
ce qui se Taisait alors à Rome, rend en même temps un bon
témoignage aux Églises éloignées des grandes \illes ; ce qui
marque son équité sur ce point.
XXXIV. Cette vanité, jointe au mépris des études (excepte
celle de l'éloquence), n'était guère propre à rendre les gens
diligents et industrieux. Il n'y a presque point d'auleur latin
d'alors qui ait écrit quelque chose de tolérable sur les
sciences, surtout de son chef. La jurisprudence même, qui
était la véritable science des Romains, et presque la seule,
avec celle de la guerre, où ils aient excellé, suivant ce bon
mot de Virgile :
Tu regere imperio populos, Romane, mémento :
Hpe tibi erunt artes (/Eneid. '^''),
était tombée, aussi bien que l'art militaire, avec la transla-
tion du siège de l'Empire. On négligeait à Rome l'histoire
ecclésiastique et les anciens monuments de l'Église ; et, sans
Eusèbe et quelques autres Grecs, nous n'en aurions pres(|ne
rien. Ainsi, avant l'irruption des Barbares, la barbarie étail
à demi formée dans l'Occident.
XXXV. Cette ignorance, jointe à la vanité, faisait que la
36. Lib. XXVII, cap. ni.
27. Lib. VI, V. 85i et 852.
mai 1700J DE BOSSUET. 211
«iiporstition (vice des femmes et des riches ignorants, aussi
l)ien que la vanité) prenait peu à peu le dessus, et qu'on
donna par après, en Italie principalement, dans les excès sur
le culle surtout des images, lorsque la Grèce balançait encore,
et que les Gaules, la Germanie et la Grande-Bretagne étaient
les plus exemptes de cette corruption. On reçut la mauvaise
marchandise d'un Isidorus Mercator -'' ; et on tomba enfin
on Occident dans une barbarie de théologie, pire que la bar-
barie qui y était déjà à l'égard des mœurs et des arts.
XXXVI. Encore présentement, s'il s'agissait de marquer
dans votre communion, Ecclesias docliores et diligentiores, il
faudrait nommer sans doute celles de France et des Pays-
Bas, et non pas celles d'Italie; tant il est vrai qu'on s'était
relâché depuis longtemps à Rome et aux environs à l'égard
de l'érudition et de l'application aux vérités solides. Ce
défaut des Romains n'empêche point cependant que cette
capitale n'ait eu la primatie et la direction dans l'Église,
après celle qu'elle avait eue dans l'Empire. L'érudition et
1 autorité sont des choses qui ne se trouvent pas toujours
jointes, non plus que la fortune et le mérite.
XXXVII. Mais, quand on accorderait que saint Augustin
avait voulu parler des Églises de Rome et d'Afrique, j'ai déjà
fait voir que ces Églises ne nous étaient point contraires ;
et de plus, saint Augustin ne parlait pas alors des livres véri-
tablement canoniques, dont l'autorité ne dépend pas de si
faibles preuves.
28. L'auteur qui se caclie sons ce nom énigmatique vivait au
ix« siècle. Il composa vers 85o un recueil de décrétâtes qui a long-
temps fait loi, mais dont l'autlienticité n'est plus admise. Ces fausses
décrétâtes ont été combattues, à partir du xv« siècle, non seulement
par les protestants, mais encore par des catholiques, soit gallicans,
soit ultramontains, tels que Nicolas de Cusa, Baronius, Bellarmin,
Bona, etc. A partir du xvii» siècle, ce recueil perdit toute autorité
(Voir D. Blondel, Pseudo-Isidorus et Turrianus vapulantes, Genève,
1638, in-A ; les articles de P. Fournier, dans le Dictionnaire apologé-
tique de la foi catholique d'A. d'Alès, Paris, 191 1, t. 1, col. QoS-
910, et d'Ant. Villien, dans le Dictionnaire de Théologie de Vacant-
Mangenot, Paris, 191 1, t. IV, col. 212-222).
212 CORRESPOiNDANGE [mai 1700
XXXVIII. Poui-ce qui est dit de l'autorité de saint Augus-
tin (^ 7), j'ai déjà répondu, comme aussi au texte du con-
cile de Carthage (§ 8) ; mais je le ferai encore plus distincte-
ment en son lieu, c'est-à-dire dans la lettre suivante. H est
vrai aussi (§ 9), que saint Augustin ayant cité contre les
pélagiens ce passage de la Sagesse : Il a été enlevé de la vie,
de crainte que la malice ne corrompît son esprit-^, et que des
prêtres de Marseille ayant trouvé étrange qu'il eût employé
un livre non canonique dans une matière de controverse, il
défendit sa citation ; mais je ferai voir plus bas que son sen-
timent n'était pas éloigné du nôtre dans le fond.
XXXIX. Et quant aux citations de ces livres qui se trou-
vent chez Clément Alexandrin, Origène, saint Cyprien et
autres (§ 10 et 11), elles ne prouvent point ce qui est en
question : les protestants en usent de même bien souvent.
Saint Cyprien, saint Ambroise et le canon de la messe ont
cité le quatrième livre d'Esdras, qui n'est pas même dans
votre canon ; et le livre du Pasteur a été cité par Origène et
par le grand concile de Nicée^", sans parler d'autres; et s'il
y a des allusions secrètes que l'Évangile fait aux sentences des
livres contestés entre nous (§ i4), peut-être en pourra-t-on
trouver qui se rapportent encore au quatrième livre d'Esdras,
sans parler de la prophétie d'Enoch citée dans l'Épître de
saint Juda^''.
XL. Il est sûr qu'Origène a mis expressément les livres
contestés hors du canon ; et s'il a été plus favorable aux frag-
39. De Prœdestinat. sancAor.. cap. xiv, 28 [P. L., t. XLIV, col.
980]. CF. lettre du 17 août 1701, n" XLI.
3o. Origen., Homil. VIII in Numéros ; X in Josuam ; Comment-
in Ose, cap. viii ; in Matlh., cap. xxiv, 82, ^2, etc. [P. G., t. XII,
col. 62a et 1880; t. XIII, col. 628, i683 et 1693, etc.]. Mais ce
Père avoue que ce livre ne passe pas aux yeux de tous pour une Ecri-
ture inspirt^e, et que plusieurs même n'en font point de cas: Comment.
inMalth.. XIV, ai ; De prlncip., IV, 11 [P. G., t. XIII, col. ia4o,
t. XI, col. 365J. — Saint Athanase dit des Pères du Concile de Nicée
au sujet du Pasteur : Librum hune citant, quamvis non sit ex canone.
{De decrelis Nicœnœ Synodi. 18, P. G., t. XXV, col. 456).
3i. Jud., V, i4. *
mai 1700] , DE BOSSUET. 2l3
ments de Daniel dans une lettre écrite à Julius Africanus
(que vous m'apprenez, § 12, avoir été publiée depuis peu en
i:rec), c'est quelque chose de particulier.
\LI. Vous reconnaissez, Monseigneur (§ i3, i5),que plu-
sieurs Églises et plusieurs savants, comme saint Jérôme, par
exemple, ne voulaient point recevoir ces livres pour établir
les dogmes ; mais vous dites que leur avis particulier n'a point
été suivi. Je montrerai bientôt que leur doctrine là-dessus
était reçue dans l'Église ; mais quand cela n'aurait point été,
il suffirait que des Églises entières et des Pères très estimés
ont été d'un sentiment, pour en conclure que le contraire ne
pouvait être cru de foi de leur temps, et ne le saurait être
encore présentement, à moins qu'on n'accorde à l'Église le
pouvoir d'en établir de nouveaux articles.
XLII. Mais vous objectez (§ i5), que par la même raison
on pourrait encore combattre Taulorilé de l'Épître aux
Hébreux et de l'Apocalypse de saint Jean ; et qu'ainsi il fau-
dra que je reconnaisse aussi, ou que leur canonicité^^ n'est
point de foi, ou qu'il y a des articles de foi qui ne l'ont pas
été toujours. Il y a plusieurs choses à répondre. Car premiè-
rement les protestants ne demandent pas que les vérités de
foi aient toujours prévalu, ou qu'elles aient toujours élé
reçues généralement ; et puis il y a bien de la dilférence
aussi entre la doctrine constante de l'Église ancienne, con-
traire à la pleine autorité des livres de l'Ancien Testament
qui sont hors du canon des Hébreux, et entre les doutes par-
ticuliers que quelques-uns ont formés contre l'Épître aux
Hébreux, ou contre l'Apocalypse ; outre qu'on peut nier
qu'elles sont de saint Paul ou de saint Jean, sans nier qu'elles
sont divines.
XLIII. Mais quand on accorderait chez nous qu'on n'est
pas obligé, sous anathème^^, de reconnaître ces deux livres
pour divins et infallibles, il n'y aurait pas grand mal. Le
moins d'anathèmes qu'on peut, c'est le meilleur.
32. Edit. : autorité.
33. Edit. : sous peine d'anathème.
2l4 CORRESPONDANCE [mai 1700
XLIV. Vous essayez dans le même endroit (§ i5), de don-
ner une solution conforme à vos principes; mais il semble
qu'elle les renverse en partie. Après avoir dit, par forme
d'objection contre vous-même, que du moins cette tradition
n'était pas universelle, puisque de très grands docteurs et des
Eglises entières ne Vont pas connue, vous répondez qu''une nou-
uelle reconnaissance de quelque livre canonique, dont quelques-
uns auront douté, ne déroge point à la perpétuité de la tradition,
qui do't être la marque de la vérité catholique, laquelle (dites-
vous), pour être constante et perpétuelle, ne laisse pas d'avoir
ses progrès. Elle est connue en un lieu plus qu'en un autre, plus
clairement, plus distinctement, plus universellement. Il suffit,
pour établir la succession et la perpétuité de la foi d'un livre saint,
comme de toute autre vérité, qu'elle soit toujours reconnue, quelle
le soit dans le plus grand nombre sans comparaison, quelle
le soit dans les Eglises les plus éminentes et les plus autorisées,
les plus révérées, qu'elle s'y soutienne, quelle gigae et qu'elle
se répande d'elle-même jusqu'au temps que le Saint-Esprit, la
force de la tradition, le goût, non celui des particuliers, mais
l'universel de l Église, la fasse enfin prévaloir, comme elle a fait
au concile de Trente.
XLV. J'ai été bien aise, Monseigneur, de répéter tout au
long vos propres paroles. Il n'était pas possible de donner un
meilleur tour à la chose. Cependant où demeurent mainte-
nant ces grandes et magnifiques promesses qu'on a coutume
de faire du toujours et partout, semper et ubique, apparte-
nant aux vérités^* qu'on appelle catholiques, et ce que vous
aviez dit vous-même ci-dessus, que la règle infallible des
vérités de la foi est le consentement unanime et perpétuel de
toute l'Église? Le toujours ou la perpétuité se peut sauver en
quelque façon et à moitié, comme je vais dire ; mais le par-
tout ou Vunanime ne saurait subsister, suivant votre propre
aveu.
XLVI. Je ne parle pas d'une unanimité parfaite ; car
j'avoue que l'exception des sentiments extraordinaire de
34- Édit. : des vérités.
mai 1700] DE BOSSUET. 2l5
([uelques particuliers ne déroge point à celle dont il s'agit ;
mais \e parle d'une unanimité d'autorité, à laquelle déroge le
tombal d'autorité contre autorité, quand on peut opposer
Églises à Eglises, et des docteurs accrédités les uns aux autres,
surtout lorsque ces Églises et ces docteurs ne se blâmaient
[loint pour être de dilTérente opinion, et ne se contestaient
rien et ne disputaient^^ pas même : ce qui paraît une marque
oortaine, ou qu'on tenait la question pour problématique et
nullement de foi, ou qu'on était dans le fond du même sen-
timent, comme en effet saint Augustin (à mon avis) n'était
point d'un autie sentiment que saint Jérôme.
XL Vil. Or, ce que nous venons de dire étant vrai, la per-
pétuité même reçoit une atteinte. Car elle subsiste, à la vérité,
à l'égard du dogme considéré comme une doctrine humaine,
mais non pas à l'égard de sa qualité, pour être cru un article
de la foi divine^". Et il n'est pas possible de concevoir com-
ment la tradition continuelle sur un dogme de foi puisse
être plus claire, onze ou douze siècles après, qu'elle n'était
dans le troisième ou quatrième siècle de l'Église, puisqu'un
siècle ne la peut recevoir que de tous les siècles pré-
cédents.
XLVlll. Il se peut, je l'avoue, que quelquefois elle se con-
serve tacitement, sans qu'on s'avise d'v prendre garde ou d'en
parler ; mais, quand une question est traitée expressément,
en simple problème, entre les Églises et entre les principaux
docteurs, il n'est plus soutenable qu'elle a été enseignée alors
comme un article de foi connu par une tradition apostolique.
Une doctrine peut avoir pour elle plus d'Églises et plus de
docteurs, ou des Églises plus révérées et des docteurs plus
estimés ; cela la rendra plus considérable, mais l'opinion con-
traire ne laissera pas d'être considérable aussi, et elle sera
hors d'atteinte, au moins pour lors et selon la mesure de la
révélation qu'il y a alors dans l'Église, et même absolument,
si l'on exclut les nouvelles révélations ou inspirations en
35. Edit. : et ne contestaient et ne disputaient.
36. Edit. : pour être crue un article de foi divine.
2l6 CORRESPONDANCE [mai 1700
matière de foi. Car toutes ces Églises, quoique partagées sur
la question, convenaient alors qu'il n'y a aucune révélation
divine là-dessus, puisque même les Églises qui étaient les
plus révérées et que vous faites contraires à d'autres, non seu-
lement n'exerçaient point de censure contre les autres et ne
les blâmaient point, mais ne travaillaient pas même à les
désabuser, quoiqu'elles sussent bien leur sentiment, qui était
public et notoire.
\L1X. De sorte que, si une doctrine combattue par des
autorités si considérables et reconnue dans un temps pour
n'èlre pas de loi, se soutient pourtant, se répand et gagne enfin
le dessus de telle sorte que le Saint-Esprit et le goût présent
unioersel de l'Eglise la font prévaloir jusqu'à être déclarée
eniin article de loi par une décision légitime, il faut dire que
c'est par une révélation nouvelle du Saint-Esprit, dont l'assis-
tance inlallible lait naître et gouverne ce goût universel et les
décisions des conciles œcuméniques, ce qui est contre votre
syslèiiie.
L. J'ai parlé ici suivant votre supposition, que les livres
en question ont eu pour eux la plus grande partie des chré-
tiens et les plus considérables Églises et docteurs ; mais, en
eÛet, je cruis que c'était tout le contraire, ce qui ne s'accom-
mode pas avec le principe du grand nombre, sur lequel certains
auteurs ont voulu fonder depuis peu la perpétuité de leur
croyance, contre le sentiment des antérieurs, tels qu'Alphon-
sus Tostatus''', qui a dit (^Ad prol. Il in Matt., q. 4) : Manel
'6-]. T. X, p. 35. Sa pensée s'éclaire de la comparaison qu'il fait
de l'Eglise avec un corps. 11 dit qu'une partie considérable pourrait
être relraiicliée, comme il arriva au temps de l'arianisme, sans que l;i
partie uuie avec la tète cessât d'être l'Eglise catholique. — Alionso
Tostado (i4oo-i4ô5), théologien espagnol, à la fois versé dans la
connaissance des langues sacrées et dans les sciences prolanes fut
un prodige d'érudition selon Sclieeben, la Dogmatique, trad. Bélet,
Pans, 1O77, t. 1, n° 1070. Après avoir été député au concile de
Bàle, il lut évéque d'Avila, membre du Conseil rojal de Castille el
grand réléiendaue. Ses commentaires sur la Bible, imprimés d'à' »rd
à \ enise par les soins du cardinal Ximénès, ont eu plusieurs éditions,
dont la meilleure est celle de Venise, 1696, i3 vol. in-fol. (Voir
mai 1700] DE BOSSUET. 217
Ecclesia universalis in pnrlibus illis quse non errant, sive illse
sinl plures numéro quam errantes, swe non ; où il suppose que
le plus grand nombre peut tomber dans l'erreur.
Li. Mais il y a plus ici ; et nous verrons par après, dans la
lettre suivante, que non seulement la plupart et les plus
considérables, mais tous en effet étaient du sentiment des
protestants, qui pouvait passer alors pour œcuménique.
LII. Il est vrai, suivant votre § 16, que ces livres ont tou-
jours été lus dans les Kglises, tout comme les livres véritable-
ment divins ; mais cela ne prouve pas qu'ils étaient du même
rang. On lit des prières et on chante des hymnes dans
l'église, sans égaler ces prières et ces hymnes aux Evangiles
et aux Épîtres. Cependant j'avoue que ces livres que vous
recevez ont eu ce grand avantage sur quelques autres livres,
comme sur celui du Pasteur et sur les épîtres de Clément
aux Corinthiens^*, qu'ils ont été lus dans toutes les Églises,
au lieu que ceux-ci n'ont été lus que dans quelques-unes :
et c'est ce qui parait avoir été entendu et considéré par ces
anciens, qui ont enfin canonisé ces livres, qu'ils trouvaient
autorisés universellement ; et c'est à quoi saint Augustin
parait avoir butté ^', en voulant qu'on estime davantage les
livres reçus apud Ecclesias doctiores et diUgentiores ""^ .
LUI. Peut-être pourrait-on encore dire qu'il en est, en
quelque façon, comme de la version Vulgate, que votre
Église tient pour authentique et (pour ainsi dire) canonique,
c'est à-dire pour autorisée par vos canons; mais je ne crois
pas qu'on pense lui donner une autorité divine infallible,
égale à celle de l'original*', comme si elle avait été inspirée.
Richard Simon, Histoire critique du Vieux Testament, 1. III, ch. xii ;
Nie. Antonio, Bibliolheca velus, t. II, p. 255; Ellies du Pin, His-
toire des controverses et des matières ecclésiastiques traitées dans le
XV^ siècle, t. 1, p. 3i3; Hurler, Aomenclalor literarius, t. II, col. 918).
38. Édit. : aux Corinlliiens et autres. Les mots et autres sont ra-
turés en C
39. C'est-à-dire : telle paraît avoir été l'intention de saint Augustin .
40. Les mots : apud Ecclesias. etc., sont raturés en C.
/il. Édit. : à l'égard de l'original. — La pensée de l'Eglise est
2l8 CORRESPONDANCE [mai 1 700
En la faisant authentique, on déclare que c'est un livre sûr
et utile ; mais non pas qu'elle est d'une autorité infaliible
pour la preuve des dogmes, non plus que les livres qu'on
avait mêlés parmi ceux de la sainte Écriture divinement
inspirée.
LIV. Il ne paraît pas (ju'on peut concilier les anciens qui
semblent se contrarier sur notre question, en disant (avec le
§ 16), que ceux qui mettent les livres de Judith, de Tobie,
des Machabées,etc., hors du canon, l'entendent seulement du
canon des Hébreux, et non pas du canon des chrétiens. Car
ces auteurs marquent en termes formels que l'Eglise chré-
tienne ne reçoit rien du Vieux Testament dans son canon,
que l'Eglise du Vieux Testament n'ait déjà reçu dans le sien.
J'en apporterai les passages dans la lettre suivante.
LV. Il faut donc recourir à la conciliation expliquée ci-
dessus, savoir, que ceux qui ont reçu ces livres dans le canon,
l'ont entendu d'un degré inférieur de canonicilé : et cette
conciliation, outre qu'elle peut seule avoir lieu et est fondée
en raison, est encore rendue incontestable parce que
quelques-uns de ces mêmes auteurs s'expliquent ainsi»
comme je ferai encore voir.
LVI. Je croirai volontiers, sur la foi de saint Jérôme, que
le grand concile de Nicée a parlé avantageusement du livre
de Judith ; mais, dans le même concile, on a encore cité le
livre du Pasteur d'Hermas, qui n'était guère moins estimé
par plusieurs que celui de Judith. Le cardinal Baronius^-,
trompé par le passage de saint Jérôme, crut que le concile de
Nicée avait dressé un canon pour le dénombrement des
saintes Écritures, où le livre de Judith s'était trouvé ; mais
il se rétracta dans une autre édition, et reconnut que ce ne
devait avoir été qu'une citation de ce livre.
LVII. Au reste,, vous soutenez vous-même. Monseigneur
bien de lui reconnaître cette autorité, en ce sens que la Vuljjate ne
contient rien de faux in doclrina Jïdei et morum et qu'elle exprime jl
fidèlement la substance du texte sacré.
'l2. Baronius, ad annum 325, cap. i:lviii.
mai 1700] DE BOSSUET. 219
(§ 18), que les Églises de ces siècles reculés étaient partagées
sur l'autorité des livres de la Bible, sans que cela les empêchai
de concourir dans la même théologie ; et vous jugez bien que
nette remarque plaira à Monseigneur le Duc, comme en ellet
rien ne lui saurait plaire davantage que ce qui marque de la
modération. Ils avaient raison aussi, puisqu'ils reconnais-
saient, comme vous remarquez (§ 19), que cette diversité du
canon (mais qui, à mon avis, n'était qu'apparente) ne faisait
naître aucune diversité dans la foi ni dans les mœurs. Or je
crois qu'on peut dire qu'encore à présent la diversité du
canon de vos Églises et de la nôtre ne fait aucune diversité des
dogmes. Et comme nous nous servirions de vos versions et
vous des nôtres en un besoin, nous pourrions bien en user
de même, sans rien hasarder, à l'égard des livres apocryphes
que vous avez canonisés. Donc il semble que l'assemblée de
Trente aurait bien fait d'imiter cette sagesse et cette modéra-
tion des anciens, que vous recommandez.
LVIII. J'avoue aussi, suivant ce qui est dit § 'io, que non
seulement la connai-^sance du canon, mais même de toute
l'Écriture sainte, n'est point nécessaire absolument ; qu'il y a
des peuples sans l'Écriture*^, et que l'enseignement oral ou
la tradition peut suppléer à son défaut. Mais il faut avouer
aus-i que, sans une assistance tonte particulière de Dieu, les
traditions de bouche ne sauraient aller dans des siècles éloi-
gnés sans se perdre ou sans se corrompre étrangement,
comme les exemples de toutes les traditions qui regardent
l'histoire profane, et les lois et coutumes des peuples, et
même les arts et sciences, le montrent incontestablement.
Ainsi la Providence, se servant ordinairement des moyens
naturels et n'augmentant pas les miracles sans raison, n'a
pas manqué de se servir de l'Écriture sainte, comme du
moyen plus propre à garantir la pureté de la religion contre
les corruptions des temps ; et les anathèmes prononcés dans
l'Écriture même contre ceux qui y ajoutent ou qui en relian-
chent, en font encore voir l'importance, et le soin qu'on doit
'|3. Edit. : sans Ecriture.
220 CORRESPONDANCE [mai 1700
prendre à ne rien admettre dans le canon principal, qui n'y
ait été d'abord. C'est pourquoi, s'il y avait des analhèmes à
prononcer sur cette matière, il semble que ce serait à nous de
le faire, avec bien plus de raison que les Grecs n'en avaient
de censurer les Latins, pour avoir ajouté leur Filioque dans
le Symbole.
LIX. Mais comme nous sommes plus modérés, au lieu
d'imiter ceux qui portent tout aux extrémités, nous les blâ-
mons ; et par conséquent nous sommes en droit de deman
der, comme vous faites enfin vous-même (§ 21), pourquoi le
concile de Trente n'a pas laissé sur ce point la même liberté que
Von avait autrefois, et pourquoi il a défendu sous peine d^ana -
thème de recevoir un autre canon que celui qu'il propose
(Sess. IV). Nous pourrions même demander comment celle
assemblée a osé condamner la doctrine constante de l'anti-
quité chrétiefme. Mais voyons ce que vous direz au moins à
votre propre demande.
LX. La réponse est (§ ai) que l'Ëglise romaine, avec tout
l'Occident, était en possession du canon approuvé à Trente
depuis douze cents ans, et même depuis l'origine du cbristia-
nisme, et ne devait point se laisser troubler dans sa posses-
sion sans se maintenir par des anathèmes. 11 n'y aurait rien
à répliquer à celte réponse, si cette même Église avait été
depuis tant de temps en possession de ce canon comme cer-
tain et de loi ; mais c'était tout le contraire : et si, selon
votre propre sentiment, l'Église était autrefois en liberté là-
dessus, comme en elTet rien ne l'avait** encore fait perdre
cette liberté, les protestants étaient en droit de s'y maintenir
avec l'Église, et d'interrompre une manière d'usurpation con-
traire, qui entin pouvait dégénérer en servitude et faire
oublier l'ancienne doctrine, comme il n'est arrivé que trop.
Mais, qui plus est, il y avait non seulement une faculté libre,
mais même une obligation ou nécessité de séparer les livres
ecclésiastiques des livres divinement inspirés : et ce que les
protestants faisaient n'était pas seulement pour maintenir la
4/». Edit. : ne lui avait.
mai 1700] DE BOSSUET. 221
liberté et le droit de faire une distinction juste et légitime
entre ces livres, mais encore pour maintenir ce qui est du
devoir et pour empêcher une confusion illégitime.
LXI. Mais vous ajoutez (§ 22) qu'il n'est rien arrivé ici que
f.e que l'on a vu arriver à toutes les autres vérités, qui est
d'être déclarées plus expressément, plus authentiquement, plus
fortement par le jugement de l'Église catholique, lorsqu'elles ont
été plus ouvertement et plus opiniâtrement contredites. Mais les
protestants ont-ils marqué leur sentiment plus ouvertement,
ou plutôt est-il possible de le marquer plus ouvertement et
plus fortement que de la manière que l'ont fait saint Méli-
ton, évêque de Sardes, et Origène, et Eusèbe, qui rapporte
et approuve les autorités de ces deux ; et saint Alhanase, et
saint Cyrille de Jérusalem, et saint Epiphane, et saint Ghry-
sostome, et le synode de Laodicée, et Amphilochius, et
RuGn, et saint Jérôme, qui a mis un gardien ou suisse armé
d'un casque à la tête des livres canoniques? C'est son Prolo-
gas gnleatus''^, a qui il dit avoir donné ce nom exprès pour
empêcher les livres apocryphes et les ecclésiastiques de se
fourrer parmi eux. Et après cela, est-il possible d'accuser les
protestants d'opiniâtreté? ou plutôt est-il possible de ne pas
accuser d'opiniâtreté et de quelque chose de pis ceux qui, à
la faveur de quelques termes équivoques de certains anciens,
ont eu la hardiesse d'établir dans l'Église une doctrine nou-
velle et entièrement contraire à la sacrée antiquité, et de
prononcer même anathème*^ contre ceux qui maintiennent
la pureté de la vérité catholique ? Si nous ne connaissions pas
la force de la prévention et du parti, nous ne comprendrions
point comment des personnes éclairées et bien intentionnées
puissent*^ soutenir une telle entreprise.
LXII. Mais, si nous ne pouvons pas nous empêcher d'en
être surpris, nous ne le sommes nullement de ce qu'on
45. Prœfal. in libros tiamuel et Malachim [P. L., t. XXVIII, col.
547 seq.].
46. Edit. : prononcer le même anathème.
47. Edit. : peuvent.
222 CORRESPONDANCE [mal 170..
donne chez vous à voire communion le nom d'Église catho-
lique ; et je demeure d'accord de ce qui est dit, t^ 23, que ce
n'est pas ici le lieu d'en rendre raison. Les protestants en
donnent autant à leur communion. On connaît la Confes-
sion catholique de notre Gérard, et le Catholique orthodoxe de
Morlon, Anglais**. Et il est clair au moins que notre senti-
ment, sur le canon des livres divinement inspirés, a toutes
les marques d'une doctrine catholique, au lieu que la uout
veauté introduite par l'assemblée de Trente a toutes les
marques ici d'un soulèvement schismatique. Car que des
novateurs prononcent anathème contre la doctrine constante
de l'Église catholique, c'est la plus grande marque de rébel-
lion et de schisme qu'on puisse donner. Je vous demande
pardon. Monseigneur, de ces expressions indispensables, que
vous connaissez mieux que personne ne pouvoir point pas-
ser pour téméraires, ni pour injurieuses dans une telle occa-
sion.
LXIII. Je ne vois donc pas moyen d'excuser la décision de
Trente, à moins que vous ne vouliez. Monseigneur, approu-
ver l'explication de quelques-uns qui croient la pouvoir
encore concilier avec la doctrine des prolestants, et qui, mal-
gré les paroles du concile, prétendent qu'on peut encore les
expliquer comme saint Augustin a expliqué les siennes. En
ce cas, il ne faudrait pas seulement donner aux livres incon-
liS. Thomas Morton (i56/l-i659), docteur de Cambridge, succes-
sivement évèqiie de Cliester, de Coventry et de Durliam. Sa fidélité
à Cliarles I"" lui valut d'être quelque temps emprisonné à la Tour de
Londres, il a beaucoup écrit, et surtout sur les matières de contro-
verse. L'ouvragfe auquel Leibniz fait ici allusion doit être Apologia
calhoUca, ex ineris Jesuitaruni contradiclionibus conjlata, Londres, i6o5
et 1606, 2 vol. in-4, ou peut-être A catliolike appcale fort protestants
out of the conjessions of the Romane doctors. Londres, ifiio, in-fol.
Parmi les aulres écrits de Th. Morton, on remarque Causa regia, swe
de authoritate et dijnitate principum christianoram adoersus Bellarmini
traclatum de Offieio principis, Londres, 1620, in-4 (J. Barwick, Life
and death of Thomas late lord Bishop of Darham, Londres, i6fio,
in-/j ; Thom. Baker, History oj the Coltegc of St. John tlie Euangelist,
Cambridge, 1869, 2 vol. in-8 ; article d'E. \ enables dans la National .
Biography, t. XXXIX). J
mai 1700] DE BOSSUET. 223
lestablement canoniques un avantage ad hominem, comme
vous faites (§ 2/1), mais absolument, en disant que le canon
de Trente, comme celui d'Afrique, comprend également les
livres infallibles ou divinement inspirés, et les livres ecclé-
siastiques aussi, c'est-à-dire ceux que l'Église a déclarés
authentiques et conformes aux livres divins. Je n'ose point
me flatter que vous approuviez une explication qui paraît si
contraire à ce que vous venez de soutenir avec tant d'esprit
et d'érudition ; cependant il ne paraît pas qu'il y ait moyen
de sauver autrement l'honneur des canons de Trente sur cet
article.
Me voilà maintenant au bout de votre lettre. Monseigneur,
dont je n'ai pu faire une exacte analyse qu'en m'étendant
bien plus qu'elle. Je suis bien fâché de cette prolixité, mais
je n'y vois point de remède. Et cependant je ne suis pas
encore au bout de ma carrière : car j'ai promis plus d'une
fols de montrer en abrégé, autant qu'il sera possible, la per-
pétuité de la foi catholique conforme à la doctrine des pro-
testants sur ce sujet. C'est ce que je ferai, avec votre permis-
sion, dans la lettre suivante, que je me donnerai l'honneur
de vous écrire; et cependant je suis avec zèle. Monseigneur,
votre très humble et très obéissant serviteur.
Leibniz.
2002. — Leibniz a Bossuet.
A Wolfenbuttel, ce ai mai 1700.
Monseigneur,
Vous aurez reçu ma lettre précédente, laquelle, toute
Lettre 2002. — Minute autographe, Hanovre, Papiers de Leibniz,
t"^ 3ii V» et 356 V» à 3r5. Publiée d'abord dans les OEuvres
posthumes de Bossuet, t. I, p. 485. Datée, dans les éditions, du
2A mai, conformément au récit de Ledieu, t. II, p. 67, et à la
réponse de Bossuet, du 17 août-1701 ; mais la minute porte la date
du 21.
l-ik CORRESPONDANCE [mai 1700
ample qu'elle est, n'est que la moitié de ce que je dois faire.
J'ai tâché d'approfondir l'éclaircissement que vous avez bien
voulu donner sur ce que c'est qu'être de foi*, et surtout sur
la question, si l'Église en peut faire de nouveaux articles : et
comme j'avais douté s'il était possible de concilier avec l'anti-
quité tout ce qu'on a voulu définir dans votre communion
depuis la Réformalion, et que j'avais proposé parliculière-
ment l'exemple de la question de la canonicité de certains
livres de la Bible, ce qui vous avait engagé à examiner cette
matière ; j'étais entré, avec toute la sincérité et docilité pos-
sible, dans tout ce que vous aviez allégué en faveur du sen-
timent moderne de votre parti. Mais, ayant examiné non seu-
lement les passages qui vous paraissaient favorables, mais
encore ceux qui vous sont opposés, j'ai été surpris de me voir
dans l'impossibilité de me soumettre à votre sentiment; et,
après avoir répondu à vos preuves dans ma précédente, j'ai
voulu maintenant représenter, selon l'ordre des temp"!, un
abrégé de la perpétuité de la doctrine catholique sur le canon
des livres du Vieux Testament, conforme entièrement au
canon des Hébreux. C'est ce qui sera le sujet de celte seconde
lettre, qui aurait été plus ample ^, si je n'avais eu peur de
faire un livre, outre que je ne puis presque rien dire ici qui
n'ait déjà été dit. Mais j'ai tâché de le mettre en vue, pour
voir s'il n'y a pas moyen de faire en sorte que des personnes
appliquées et bien intentionnées puissent vider entre eux un
point de fait, où il ne s'agit ni de mystère ni de philosophie,
soit en s'accordant, soit en reconnaissant au moins qu'on
doit s'abstenir de prononcer anathème là- dessus.
LXIV. Je commence par l'antiquité de l'Église judaïque.
Rien ne me paraît plus solide que la remarque que fit
d'abord Monseigneur le Duc, que nous ne pouvons avoir les
livres divins de l'Ancien Testament que par le témoignage
et la tradition de l'Église de l'Ancien Testament; car il n'y a
pas la moindre trace ni apparence que Jésus-Christ ait donné
I. Edit. : d'être de foi.
1. Edit. : qui aurait pu être bien plus ample. É^
mai 1700] DE BOSSLET. 225
un nouveau canon là-dessus à ses disciples ; et plusieurs
anciens ont dit en termes formels que l'Eglise chrétienne se
tient, à l'égard du Vieux Testament, au canon des Hébreux^.
LXV. Or, cela posé, nous avons le témoignage incontes-
table de Josèphe, auteur très digne de foi sur ce point, qui
dit, dans son premier livre Contre Apion'*, que les Hébreux
n'ont que vingt-deux Livres de pleine autorité : savoir, les
cinq livres de Moïse qui contiennent l'histoire et les lois ; les
treize livres qui contiennent ce qui s'est passé depuis la mort
de Moïse jusqu'à Artaxerxès, où il comprend Job et les Pro-
phètes, et quatre livres d'hymnes et admonitions, qui sont
sans doute les Psaumes de David et les trois livres cano-
niques de Salomon : le Cantique, les Paraboles etl'Ecclésiaste.
LXVI. Josèphe ajoute que personne n'y a rien osé ajouter
ni retrancher ou changer, et que ce qui a été écrit depuis
Artaxerxès n'est pas si digne de foi. Et c'est dans le même
sens qu'Eusèbe dit que, depuis le temps de Zorobabel jus-
qu'au Sauveur, il n'y a aucun volume sacré ''.
LXVll. C'est aussi ce que confessent unanimement les
Juifs, depuis l'auteur du premier livre des Machabées jus-
qu'aux modernes, que l'inspiration divine ou l'esprit prophé-
tique a cessé alors. Car, dans le P"" livre des Machabées (ix,
27), il est dit quil n'y a jamais eu une telle tribulation depuis
3. Il est certain que les apôtres faisaient usage de la Bible grecque
et acceptaient comme Ecritures divines les livres qu'elle contenait.
I^es deutérocanoniques y sont mélangés sans distinction aux protoca-
noniques. D'autre part, l'histoire du canon juif est encore assez obs-
cure, et il n'est pas démontré que les Juifs de Palestine n'aient pas
reçu d'abord comme inspirés les livres deutérocaniques contenus dans
la Bible des LXX. Ils en ont certainement fait usage à l'origine, et ce
ne fut que plus tard qu'ils rejetèrent la Bible grecque, dont les chré-
tiens faisaient usage contre eux (Voir Dict. de la Bible, art. Canon des
Écritures, t. II, col. i42, et Dict. de Théologie, t. II, col. 1673).
^. Joseph., Cont. Apion., lib. 1, cap. viii.
5. Demonst. evang., lib. VIII [P. Gr., t. XXII, col b-j-j]. Eusèbe,
d'après le contexte, dit seulement qu'il n'y a pas, depuis Zorobabel,
de livre divin qui permette de continuer le récit de la tribu de Juda
jusqu'au temps du Sauveur. Cela n'empêcherait point l'existence
d'hagiographes inspirés ne coutenimt pas d'histoire.
XII — i5
226 CORRESPONDANCE [mai 1700
quon n^a plus va de prophète en Israël'^. Le Séder Olam, ou
la Chronique des Juifs dit que la prophétie a cessé depuis
l'an 52 des Mèdes et des Perses. Et Aben-Ezra, sur Malachie,
dit que'', dans la mort de ce prophète, la prophétie a quitté
le peuple d'Israël. Cela a passé jusqu'à saint Augustin, qui
dit (1. XVllI, c. xLv, n. i, De civitale Dei) qu'il n'y a
point eu de prophète depuis Malachie jusqu'à Vavènement de
Notre- Seigneur^. Et conférant ces témoignages avec celui
de Josèphe et d'Eusèbe, on voit bien que ces auteurs enten-
dent toute inspiration divine, dont aussi l'esprit prophétique
est la plus évidente preuve.
LXVIII. On a remarque que ce nombre de vingt-deux
livres canoniques du Vieux Testament, que nous avons tous
dans la langue originale des Hébreux, se rapportait au
nombre des lettres de la langue hébraïque. L'allusion est de
peu de considération ; mais elle prouve pourtant que les chré-
tiens qui s'en sont servis étaient entièrement dans le senti-
ment des prolestants sur le canon, comme Origène, saint
Cyrille de Jérusalem^ et saint Grégoire de Nazianze, dont
il y a des vers*", où le sens d'un des distiques est :
Fœderis anliqui duo sunt librique viginti,
Hebraeae quot liabent nomina literulae.
6. I Macli., IX, 27.
7. Le Séder 'Olam (Ordre du Monde) est une chronique composée
par Rabbi José de Séphoris, disciple d'Akiba, dans la première moitié
du second siècle. Il a été publié avec traduclion et commentaire par
Joh. Meyer, Amsterdam, 1699, in-4. — Aben-Esra, célèbre rabbin, né
en 1092 à Tolède, a donné des commentaires sur la Bible, qui ont été
imprimés dans la Bible de BuxtorF, Bàle, 1618-1619, in-Pol. Le com-
mentaire de Malachie a été édité avec traduction par Sam. Bohie,
Rostock, 1687, in-^, et par And. Borgwall, Upsal, 1707, in-8.
8. De civil. Dei, 11b. XVIII, cap. xlv, n. i [P. L., t. XLI, col.
606]. Voir la lettre du 17 août 1701, n° xli.
9. Origen., in Psal. I [P. G., t. XII, col. 108/»] ; Cyril. Hier.,
Calèches. IV, 33-36 [P. G., t. XXXIII, col. 496 seq.].
10. 'Ap/ataç fiàv è'Orjxa 8ûw xaf el/oai Bî6Xouç,
Toi; Tojv 'ESpat'wv ypafifjiaa'.v àvTiOeTou;.
(Greg. Naz., Poemal. dogmal. [P. G., t. XXXVII, col, li'j!,]/.
Saint Grégoire cite cependant la Sagesse et l'Ecclésiastique au
mai 1700I . DE BOSSUET. 227
LXIX. Ces vingt-deux livres se comptent ainsi chez les
Juifs, suivant ce que rapporte déjà saint Jérôme dans son
Prologus rjalealus^^ : cinq de Moïse, huit prophétiques, qui
sont Josué, Juges avec Ruth, Samuel, Rois, Isaïe, Jérémie,
Ezéchiel et les douze petits prophètes ; et neuf hagiographes,
qui sont Psaumes, Paraboles, Ecclésiaste, et Cantique de
Salomon, Job, Daniel, Esdras et Néhéniie pris ensemble,
enfin Esther et les Chroniques. Et l'on croit que les mots
de Notre-Seigneur chez saint Luc se rapportent à cette divi-
sion ; car il y a : // faut que tout ce qui est écrit dans la loi de
Moïse, dans les prophètes et dans les psaumes, s^accomplisse '^.
LXX. Il est vrai que d'autres ont compté vingt-quatre
livres; mais ce n'était qu'en séparant en deux ce que les
autres avaient pris ensemble. Ceux qui ont fait ce dénombre-
ment l'ont encore voulu justifier par des allusions, soit aux
six ailes des quatre animaux d'Ézéchiel, comme ïertuUien *^ ;
soit aux vingt-quatre anciens de l'Apocalypse, comme le rap-
porte saint Jérôme dans le même Prologue, disant : l\onnulli
Ruth et Cinoth (les Lamentations de Jérémie détachées de sa
prophétie) inter hagiographa putant esse computandos, ac [per]
hoc esse priscœ legis libros viginti quatuor, quos suh numéro
viginti quatuor Seniorum Apocalypsis Joannis inducit adorantes
Agnum '''. Quelques Juifs devaient compter de même,
puisque saint Jérôme dit, dans son Prologue sur Daniel : In
Ires partes a Judœis omnis Scriptura dividitur, in Legem, in
Prophelas et in Hagiographa ; hoc est, in quinque, et in octo, et
in undecim libros ^''^. Ainsi il paraît que l'allusion aux six ailes
des quatre animaux venait des Juifs, qui avaient coutume
naême titre que les autres écrits inspirés, Oral. II, 5o ; IV, 12 ;
VII, I ; XXVin, 2 ; XXXI, 29 [P. G., t. XXXY, col. 459, 54t, 757,
cl t. XXXVI, col. 33, 36, 93, i65].
11. Hieron., Prolog, galeat., i. e. Prœfat. in libros Samuel et
Malachim [P. L., t. XXVIII, col. 55i seq.].
12. Luc, XXIV, 44-
i3. Tertull., Carmen adv. Marcion.. lib. IV. Voir p. aay
14. [P. L., t. XXVIII, col. 55/il.
i5. [P. L., (. XXVIII, col. 1294].
'2^8 CORRESPONDANCE [mai 1700
de chercher leurs plus grands mystères cabalistiques dans
les animaux d'Ézéchiel, comme l'on voit dans Maïmo-
nide '^
LXXl. Venons maintenant de l'Église du Vieux Testament
à celle du Nouveau, quoiqu'on voie déjà que les chrétiens
ont suivi le canon des Hébreux ; mais il sera bon de le mon-
trer plus distinctement. Le plus ancien dénombrement des
Livres divins qu'on ait, est celui de Méliton, évèque de
Sardes, qui a vécu du temps de Marc-Aurèle, qu'Eusèbe
nous a conservé dans son Histoire ecclésiastique ^' . Cet évèque,
en écrivant à Onésimus, dit qu'il lui envoie les livres de la
sainte Écriture, et il ne nomme que ceux qui sont reçus
par les prolestants, savoir, ces mêmes vingt-deux, le livre
d'Esther paraissant avoir été omis par mégarde et par la négli-
gence des copistes**'.
LXXII. Le même Eusèbe nous a conservé au même
endroit'^ un passage du grand Origène, qui est de la préface
qu'il avait mise devant son Commentaire sur les Psaumes, où
il fait le même dénombrement : le Livre des douze petits
prophètes ne pouvant avoir été omis que par une faute con-
traire à l'intention de l'auteur, puisqu'il dit qu'il y a vingt-
deux livres, savoir, autant que les Hébreux ont de lettres.
LXXIII. On ne peut point douter que l'Église latine de ces
premiers siècles n'ait été du même sentiment. Car Terlul-
i6. Célèbre rabbin, né à Cordoue en 1189. Il passa en Egypte, où
il devint médecin du sultan Saladin, et mourut en 1208. Dans un
ouvrage composé en arabe, et traduit avec son consentement en
hébreu sous le titre Moreh Neboukhim, il enseigne comment il faut
entendre les locutions de la Sainte Ecriture qui s'éloignent de l'u-sage
ordinaire et ne doivent pas s'expliquer dans le sens littéral. Il a été
fait de ce livre une traduction en latin par Buxtorf, Bâle, 1629,
in-fol., et une en l'raneais par S. Munk, intitulée Le Guide des égarés,
3 vol. Paris, i856-i866.
17. Hist. écoles., lib. IV, cap. xxvi [P. G., t. XX, col. SgS seq.].
18. Cf. A. Loisy, Histoire du canon de l'Ancien Testament, Paris,
1890, in-8, p. 78. Il y a lieu de remarquer que Méliton a voulu
marquera son ami, l'évèque Onésime, quels livres étaient rj^usen
Palestine, afin qu'il pût réfuter les Juifs au milieu desquels il vivait.
19. Hist. eccles.. lib. "VI, cap. xxv [P. Gr., I. XX, col. 579 seq.].
mai 1700] DE BOSSU ET. 229
lien, qui était d'Afrique et vivait à Rome, en parle ainsi dans
ses Vers contre Marcion.-^ :
Ast quater alie sex, veteris praeconia verbi,
Testificantis ea quae postea facta docemur :
Ilis alis volitani cœlestia verba per orbem.
Alarum numerus anliqua volumina signât, etc.
LXXIV. On ne trouve pas que, dans ces siècles d'or de
l'Église qui ont précédé le grand Constantin, on ait compté
autrement. Plusieurs mettent le synode de Laodicée avant
celui de Nicée ; et quoiqu'il paraisse postérieur, néanmoins il
en a été assez proche, pour que son jugement soit cru celui
de cette primitive Église. Or vous avez remarqué vous-même.
Monseigneur, § 18, que ce synode de Laodicée, dont l'auto-
rité a été reçue généralement dans le code des canons de
l'Église universelle, et ne doit pas être prise pour un senti-
ment particulier des Églises de Phrygie, ne compte qu'avec
les protestants, c'est-à-dire les vingt-deux livres canoniques
du Vieux Testament 2'.
LXXV. De cela il est aisé de juger que les Pères du concile
de INicée ne pouvaient avoir été d'un autre sentiment que les
prolestants sur le nombre des livres canoniques, quoiqu'on y
ait cité, comme les protestants font souvent aussi, le livre de
Judith, de même que le livre du Pasteur ^^. Les évêques
assemblés à Laodicée ne se seraient jamais écartés du senti-
ment de ce grand concile ; et, s'ils avaient osé le faire, jamais
leur canon n'aurait été reçu dans le code des canons de
20. Carmen adv. Marcion., lib. IV [P. L., t. II, col. io83].
Depuis l'éditeur N. Rlgault, personne ne croit plus que ces vers
soient de TerluUien.
21. iMansi, t. II, col. 578 et 57/)- Le Concile de Laodicée s'est
tenu entre 343 et 38i, entre le concile de Sardique et le II* concile
général. Il est douteux que le 60* canon, qui contient la liste des
Livres Saints, soit authentique. Cf. Hefele, Les Conciles, trad.
Leclerc, t. I, p. 1027.
22. 11 n'est pas sûr que le concile de Nicée ait dressé un canon des
Écritures; d'ailleurs, on n'en trouve pas trace dans la collection des
Conciles.
23o CORRESPONDANCE [mai 1700
l'Église universelle. Mais cela se confirme encore davantage
par les témoignages de saint Athanase, le meilleur témoin
sans doute qu'on puisse nommer à l'égard [de] ce
temps-là.
LXXVl. Il y a dans ses œuvres une Synopse'-'^ ou abrégé
de la sainte Ecriture, qui ne nomme aussi que vingt-deux
livres canoniques du Vieux Testament ; mais l'auteur de cet
ouvrage n'étant pas trop assuré, il nous peut suffire [d'y
ajouter] le fragment d'une lettre circulaire aux Églises, qui
est sans doute de saint Athanase, où il a le même catalogue
que celui de la Synapse, qu'il obsigne (s'il m'est permis de
me servir de ce terme) par ces mots : Nemo liis addat, nec liis
auferal quidquam^'' . Et que cette opinion était également des
orthodoxes ou homoousiens-^ et de ceux qu'on ne croyait pas
être de ce nombre, cela paraît par Eusèbe, dans l'endroit cité
ci-dessus de son Histoire ecclésiastique, où il rapporte et
approuve les autorités des plus anciens.
LXXVII. Ceux qui sont venus bientôt après ont dit uni-
formément et unanimement la même chose. L'ouvrage caté-
chétique de saint Cyrille de Jérusalem -"^ a toujours passé
pour très considérable : or il spécifie justement les mêmes
livres que nous, et ajoute qu'on doit lire les divines Écritures,
savoir, les vingt-deux livres du Vieux Testament, que les
soixante-douze"^' interprètes ont traduits.
LXXVIII. On a déjà cité un distique tiré du poème que
saint Grégoire de Nazianze a fait exprès sur le dénombrement
des véritables livres de l'Écriture divinement inspirée : Ilepl
Twv yvTjffiwv BtêXt'oiv t?]; 6£Oitv£ucjtou Fpacpïjç. Ce dénombre-
23. [P. G-, t. XXVIII, col. 281 seq.]. Cf. la lettre du 17 août
1701, no« viii-x.
24 Ep. fest.. XXX [P. G., t. XXVI, coi. 1175-1178].
35. Oa appelait ainsi les orthodoxes, parce qu'ils croyaient le Fils
consuljstantiel (ôfjLOOÛ^'.oç) au Père.
26. [P. G., t. XXXIII, col. 496 seq.]. En même temps, dans ses
catéchèses, il cite la Sagesse et l'Ecclésiastique comme les autres
Livres Saints. Cal. IX, 2, col. 6/I0 ; XI, col. 716; V, 17, col. liai-
27. Foucher : soixante. i
mai 1700J DE BOSSUET. 23l
ment ne rapporte que les livres que les protestants recon-
naissent, et dit expressément qu'il sont au nombre de vingt-
deux^*.
LXXIX. Saint Amphiloche, évêque d'Iconie^^, était du
même temps et de pareille autorité. Il a aussi fait des vers,
mais ïambiques, sur le même sujet, adressés à un Séleucus ^''.
Outre qu'il nomme les mêmes livres, il parle encore fort dis-
tinctement de la différence des livres qu'on faisait passer sous
le nom de la sainte Écriture. Il dit qu'il y en a d'adultérins,
qu'on doit éviter et qu'il compare à de la fausse monnaie;
qu'il y en a de moyens, èau-edouç et, comme il dit, appro-
chant de la parole de la vérité, ye-'tovjç, voisins ; mais qu'il
y en a aussi de divinement inspirés, dont il dit vouloir nom-
mer chacun, pour les discerner des autres :
Ego theopDeustos singulos dicam tibi.
Et là-dessus il ne nomme du Vieux Testament que ceux qui
sont reçus par les Hébreux ; ce -qu'il dit être le plus assuré
canon des livres inspirés ^^
LXXX. Saint Épiphane, évêque de Salamine dans l'île de
Chypre, a fait un livre Des poids et des mesures^^, où il y a
encore un dénombrement tout semblable des livres divins du
^'ieux Testament, qu'il dit être vingt-deux en nombre ; et
pousse la comparaison avec les lettres de l'alphabet si loin,
qu'il dit que, comme il y a des lettres doubles de l'alphabet,
il y a aussi des livres de la sainte Écriture du Vieux Testa-
ment qui sont partagés en d'autres livres. On trouve la
même conformité avec le canon des Hébreux dans ses Héré-
sies v et Lxxvi ^^.
38. GP. la lettre du 17 août 1701, n°* xi-xui.
29. Sur Ampliilocliius, voir P. G., t. XXXIX, col. 9-1 3o.
30. L'attribution de l'épître à Sf^leucus est douteuse : ce poème
se trouve à la suite de ceux de saint Grégoire de Nazlanze, P. G.,
t. XXXVII, col. 1677 seq.
3i. P. G., t. XXXVII, col. 1598-1590.
Sa. De ponderibus et rnensuris, cap. xxii et xxiii [P. G., t. XLIII,
col. 277 et 278]. Cf. lettre du 17 août 1701, n"^ xv-xvi.
33. Adv. hœres., lib I, Haeres. VIII, cap. vi ; et lib. III, Haeres
LXXVI, cap. V [P. G., t. XLI, col. 2i3 ; et t. XLII, col. 56o].
232 CORRESPONDANCE [mal 1700
LXXXI. Saint Chrysostome n'était guère de ses amis: cepen-
dant il était du même sentiment ; et il dit, dans sa quatrième
Homélie sur la Genèse, que tous les livres divins (Traçai at
6etat B(êÀot) du Vieux Testament ont été écrits originairement
en langue hébraïque, et tout le monde, ajoute-t-il, le confesse
avec nous ''* ; marque que c'était le sentiment unanime et incon-
testable de l'Église de ce temps-là.
LXXXII. Et afm qu'on ne s'imagine point que c'était seu-
lement le sentiment des Églises d'Orient, voici tm témoignage
de saint Hilaire, qui, dans la préface de ses Explications des
Psaumes ^'^, où il paraît avoir suivi Origène, comme ailleurs,
dit que le Vieux Testament consiste en vingt et deux
livres.
LXXXIII. Jusqu'ici, c'est-à-dire jusqu'au commencement
du cinquième siècle, pas un auteur d'autorité ne s'est avisé
de faire un autre dénombrement. Car, bien que saint
Cyprien^^ et le concile de Nicée^^, et quelques autres aient
cité quelques-uns des livres ecclésiastiques parmi les Livres
divins, l'on sait que ces manières de parler confusément, en
passant, et in sensu laxiore, sont assez en usage, et ne sau-
raient être opposées à tant de passages formels et précis, qui
distinguent les choses.
LXXXIV. Je ne pense pas aussi que personne voudra
appuyer sur le passage d'un recueil des coutumes et doctrines
de l'ancienne Église, fait par un auteur inconnu, sous le nom
des Canons des Aj/ôtres, qui met les trois livres des Macha-
bées parmi les livres du Vieux Testament, et les deux Efdtres
de Clément écrites aux Corinthiens, parmi ceux du Nouveau.
Car, outre qu'il peut parler largement, on voit qu'il flotte
entredeux, comme un homme mal instruit, excluant du
34. In cap. I Gènes, homil . IV, 4 [P. {'.., t. LII[, col. 42].
35. Prol. in Psaln. i5 [P. L., t. IX, col. 24i].
36. Saint Cyprien cite, à plusieurs reprises, tous les livres deuté-
rocanoniques, sauf celui de Judith.
37. Saint Jérôme, Prœf. in Judith [P. L., t. XXIX, col. 3^^, dit
que ce concile « compta Judith au nombre des Ecritures sacrées ».
mai 1700] DE BOSSUET. 233
canon Sapientiam eruditissimi Siracidis, qu'il dit être extra
hos, mais dont il recommande la lecture à la jeunesse ^^.
LXXXV. Voici maintenant le premier auteur connu et
d'autorité qui, traitant expressément cette matière, semble
s'éloigner de la doctrine constante que l'Église avait eue jus-
qu'ici sur le canon du Vieux Testaïuent. C'est le pape Inno-
cent I, qui, répondant à la consultation d'Exnpère, évoque de
Toulouse, l'an /io5, païaît avoir été du sentiment catholique
dans le fond^* ; mais son expression équivoque et peu exacte
a contribué à la confusion de quelques autres après lui, et
enfin à l'erreur des Latins modernes ; tant il est important
d'éviter le relâchement, même dans les manières de parler.
LXXXVI. Ce pape est le premier auteur qu'on sache qui
ait nommé canoniques les livres que l'Eglise romaine
d'aujourd'hui tient pour divinement inspirés, et que les pro-
testants, comme les anciens, ne tiennent que pour ecclésias-
tiques. Mais, en considérant ses paroles, on voit clairement
son but, qui est de faire un canon des livres que l'Eglise
reconnaît pour autlientiques, et qu'elle fait lire publique-
ment comme faisant partie de la Bible. Ainsi ce canon devait
comprendre tant les livres théopneustes ou divinement inspi-
rés, que les livres ecclésiastiques, pour les distinguer tous
ensemble des livres apocryphes, plus spécialement nommés
ainsi, c'est-à-dire de ceux qui doivent être cachés et défendus
comme suspects. Ce but paraît par les paroles expresses où il
dit : Si qua sunt alia, non solum repudianda, verum etiam
noveris esse damnanda.
LXXXVIl. Non seulement l'appellation de canoniques,
mais encore de saintes et divines Ecritures était alors
employée abusivement : et c'était l'usage de ces temps-là, de
donner dans un excès étrange sur les titres et sur les épi-
thètes. Un évéque était traité de Voire Sainteté par ceux qui
l'accusaient et parlaient de le déposer. Un empereur chrétien
38. Mansi, t. I, col. ^7 et A8, et P. G., t. GXXXVII, col. 211.
39. P L., l. XX, col. 5oi et 5o2. Voir la lettre du 17 août 1701,
n*"^ XXXIII et xxxiv.
234 CORRESPONDANCE [mai 1700
disait : Nostrum nuinen, et ne laissait presque rien à Dieu,
pas même l'éternité. Il ne faut donc pas s'étonner des termes
du concile III de Carthage, que d'autres croient avoir élé le
cinquième, ni les prendre à la rigueur, lorsque ce concile dit :
Plaçait, ul prseter Scripluras canonicas nihil in ecclesia legatur
sub noinlne divinarum Scripturarum''^.
LXXXVIII. Cela fait voir qu'on avait accoutumé déjà
d'appeler abusivement du nom d'Écritures divines tous les
livres qui se lisaient dans l'église, parmi lesquels étaient le livre
du Pasteur, et je ne sais quelle doctrine des apôtres ^^ Z'Ixy'^
xaXoufxévir) xwv 'AttostoXwv, dont parle saint Alhanase dans
l'EpUre citée ci-dessus : item, les Èpîtres de saint Clément aux
Corinthiens, qu'on lisait dans plusieurs Églises, et particuliè-
rement dans celle de Corinthe, surtout la première, suivant
Eusèbe ÇHist. Ec, III, 12) et suivant Denis, évêque de
Corinthe, chez Eusèbe (IV, 12)^^. C'est pourquoi elle*' se
trouvait aussi jointe aux livres sacrés dans l'ancien exem-
plaire de l'Église d'Alexandrie que le patriarche Cyrille Luca-
ris envoya au roi de la Grande-Bretagne, Charles P"", sur
lequel elle a été ressuscitée et publiée.
LXXXIX. Tout cela fait voir qu'on se servait quelquefois
de ces termes d'une manière peu exacte ; et même Origène
compte en quelque endroit le livre du Pasteur parmi les
Livres divins : ce qu'il n'entendait pas sans doute dans le
l^o. Canon. XLVII, Mansi, t. IH, col. 891. Cf. lettre du 17 août
1701, n° XXXII.
/ji. Le Pasteur d'Hermas (P. G., t. II]. La Doctrine des apôtres
est un opuscule de la fin du premier siècle, dont le texte mentionna
par les Pères de l'Eglise, mais perdu depuis longtemps, a èlé retrouvé
et publié par Ph. Bryennios en i883, et est devenu l'objet de nom-
breux travaux (Voir les Pères apostoliques, I, Doctrine des apôtres,
texte et traduction par H. Hemmer, Paris, 1907).
42. Hist. eccles., lib. III, cap. xii, al. xvi ; cF. cap. xxxii, al.
xxxviir, col 293 ; lib, IV, cap. xxii, al. xxiii [P. G., t. XX, col.
a/lg, 387-890].
43. Elle, la i'« aux Corinthiens est dans le Codex Âlexandrinus,
dont la première édition hu donnt^e à Oxford, en i633, in-ii, avec une /
traduction latine et des notes de Patricius Junius. Cf. Mansi, t. I, col
i65 à 170.
mai 1700] DE BOSSUET. 235
sens excellent et rigoureux. C'est sur xvi, i/i» aux Romains,
où il dit: Je crois que cet Hennas est Vauteur du livre qaon
appelle le Pasteur, qui est fort utile et me semble diuinement
inspiré *^.
XG. On peut encore moins nous opposer la liste des livres
de l'Écriture, qu'on dit que le pape Gélase^^ a faite dans un
synode romain, au commencement du cinquième siècle, où il
en fait aussi le dénombrement d'une manière large, qui com-
prend les livres ecclésiastiques aussi bien que les livres cano-
niques par excellence, et on voit clairement que ces deux
papes et ces synodes de Carthage et de Rome voulaient nom-
mer tout ce qu'on lisait publiquement dans toute l'Église, et
tout ce qui passait pour être de la Bible, et qui n'était pas
suspect ou apocryphe, pris dans le mauvais sens.
XCl. Cependant il est remarquable que le pape Gélase et
son synode n'ont mis dans leur liste que le premier des
Machabées, qu'on sait avoir été toujours plus estimé que
l'aulre, saint Jérôme ayant remarqué que le style môme
trahit le second des Machabées et le livre de la Sagesse, et
fait connaître qu'ils sont originairement grecs.
XCII. Je ne vois pas qu'il soit possible qu'une personne
équitable et non prévenue puisse douter du sens que je donne
au canon des deux papes et du concile de Carthage ; car autre-
ment il faudrait dire qu'ils se sont séparés ouvertement de
la doctrine constante de l'Église universelle, du concile de
Laodicée et de tous ces grands et saints docteurs de l'Orient
et de l'Occident que je viens de citer ; en quoi il n'y a point
d'apparence. Les erreurs ordinairement se glissent insensible-
ment dans les esprits, et elles n'entrent guère ouvertement
par la grande porte. Ce divorce aurait été fait très mal à
propos, et aurait fait du bruit et fait naître des contestations.
44. In Episl. ad Rom., lib. X, n. 3i [P. Gr., t. XIV, col. 1282J.
Cf. lettre du 17 août 1701, n" xix.
45. Le pape Gélase a renouvelé en /igô (Mansi, t. VIII, col. i45
et i46) un décret attribué tantôt à saint Damase, tantôt à saint
Horinisdas (Voir A. Tliiel, De decretali Gelasii de recipiendis et non
rccipiendis libris, Braunsberg, i866, in-Zj).
230 CORRESPONDANCE [mai 1700
XCIII. Mais rien ne prouve mieux le sens de la lettre du
pape Innocent I" et de l'Église romaine de ce temps que la
doctrine expresse, précise et constante de saint Jérôme, qui
fleurissait à Rome en ce temps-là même, et qui cependant a
toujours soutenu que les livres proprement divins et cano-
niques du Vieux Testament ne sont que ceux du canon des
Hébreux. Est-il possible de s'imaginer que ce grand homme
aurait osé s'opposer à la doctrine de l'Église de son temps, et
que personne ne l'en aurait repris, pas même Ruiin, qui
était aussi du même sentiment que lui, et tant d'autres
adversaires qu'il avait ; et qu'il n'eût jamais fait l'apologie
de son procédé, comme il fait pourtant en tant d'autres ren-
contres de moindre importance ? Il est sûr que l'ancienne
Église latine n'a jamais eu de Père plus savant que lui, ni
de meilleur interprète critique ou littéral de la sainte Écri-
ture, surtout du Vieux Testament, dont il connaissait la
langue originale : ce qui a fait dire à Alphonsus Tostatus ^*
qu'en cas de conflit, il faut plutôt croire à saint Jérôme qu'à
saint Augustin, surtout quand il s'agit du Vieux Testament
et de l'Histoire, en quoi il a surpassé tous les docteurs de
l'Église.
XCIV. C'est pourquoi, bien que j'aie déjà parlé plus d'une
fois des passages de saint Jérôme, entièrement conformes au
sentiment des protestants, il sera bon d'en parler encore ici.
J'ai déjà cité son Prologas galeatas, qui est la préface des
livres des Rois, mais qu'on met, suivant l'intention de l'au-
teur, au devant des livres véritablement canoniques du Vieux
Testament, comme une espèce de sentinelle pour défendre
l'entrée aux autres. Voici les paroles de l'auteur : Hic Pro-
logas Scriplurarum quasi galeatum principiam omnibus libris,
quos de hebraeo vertimus in latinutn, convenire polesl^"^ . Il
semble que ce grand homme prévoyait que l'ignorance des
temps et le torrent populaire forcerait la digue du véritable
46. Tome X. Cornmentaria in primnm parlein Mntthiei, c. i,
|j. 82,
A7. P. L., I. XXVIII, col. 555. ^
mai 1700] DE BOSSUET. 287
canon, et qu'il travailla à s'y opposer. Mais la sentinelle
qu'il y mit avec son casque n'a pas été capable d'éloigner la
hardiesse de ceux qui ont travaillé à rompre cette digue, qui
séparait le divin de l'humain.
XCV. Or, comme j'ai dit ci-dessus (n. LXIX, LXX), il
comptait tantôt vingt-deux, tantôt vingt-quatre livres du
Vieux Testament ; mais en effet toujours les mêmes. Et ce
qu'il écrit dans une lettre à Paulin*", qu'on avait coutume
de mettre au devant des Bibles avec le Prologus galealus,
marque toujours le même sentiment. Il s'explique encore
particulièrement dans ses préfaces sur Tobie, sur Judith, et
ailleurs : Quod talium auctoriias ad roboranda ea quœ in con-
te nlionem veniunl minus idonea judicalur (Prœf. in Judith)'*^.
Et {Prœf. in libros Salom.) parlant du livre de Jésus, fils de
Sirach, et du livre nommé faussement la Sagesse de Salo-
mon, il dit : Sicut Judith et Tobise et Machabscorum libros
legit quidem Ecclesia, sed eos in canonicas Scripturas non
recipit ; sic et hsec duo volumina legil ad eedificationem plebis,
non ad auctoritatem ecclesiasticorum dogmatum conjirmandam^^ .
XCVI. Rien ne saurait être plus précis; et il est remar-
quable qu'il ne parle pas ici de son sentiment particulier, ni
de celui de quelques savants, mais de celui de l'Église :
Ecclesia, dit-il, non recipit. Pouvait-il ignorer le sentiment de
l'Église de son temps? Ou pouvait-il mentir si ouvertement
et si impudemment, comme il aurait fait sans doute si elle
avait été d'un autre sentiment que lui? Il s'explique encore
plus fortement dans la Préface sur Esdras et Néhémie : Quœ
non habentur apud Hebrseos, nec de viginti quatuor senibus
sunt (on a expliqué cela, n. LXX), procul abjiciantur^^ ;
c'est-à-dire loin du canon des livres véritablement divins et
infallibles.
XCVII. Je crois qu'après cela on peut être persuadé du
48. P. L., t. XXII. col. 545-548.
49. P. L., I. XXIX, col. 38 (La citation n'esl pas textuelle).
50. P. L., t. XXVIIl, col. 1243 et i243.
5i, P. L., t. XXVIIl, col. i4o3 (Migne : procul abjicienda).
238 CORRESPONDANCE [mai 1700
sentiment de saint Jérôme et de l'Eglise de son temps ; mais
on le sera encore davantage, quand on considérera que Rufin,
son grand adversaire, homme savant et qui cherchait occasion
de le contredire, n'aurait point manqué de se servir de celle-
ci, s'il avait cru que saint Jérôme s'éloignait du sentiment de
l'Église. Mais, bien loin de cela, il témoigne d'être lui-même
du même sentiment, lorsqu'il parle ainsi dans son Exposition
du Symbole, après avoir fait le dénombrement des livres
divins ou canoniques, tout comme saint Jérôme : // faut
savoir, dit-il, qu'il y a des livres que nos anciens ont appelés,
non pas canoniques, mais ecclésiastiques, comme la Sagesse de
Salomon, et cette autre Sagesse du fils de Sirach, qu'il semble
que les Latins ont appelée pour cela même du nom général
<f' Ecclésiastique ; en quoi on n''a pas voulu marquer l'auteur,
mais la qualité du livre. Tobie encore, Judith et les Machabées
sont du même ordre ou rang ; et dans le Nouveau Testament, le
livre pastoral d'Hermas appelé les Deux voies et le Jugement
de Pierre : livres qu''on a voulu faire lire dans l'église, mais
qu'on n'a pas voulu laisser employer pour confirmer l'autorité
de la foi. Les autres Écritures ont été appelées apocryphes, dont
on n'a pas voulu permettre la lecture publique dans les églises^^.
XCVllI. Ce passage est fort précis et instructif; et il faut
le conlérer avec celui d'Âmphilochius cité ci-dessus ^^, afin
de mieux distinguer les trois espèces d'Ecritures ; savoir : les
divines ou les canoniques de la première espèce, les moyennes
ou ecclésiastiques, qui sont canoniques, selon le style de
quelques-uns, de la seconde espèce, ou bien apocryphes selon
le sens le plus doux ; et enfin les apocryphes dans le mauvais
sens, c'est-à-dire, comme dit saint Alhanase ou l'auteur de
la Synopse, qui sont plus dignes d'être cachées, àTroxpucpYJç,
que d'être lues, et desquelles saint Jérôme dit, Ep. vu ad
Laetam : Caveat [omnia^ apocrypha ; et sur Isaïe, liv, 4 '•
Apocryphorum deliramenta conficiant'^^ .
52. P. L.,t. XXI, col. 374. >
53. N. LXXIX, p. 281.
54. P. L.. I. XXII, col. 877 (Epist. CVII). Dims le oommenlaire
mai 1700) DE BOSSUET.
Voici la représensation de ces degrés on espèces
Canoniques.
289
Proprement, ou du
premier rang.
Divins, ou infail-
libles.
Improprement, ou
d'un rang inférieur.
Ecclésiastiques, ou
moyens.
Apocryphes.
Improprement, ou
dans le sens plus
doux.
Défendus, quant à
la lecture publique.
Plus proprement,
ou dans le mauvais
sens.
XCIX. Mais on achèvera d'être persuadé que la doctrine de
l'Église de ce temps était celle des protestants d'aujourd'hui,
quand on verra que saint Augustin, qui parle aussi comme
le pape Innocent P"^ et le synode 111 de Carthage, où l'on
croit qu'il a été, s'explique pourtant fort précisément, on
d'autres endroits, tout comme saint Jérôme et tous les
autres. En voici quelques passages (liv. II, cont. Episl. Gau-
dent., c. 23) : Cette Écriture, dit-il, qu^on appelle des Macha-
bées, n'est pas chez les Juifs comme la Loi, les Prophètes et les
Psaumes, à qui Notre- Seigneur a rendu témoignage comme à
ses témoins. Cependant l'Église l'a reçue avec utilité, pourvu
qu'on la lise sobrement ; ce qu'on a fait principalement à cause
de ces Machabées, qui ont souffert en vrais martyrs pour la
loi de Dieu^', etc.
mon ont été reçus dans l'autorité canonique ; savoir : les Pro-
verbes, TEcclésiaste, et le Cantique des cantiques. Mais les
deux autres, qu'on appelle la Sagesse et /'Ecclésiastique, et qui
à cause de quelque ressemblance du style, ont été attribués à
Salomon (quoique les savants ne doutent point qu'ils ne soient
point de lui), ont pourtant été reçus anciennement dans l'autorité
par l'Église occidentale principalement Mais ce qui n'est pas
li,
lutre texte : nec Judaica deliramenta
sur Isaïe, liv.
sectari .
55. Cont. Gaudenl., lib. I, cap. xxxi, n. 38 [P. L., t. XLill, col.
739]. Voir la lettre du 17 août 1701, n"^ xxxvii-xxxviii.
24o CORRESPONDANCE [mai 1700
dans le canon des Hébreux iCa pas autant de force contre les
contredisants que ce qui y est^^. On voit par là qu'il y a, selon
lui, des degrés dans l'autorité; qu'il y a une autorité cano-
nique dans le sens plus noble, qui n'appartient qu'aux véri-
tables livres de Salomon, compris dans le canon des Hébreux ;
mais qu'il y a aussi une autorité inférieure, que l'Église
occidentale surtout avait accordée aux livres qui ne sont pas
dans le canon hébraïque, et qui consiste dans la lecture
publique pour l'édiGcation du peuple, mais non pas dans
l'infaillibilité, qui est nécessaire pour prouver les dogmes de
la foi contre les contredisants.
CI. Et encore (liv. 18 de la cité de Dieu, c. 36) : La suppu-
tation du temps, depuis la restitution du Temple, ne se trouve pas
dans les saintes Écritures quon appelle canoniques ; mais dans
quelques autres que, non les Juifs, mais f Église tient pour cano-
niques, à cause des admirables souffrances des martyrs '^'', etc.
On voit combien saint Augustin est flottant dans ses expres-
sions ; mais c'est toujours le même sens. Il dit que les
Machabées ne se trouvent pas dans les saintes Écritures qu'on
appelle canoniques ; et puis il dit que l'Église les tient pour
canoniques. C'est donc dans un autre sens inférieur, que la
raison qu'il ajoute fait connaître : caries admirables exemples
de la souffrance des martyrs, propres à fortifier les chrétiens
durant les persécutions, faisaient juger que la lecture de ces
livres serait très utile. C'est pour cela que l'Église les a reçus
dans l'autorité et dans une manière de canon, c'est-à-dire
comme ecclésiastiques ou utiles, mais non pas comme divins
ou infallibles : car cela ne dépend pas de l'Église, mais de
la révélation de Dieu, faite par la bouche de ses prophètes ou
apôtres.
Cil. Enfin saint Augustin, dans le livre de la Doctrine
chrétienne (1. II, c. 8), raisonne sur les livres canoniques dans
lin sens fort ample et général, entendant tout ce qui était
56. De Civit. Dei. lib. XVII, cap. xx [P. L., t. XLI, col. 55^].
Cf. Bossuet, lettre du 17 août 1701, n°» XL-xn. '
r)7. P. L., t. XLI. col. 596.
mai 1700] DE BOSSUET. 2^1
autorisé dans l'Église. C'est pourquoi il dit que, pour en
juger, il faut en faire estime selon le nombre et l'autorité des
Églises ; puis il vient au dénombrement : Totus autem canon
Scripiuraram, in quo islam considerationem versandam dicimus,
his libris continetar ^*, etc. ; et il nomme les mêmes que le
pape Innocent P" : ce qui fait visiblement connaître qu'en
parlant du canon, il n'entendait pas seulement les livres
divins incontestables, mais encore ceux qu'on regardait diver-
sement, et qui avaient leur autorité de l'Église seulement ou
des Églises, et nullement d'une révélation divine.
cm. Après cela, le passage de saint Augustin, où, dans la
chaleur de l'apologie de sa citation, il semble aller plus loin,
ne saurait faire de la peine. Vous aviez remarqué. Monsei-
gneur, § 9, qu'il avait cité contre les pélagiens ce passage de
la Sagesse (iv, 11) : Raptus est ne malitia mutaret intellecium
ejus. Quelques savants gaulois avaient trouvé mauvais qu'il
eût employé ce livre, lorsqu'il s'agissait de prouver des dogmes
de foi : Tanquam non canonicum definiehant omittendum.
Saint Augustin se défend dans son livre de la Prédestination
des saints (ch. xiv). Il ne dit pas que la Sagesse est égale en
autorité aux autres, ce qu'il aurait fallu dire, s'il avait été
dans les sentiments tridentins ; mais il répond que, quand
I elle ne dirait rien de semblable, la chose est assez claire en
i elle-même ; qu'elle doit cependant être préférée à tous les
! auteurs particuliers, omnibus tradaforibus debere anteponi,
parce que tous ces auteurs, même les plus proches des temps
des apôtres, avaient eu cette déférence pour ce livre : Qui eum
tesiem adhibentes, nihil se adhibere nisi divinum testimonium
crediderunt. Et un peu auparavant : Meruisse in Ecclesia
Christi tam longa annositate recitari, et ab omnibus christianis
cum veneratione divinœ auctoritatis audiri'^^.
CIV. Ces paroles de saint Augustin paraîtraient étranges,
58. Lib. II, cap. VIII, n. i3 [P. L., t. XXXIV, col. Ai]-
59. De Prœdest. sanct., cap. xiv, n..28 et 27. — La citation
n'est pas textuelle [P. L., t. XLIV, col. 980]. Cf. lettre du 17 août
1701, a"^ XXSIX-XLYIII.
XII — 16
2/(2 CORRESPONDANCE [mai 1700
d'autant qu'elles semblent contraires à la doctrine reçue dans
l'Église, si l'on n'était déjà instruit de son langage par tous
les passages précédents. Donc, puisque aussi il n'est pas
croyable que ce grand homme ait voulu s'opposer à lui-
même et à tant d'autres, il faut conclure que cette autorité
divine dont il parle ne peut être autre chose que le témoi-
gnage que l'Église a rendu au livre de la Sagesse, qu'il n'y a
rien là que de conforme aux Écritures immédiatement divines
ou inspirées, puisqu'il avait reconnu lui-même, dans son livre
de la Cité de Dieu^°, que ce livre n'a reçu son autorité que
par l'Église, surtout en Occident ; mais qu'il n'a pas assez de
force contre les contredisants, parce qu'il n'est pas dans le
canon originaire du Vieux Testament. Et le même saint
Augustin, citant un livre de pareille nature**, qui est celui
du fils de Sirach, n'y insiste point, et se contente de dire que,
si on contredit à ce livre parce qu'il n'est pas dans le canon
des Hébreux, il faudra au moins croire au Deutéronome et à
l'Évangile, qu'il cite après.
GV, Ce qu'on a dit du sens de saint Augustin doit être
encore entendu de ceux qui ont copié ses expressions par
après, comme Isidore ^^, Rabanus Maurus et autres, lors-
qu'ils parlaient d'une manière plus confuse. Mais, quand ils
parlaient distinctement et traitaient la question de l'égalité
ou inégalité des livres de la Bible, ils continuaient à parler
comme l'Église avait toujours parlé ; en quoi l'Église grecque
n'a jamais biaisé. Et l'autorité de saint Jérôme a toujours
servi de préservatif dans l'Église d'Occident, malgré la bar-
barie qui s'en était emparée. On a toujours été accoutumé de
mettre son Prologus galeatiis et sa Lettre à Paulin à la tête de
la sainte Écriture, et ses autres Préfaces devant les livres de
la Bible qu'elles regardent ; où il s'explique aussi nettement
qu'on a vu, sans que personne ait jamais osé, je ne dis pas
condamner, mais critiquer même cette doctrine jusqu'au con-
60. Lib. XVII, cap. XX, ubi supra.
61. De cura pro morlais, cap. xv [P. L., t. XL, col. 606] '
62. Saint Isidore de Séville.
mai 1700] DE BOSSUET. 2^3
cile de Trente, qui Ta frappée d'anathème par une entreprise
des plus étonnantes^'*.
GVI. Il sera à propos de particulariser tant soit peu cette
conservation de la saine doctrine ; car, pour rapporter tout
ce qui se pourrait dire, il faudrait un ample volume. Cassio-
dore, dans ses Institutions^^, a donné les deux catalogues,
tant le plus étroit de saint Jérôme et de l'Église universelle,
qui n'est que des livres immédiatement divins, que la liste
plus large de saint Augustin et des Églises de Rome et
d'Afrique, qui comprend aussi les livres ecclésiastiques.
CVII. Junilius, évêque d'Afrique, fait parler un maître
avec son disciple. Ce maître s'explique fort nettement, et sert
très bien à faire voir qu'on donnait abusivement le titre de
livres divins à ceux qui, à parler proprement, ne le devaient
point avoir. Discipulus : Qaomodo divinorum Lihroram consi-
deratur aactoritas ? — Magister : Quia quidam perfeclœ aueto-
ritatis sunt, quidam médise, quidam nulliûs^^. Après cela, on
ne s'étonnera pas si quelques-uns, surtout les Africains, ont
donné le nom de divines Écritures aux livres qui, dans la
vérité, n'étaient qu'ecclésiastiques.
GVIII. Grégoire le Grand, quoique pape du siège de Rome
et successeur d'Innocent l" et de Gélase, n'a pas laissé de
parler comme saint Jérôme ; et il a montré par là que les
sentiments de ses prédécesseurs devaient être expliqués de
même; car il dit positivement (liv. 19, ch. i3 de ses Morales)
que les livres des Machabées ne sont point canoniques,
licet non canonicos **, mais qu'ils servent à l'édification de
l'Église.
CIX. Il sera bon de revoir un peu les Grecs avant que de
63. Concil. Trid.. sess. IV.
6/4. De institutione divinorum Littcraram. cap. xii-xiv [P. L.,
t. LXX, col. 1123-1126J.
65. Junilius Afrlcanus, De partibus divinœ legis, lib. I, cap. vu
[P. L., t. LXVIII, col. 3o]. CF. Kihn, Theodor von Mopsuestia und
Junilius AJricanus als Exegeten, Fribourg-en-Brisgau, 1880, in-8.
66. Moral., lib. XIX, cap, xiii, al. xxi, n. 3/, [P. L., t. LXXVI,
col. 119].
244 CORRESPONDANCE [mai 1700
venir aux Latins postérieurs. Léontius, auteur du sixième
siècle, parle comme les plus anciens. 11 dit qu'il y a vingt-
deux livres du Vieux Testament, et que l'Église n'a reçu
dans le canon que ceux qui sont reçus chez les Hébreux*''.
ex. Mais, sans s'amuser à beaucoup d'autres, on peut se
contenter de l'autorité de Jean de Damas, premier auteur
d'un système de théologie, qui a écrit dans le huitième siècle,
et que les Grecs plus modernes, et même les scolastiques latins
ont suivi. Cet auteur, dans son livre IV de la Foi orthodoxe,
ch. XVIII, imitant, comme il semble, le passage allégué ci-
dessus du livre d'Épiphane des Poids et des mesures, ne
nomme que vingt-deux livres canoniques du Vieux Testa-
ment ; et il ajoute que les livres des deux Sagesses, de celle
qu'on attribue à Salomon et de celle du fils de Sirach,
quoique beaux et bons, ne sont pas du nombre des cano-
niques, et n'ont pas été gardés dans l'arche, où il croit que
les livres canoniques ont été enfermés^*.
CXI. Pour retourner aux Latins, Strabus^^, auteur de la
Glose ordinaire, qui a écrit dans le neuvième siècle, venant à
la préface de saint Jérôme mise devant le livre de Tobie, où
il y a ces paroles : Librum Tobise Hebrœi de catalogo divina-
ram Scripturarum sécantes, iis qase hagiographa memorant,
manciparunt , remarque ceci : Potius et vertus dixisset apocry-
pha, vel large accepit hagiographa, quasi sanctorum scripta, et
non de numéro illorum novem, etc. ■"*.
CXll. Radulphus Flaviacensis, bénédictin du dixième
siècle, dit au commencement de son livre quatorzième sur le
Lévitique : Quoiqu^on /«se Tobie, Judith e< les Machabées /)our
l'instruction, ils n'ont pas pourtant une parfaite autorité ''.
67. Leont. Byzant., de Seclis. act. II, i-iv [P. Gr., t. LXXXVI,
col. I200-I20/i].
68. S. Joan. Damascen., de Fide orthodoxa, lib. IV, cap. xvii
[P. G., t. XCIV, col. 1180].
69. Walafrid Strabon, moine de Fulda.
70. Glossa ordinaria. Prolegom. [P. L., t. CXIII, col. 32 et a3].
La citation n'est pas textuelle. '
71. Rodolphe de Flavigny, in Levitic, XIV, i (dans la Biblioth.
max. Patrum, Lyon, 1667, in-fol., t. VII, p. 177).
mai 1700] DE BOSSUET. 2^b
CXIII. Rupert, abbé de Tuits (lib. 3, c. 3i sur la Genèse),
parlant de la Sagesse : Ce livre, dit-il, n'est pas dans le canon,
et ce qui en est pris n'est pas tiré de VÉcriture canonique''^.
CXIV. Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, écrivant une
lettre contre certains, nommés Pétrobrusiens''^, qu'on disait
ne recevoir de l'Écriture que les seuls Évangiles, leur prouve,
en supposant l'autorité des Évangiles, qu'il faut donc recevoir
encore les autres livres canoniques.
Sa preuve ne s'étend qu'à ceux que les protestants recon-
naissent aussi. Et quant aux ecclésiastiques, il en parle ainsi :
Après les livres authentiques de la sainte Écriture, restent encore
six, qui ne sont pas à oublier, la Sagesse, Jésus fils de Sirach,
Tobie, Judith et les deux Machabées, qui n'arrivent pas à la
sublime autorité des précédents, mais qui, à cause de leur doctrine
louable et nécessaire, ont mérité d'être reçus par l'Église. Je n'ai
pas besoin de vous les recommander ; car, si vous avez quelq'je
considération pour l'Église, vous recevrez quelque chose sur son
autorité''^. Ce qui fait voir que cet auteur ne considère ces
livres que comme seulement ecclésiastiques.
CXV. Hugues de Saint- Victor, auteur du commencement
du douzième siècle, dans son livre des Écritures et Écrivains
sacrés (ch. vi), fait le dénombrement des vingt-deux livres du
Vieux Testament ; et puis il ajoute : Il y a encore d'autres
livres, comme la Sagesse de Salomon, le livre de Jésus fils de
Sirach, Judith, Tobie et les Machabées, qu'on lit, mais qu'on ne
met pas dans le canon ; et ayant parlé des écrits des Pères,
comme de saint Jérôme, saint Augustin, etc. , il dit que ces livres
des Pères ne sont pas du texte de l'Ecriture sainte, de même
qu'il y a des livres du Vieux Testament qu'on lit, mais qu'on ne
met pas dans le canon, comme la Sagesse et quelques autres '*.
7a. Rupert de Deutz, in Gènes., lib. III, cap. xxxi [P. L.,
t. CLXLII, col. 3i8].
73. Disciples de Pierre de Bruys, hérétique du xii* siècle et l'un
des précurseurs des protestants.
74. Conl. Petrobr. [P. L., t. CLXXXIX, col. 751].
75. De Scripluris et Scriptoribus sacris, cap. vi [P. L., t. GLXXV,
col. i5 el 16].
2^6 CORRESPOND.VNCE [mai 1700
CXVI. Pierre Comestor, auteur de V Histoire scolasliqae
(contemporain de Pierre Lombard, fondateur de la théologie
scolastique), va jusqu'à corriger en critique le texte du pas-
sage de saint Jérôme, dans sa Préface de Judith, où il y a
que Judith est entre les hagiographes chez les Hébreux, et
que son autorité n'est pas suffisante pour décider des contro-
verses. Pierre Comestor veut qu'au lien d'hagiographa, on lise
apocrypha, croyant que les copistes, prenant les apocryphes
en mauvais sens, ont corrompu le texte de saint Jérôme :
Apocrypha horrentes, eo rejecto, hagiographa scripsere''^. Il
semble que le passage de Strabus sur Tobie a donné occasion
à cette doctrine.
CXVII. Dans le treizième siècle fleurissait un autre Hugo,
dominicain ", premier auteur des Concordances sur la sainte
Ecriture, c'est-à-dire des allégations marginales des passages
parallèles, fait cardinal par Innocent IV. On a de lui des
vers, où, après le dénombrement des livres canoniques sui-
vant l'antiquité et les prolestants, on trouve ceci :
Lex vêtus his libris perfecte tota tenetur ;
Restant apocrypha : Jésus, Sapientia, Pastor,
Et Machabœorum libri, Judith atque Tobias.
Hi, quia sunt dubii, sub Ganone non numerantur ;
Sed quia vera canunt, Ecclesia suspicit illos.
CXVni. Nicolas de Lyre, fameux commentateur de la
sainte Écriture, du quatorzième siècle, commençant d'écrire
sur les livres non canoniques, débute ainsi dans la Préface de
Tobie : Jusqu'ici fai écrit, avec l'aide de Dieu, sur les livres
canoniques ; maintenant je veux écrire sur ceux qui ne sont pas
dans le canon. Et puis : bien que la vérité écrite dans les livres
canoniques précède ce qui est dans les autres, à Végard du
temps dans la plupart et à l'égard de la dignité en tous, néan-
moins la vérité écrite dans les livres non canoniques est utile
76. Histor. scholastic. [P. L., t. CXGVIII, col. ilt-jb, i43i ; cf.
col. 1260].
77. Huçues de Saint-Cher, Post. in Jos., prol., dans ses 0[ wa
omnia, Lyon, 1669, '"-fo') t- I; P- 178.
maî 1700J DE BOSSUET. 2^7
pour nous diriger dans le même chemin des bonnes œavres, qai
mène au royaume des cieax''^.
GXIX. Dans le même siècle, leglossateur du Décret, qu'on
croit être Jean Semeca^^, dit le Teutonique, parle ainsi : La
Sagesse de Salomon, et le livre de Jésus fils de Sirach, Judith,
Tobie et le livre des Machabées sont apocrj'phes. On les lit;
mais peut-être n'est-ce pas généralement^".
CXX. Dans le quinzième siècle, Antonin, archevêque de
Florence, que Rome a mis au nombre des saints, dans sa
Somme de théologie^^ (p. III, tit. 18, c. 6, § 2), après avoir
dit que la Sagesse, l'Ecclésiastique, Judith, Tobie et les
Machabées sont apocryphes chez les Hébreux, et que saint
Jérôme ne les juge point propres à décider les controverses,
ajoute que saint Thomas, in secunda secandœ, et Nicolas de
Lyre, sur Tobie, en disent autant ; savoir, qu'on n'en peut pas
tirer des arguments efficaces en ce qui est de la foi, comme des
autres livres de la sainte Écriture. Et peut-être, ajoute Anto-
nin, qu'ils ont la même autorité que les paroles des saints
approuvées par l'Eglise.
CXXI. Alphonse Tostat, grand commentateur du siècle
qui a précédé celui de la Réformation, dit dans son Defenso-
rium (p. II, ch. aS), que la distinction des livres du Vieux Tes-
tament en trois classes, faite par saint Jérôme dans son Prologus
galeatus, est celle de l'Église universelle ; qu'on l'a eue des
Hébreux avant Jésus-Christ, et qu'elle a été continuée dans
l'Église^^. Il parle en quelques endroits comme saint Augus-
78. Prxfat. in Tob., dans Ja Glossa ordinaria, Anvers, i634,
in-fol., t. Il, col. i499-
79. JeanZemeke, appela Liix decretorum, mort vers 13^3. Voir l'ar-
ticle de Schulte dans la Zeitschrifl fur Kirchenrecht de Dove, t. XVI
p. 107-182 ; Panzirola, De claris Icgum Interpretibus, Venise, 1687, '""'i)
lib. III, cap. VI ; Quétif^Échard, Script. Prœdicat.. 1. 1, p. ^89; P. Tai-
sand, Vies des plus célèbres jurisconsultes, Paris, 1787, in-i^, p. 5i2.
80. Dist. XVI, can. 8, dans le Corpus juris canonici glossis diverso-
rum illustratum, Lyon, 1671, in-fol., t. I, p. 60.
81. Cf. édit. de Vérone, 17A0, t. III, p. io43.
83. Defensorium, part, II, cap. xxiii, dans les Œuvres de Tostat,
Venise, i5q6, in-fol., t. XII, f» 25 v°.
248 CORRESPONDANCE [mai 1700
tin, disant, dans son Commentaire sur le Prologas galeatue,
que l'Église reçoit ces livres, exclus par les Hébreux, pour
authentiques et compris au nombre des saintes Écritures.
Mais il s'explique lui-même sur saint Matthieu (quest. 2) :
Il y a, dit-il, d'autres livres que VEglise ne met pas dans le
canon, et ne leur ajoute pas autant de foi qu'aux autres : Non
recipientes non judicat inobedientes aut infidèles *^ ; elle ignore
sHls sont inspirés ; et puis il nomme expressément à ce pro-
pos la Sagesse, l'Ecclésiastique, les Machabées, Judith et
Tobie, disant : Quod probatio ex illis sumpta sit aliqualiter
efficax. Et (quest. 3) parlant des apocryphes, dont il n'est
pas certain qu'ils ont été écrits par des auteurs inspirés, il
dit qu'il suffit qu'il n'y a rien qui soit manifestement faux ou
suspect ; qu'ainsi l'Église ne les met pas dans son canon et ne
force personne à les croire ; cependant elle les lit, etc. ; et puis
il dit expressément au même endroit, qu'il n'est pas assuré
que les cinq livres susdits soient inspirés : De auctoribus
horum non constat Ecclesiœ an Spiritu sancto dictante scripse-
rint ; non tamen reperit in illis aliquid falsum aut valde saspe-
ctum de falsitate^''.
CXXII. Enfin, dans le seizième siècle, immédiatement avant
la Réformation, dans la préface de la Bible du cardinal
Ximenès *^, dédiée à Léon X, il est dit que les livres du Vieux
Testament, qu'on n'a qu'en grec, sont hors du canon, et sont
plutôt reçus pour l'édification du peuple que pour établir des
dogmes.
GXXIII. Et le cardinal Cajétan **, écrivant après la Réfor-
mation commencée, mais avant le concile de Trente, dit, à la
83. Comm. in I Reg. in Prolog, gai., quaest. xxvii et xxvm, dans
les Opéra omnia, Venise, 1728, in-fol., t. XI, p. 19.
84- In Evangel. Matt., praefat., quaest. 11 et m, dans les Opéra.
t. IX, f"" 2 r" et \° (La dernière citation n'est pas littérale).
85. Biblia sacra, hebraice, chaldaice, grxce et latine, nunc primum.
impressa de mandalo et sumptibus Fr. Simenii de Cisneros. AlcalaJ
i5i4-i5i7, 6 vol. in-fol., t. II, Prologus ad lectorem. 1
86. Thomas de Vio, connu sous le nom de cardinal Ca/tan, ne
doit pas être confondu avec Cajétan, qui fut légat en rrance auj
temps de la Ligue (Cf. t. II, p. 2).
1
mai 1700] DE BOSSUET. 2/19
fin de son Commentaire sur l'Ecclésiaste de Salomon, publié à
Rome en i534 : Cesl ainsi que finit /'Ecclésiaste avec les livres
de Salomon et de la Sagesse. Mais quant aux autres livres, à
qui on donne ce nom, qui vocantur Libri sapientiales, puisque
saint Jérôme les met hors du canon qui a Vautoritê de la foi,
nous les omettrons, et nous nous hâterons d'aller aux oracles des
prophètes.
CXXIV. Après ce détail de l'autorité de tant de grands
hommes de tous les siècles, qui ont parlé formellement
comme l'andenne Eglise et comme les protestants*'', on ne
saurait douter, ce semble, que l'Église a toujours fait une
grande différence entre des livres canoniques ou immédiate-
ment divins, et entre d'autres compris dans la Bible, mais
qui ne sont qu'ecclésiastiques : de sorte que la condamnation
de ce dogme, que le concile de Trente a publiée, est une des
plus visibles et des plus étranges nouveautés qu'on ait jamais
introduites dans l'Église **.
87. Voir Gaussen, Le Canon des Saintes Ecritures au double point
de vue de la science et de la foi, Lausanne, 1860, 2 vol. in-8 ; Ed.
Reuss, Histoire du Canon des Écritures saintes dans l'Eglise chrétienne,
Strasbourg-, i863, in-8; Sam. Davidson, The Canon of the Bible, its
formation, history and fluctuations, Londres, 1877, in-8; Kœnig, Essai
sur la formation du canon de l'Ancien Testament, Paris, 1894, in-8.
88. Voici ce qu'après les études plus approfondies, poursuivies au
XIX® siècle et de nos jours, sur le canon des Ecritures, les exégètes
catholiques répondent â ces assertions de Leibniz. Par l'usage que
les apôtres ont fait de la Bible des Septante, le canon des Juifs
d'Alexandrie a passé avec elle dans l'Eglise chrétienne et y a joui
d'une paisible possession jusqu'à la fin du iii^ siècle. Les Pères apos-
toliques citent les deutérocaniques comme les autres livres sans faire
entre les uns et les autres la moindre différence, comme le reconnaît
un exégète protestant, Ed. Reuss (^op. cit.. p. 99). Les exemplaires
des Septante et des versions dont iU se servent n'en marquent du
reste aucune.
C'est au iv« siècle et au commencement du v*, que s'élèvent, et
tout d'abord en Orient, des hésitations et des doutes sur les livres
deutérocanoniques. La distinction alors introduite entre les livres
sacrés provient, soit du choix qui anciennement était fait de lectures
plus appropriées aux dispositions des néophytes, soit des exigences de
la polémique avec les Juifs (cf. Athanase, Lettre festivale, 29 [P. G.,
25o CORRESPONDANCE [mai 1700
Il est temps, Monseigneur, que je revienne à vous, et
t. XXVI, col. II 76] et Orig-ène, In Num. hom. xxvii, i, et Epist. ad
Afric, 3 et i3, P. G., t. XII, col. 780, et t. XI, col. 53, 80). On ne
pouvait se servir contre les Juifs que des livres reçus par eux comme
inspirés. Or, à cette époque, sous l'influence rabbinique, ils écartaient
les Septante, à cause des avantagées qu'en tiraient les chrétiens, et ils
ne reconnaissaient d'autorité qu'au texte hébraïque. De là est venue
dans l'Eglise chrétienne la distinction entre les livres qui pouvaient
servir à établir la foi et ceux qui étaient réservés à l'édification des
Fidèles.
En Occident, à la même époque, les doutes n'apparaissent que
chez les auteurs qni ont eu des relations avec l'Orient. Chez les autres
et dans un grand nombre d'Eglises, la tradition ecclésiastique ne subit
aucune interruption : on reconnaît tous les livres sacrés que les an-
ciens Pères et les apôtres avaient reçus. Ceux-là même qui, en théorie,
font une distinction entre les livres de la Bible, n'en tiennent pas
compte dans les discussions entre chrétiens, soit qu'ils ne croient pas
leurs difficultés théoriques suffisantes pour leur faire abandonner
l'usage traditionnel, soit qu'ils estiment que, ne s'adressant pas à des
Juifs, mais à des fidèles, il n'y a pas lieu d'en faire état. Celui qui
contribua le plus à propager en Occident la distinction entre les deux
sortes de Livres saints fut saint Jérôme. Il y fut amené par ses rapports
avec les Juifs et par son attachement à la Bible hébraïque, qu'il
avait traduite en latin. Son autorité entraîna un grand nombre de
Pères et d'écrivains ecclésiastiques.
Du V* au XI* siècle, tandis que les savants se font l'écho des anciens
doutes, la pratique ecclésiastique conserve les livres contestés, tandis
qu'en Orient, ces livres reprennent faveur, si bien que les Grecs eux-
mêmes les reçoivent dans leur canon.
Du XII* au xvi<^ siècle, les Orientaux finissent généralement par les
adopter. En Occident, au contraire, sous l'Influence de saint Jérôme,
on continue à émettre des doutes sur leur canonlclté et on les place eu
un rang inférieur. Mais le nombre des opposants diminue; plusieurs
même, comme Tostat, ont des opinions flottantes. Chose digne de
remarque, tous les manuscrits de la Bible exécutés au moyen âge
continuent à mélanger sans distinction les deutérocanonlques aux
autres livres. Malgré les doutes émis par quelques docteurs, l'Eglise
continue alors à les lire, à les citer aussi bien que les livres du canon
palestinien, et avec les mêmes formules. Le concile de Trente n'a
fait que sanctionner la pratique commune (Cf. Dictionnaire de la Bible
de Vigouroux, t. H, col. i/i3-i63, et Dict. de Théologie de Vacant,
t. II, Canon chrétien de l'Ancien Testament, col. i574-i582 ; Sanders,
Études sur saint Jérôme, Bru.xelles, igoS, in-8, p. 196-2A7).
mai 1700] DE BOSSUET. 25l
même que je finisse ; car votre seconde lettre n'a rien qui
nous doive arrêter, excepté ce que j'ai touché au commence-
ment de ma première réponse. Au reste, j'y trouve presque
tout assez conforme au sens des protestants ; car je n'insiste
point sur quelques choses incidentes ; et il suiïlt de remarquer
que ce que vous dites si bien de l'autorité et de la doctrine
constante de l'Église catholique, est entièrement favorable
aux protestants et absolument contraire à des novateurs aussi
grands que ceux qui étaient de la faction si désapprouvée en
France, qui nous a produit les anathèmes inexcusables de
Trente.
Je ne doute point que la postérité au moins n'ouvre les
yeux là-dessus, et j'ai meilleure opinion de l'Église catho-
lique et de l'assistance du Saint-Esprit, que de pouvoir croire
qu'un concile de si mauvais aloi soit jamais reçu pour œcu-
ménique par l'Église universelle. Ce serait faire une trop
grande brèche à l'autorité de l'Église et du christianisme
même, et ceux qui aiment sincèrement son véritable intérêt
s'y doivent opposer. C'est ce que la France a fait autrefois
avec un zèle digne de louange, dont elle ne devrait pas se
relâcher, maintenant qu'elle a été enrichie de tant de nou-
velles lumières, parmi lesquelles on vous voit tant bril-
ler.
En tout cas, je suis persuadé que vous et tout ce qu'il y a
de personnes éclairées dans votre parti, qui ne sauraient
encore surmonter les préventions où ils sont engagés, ren-
dront assez de justice aux protestants pour reconnaître qu'il
ne leur est pas moins impossible d'effacer l'impression de
tant de raisons invincibles qu'ils croient avoir contre un con-
cile dont la matière et la forme paraissent également insoute-
nables. Il n'y a que la force, ou bien une indifférence peu
éloignée d'une irréligion déclarée, qui ne se fait que trop
remarquer dans le monde, qui puisse le faire triompher.
J'espère que Dieu préservera son Église d'un si grand mal ;
et je le prie de vous conserver longtemps, et de vous donner
les pensées qu'il faut avoir pour contribuer à sa gloire autant
que les talents extraordinaires qu'il vous a confiés vous don-
252 CORRESPONDANCE [juin 1700
nent moyen do le faire. Et je suis avec zèle, Monseigneur,
votre très humble el très obéissant serviteur.
Leibniz.
20o3. — A Leibniz.
A Versailles, i" juin 1700.
Monsieur,
Votre lettre du 3o avril m'a tiré de peine sur les
deux miennes, en m 'apprenant non seulement que
vous les avez reçues, mais encore que vous avez pris
la peine d'y répondre, et que je puis espérer bientôt
cette réponse. Il ne servirait de rien de la préve-
nir ; et encore que, dès à présent, je pusse peut-
être vous expliquer l'équivoque du mot de cano-
nique, qui, à la fin, se tournera contre vous, il vaut
mieux attendre que vous ayez traité à fond ce que
vous n'avez dit encore qu'en passant. Mais je ne puis
tarder à vous expliquer l'endroit de ma lettre sur
lequel Monseigneur le duc veut être éclairci. J'ai
donc dit que l'on tenterait vainement des pacifica-
tions sur les controverses en présupposant qu'il fal-
lût changer quelque chose dans aucun des juge-
ments portés par l'Eglise. Car, comme nos
successeurs croiront ^ avoir le même droit de chan-
ger ce que nous ferions, que nous aurions eu de
changer ce que nos ancêtres auraient fait, il arrive-
rait nécessairement qu'en pensant fermer une plaie,
nous en rouvririons une plus grande. Ainsi la reli-
Lettre 2003. — L. s.; de la main d'un copiste, avec correclions auto-
graphes. Hanovre, Papiers de Leibniz, f*>386. Imprimée d'abord dans
les Œuvres posthumes, t. I, p. 5o8. Minute, collection H. de Rothsc' id.
I. Edit. : croiraient.
juin 1700] DE BOSSUET. 253
gion n'aurait rien de ferme ; et tous ceux qui en
aiment la stabilité doivent poser avec nous pour
fondement que les décisions de l'Église, une fois
données, sont infaillibles et inaltérables, Voilà, Mon-
sieur, ce que j'ai dit, et ce qui est très véritable. Et
au reste, à Dieu ne plaise que je sois capable de
compter la guerre parmi les moyens de finir le
scliisme ; à Dieu ne plaise, encore un coup, qu'une
telle pensée ait pu m'entrer dans l'esprit, et je ne
sais à quel propos vous m'en parlez.
Quant à l'endroit 011 vous dites que je n'ai pas
répondu, ou que j'ai différé de répondre, j'avoue
que je ne l'entends pas. Je soupçonne seulement
que vous regardez à un acte^ du concile de Bâle,
que vous m'avez autrefois envoyé. Mais assurément
j'y ai répondu si démonstrativement, dans mon écrit
à M. l'abbé de Loccum^ que je n'ai rien à y ajou-
ter. Je vous supplie donc. Monsieur, encore un
coup, comme je crois l'avoir déjà fait, de repasser
sur cette réponse, si vous l'avez, et de marquer les
endroits oii vous croyez que je n'aie pas répondu, afin
que je tâche de vous satisfaire, ne désirant rien tant
au monde que de contenter ceux qui cherchent le
royaume de Dieu.
Permettez-moi de vous prier encore une fois, en
finissant cette lettre, d'examiner sérieusement devant
Dieu si vous avez quelque bon moyen d'empêcher
l'état de l'Eglise* de devenir éternellement variable,
2. Edit. : vous voulez parler d'un acte. — Cf. t. V, p. 128.
3. De scriplo cui titulus : Cogitationes privatae... Episcopi Meldensis
senlentia, lv, dans l'édition Lâchât, t. XVII, p. ^QO-zigS.
4. Édit. : d'empêcher l'Eglise.
254 CORRESPONDANCE [juin 1700
en présupposant qu'elle peut errer et changer ses
décrets sur la foi. Trouvez bon que je vous envoie
une instruction pastorale que je viens de publier sur
ce sujet-là^ : si vous la jugez digne d'être présentée
à votre grand et habile prince, je me donnerai 1 hon-
neur de lui en faire le présent dans les formes, avec
tout le respect qui lui est dû. J'espère que la lec-
ture ne lui en sera pas désagréable, ni à vous aussi,
puisque cet écrit comprend la plus pure tradition
du christianisme sur les promesses de l'Eglise. Con-
tinuez-moi l'honneur de votre amitié, comme je
suis de mon côté, avec toute sorte d'estime. Mon-
sieur, votre très humble serviteur,
J. BÉiNiGNE, é. de M eaux.
On lit à la fin de la quatrième page^ :
Je ne puis. Monsieur, trouver une meilleure occasion de
me remettre dans l'honneur de votre souvenir, et de vous
assurer que je vous honore toujours comme je dois, et suis
plus que personne du monde votre très humble et très obéis-
sant serviteur.
La Loubère.
200/i. — L'Abbé de Larnyère a Bossuet.
Monseigneur,
Lorsque j'ai eu l'honneur de voir Votre Grandeur à Meaux,
pour la supplier très humblement de vouloir bien prendre la
peine de s'informer dans son diocèse de mon affaire, comme
5. Instruction pastorale sur les promesses de l'Église, Paris, 1700,
in-ia. Achevée d'imprimer le 3o avril.
6. Ces lignes, de la main de Simon de La Loubère (cf. t. V, p. 8' f,
sont inédites.
Lettre 2004. — L. a. s. Bibliothèque de Sir Thomas Phillips, à
juin 1700] DE BOSSUET. 255
elle m'avait fait l'honneur de me le promettre à Paris, vous
avez trouvé à propos, ne voulant pas envoyer vos officiers sur
les lieux, me donner M. le curé de Vareddcs ' pour juge et me
promettre de me faire justice. Je l'ai toujours attendue de
vous depuis ce temps-là, Monseigneur, sans aucune nouvelle.
Trouvez bon, étant honnête homme et ne pouvant vivre avec
telle infamie, causée par la lettre de M. Pidoux-, qui a été
publiée par M. le curé de Ghoisy ^ et sa belle-mère à tous les
prêtres et particuliers du pays, que je supplie très humble-
ment Votre Grandeur d'approfondir l'affaire et me traiter
aux termes de l'Eglise. Je me rendrai même au lieu que vous
me marquerez, pendant que vous ferez procéder contre moi.
Cette affaire, en vérité, Monseigneur, fait saigner le cœur de
tous les honnêtes gens du pays et de tout le peuple de Choisy.
J'espère de Votre Grandeur, qui se porte d'elle-même à faire
plaisir à tout le monde et à protéger les gens de bien, que
vous me ferez justice.
Je suis avec tout le respect, l'obéissance et la confiance pos-
sible. Monseigneur, votre humble, très acquis et très affec-
tionné serviteur,
L'Abbé de Larnyère.
Ce premier juin 1700.
20o5. — Sœur G. des Anges a Bossuet.
Monseigneur,
Je n'ai encore osé me jeter aux pieds de Votre Grandeur
Cheltenham. Inédite. — Claude de Laumoy de Larnyère était curé
de La Trétoire. Nous ignorons l'affaire à laquelle il est fait allusion
dans sa lettre : on y doit rattacher vraisemblablement l'absence
prolongée que révèlent les registres de la paroisse de La Trétoire.
Sans doute, l'abbé de Larnyère sortit de cette affaire à son honneur,
car, au commencement de 1708, il fut mis à la tête de l'importante
paroisse de Jouy-sur-Morin, où il mourut le 10 septembre 1710.
1. L'abbé de Saint-André.
2. Sur Valentin Pidoux, voir t. IV, p. 288.
3. Ghoisy-en-Brie, canton de La Ferté-Gaucher.
Lettre 2005. — L. a. s. Bibliothèque de Sir Thomas Phillips, à
256 CORRESPONDANCE [juin 1700
pour lui demander mille pardons des sujets de chagrins
qu'elle peut avoir eus de notre part sur la sortie de M. de La
Tour*. Je vous assure, Monseigneur, que les choses n'ont
point été comme il a pu vous les faire entendre. Il m'a écrit,
même depuis son départ, une lettre qui me sert de répara-
tion. J'espère que votre bonté paternelle oubliera tout et
qu'elle voudra bien souffrir que je prenne la liberté de lui
dire qu'il se présente deux ecclésiastiques pour être confes-
seur chez nous. Je mande à M. Ledieu ce que nous en avons
pu connaître. Le premier qui s'est offert doit se présenter à
Votre Grandeur ou à M. Phelipeaux. Je ne doute point qu'on
ne l'examine exactement; nous avons bien besoin d'un hon-
nête homme qui fasse rentrer notre communauté dans son
premier esprit de douceur et de simplicité à laquelle elle est
toujours très portée. Si nous sommes assez heureuses de bien
rencontrer, je vous assure, Monseigneur, que vous n'enten-
drez point parler de nous, et que nous ferons tout ce que
nous pourrons pour le conserver.
Votre Grandeur trouvera bon que je lui dise que nous
sommes toujours inquiétées par MM. Gridé'^. Ils ont voulu
faire une assemblée d'habitants contre nous, mais tous les
Messieurs et les Dames se sont si bien mis en état de nous
défendre qu'ils n'en ont remporté que la confusion.
Nous travaillons à l'enregistrement de nos lettres d'établis-
sement^. Nous avons consulté nos pièces à Paris, selon l'avis
Gheltenham. Inédite. — Les renseignements nous manquent sur
Sœur G. des Anges, prieure de Rozoy. Les dominicaines de Toul
avaient fondé, en 16^8, à Rozoy-en-Brie, un établissement connu sous
le titre de la Mère de Dieu, destiné à l'iuslrucliou gratuite des jeunes
filles, riches ou pauvres, de la ville (T. Duplessis, Hist. de l'Eglise
de Meaux, t. I, p. ^53 ; t. II, p. 375-377").
1. M. de La Tour, pri^cédemment aumônier des Dominicaines.
2. Sans doute Mathieu Gridé, élu en l'i'-lection, et ses fils, dont l'un.
Mathieu Bertin, était maire de Rozoy, et l'autre, Pierre, docteur de
la Faculté de Paris, fut pourvu, en 1700, de la cure de Grouy-sur-
Ourcq (Registres paroissiaux de Rozoy et de Grouy ; Archives Nation.,
X'B888^, i9d('-c. 1697). i
3. De janvier i65o, revalidées en février 1673 par des lettres de
surannalion.
juin 1700] DE BOSSUET. 267
que nous avait donné M. Léger* à Meaux, par l'ordre de
Votre Grandeur. Elles ont été trouvées très bonnes, et notre
arrêt ^ subsistant encore, en sorte que nous n'avons qu'à l'exé-
cuter. Quand Votre Grandeur sera de retour de Saint-Ger-
main^, nous lui présenterons nos pièces pour avoir son
approbation et lui demander sa protection et sa faveur.
Cependant notre communauté vous ofTre ses très humbles
soumissions et est, comme moi, avec un très profond respect.
Monseigneur, votre très humble et très obéissante fille et
servante.
S"' C. DES Anges, Prieure très indigne.
A Rozoy, ce 3 juin 1700.
2006. — DoM Jean Mabillon a Bossuet.
Ce 5 juin 1700.
J'ai reçu l'Instruction pastorale ' de Votre Grandeur, que
M. Ledieu m'a fait l'honneur de me donner de votre part. Je
l'ai lue avec le même plaisir que je lis tout ce qui vient de
votre main. Je ne doute pas que Dieu n'y donne sa bénédic-
tion, et qu'elle ne soit très utile, non seulement pour nos
frères errants, mais même pour les catholiques. 11 y a des
4. Jean Léguer, notaire à Meaux, procureur fiscal et bailli de
l'évêché, « homme d'esprit, droit, ferme et accommodant», dit Ledieu
(t. II, p. 25), rendit à Bossuet de grands services pour le soin de ses
affaires temporelles. Il mourut le 17 novembre 1700, laissant trois
fils, dont l'un lui succéda dans son office de notaire et les deux autres
furent chanoines de Meaux. Il avait aussi trois filles mariées à Paris.
5. Avant l'enregistrement des lettres susdites, un arrêt du i^' février
1674 avait ordonné une enquête de commodo et incommodo. Depuis
lors, les choses traînaient en longueur. Bossuet, après avoir donné
son consentement le 8 septembre 1700, prononça le 34 janvier 1708
entre les Sœurs et le curé, et celui-ci donna mainlevée de son opposi-
tion (Arch. Nat., XIB8888, 12 déc. 1703).
6. Bossuet y était retenu par l'assemblée du Clergé.
Lettre 2006. — i. Sur les promesses de l'Eglise.
XII - 17
258 CORRESPONDANCE [juin 1700
passages admirables pour la perpétuité de l'Église. Un doc-
leur de Sorbonne me dit ces jours passés qu'il l'a trouvée si
belle, cette Instruction, qu'il l'avait lue deux fois. Dieu veuille
vous conserver pour le bien de l'Église, et pour la consolation
de ceux qui vous honorent, comme nous faisons, Dom Thierry ^
et moi. Il joint ses très humbles remercîments aux miens,
pour le même présent qu'on lui a fait de votre part.
On nous mande de Rome que les livres faits contre l'édi-
tion de saint Augustin ^ ont été censurés au Saint Office le
12 du mois passé, le cardinal Carpegna y présidant à la place
de M. le cardinal de Bouillon*. Je ne doute pas que Votre
Grandeur ne sache le reste par Mgr l'archevêque de Reims.
Je suis avec un profond respect, etc.
2007. — A DoM Jean Mabillon.
A Saint-Germain, 7 juin 1700.
Vous m'avez fait plaisir, mon cher et révérend
Père, de me faire part de vos sentiments obligeants
sur mon Instruction pastorale \ Vous savez le cas
que je fais de votre approbation.
J'ai aussi été très aise du soin que vous avez pris
de m'instruire de la condamnation des quatre
2. Thierry Ruinart, de qui il a été parlé au tome III, p. 267.
3. En particulier, la lettre de l'abbé allemand. Voir le texte de la
censure dans D. Tassin, Histoire litlérpire de la Congrégation de Saini-
Maur, 1770, in-^, p. 3o6 à 3o8. Cf. D. Thuillier, Histoire delanon-
velle édition de saint Augustin, en France, 1736, in-4.
4- Le cardinal de Bouillon, doyen du Saint Office, favorable aux
jésuites, était alors absent de Rome. t
Lettre 2001. — L. a. s., avec suscription de la main de ^edieu.
Inédite ; communiquée par M. Noël Charavay.
I. Sur les promesses faites à l'Eylise.
juin 1700] DE BOSSUET. 269
libelles contre votre édition de saint Augustin*:
elle est de conséquence dans la conjoncture.
J'ai lu avec plaisir le petit traité de la sainte
Larme ^ ; la tradition est bien prouvée, ce me semble,
2. La nouvelle qu'en avait donnée Mabillon était prématurée et
légèrement inexacte. C'est seulement le 3 juin que la condamnation
avait été prononcée, et depuis lors, il s'était écoulé trop peu de temps
pour qu'on pût en être informé officiellement à Paris. D'un autre
côté, le décret du Saint Office mentionnait trois, et non quatre
libelles des adversaires des bénédictins (Voir plus loin, p. 3ao).
3. C'est l'opuscule de Mabillon intitulé : Lettre d'un bénédictin à
Monseigneur l'Évéque de Blois touchant le discernement des anciennes
reliques, au sujet d'une dissertation de M. Thiers, et Mémoire pour se.~
vir d'éclaircissement à l'histoire de la sainte Larme de Vendôme, Paris
1700, in-i3. Cet écrit a été reproduit dans les Œuvres posthumes
de Mabillon, t. II, p. 36i-394. C'était une réponse à la Dissertation
sur la sainte Larme de Vendôme, par J.-B. Thiers, Paris, 1699, in-13.
— L'abbaye bénédictine de la Trinité, à Vendôme, était un pèlerinage
très fréquenté, à cause d'un reliquaire qu'elle tenait de son fondateur
Geoffroy Martel (iOo6-lo6i), fils de Foulques Nerra, comte d'Anjou.
Ce seigneur, disait-on, 1 avait reçu lui-même de Michel le Paphlago-
nien, empereur de Constantinople, à la demande de qui il avait
guerroyé contre les Sarrasins. Celait un petit fuseau de cristal, à
l'intérieur duquel était un objet mobile en forme de larme, « qu'on
regardait comme une de celles que Jésus-Christ versa sur le tombeau
de Lazare. Le reliquaire était enchâssé dans un cercle d'or auquel
tenait une chaîne terminée par un anneau que mettait à son doigt le
religieux qui le montrait » (Ph. J. G. de Plassac, Vendôme et le
Vendômois, Vendôme, 1823, ln-4, p. Sa). L'abbé Thiers ayant attaqué
l'authenticité de la relique et accusé de mauvaise foi les religieux
qui l'exposaient à la vénération publique, Mabillon prit la défense de
ses confrères. Toutefois il ne chercha pas à prouver la vérité de la
sainte Larme : il se borna à critiquer les règles données par Thiers
pour le discernement des reliques, et à dire que le culte a ne serait
pas moins légitime, quand .'objet immédiat ne serait qu'une repré-
sentation, et non pas la chose même «. Ce fut l'occasion d'une
Réponse de J.-B. Thiers à la lettre du P. Mabillon touchant la préten-
due sainte Larme de Vendôme, Cologne (Paris), 1700, in-ia. Plusieurs
pensèrent que si, en cette circonstance, Thiers manqua de ménage-
ments, Mabillon se laissa guider par l'esprit de corps plutôt que par
ses propres lumières. Mais il est étonnant qu'on se soit imaginé que
Mabillon ait prétendu soutenir la vérité de la sainte Larme, tandis
26o CORRESPONDANCE [juin 1700
jusqu'à la fondation du monastère * et jusqu'au
temps des derniers Grecs. Je les soupçonne souvent
d'en avoir voulu donner à la simplicité des Latins ^
et je voudrais que vous prissiez la peine de penser
à ce qui pourrait ou fortifier ou détruire ce soupçon.
Quoi qu'il en soit, les miracles*^ sont une espèce de
qu'il déclare positivement que ce n'est pas même son dessein de l'exa-
miner. Quoi qu'il en soit, lYvêque de Blois, pris pour arbitre, n'interdit
pas le pèlerinage, et la sainte Lariue ne disparut qu'à la Révolution
(Le P. Honoré de Sainte-Marie, carme déchaussé, Observations sur les
larmes de Jésus-Christ, et en particulier sur celle de Vendôme, au
tome III, p. 339-355, de ses Réflexions sur les règles de la critique,
Lyon, 1720, in-4 : pour cet écrivain, la sainte Larme de Vendôme
vient du crucifix de l'église Saint-Pierre-le-Puellier, d'Orléans;
D. Tassin, Histoire littéraire de la Congrégation de Saint-Maur, Bruxel-
les, 1770, in-4, p. 258). Alex. Plnevoire, curé de Moisy, a écrit une
réponse à la lettre de M. Thiers, qu'il adressa aux maire et échevins
de la ville, en 1702 : cet ouvrage manuscrit était conservé dans la
bibliothèque de l'abbaye de la Trinité.
4. Le monastère fut fondé en 1082. Cf. J. de Launoy, Inquisilio
in charlam fundationis et privilégia Vindocinensis monasterii, s. 1. n. d.
in-8. Sur la tradition, voir : Discours comme la sainte Larme fui apportée
en l'abbaye de Vendôme par le noble comte Geoffroy Martel, avec les
miracles, oraisons et messe de la dite sainte Larme. Paris, i562, in-8:
ce petit poème a été reproduit dans le recueil d'A. de Montaigion,
Paris, i855, t. I ; Histoire véritable de la sainte larme que N.-S.
pleura sur le Lazare ; comme et par qui elle fut apportée au monastère
de la sainte Trinité de Vendôme ; Ensemble plusieurs beaux et insignes
miracles arrivés depuis 63o ans qu'elle a été miraculeusement conservée
en ce saint lieu, par un religieux bénédictin, Vendôme, 1669, in-12 ;
le marquis de Rochambeau, Voyage à la sainte Larme de Vendôme, dans
le Bulletin de la Société historique du Vendômois. 1878 ; l'abbé Préville,
Note historique et critique sur la sainte Larme de l'abbaye de Vendôme.
dans la Semaine religieuse de Blois, mai-juillet 1876 ; D. Germain
Millet, Histoire de la sainte Larme de Vendôme, avec une préface et
des notes par l'abbé Ch. Métais, Avignon, 1891, in-8.
5. En leur donnant de fausses reliques. /
6. Les miracles accomplis en faveur des pèlerins. On recourait à
la sainte Larme surtout pour les maladies des yeux. Thiers niait la
réalité de ces miracles; les bénédictins firent constater plusieurs
çuérisons par le bailli de Vendôme, en 1700, 1701 et 1702 (\ oir
juin 1700] DE BOSSUET. 261
preuve, et M. Thiers^ a tort de faire un crime de
cette tradition.
Je n'ai pas vu encore ce qu'on a répondu au
savant, pieux et judicieux Eusèbe*.
l'article de M. Isnard dans le Bullelin de la Société historique du Ven-
dômois, 1880).
7. Jean Baptiste Thiers, né à Chartres le n novembre i636,
d'une pauvre famille, enseigna de bonne heure les humanités au
collège du Plessis ; il prit ensuite ses grades en théologie et obtint,
en 1666, la cure de Champrond-en-Ga»tine, au diocèse de Chartres,
qu'il quitta, en 1692, pour celle de Viliraye (Sarthe). Il fut un
prêtre pieux et zélé, et gagna la confiance de M. de Tressan, évèque
du Mans, qui le chargea d'examiner la fameuse Mlle Rose. On trouve
à ce sujet une lettre de lui à ce prélat, à la Bibliothèque Natio-
nale (fr. 20978). Il mourut à Vibraye le 38 février 1708. J.-B.
Thiers avait des connaissances fort étendues, et consacra une érudi-
tion considérable à des sujets singuliers ou exposés h la discussion.
Parmi ses nombreux ouvrages, on cite surtout : Dissertation sur l'in-
scription du grand portail de l'église des cordeliers de Reims, par le
sieur de Saint-Sauveur, Bruxelles, 1670, in-12; De stola in archidia-
conorum visitationibus gestanda a parochis, Paris, 1674, in-12 ; la Sauce
Robert, ou Avis salutaires à Mre J. Robert, grand archidiacre de Char-
tres, 1676, in-8 ; Traité de l'exposition du saint Sacrement de l'autel,
Paris, 1678, in-i3 ; Dissertation sur les porches des églises, dans
laquelle on fait voir les usages auxquels ils sont destinés ...et qu'il n'est
permis d'y vendre aucunes marchandises, non pas même celles qui servent
à la piété, Orléans, 1679, in-ia; Traité des superstitions selon l'Écri-
ture sainte, Paris, 1679, in-ia; Traité de la clôture des religieuses,
Paris, 1681, in- 13 ; Traité de la dépouille des curés, dans lequel on
fait voir que les archidiacres n'ont nul droit sur les meubles du curé
décédé, Paris, i683, in-i3; Traité des jeux et des divertissements qui
peuvent être permis ou défendus aux chrétiens. Paris, 1686, in- 13 ;
Histoire des perruques, Paris, 1690, in-12; Apologie de M. l'abbé de
la Trappe contre les calomnies du P. de Sainte-Marthe, Grenoble,
169/t. in-rs (Mceron, t. IV et X ; D. Liron, Bibliothèque chariraine,
Paris, 1719, in-/l).
8. Mabillon lui-même, qui avait publié, sous le pseudonyme
d' « Eusebius Romanus », une lettre de Cultu sanctorum ignotorum,
Paris, 1698, in-4. Cet écrit avait excité la susceptibilité des Ro-
mains, qui y voyaient une attaque dirigée contre les reliques
extraites des Catacombes, et il faillit être mis à l'Index. L'auteur en
publia une seconde édition (1705), où sa critique était moins hardie.
262 CORRESPONDANCE [juin 1700
Je suis à vous, mon cher Père, de tout mon
cœur. Priez Dieu pour notre assemblée.
J. Bénigne, é. de Meaux.
Suscription : Au Révérend Père..., Dom Jean
Mabillon, religieux de l'abbaye de Saint-Germain-
des-Prés, à Paris.
2008. — A Antoine de Noailles.
A Saint-Germain, 7 juin [1700].
J'ai, mon cher Seigneur, communiqué à M. l'ar-
chevêque de Reims la thèse que j'ai reçue ce matin
seulement \ avec une enveloppe du ^. Je lui ai fait
remarquer que votre lettre répétait que c'était tout
ce que vous aviez pu emporter ^ Il souhaiterait qu'on
pût ajouter, après Qui affirmant et requirant inpœni-
têntibus : « ut Deum diligere incipiant tanquam omnis
justitiaeauctorem ». Il croit que ces Pères n'y feront
point de difficulté, puisqu'ils le lui accordent à lui-
même dans une thèse qu'il dit vous avoir donnée
Bossuet fait allusion soit à une Réponse à une lettre de D. Jean
Mabillon sur les saints des Catacombes, Cologne, 1698, in-ia, soit à
une critique due à un ecclésiastique français, qui parut à Rome en
1700, et qui, au témoignage de Niceron, y fut fort méprisée. On
vit, en 1701, une autre critique, dont l'auteur était M. Labénazie,
chanoine de Sainl-Caprais, d'Agen : Entretiens sur la lettre d'Eusebe
Romain sur le culte des saints dans les Catacombes, Agen, s. d.,
in-16 (Voir Niceron, t. VIT, p. 363 à 368).
Lettre 2008. — Copie Pinchart, Bibliothèque de Reims,
ms. I i/JS.
I. Une thèse des Jésuites sur l'attrition, incriminée par l'arche-
▼éque de Reims.
a. Emporter, obtenir des jésuites.
juin 1700J DE BOSSUET. 203
autrefois. S'ils étaient d'humeur à le faire, il fau-
drait les faire consentir à dire : Et requirunt in
pœnitenlibus post Jldei ac spei actus, ut Deam dili-
gere incipiant tanquam, etc. Que si l'on ne peut les
mener à ce point, la thèse peut passer comme elle
est, à condition qu'on prendra d'autres occasions
d'expliquer la vérité toute entière ^ Dieu, par sa
bonté, les fera naître ; et si le Roi vous a écouté,
elle* sera contente. A vous, mon cher Seigneur,
comme vous savez, avec un respect sincère.
J. Bénigne, é. de M eaux.
3. « M. Le Tellier avait éffalement été obligé de flétrir la doctrine
que les jésuites enseignaient dans son diocèse. Il rendit en 1697 une
ordonnance contre deux thèses que ces Pères avaient fait soutenir
dans leur collège de Reims et qui étaient toutes remplies des erreurs
les plus révoltantes. Voyez d'Argentré, Collect. judic, t. III, p. 4oi ;
le P. Alexandre, Theolog. Docjm. et Mor., t. I, p. 878 » (Note de
Deforis).
4- Elle, la vérité. — Parmi les propositions censurées par l'assem-
blée du Clergé, en 1700, on lit les suivantes :
85. Probabile est sufficere attritionem naturalem, modo honestam
ÇHxc propositio est hœretica).
86. Attritio ex gehennae metu sufficit, etiam sine ulla Dei dilec-
tione, sine ullo ad Deum offensum respectu, quia talis honesta et
supernaturalis est (Ha?c propositio, qua a dispositionibus necessariis ad
absolulionem excluditur qailibet ad Deum offensum respectas, temeraria
est, scandalosa, perniciosa, et in hœresim inducit).
87. Goncilium Tridentinum adeo expresse definivit attritionem
quae non vivificet animara, quaeque supponatur sine amore Dei esse,
sufficere ad absolutionem, ut anathema pronuntietur adversus negantes
{Hxc propositio falsa est, temeraria, concilio Tridenlino contraria, et in
errorem inducit)..
Outre les propositions censurées, on trouve dans le procès-verbal
de l'Assemblée, p. 56 1, une déclaration de Dilectione Dei in pœni-
tentix sacramento requisita.
...Et quidem de dilectione Dei, sicut ad sacramentum baptismi in
adultis, ita ad sacramentum pœnitentiae, quae est laboriosus baptismus,
requisita, ne necessariam doctrinam omittamus, haec duo imprimis ex
sacrosancta synodo Tridentina monenda et docenda esse duximus.
264 CORRESPONDANCE [juîn 1700
2009. — A Pierre de La Broue.
A Versailles, 11 juin 1700.
Je parlai hier* à fond à M. le duc du Maine sur
la députation, en posant pour fondement que c'était
moi qui avais besoin d'un théologien et d'un évêque
comme vous^, Monseigneur, et non pas vous qui
Primum ne quis putet in utroque sacramento requiri ut praeviam,
contritionem eam quae sit caritate perFecta et quae cum voto sacra-
menti, antequam actu suscipiatur, hominem reconciliet (Sess. xiv,
cap. 4)- Alterura ne quis putet in utroque sacramento securum se
esse si, praeter fidei et spei actus, non incipiat diligere Deum tanquam
omnis justitiae fontem (Sess. vi, cap. 6).
Neque vero salis adimpleri potest utrique sacramento necessarium
vitae novae inchoandae ac servandi mandata divina propositum, si
pœniteas primi ac maximi mandati, quo Deus toto corde diligilur,
nuUam curam gerat ; nec sit saltem aniœo ita praeparato ut ad illud
exequendum, divina opitulante gratia, sese excitet ac provocet.
Placet etiam caveri a Sacramenti pœnitentiae administris ne in hoc
pœnitentiae sacramento aliisque sacramenlis conferendis sequantar
opinionem probabilem de valore sacramenti. relicrta tutiore (I Prop.
Innoc.XI) j neve pœnitentes ipsorum fidei animam suam committentes
adraonere cessent ut in pœnitendo inchoatae saltem dilectionis Dei
ineant viam, quae sola secura sit, graviter peccaturi in hoc salutis
discrimine, vel eo solo quod cerlis incerta prxponant (Aug., lib. I cont.
Donatist.. c. 3 et 5).
On sait que Bossuet fit sur cette question un ouvrage qui a été mis
au jour par son neveu : Traité de l'amour de Dieu, nécessaire dans le
sacrement de Pénitence, suivant la doctrine du concile de Trente,
Paris, 1786, in-ia.
Lettre 2009. — Copie authentique au Grand séminaire de Meaux.
1. « Ce jeudi 10, Fête-Dieu,... M. le duc du Maine est venu
voir M. de Meaux à l'issue des vêpres et a passé plus d'une heure
avec lui... M. de Meaux a écrit à M. l'évêque de Mirepoix qu'hier il
avait fort pressé M. le duc du Maine de donner à ce prélat la dépu-
tation de Languedoc pour apporter au Roi le cahier de la province »
(Ledieu, t. II, p. 5i).
2. Bossuet dit qu'il avait besoin d'être secondé par M. de La Broue
pour l'assemblée du Clergé. >
juin 1700] DE BOSSUET. 265
cherchiez une occasion de venir en ce pays. Je ne
pus tirer de ce prince de paroles positives, mais
seulement un témoignage de ses bonnes disposi-
tions. M. l'évêque d'Uzès' s'est mêlé dans cette
affaire : il appuie sur le rang, non pas d'obligation,
mais de bienséance ; et déclare qu'il veut bien céder
à M. dAlais, qui n'a jamais eu la députation, mais
non pas à vous, qui l'avez eue. Je lui parlerai, et je
serai très fâché si l'affaire manque.
Quant à vos projets pour les réunis, j'approuve
beaucoup votre dessein de traiter spécialement le
Sacrifice*. C'est ce que je me suis aussi proposé,
après avoir expliqué les promesses de l'Église par
une Instruction pastorale ^ qu'on vous envoiera peut-
être par cet ordinaire. Je ne vous parlerai point de
notre assemblée : les intentions de M. de Reims
sont très bonnes ; vous savez les miennes.
Je suis, avec le respect qui vous est connu, Mon-
seigneur, votre très humble et très obéissant servi-
teur.
J. Bénigne, é. de Meaux.
M. l'abbé de Catellan s'est chargé de V Instruction,
il y a déjà plus de quinze jours.
3. Michel Poncetde La Rivière occupa le siège d'Uzès de 1678 à
sa mort, arrivée à Paris au mois de novembre 1728.
I\. Le sacrifice de la messe. Cf. plus haut, p. 176.
5. L'Instruction pastorale sur les promesses de l'Eglise.
266 CORRESPONDANCE [juin 1700
2010. — L'Abbé de Rangé a Bossuet.
Ce 20
juin 1700.
Il ne m'est pas possible, Monseigneur, de passer toute ma
vie sans vous faire ressouvenir de moi et sans recevoir de vos
nouvelles ; car, quoique votre personne me soit très présente
devant Dieu, et que je ne passe point de jour sans lui deman-
der qu'il continue de la favoriser de sa protection dans les
affaires différentes où elle se trouve engagée pour sa gloire et
pour son service, il manque encore quelque chose que je ne
saurais m'empêcher de désirer, qui est de recevoir quelque-
fois des marques de cette bonté dont vous m'honorez depuis
si longtemps.
J'ai loué Dieu bien des fois, Monseigneur, de ce qu'il a
favorisé votre cœur, votre esprit et votre plume contre ceux
qui s'étaient si visiblement élevés contre lui* ; et il se peut
dire que l'Église a trouvé dans votre personne tout ce qu'elle
pouvait désirer pour la défense des vérités qui étaient si for-
tement attaquées. C'est un devoir duquel la Providence vous
avait chargé, et dont vous vous êtes acquitté avec tout le
succès et la bénédiction que l'on pouvait s'en promettre. La
bénédiction s'en conservera jusqu'à la fin des siècles; et votre
nom sera en vénération, jusqu'à ce qu'il plaise à Dieu de
couronner votre œuvre et d'y mettre la dernière main.
Vous voulez bien. Monseigneur, que je me jette à vos
pieds pour vous demander et pour recevoir votre sainte béné-
diction, et pour vous prior de vous employer auprès de Noire-
Seigneur afin de m'obtcnir toute la soumission et la résigna-
tion dont j'ai besoin pour soutenir les maux et les infirmités
différentes dont il lui plaît que je sois attaqué 2, d'une
manière digne de ma profession. Je n'ai point de parole pour
Lettre 2010. — i. Les protestants et les quiétistes.
2. Voir le P. Marie-Léon Serrant, L'Abbé de Rancé et Bossuet,
Paris, igoS, p. 578.
juîn 1700] DE BOSSUET. 267
vous exprimer^ Monseigneur, avec combien d'attachement,
de reconnaissance et de respect je suis, etc.
Fr. Armand-Jean, anc. abbé de la Trappe.
Nous avons vu ici depuis deux jours, Monseigneur, un
gentilhomme de Danemark' qui vous a bien de l'obligation.
Non seulement vous lui avez fait connaître la vérité de la
religion qu'il ignorait ; mais vous lui avez donné des prin-
cipes et des sentiments de piété qui produiront leur fruit
dans leur temps, et qui le tireront d'une vie commune pour
lui en faire embrasser une toute chrétienne ; cela m'a paru
par ses discours, et je l'ai trouvé bien digne de la protection
que vous lui avez promise.
201 1. — A Alphonse de Valbelle.
A Saint-Germain-en-Laye, 20 juin 1700.
Vous aurez su, Monseigneur, par M. l'archevêque
de Paris la réponse qu'il a reçue sur la proposition
d'intéresser l'Assemblée à votre affaire contre le par-
lement de TournayV Ainsi je n'aurai rien à vous
3. Ce visiteur danois n'était pas {jentilliomme ; c'était Jacques-
Bénigne Winslow, de qui il a été parlé, p. 100. Winslow a raconté les
circonstances de son voyage à la Trappe, entreprise de compagnie avec
M. Mathon, secrétaire du Roi, et un ecclésiastique de Lyon, nommé
M. Bigot. « En ayant parlé à M. de Meaux, il me donna une lettre
pour M. Bouthillier de Rancé, abbé de la Trappe, en partie pour me
recommander en cas de besoin au Grand duc de Toscane, avec qui
l'abbé avait grande liaison. J'y fus pendant quelques jours, et eus
une conversation particulière avec l'abbé dans l'infirmerie, où il était
dans des souffrances extrêmes, d'un bras qui me parut presque de la
grosseur de mon corps, et nonobstant cela montrait un visage serein »
(Cité par Ch. Urbain, Un prosélyte de Bossuet, J. B. Winslow, dans
la Revue du clergé français du i5 septembre 190a, p. 128).
Lettre 20il. — L. a. s. Inédite. Collection E. Levesque.
I. Le parlement de Tournay voulait maintenir en fonctions des
officiaux destitués par leurs évêques.
268 CORRESPONDANCE [juin 1700
dire sur ce sujet-là, pas même à vous marquer les
bonnes intentions de ce prélat, qui vous sont con-
nues. Je vous puis aussi assurer que M. 1 arche-
vêque de Reims est dans les mêmes dispositions.
Nous croyons tous trois, Monseigneur, que cette
tentative ne sera pas inutile et aura rendu le Roi
plus attentif à nous faire justice sur des entreprises
si criantes ^ Nous ne laisserons pas, et moi en par-
ticulier, de chercher tous les moyens d'en faire
entendre l'excès. C'est tout ce que nous pouvons
promettre, en vous conjurant de ma part de faire tou-
jours, à votre ordinaire, avec grand courage ce que
demande le bien de l'Eglise. Je me réjouis, en atten-
dant, que votre affaire particulière ait bien réussi,
et en toutes choses je suis avec respect et sincérité
dans vos intérêts. Vous me ferez beaucoup de plaisir
de continuer à me donner part de ce qui arrivera en
cette grande affaire de l'Eglise, oiije crois qu'il ne
sera pas inutile qu'elle se pousse de votre part pen-
dant l'assemblée.
Je suis, comme vous savez, Monseigneur, votre
très humble et très obéissant serviteur,
J. Bénigne, é. de Meaux.
Au bas : Mgr de Saint-Omer.
3. Le 17 août 1700, faisant droit aux réclamations de l'assemblée
du Clergé, Louis XIV rendit une déclaration favorable à la juridiction
épiscopale (Dans le procès-verbal de l'assemblée de 1700, p. 585 et
586; ibid., p. 756, arrêt du Conseil cassant celui du parlement da
Tournay sur l'évêque d'Ypres),
iuln 1700J DE BOSSUET. 269
2012. — Lamoignon de Basville a Bossuet.
Juin 1700.
J'ai bien des remercîments, Monsieur, à vous faire de la
lettre pastorale^ que vous avez eu la bonté de m'envoyer. Je
l'ai lue avec la même admiration dont j'ai été rempli en
lisant vos autres ouvrages. Je l'ai trouvée si belle, que j'ai
mandé au sieur Anisson, à Lyon, de m'en envoyer cent
exemplaires, pour les distribuer aux nouveaux convertis de
cette province. Il est plus temps que jamais de leur donner
une pareille nourriture. Ils viennent presque tous à l'église;
plusieurs demandent et reçoivent les sacrements sans aucun
mouvement de contrainte ; enfin la moisson se prépare, et
c'est à présent que les bons ouvriers et les ouvrages excellents
comme les vôtres nous sont très nécessaires.
Je n'ai rien tant souhaité que d'avoir une conférence d'une
heure avec vous, sur la manière de conduire ces affaires
importantes. J'ai toujours cru que, si on s'entendait bien, il
ne pourrait y avoir deux avis. Il est très certain que les voies
douces sont les meilleures : qui peut dire le contraire en
matière de religion ? Mais la question est que ces voies soient
en même temps douces et efficaces, et qu'on ne laisse pas
retomber les nouveaux convertis dans un relâchement où les
préjugés de leur naissance les attirent toujours, ce qu'ils font
avec d'autant plus de facilité, que les pratiques de notre reli-
gion leur paraissent plus difficiles que celles de la prétendue
réformée. Il faut les mettre sur le pied de s'instruire et
d'écouter la parole de Dieu, sans quoi ils ne seront jamais
bons catholiques. Il y a dans tout cela une première glace à
rompre, qui arrête et qui empêche tous les progrès^, si la
puissance temporelle ne vient un peu au secours de la spiri-
Lettre 2012: — i. Sur les promesses faites à l'Église.
2. Deforis avait d'abord imprimé : les progrès, et cette leçon a été
adoptée par ses successeurs ; mais, dans son errata, il a corrigé et a
mis: ses progrès, ce qui donue un sens moins satisfaisant.
270 CORRESPONDANCE [juin 1700
tuelle. La première doit se contenir dans les bornes qui lui
sont prescrites ; et il me semble qu'il est facile de pratiquer
cette conduite d'une manière très utile, et qui peut être très
sage et très modérée. On met souvent le fait, en parlant sur
ce sujet, autrement qu'il ne devrait être : on ne parle que de
moyens violents ou de voies douces, comme s'il n'y avait pas
un milieu entre-deux. Toute violence est blâmable ; mais il y
a une certaine fermeté qui doit accompagner l'instruction, et
qui fait que l'on en profite. C'est ce que l'expérience fait
connaître, et c'est en quoi le concours des deux puissances est
si utile.
J'aurais bien souhaité pouvoir réformer mes faibles idées
sur les vôtres, et apprendre d'un aussi grand maître ce que je
devais faire pour remplir ma vocation, en pratiquant cette
règle si sage en toutes choses : Ne quid nimis. Mais il fallait,
pour jouir de ce plaisir, avoir un congé de trois mois, et je
n'ai pu l'obtenir depuis dix-huit ans ^ Je vous demande au
3. Basville avait formé le projet de se rendre à Paris; mais ce pro-
jet avait été vu d'un mauvais œil à la Cour, et le P. de La Rue avait
été chargé de l'en dissuader. « Pour ce qui regarde M. de Basville
et le désir qu'il a eu de faire un tour à Paris, écrit le célèbre jésuite,
j'ai tâché d'entrer dans ses pensées depuis quatre jours que je
suis arrivé à Montpellier. Elles sont telles que vous le pouvez
souhaiter pour le service du Roi et pour votre propre satisfaction.
Il n'a cru rien faire qui pût déplaire le moins du monde, lorsque,
après dix-huit ans de séjour dans ces provinces, il a demandé cette
permission dans des conjonctures où il avait lieu de présumer que
la tranquillité des esprits ne serait point altérée par deux ou trois
mois d'absence. Le motif de sou voyage était moins de mettre ordre
à ses affaires domestiques, qui ont cependant un très grand besoin de
ses soins, que de tâcher de contribuer à mettre un ordre fixe aux
affaires delà religion, par les conférences qu'il aurait eues avec les
personnes qui eu ont la principale direction. Ce serait le moyen de
terminer efficacement bien des difficultés, que l'on ne peut traiter
que faiblement par les lettres et les mémoires. Vous y ferez, dans
l'occasion, l'attention que vous jugerez à propos. Du reste, son inter/
tion n'a jamais été de se ralentir dans nulle partie de son devoir, ni
de se prévaloir, lorsqu'il serait à Paris, de ses incommodités pour
n'être plus renvoyé dans la province. L'honneur de servir lui tiendra
Heu de repos et de santé, tant que ses services pourront être agréables
juin 1700] DE BOSSUET. 271
moins qu'une si longue absence ne me fasse pas perdre l'hon-
neur de votre souvenir, et de me croire toujours avec beau-
coup de respect et un attachement très sincère, etc.
De Lamoignon de Basville.
201 3. — A Antoine de Noailles.
fV^ersailles, 28 juin 1700.]
C'est avec une joie inexplicable, mon très cher
Seigneur, que je viens avec un respect sincère saluer
V. É. Votre promotion fera la joie de toute l'Égiise,
comme elle en fera un soutien. La vérité, Monsei-
gneur, devient de plus en plus forte sous un si puis-
sant appui ^ : je me trouve par là plus courageux, et
plus que jamais plein d'espérance. Dieu veut faire
pour son Église quelque chose de grand, puisqu'il
vous élève. Je suis heureux d'avoir à travailler spé-
(.\ Cliamillart, dans la Correspondance des Contrôleurs généraux,
édil. de Boislisle, t. II, p. 56).
Lettre 2013. — L. a. s. Collection Henri de Rothschild. Cette
lettre de félicitation, adressée à Noailles promu cardinal le 21 juin
1700, fut écrite de Versailles, lorsque, en y arrivant le lundi soir
28 juin, Bossuet apprit la nouvelle de cette promotion (Ledieu
t. II, p. 61 et 65).
I. Un jour qu'il était mécontent des prélats qui dirigeaient les
discussions dans l'assemblée du Clergé, et qui, suivant lui, voulaient
« faire claquer leur fouet », Quesnel écrivit : « Il faut les attendre et
les bien battre s'ils font les sots ; mais il n'y a guère d'apparence que
ces messieurs-là veuillent remuer le bout du doigt pour rien qui
déplaise au Pape. L'un (Noailles)- a la pourpre, l'autre l'attend, un
troisième la désire. C'est maintenant à M. de Reims et à M. de Meaux
à tirer au court bâton » (Lettre du 17 juillet 1700, dans la Corres-
pondance de Quesnel, t. II, p. 97). Mais ni Bossuet, ni Le Tellier ne
devaient recevoir la pourpre.
2^2 CORRESPONDANCE [juiU. 1700
cialement sous vos ordres, et rien n'égalera jamais
le respect et l'attachement que j'ai pour V. E.
J. Bénigne, é. de Meaux.
201 4- — L'Abbé d'Ambez a Bossuet.
[Juillet 1700.]
Monseigneur, l'assemblée du Clergé a donc formé le des-
sein d'examiner cette proposition : Le jansénisme est an fan-
tôme. Toutes les personnes judicieuses sont étonnées que l'on
veuille renouveler des disputes et des contestations en met-
tant une semblable matière en question. Les gens de bien
sont effrayés d'une pareille entreprise, qui n'est propre qu'à
mettre le feu dans l'Église, et les jésuites commencent à
Lettre 2014. —Inédite. Bibliothèque Nationale, fr. 15796, fos 355
et suiv. Copie. Mentionnée dans le P. Qaesnel séditieux et hérétique,
Bruxelles, 1705, in-12. Un extrait se trouve dans le ms. fr. 177^8,
avec l'indication suivante : « Cette lettre a été reconnue par le sieur
Yuillart comme étant de l'abbé Couet. » — D'Ambez ou Dambez est
le pseudonyme qui, dans les documents jansénistes, désigne l'abbé
Couet, personnage qui reparaîtra plus tard sous son vrai nom (lettre du
g juin 1703). Sur la proposition de Bossuet et malgré l'opposition des
prélats partisans des jésuites, l'assemblée du Clergé, réunie à Saint-
Germain en 1700, avait décidé de ne pas se borner comme d'ordinaire
à examiner des questions financières, mais d'aborder un certain nombre
de points de doctrine et de morale : d'où la condamnation de quatre
propositions extraites d'écrits jansénistes, de deux entachées de semi-
pélagianisme et de cent vingt et une autres tirées des casuistes. Dès
qu'ils apprirent que VAugastiniana Ecclesix romanse doctrina avait été
dénoncée à l'Assemblée, les jansénistes furent alarmés, et, dans les
premiers jours de juillet, ils adressèrent à Bossuet cette longue lettre
anonyme, dans laquelle il y a, dit Ledieu, plusieurs choses person-
nelles qui n'ont servi qu'à exciter davantage le zèle du prélat contre
la proposition traitant de fantôme le jansénisme, « et qui l'ont fait
parler avec tant de force dans son rapport sur cette matière pour
faire voir combien il avait raison de censurer cette proposition..^»
(Ledieu, Journal, t. II, p. 56 à 61, et Clé de la Censure, fr. i38o8).
— Sur le « fantôme du jansénisme », on peut voir les Provinciales
XVII et XVIII.
juin. 1700] . DE BOSSUET. 278
triompher parce qu'ils espèrent que vous allez publier une
censure favorable à leurs intentions et à leurs passions. On
ne vous dissimulera point, Monseigneur, que l'on vous
regarde dans le public comme l'unique auteur de cette réso-
lution. Vous vous êtes expliqué sur cette matière avec tant
de chaleur, et Mgr le Président*, qui a une déférence
aveugle pour vos sentiments, a paru si occupé du fantôme du
jansénisme que l'on ne doute point que ce dessein ne soit
venu de vous^.
Vous n'ignorez pas, Monseigneur, les jugements que le
monde, toujours critique et malin, a formés sur votre
conduite dans cette occasion. Il a cru que l'envie de flatter
les préventions de la Cour et de déclamer contre des per-
sonnes qu'il est à la mode de persécuter depuis si longtemps,
était le principal ressort qui vous avait mis en mouvement ^
Les théologiens qui se donnent l'honneur de vous écrire ont
trop de respect pour votre personne, pour vous imputer des
motifs si indignes d'un évêque et d'un chrétien ; ils aiment
mieux croire que vos anciennes préventions contre les pré-
tendus jansénistes, et les instructions de M. Cornet*, les-
1. L'archevêque de Reims. C'est dans la s(^ance du 26 juin, que ce
prélat dénonça VAugustiniana Ecclesiœ romanœ doctrina.
2. Sur la part prépondérante prise par Bossuet dans les questions
de dogme et de morale, et sur son opinion toucliant l'archevêque de
Reims, voyez Ledieu, t. II, p. 76.
3. On recommençait dans le public à parler du cardinalat de Bos-
suet (Cf. Ledieu, p. 66, et Quesnel, Correspondance, t. II, p. 97).
4. Nicolas Cornet, né à Amiens le 12 octobre 1692, était fils
d'Anne Rabâche et de Jacques Cornet, seigneur d'Hunal et autres
lieux, et premier échevin d'Amiens. Docteur de la maison et société
de Navarre, dont il fut grand maître (i635-i6/i3 et i65i-i663), il
dirigea les études de Bossuet dans cet établissement. En qualité de
syndic de la Faculté de théologie, il poursuivit la censure des fa-
meuses propositions où il avait résumé la doctrine de VAuçjUsUnus.
Il refusa l'archevêché de Bourges et mourut au collège de Boncourt
le 18 avril i663. Bossuet prononça son- oraison funèbre le 27 juin
suivant. On a dit que Nicolas Cornet était entré dans la Com-
pagnie de Jésus et en était bientôt sorti pour raison de santé ; mais
on a dû le confondre avec son frère cadet, Michel Cornet, qui
XII - 18
27/4 CORRESPONDANCE [julll. 1700
quelles ne sont pas encore effacées de votre esprit, sont véri-
tablement ce qui vous a inspiré tant de vivacité pour réaliser
le vain fantôme du jansénisme. Mais le zèle que ces théolo-
giens ont pour la vérité, pour la paix de l'Église et pour votre
propre réputation ne leur permet pas de garder le silence
dans une conjoncture si importante. Ils s'adressent à vous,
Monseigneur, pour vous demander justice et pour vous
conjurer de prévenir des maux dont toute l'Église vous ren-
dra responsable, et ils espèrent de votre amour pour la vérité
que vous voudrez bien lire avec attention les réflexions qu'ils
vont avoir l'honneur de vous proposer.
Cette proposition : Le jansénisme est un fantôme est suscep-
tible de trois sens différents. Elle peut signifier, en premier
lieu, que les Cinq propositions attribuées par les papes à Jan-
sénius^ n'étaient pas de véritables erreurs. 2° Elle peut
signifier qu'il n'y a jamais eu de secte composée de personnes
qui soutinssent les cinq propositions condamnées par l'Église.
3» On peut entendre par là que ceux qui croient pouvoir dis-
tinguer le fait et le droit ne sont pas hérétiques.
On vous supplie de remarquer. Monseigneur, qu'il serait
tout à fait indigne de votre assemblée de condamner une
proposition susceptible de trois sens différents, sans définir
mourut au noviciat des jésuites en 1629, à l'âge de vingt-deux ans
(Voir Ant. Arnauld, Considérations sur l'entreprise faite par M, Cornet;
II. Dumas, Histoire des Cinq propositions ; l'Oraison funèbre de N.
Cornet, dans l'édition donnée par son neveu, Cli.-Fr. Cornet, sei-
gneur de Coupel, Amsterdam, 1698, in-8, et dans les Œuvres ora-
toires de Bossuet, édition Le barq revue par Cli. Urbain et E. Le-
vesque, t. IV; Bibl. Nationale, ms. fr. 22841 ; Jacques de Bertinière,
Planctus regiœ Navarrx in obitu cl. viri DD. Nicolai Cornet; les
Mémoires de Rapin et de God. Hermant, etc.).
5. Dans son ouvrage intitulé : Augustinus seu doctrina sancti Augu-
stini de hamanœ nalurss sanctilate, œgritudine, medicina, adversus
Pelagianos et Massilienses (Louvain, i64o, in-fol.). Nicolas Cornet
fit censurer cinq propositions erronées touchant la grâce et le libre
arbitre, qui furent le sujet de la longue querelle du jansénisme, les
uns affirmant qu'elles résumaient la doctrine de Jansénius j( et les
autres n'en voulant pas convenir. Il a été parlé de Cornélius Jansénius
dans uotrc tome V, p. ^07 et 44u.
juin. 1700J DE BOSSUET. 276
dans quel sens vous la condamnez. Ce serait de propos déli-
béré tendre un piège aux simples, qui pourraient abuser par
ignorance de votre condamnation, et ce serait en même
temps fournir à toutes les personnes malintentionnées un
prétexte pour se servir de votre censure contre la vérité. Rien
ne serait donc plus pernicieux à l'Église et plus contraire au
devoir de ceux que Dieu a chargés de nous instruire, que de
censurer d'une manière vague et indéterminée une proposi-
tion qui peut être expliquée en tant de manières différentes.
Cela supposé, si votre dessein, en déclarant que le jansé-
nisme n'est point un fantôme, est simplement de décider que
les Cinq propositions ont été justement condamnées, expli-
quez-vous nettement, et vous ne trouverez point de contra-
diction : quiconque dirait le contraire mériterait toutes les
censures de l'Église, et l'on ose vous assurer avec confiance
qu'il n'y a point de théologien attaché à la doctrine de saint
Augustin qui ne reconnaisse que les Cinq propositions sont
cinq dogmes impies, justement frappés d'anathème.
Mais ce n'est pas assurément ce qu'a voulu dire l'auteur
de la préface du livre dédié au Clergé^, quand il a marqué
si positivement que le jansénisme était un fantôme ; ce n'est
point l'idée que cette proposition porte naturellement dans
l'esprit, et il est fort à craindre. Monseigneur, que ce ne soit
pas aussi le sens que vous y avez attaché en proposant de la
condamner.
Or, l'on soutient hautement que, si vous entendez cette
proposition selon la seconde ou la troisième interprétation,
vous ne sauriez la condamner sans déshonorer votre assem-
blée et sans vous déshonorer vous-même. C'est ce qu'il est
facile de vous démontrer.
6. Le livre dénoncé par rarchevèque de Reims ; i! était intitulé :
Augijstiniana Ecclesiœ romaine doctrina a Cardiiialis SJ'ondiuti Nodo
extricata per varias sancti Augustini dlscipulos, Cologne, 1700, in-13.
Cf. le Journal de Ledieu, t. II, p. 56 et 91 ; la Correspondance de
Qaesnel, t. II, p. 94 et gS. L'auteur principal de ce recueil serait
Quesnel, d'après Hurter, Nomenelator literarius, t. IV, col. 889.
276 CORRESPONDANCE [julU. 1700
Pour commencer par le second sens, oseriez-vous donci
soutenir, Monseigneur, qu'il y ait jamais eu ou qu'il y a
encore une secte d'hérétiques cachés dans le sein de l'Église
et qui soutiennent les cinq erreurs condamnées par les
papes ? S'il y avait une semblable secte, pourquoi êtes-vous
demeuré si longtemps dans le silence ? Où est votre zèle pour
les intérêts de l'Église ? Et ne deviez-vous pas poursuivre ces
hérétiques avec la même vivacité que vous avez marquée
contre les quiétistes et les calvinistes ?
Mais que pourrez-vous répondre, Monseigneur, à ceux qui
vous reprocheront que, non seulement vous êtes demeuré en
communion avec ces prétendus sectaires, mais même que
vous avez honoré en plusieurs occasions de toutes sortes de
marques de votre estime ceux qui auraient dû être regardés
comme les chefs de la secte ?
Vous avez bien voulu, Monseigneur, approuver avec de
grands éloges plusieurs livres de M. Arnauld et de M. Nicole '.
La foi de ces savants hommes vous a paru si pure que vous
avez bien voulu soumettre à leur jugement les ouvrages qui
vous ont fait le plus de réputation. L'on sait que le livre de
V Exposition de la foi n'a paru qu'après avoir été vu, examiné,
corrigé et approuvé par le célèbre M. Arnauld*. Vous vous
7. Des ouvrages publiés contre les protestants, comme la Perpé-
tuité de /a /oj (1669-1674) ; Préjugés légitimes contre les calvinistes ;
Réponse générale au nouveau livre du sieur Claude ; le Renversement de
la morale de Jésus-Christ par les erreurs des calvinistes touchant la
justification (1671). Cf. t. I, p. 226, et p. 5o8 à 5io.
8. Antoine Arnauld, dit le grand Arnauld, né à Paris le 6 février
i6i3, était le vingtième enfant de l'avocat Antoine Arnauld e( de
Catherine Marion. Docteur en iQl\i, il ne fut, malgré son talent,
reçu qu'en i6ii3 de la maison et société de Sorbonne, et cela p;ii
suite de l'opposition de Richelieu. Par l'étendue de ses connaissances
comme par l'inflexibilité de son caractère, par les causes qu'il défen-
dit et les polémiques qu'il soutint, soit contre les jésuites, soit contre
les protestants, par les orages qu'il souleva, par les écrits qu'il com-
posa ou qu'il provoqua, il se fit une place à part dans l'iiistoire reli-
gieuse de son siècle et donna une force considérable au parti jansé-
niste. Censuré par la Faculté de théologie en i656, il vécu 'caché
jusqu'à la paix de Clément IX, en 16B8; et même, en 167g, ne se
juin. 1700] .DE BOSSUET. 277
faisiez quelquefois un plaisir de vous dérober à vos grandes
occupations pour venir conférer avec M. Nicole sur les plus
beaux ouvrages que vous méditiez pour la défense de l'Église;
l'on a des preuves que, depuis sa mort, vous avez dit que
c'était un rempart pour la religion, soit dans la doctrine,
soit dans la morale^. Cependant, si le jansénisme n'est point
un fantôme, c'est sur ces hommes, dont la mémoire est en
bénédiction dans l'Eglise, que la note d'hérésie tombera
infailliblement, et l'on sera en droit de vous faire ce reproche
outrageant, que vous avez été, Monseigneur, un approbateur
et un fauteur d'hérétiques.
Mais peut-être que, depuis la mort de ces deux grands et
saints hommes, vous avez eu de bonnes raisons pour
reprendre vos anciens préjugés et pour vous persuader que
le jansénisme n'est pas un fantôme ? Je le veux croire. Je me
persuade donc, Monseigneur, que vous avez dans l'esprit des
pensées et des raisonnements qui vous en convainquent, et
il ne me sera pas difficile de les savoir, puisqu'il y a plus de
quinze ans qu'il a paru un livre de M. Arnauld avec ce titre :
croyant plus en sûreté en France, il se retira à l'étranger. Il mourut
à Bruxelles le 8 août 169/i, âgé de quatre-vingt-deux ans. Ses
ouvrages les plus fameux sont : De la fréquente communion, Paris,
1643, in-4 ; Lettre d'un docteur de Sorbonne à une personne de condi-
tion ei Seconde lettre de M. Arnauld à un duc et pair, Paris, i6d5,
in-l\ ; Grammaire générale (en collaboration avec Lancelot), Paris,
1660, in-i2 ; La Logique ou l'Art de penser (en collaboration avec iSi-
cole), Paris, 1662, in-12; Défense de la traduction du Nouveau Testa-
ment imprimée àMons, s. 1. n. d. (1667), in-4,et Cologne, 1668, in-12 ;
La Morale pratique des jésuites, Cologne, 1669-1685,8 vol. in-12;
Lettres, Nancy, 1727, 10 vol. in 12. L'ensemble de ses écrits forme
43 vol. in-4 (Paris et Lausanne, 1775-1788), non compris le grand
ouvrage de la Perpétuité de la foi de l'Église catholique touchant
l'Eucharistie (Paris, 1667-1674, 3 vol. in-/i), auquel Nicole a colla-
boré. La Vie d'Arnauld, due à Noël de Larrière, a été imprimée,
Paris-Lausanne, 1782-1783, 2 vol. in-12 ou i vol in-^. — Voir
notre t. II, p. 270.
g. « Je finis, avait écrit Bossuet à Nicole, ...en priant Dieu qu'il
vous conserve pour soutenir la cause de son Eglise, dont vos ouvrages
me paraissent un arsenal » (Lettre du 7 décembre 1691, t. IV,
p. 374).
278 CORRESPONDANCE [juill. 1700
Phantome du jansénisme^'*, où il a recueilli avec soin tout ce
qui s'est dit et tout ce qui pouvait être dit de plus plausible
pour appuyer cette vaine illusion.
C'était à ce livre, Monseigneur, qu'il fallait tâcher de don-
ner quelque atteinte par une réponse solide, afin de persua-
der que le jansénisme est une secte réelle, au lieu de s'atta-
cher à ce qui n'a été mis qu'incidemment dans une préface
toute composée à la gloire du clergé de France et pour la
justification des évêques dénonciateurs du sfondratisme.
Vous pouvez vous souvenir. Monseigneur, que feu
M. d'Angers" écrivit en i664 une lettre à M. de Péré-
10. Phantasme du Jansénisme, ou justification des prétendus jansé-
nistes par le livre mesme d'un Savoiard, docteur de Sorbonne, de leur
nouvel accusateur, intitulé : « Les Préjugez légitimes contre le Jansé-
nisme^^, Cologne, 1686, in-8. — Nous avons noté, t. V, p. 4l3-4i4,
les sentiments de Bossuet sur Arnauld.
11. Henri Arnauld, d';ibord dit Arnauld de Trie, était frère du
grand Arnauld, dont il suivit généralement les directions, quoiqu'il
fût son aîné de quinze ans. Né en 1697 et d'abord destiné au barreau,
il embrassa l'état ecclésiastique, fit à Rome un premier séjour de
cinq années et reçut l'abbaye de Saint-Nicolas d'Angers, dont il
porta le nom jusqu'à son épiscopat. Il fut ensuite chanoine, archi-
diacre et doyen du chapitre de Toul, et fut même élu évêque de cette
ville en 1687, mais des conflits d'autorité rendirent vaine cette élection.
Envoyé à Rome en qualité d'ambassadeur extraordinaire en i645, il
réussit dans sa mission, et fut ensuite placé (1649) ^ '» tète du dio-
cèse d'Angers, qu'il gouverna, avec zèle et édification, pendant qua-
rante-deux ans. Il mourut le 8 juin 169a, âgé de quatre-vingt-quinze
ans. Il fut mêlé aux querelles du jansénisme et fut l'un des quatre
prélats qui négocièrent la paix de l'Église (1668). Ses papiers sont
conservés à la Bibliothèque de l'Arsenal, ms. 6o34 à 6^00, passim.
On a publié les Négociations à la cour de Rome et en différentes cours
d'Italie, de Messire Henri Arnauld. abbé de Saint-Nicolas, depuis
évêque d'Angers, Paris, 1768, 5 vol. in-12 (Parmi les différents
ouvrages relatifs à l'histoire du jansénisme, voir spécialement les
Mémoires de l'abbé Antoine Arnauld d'Andilly, Amsterdam, 1766,
3 vol. in-8, de G. Hermant, de Rapin et de Lancelot ; Besoigne,
Vies des quatre évêques engagés dans la cause de Port-Royal,
Cologne, 1756, 2 vol. in-8 ; le P. de Bonrecueil, Éloge de M. 'fvêque
d'Angers, dans les Mémoires du P. Desmolets, t. III, 3* psrtie ;
Besoigne, Vie de Henri Arnauld, édit. Guettée, Angers, i863, in-8;
juill. 1700] DE BOSSUET. 279
fixe *- qui venait d'être nommé à l'archevêché de Paris, pour le
porter à apaiser les troubles qui s'étaient excites sur le sujet
des Cinq propositions ; il lui représenta dans cette première
lettre*^ que c'étaitsans aucun fondement qu'on avait prévenu
le Roi qu'il y avait une nouvelle secte d'hérétiques très per-
nicieuse à l'Église et à l'État.
La réponse que fit M. de Péréfixe** contient vos meilleures
raisons, Monseigneur, et il y a apparence qu'elle ne vous est
pas inconnue, puisque le bruit courut alors que, pour rendre
service à M. de Péréfixe qui était très occupé, vous aviez bien
voulu prêter votre ministère à ce prélat pour répondre à
M. d'Angers. Voici donc. Monseigneur, votre style et vos
pensées.
« On ne peut ôter au chef de l'Eglise et à toas les évêqaes le
pouvoir de condamner un auteur. Deux papes ont déclaré par
des constitutions reçues dans toute l'Église qu'il y a des erreurs
contenues dans les Cinq propositions et qu'elles sont effective-
Ant. Arnauld, Œuvres; François Grandet, ancien maire d'Angers,
Mémoire sur la vie de H. Arnauld. évêqiie d'Angers, ms. 1777, à la
Bibliothèque de la ville d'Angers, publié dans VAnjou historique,
1900-1901 ; une Vie de H. Arnauld, par Guy Arthaud, publiée éga-
lement dans l'Anjou historique, année igo2 ; un éloge funèbre,
fr. loSga ; P. Varin, la Vérité sur les Arnauld, Paris, 1847, ^ ^<''-
in-8; Sainte-Beuve, Port-Royal; Bordillon, Henri Arnauld, défense
de sa mémoire et de son tombeau contre l'abbé Pletteau et autres héri-
tiers et ayants cause du P. jésuite Brisacier, Angers, 1862, in-8 ;
Bougler, Sur la polémique qui s'est élevée à l'occasion de Henri Arnauld,
Angers, i863, in-8; Célestin Port, Dict. hist., géog. et biographique
de Maine-et-Loire, Angers, 1878, in-8, t. I, p. 187-139, et nos
t. I, p. 126, et III, p. 68).
12. Hardouin de Beaumont de Péréfixe (1605-1670), précepteur
de Louis XIV, puis évêque de Rodez en i648, et archevêque de
Paris en 1662. Il se signala par son zèle contre le jansénisme. On a
de lui une médiocre Vie de Henri IV, Paris, 1661, in-4. Il était entré
à l'Académie française en i654.
i3. Lettre de Monseigneur l'évêque d'Angers à Monseigneur l'arche-
vêque de Paris (12 avril 166A). S. 1". n. d., in-4 (Bibliothèque Natio-
nale, Ld^ 371).
i4. Elle n'a pas dû être imprimée.
28o CORRESPONDANCE [juiU. 1700
ment de Jansénius. Voilà donc, Monseigneur, une véritable héri-
sie, quelque chose que vous me représentiez au contraire. »
Et voici ce que M. d'Angers lui (à Péréfixe) répondit sur
cela dans sa 2* lettre, qui est demeurée sans réplique :
« Souffrez, Monseigneur, que je vous dise que qui ne
lirait que votre lettre m'attribuerait une pensée dont je suis
très éloigné. Car il n'en pourrait juger autre chose, sinon
que j'ai nié que les hérésies des Cinq propositions fussent de
véritables hérésies, et que j'ai fait passer tout cela pour une
chimère. Au lieu qu'ayant toujours reconnu que les Cinq
propositions étaient hérétiques et justement condamnées, j'ai
soutenu seulement, comme je le soutiens encore, que c'est
une pure supposition de s'imaginer qu'il y ait dans le royaume
une nouvelle secte d'hérétiques, puisque, ceux qu'on accuse le
plus de cette nouvelle hérésie ayant donné des déclarations de
leurs sentiments très amples et très claires, qui ne laissent aucun
lieu aux personnes intelligentes et équitables de les soupçonner
de la moindre erreur sur les Cinq propositions, on ne peut plus
les inquiéter que sur un fait non révélé, qui, par le consentement
de tous les théologiens catholiques, ne saurait être une matière
dliérésie. Vous savez. Monseigneur, que je n'ai rien dit en
cela que ce que M. l'évêque d'Alet a écrit depuis peu au Roi
même. Voici les paroles de ce grand prélat : « La Déclara-
tion, Sire, présuppose qu'il y a une hérésie jansénienne dans
votre royaume, qui fait de grands progrès, qui est capable de
corrompre la foi et la religion de vos sujets, et de causer des
troubles dans votre Etat ; et néanmoins il n'y a rien de si vrai
que c'est une pure supposition, étant certain qu'il n'y a aucune
personne qui soit dans cette prétendue hérésie. Et si Votre
Majesté a peine à ajouter foi à ce que je lui assure positivement,
je la supplie, pour s'en persuader, de demander aux évêques de
son royaume s'ils ont trouvé plusieurs personnes infectées de
cette hérésie, et j'ose lui dire par avance qu'aucun évèque ne lui
rapportera qu'il en ait rencontré. » Vous pouvez voir la même
chose dans un livre intitulé Candor lilii^^, imprimé cette
i5. R. P. Jean Gasalas, O. P., Candor lilii, seu Ordo Frairum
juin. 1700] DE BOSSUET. 281
année même à Paris avec privilège et toutes sortes d'appro-
bations et qui est autorisé par tout l'Ordre de saint Domi-
nique, étant fait pour sa juste défense contre un libelle diffa-
matoire du P. Théophile Rainaud^^. Car ce jésuite leur
reprochant sans cesse le prétendu jansénisme, voici comme
ils en parlent en la p. i35. « Je ne sais ce que vous voulez dire
par les jansénistes. Car, ou vous voulez marquer par là les
défenseurs des cinq propositions condamnées, qui ne sont soute-
nues par personne et qui sont rejetées de tout le monde comme
Prœdicatorum a calamniis et contumeliis Pétri a Valle-Clausa vindica-
tus, Paris, i664, in-8, écrit mis à l'Index, le 17 novembre de la
même année. Cf. J.-J. Percin, Monumenta conventus Tolosani. Ordinis
Prœdicatorum, Toulouse, 1698, in-fol., p. i65 ; Quétif et Échard,
Scriptores Ordinis Prxdicatorum, t. II, p. 6l4 et 6i5j Arnauld,
Œuvres, t. I, p. 287.
16. De immunitate auctorum Cyriacorum a censura, Diatribœ Pétri a
Valle Clausa, sacrx theologise doctoris, s. I. n. d., in-8. Cet écrit fut mis
à l'Index; il fut aussi condamné au feu par les Parlements d'Aix et de
Toulouse (cf. Ilermant, Mémoires, t. VI, p. Ii3). Il a été inséré dans
le Candor lilii et dans le recueil Apopompseus, 1669, in-fol. — Théo-
phile Raynaud était né le i5 novembre 1687, suivant le P. Sommer-
vogel, le 7 décembre i585, d'après le P. Hamy, et d'après lui-même
à la fin de i583, à Sospello, dans le comté de Nice. Entré en 1602,
dans la Compagnie de Jésus, il passa la plus grande partie de son exis-
tence à Lyon, où il enseigna la philosophie et la théologie, et où il
mourut le 3i octobre i663, à la suite d'une attaque d'apoplexie. C'était
l'un des hommes les plus savants de son temps; mais sa science n'allait
pas sans quelque bizarrerie, et son caractère difficile lui attira des
ennuis même dans sa Compagnie. La plupart de ses nombreux écrits,
dont beaucoup furent signés de différents pseudonymes, ont été
recueillis à Lyon, i665, 19 vol. in-fol. ; on en ajouta d'autres sous
le titre d'Apopompasus. Cracovie (Lyon), 1669, in-fol. Il soutint l'in-
faillibilité du Pape, attaqua les thomistes comme les jansénistes, et
n'épargna pas même Bollandus, son confrère. Plusieurs de ses écrits,
et entre autres presque tous ceux qui sont contenus dans V Apopompseus ,
ont été mis à l'Index (Article de Gallois dans le Journal des savants
du 1 4 mars 1667 ; Dictionnaire de Bayle, t. IV; Lettres de Gui Patin,
édit. Réveillé-Parise, Paris, i846, 3 vol. in-8 ; Monconys, Voyages,
Lyon, i665, 3 vol. in-4, tome II; Th. Raynaud, Syntagma de libris
propriis (^dans VApopompssus^ ; Ant. Arnauld, Œuvres, t. I, p. 387;
t. XXII, p. 175, 206 et 447 ; Lettre du prince de Conti au P. Des-
282 CORRESPONDAISCE [juiU. 1700
hérétiques, ou vous entendez les défenseurs de la grâce efficace
par elle-même, que les papes Innocent X et Alexandre VII ont
voulu être hors d'atteinte, comme il parait par le bref à l'Uni-
versité de Louvain^'', et pour ceux-là qui sont dans les senti-
ments de l'Ecole de saint Thomas, nous les reconnaissons pour
très orthodoxes et très catholiques. Si vous en entendez d'autres,
ce sont des hommes imaginaires que vous feignez. » Ainsi, Mon-
seigneur, vous voyez que, sans nier ce que tout le monde
avoue, qu'il y a de l'erreur dans les Cinq propositions, sans
contester au Pape et aux évêques le droit que tout le monde
reconnaît qu'ils ont de condamner les auteurs, et sans
remettre en doute, ce qui est indubitable, qu'ils ont con-
damné le livre de Jansénius comme contenant les hérésies
des Cinq propositions, on peut assurer que la créance, dont
on a prévenu le Roi, qu'il y a dans son royaume une nou-
velle secte d'hérétiques très pernicieuse à l'Église, est une
pure supposition, comme M. l'évêque d'Alet n'a point craint
de l'assurer au Roi même, et une pure fiction, comme l'a
écrit publiquement l'Ordre de saint Dominique. Et vous
jugez assez, Monseigneur, qu'il ne suffit pas, pour trouver
cette nouvelle secte d'hérétiques, d'alléguer qu'il y a plu-
sieurs personnes qui doutent si les Cinq propositions sont
champs, Cologne, 1689, p. 69 ; Baillet, Auteurs déguisés ; Mémoires
de G. Hermant ; le P. de Colonia, Histoire littéraire de la ville de
Lyon, Lyon, 1728, 3 vol. in-Zj, t. II; Pernetty, les Lyonnais dignes
de mémoire, Lyon, 1767, 3 vol. in-8 ; Collombet, les Historiens du
Lyonnais, Lyon, 1889-1844, 3 vol. in-8 ; le P. Prat, la Compagnie
de Jésus en France du temps du P. Coton, Lyon, 1876, iu-8, t. IV,
p. 180 et 877 ; le P. Sommervog^el, Bibliographie, t. YI ; Hurter,
Nomenclator, l. III, col. 978-98/i ; le P. A. Hamy, Chronologie de la
Compagnie de Jésus, Province de Lyon, Paris, 1900, in-8 ; Michault,
Mélanges, t. I).
17. On voit par le Candor lilii, p. i33, qu'il s'agit du bref
d'Alexandre VII, du 7 août 1660, aux professeurs de l'Université de
Louvain. On le trouve dans T. Ripolj, Ballarium ordinis FF. Prœ-
dicaterum, Rome, 1785, in-fol., t. VI, p. 196; cf. les Mémoires de
G. Hermant, t. IV, p. ^70 et 471 et VHistoire ecclésiastique du I
XF//« siècle (d'Ellies du Pin), t. II, p. 585 à 687. Le P. Rapin
n'a pas mentionné ce bref.
juill. 1700] . DE BOSSUET. 288
dans le livre de Jansénius et si les hérésies que l'Église y a
condamnées ont été enseignées par ce prélat. Cela pouvait
suffire dans l'esprit de ceux qu'on avait prévenus de l'opi-
nion fausse et erronée de l'inséparabililé du fait et du droit,
dont on s'est servi néanmoins durant sept ou huit ans pour
trouver ces hérétiques. Mais on ne peut nier, Monseigneur,
que vous n'ayez rendu un très grand service à l'Église en
détruisant ce fantôme, comme vous avez fait par votre
ordonnance, où vous avez séparé le droit d'avec le fait, en
déclarant qu'il n'y a que le droit qui puisse être matière de
foi divine, et que le fait ne peut être matière que de foi
humaine, ce que vous confirmez encore d'une manière plus
forte dans votre lettre, en m'assurant « que non seule ment ce n'a
jamais été votre sentiment que le fait pût être la matière d'an
article de foi, mais que vous connaissez assez par les principes
de la religion chrétienne que ce n'a jamais été le sentiment de
l'Église. » Or de cette vérité que vous avez si bien établie, il
s'ensuit nécessairement que tout le monde demeurant d'accord
du droit, et que n'y ayant de dispute que sur le fait, le bruit
qu'on a répandu partout et dont on a même prévenu Sa
Majesté, que la France est pleine de nouveaux hérétiques,
n'a aucun fondement solide. Car il est constant qu'il n'y a
d'hérétiques que ceux qui résistent à la foi divine, comme les
jésuites l'ont posé pour principe dans l'exposition de leur
thèse : Non sunt hœretici nisi qui fidei divinœ adversantur. Or
ceux qui ne contestent que sur un fait, qui selon vous-même
ne peut être matière de foi divine, ne résistent point à la foi
divine. On ne peut donc prendre pour sujet de là de les faire
passer pour hérétiques, et ce serait une hérésie de le faire
comme vous savez, Monseigneur, que M. l'évéque d'Alet l'a
représenté à Sa Majesté. Car, après l'avoir assurée qu'aucun
évêque ne lui rapportera qu'il ait trouvé dans son diocèse
plusieurs personnes infectées de la prétendue hérésie iansé-
nienne, il ajoute : « // pourra bien avoir trouvé des personnes
qui refusent de signer le formulaire dressé par l'assemblée du
Clergé et d'assurer à la face de toute l'Église par an acte aussi
authentique qu'est la profession de sa foi, qu'ils croient sincère-
284 CORRESPONDANCE [juiU. 1700
ment un point de fait, à savoir que cinq propositions hérétiques
sont dans le livre d'an évêque qui a toujours vécu et est mort
dans la communion de l'Église, parce quils estiment avoir évi-
dence du contraire oa des raisons solides pour le révoquer en
doute, ou bien parce que, n'en ayant aucune connaissance, ils
craignent d'agir contre leur conscience, de l'assurer par une
espèce de serment comme une chose certaine. Or, Sire, je sup-
plie V. M. de ne point trouver mauvaise ma liberté en l'assurant
que ce serait faire une hérésie dans l'Église que de soutenir que
ces personnes sont hérétiques, lesquelles d'ailleurs condamnent
ces cinq propositions et les hérésies qu'elles contiennent et que
les papes Innocent X et Alexandre VII y ont condamnées. »
Il n'y a rien à ajouter à cette preuve si achevée. M. de
PéréGxe n'avait garde d'y rien opposer. Il aurait fallu pour
cela qu'il se fût condamné lui-même et qu'il eût renoncé à
la gloire qu'il s'était acquise d'avoir été le premier des par-
tisans du Formulaire qui en eût ruiné les principaux fonde-
ments en détruisant l'inséparabilité du fait et du droit, sur
laquelle les jésuites avaient bâti la secte hérétique du jan-
sénisme. Il n'est donc pas étrange que, pendant plus de trois
ans qu'ont encore duré ces disputes jusques à la paix de
l'Église, il n'ait pu rien répliquer à la seconde lettre de
M. d'Angers, ni sur ce point-là, ni sur les autres qu'il a pu
prévoir qui feraient connaître à toute la postérité l'injustice
manifeste de sa conduite.
Mais si le témoignage de ces deux grands et saints prélats
vous était suspect, en voici, d'autres. Monseigneur, auxquels
il n'y a point de réplique.
Les évêques, au nombre de trente et un, qui reçurent à
Paris la constitution du Pape Innocent X, savaient sans
doute ce qui se passait en France, et s'il y avait des gens qui
soutinssent les Cinq propositions. Or, pour preuve qu'il n'y
avait personne qui ne reçût la constitution, voici ce que les
évêques écrivent dans une lettre circulaire qu'ils envoyèrent
à tous les autres évêques du royaume*^ : « Nous vous conju-
18. Extrait de la lettre circulaire écrite à tous les prélats du
juin. 1700] . DE BOSSUET. 286
rons encore d'empêcher que ceux qui annonceront la parole de
Dieu dans vos paroisses, sHls parlent de la condamnation de ces
propositions au peuple, aux lieux où cela pourrait être néces-
saire, le fassent de telle sorte que, de la censure des mauvais
dogmes, ils ne passent à aucunes invectives contre qui que ce
soit, puisque, par la grâce de Dieu, nous voyons qu'en cette
rencontre, tous disent la même chose et glorifient le Père
céleste d^une même bouche aussi bien que d'un même cœur. »
Tous les noms qui marquent quelque division entre les
fidèles doivent être supprimés, et quoiqu'il semble que ce ne
soit pas une chose de grande importance, toutefois, dans
l'esprit des simples, ces dénominations odieuses de parti
font un grand préjudice et à la doctrine et aux bonnes
mœurs.
M. Godeau*', évêque de Vence, savait sans doute ce qui
se passait en France, et il est hors de toute apparence qu'il
eût voulu, en écrivant au Pape et au Roi, avancer des faus-
setés dont il eût pu être convaincu très facilement. Cepen-
dant il écrivit en ces termes au pape Alexandre VII, le
9 août 1661 : « Certe in mea diœcesi, nullus est qui de Janse-
nii doctrina aliquid audierit, nec etiam in Gallia (ut Sanctilati
Vestrœ persuadetur) ulli sunt novi hasretici qui propositiones
damnalas défendant et schisma in Ecclesia faciant. Monstrum
fingitur quod debellent, et si partium nullum esset studium, pax
profandissima in Gallia regnaret^°. »
Le même évêque écrivit la même chose au Roi le i5 octobre
de la même année : « On fait accroire à V. M. que son
royaume est plein d'hérétiques qu'on nomme jansénistes.
royaume par les cardinaux, arcfaevèques, et évèques qui se sont trou-
vés à Paris le i5 juillet i653. Cette lettre est insérée dans la Rela-
tion des délibérations du clergé de France sur la constitution et sur le
bref de N. S. P. le pape Innocent X, p. 55, et 785 du Procès-verbal
de l'assemblée de i655 {Note du ms.).
19. Voir t. III, p. 188.
20. m. et Rev. Episcopi Venciensis epistola ad Alexandrum VII.
Pontiftcem maximum, de formulœ Jïdei subscriptione, s. 1. n. d. in-4
(I.d* 3ib), p. 2.
286 CORRESPONDANCE [juiU. 1700
Lorsque Luther et Calvin commencèrent à semer leurs erreurs
dans l'Europe, on ne cria pas plus contre eux et contre leurs
sectateurs qui se séparaient visiblement de l'Église, décriaient
sa doctrine, se moquaient de ses sacrements et profanaient
toutes les choses saintes. Si l'on veut décréditer quelqu'un
aupcès de V. M., ou l'exclure de quelque prétention, on lui
dit que c'est un janséniste. On diffame même de ce nom
ceux qui n'espèrent rien dans le monde et qui servent utile-
ment l'Église dans leurs fonctions, soit de vive voix, soit par
écrit, et, en les rendant suspects, on les rend inutiles. Les
vierges qui vivent dans leurs monastères comme dans des
tombeaux, ne peuvent pas même se défendre de cette calom-
nie. Mais, si V. M. voulait prendre la peine de s'informer où
sont ces hérétiques, qu'est-ce qu'ils croient et où ils font
leurs assemblées, elle reconnaîtrait bientôt que ce sont des
MONSTRES IMAGINAIRES, ct qu'il n'y a nulle nouvelle hérésie
dans son royaume, nulle séparation de l'Église... Sire, au
nom de Dieu, par qui vous régnez et pour qui vous voulez
régner, que V. M. se serve de ses lumières en cette grande
occasion, qu'elle éloigne un peu de son esprit cette chimère
dont on lui fait tant de peur ; qu'elle écoute sa modération
naturelle, qu'elle garde une oreille à ceux que l'on noircit
continuellement auprès d'elle comme hérétiques, et qu'elle
ne lâche pas la foudre sans considérer sur quelles têtes elle
doit tomber. »
Le même évêque encore, dans une autre lettre écrite au
Roi, au mois d'août 1662, s'exprime en ces termes : « Per-
sonne, Sire, ne soutient ces propositions condamnées... S'il plaît
à V. M. se donner la peine de considérer cette affaire, elle
reconnaîtra qail ne s'agit pas tant aujourd'hui de Verreur que
du nom de celui à qui on l'attribue et que l'on veut à toute force
déshonorer pour se venger de son livre, etc. ^*. »
21. Lettre écrite au Roi par Mgr l'évéque de Vence louchant la
signature du Formulaire, s. 1. n. d., in-4, p. i et 3 ; Réponse de
Mgr l'évéque de Vence à la lettre du Roi pour la signature du Forma- j'
lalrc pure et simple, s. 1. n. d., in-4, p. 2 et 3 (Ld* SaS et 335).
juin. 1700] DE BOSSUET. 287
Personne ne devait mieux connaître les prétendus jansé-
nistes que M. de Comminges"^-, depuis évêque de Tournay.
Pendant une année entière, il fut occupé, par ordre du Roi,
à les entendre, à présider à leurs conférences avec le P. Fer-
rier ^* et à examiner leurs écrits avec tout le soin possible.
32. Gilbert de Choiseul du Plessis-Prasiin avait pris le bonnet de
docteur, après avoir obtenu le huitième rang à la licence de 16^2 ;
il était monté en 1044 sur le siège de Gomminges, d'où il passa
en 1670 sur celui de Tournay. Il mourut à Paris le 3i décembre
1689, à soixante-seize ans, laissant la réputation d'un évêque aussi
charitable que zélé. Ayant entrepris d'apaiser la querelle du jansé-
nisme, il déplut aux deux partis et n'aboutit qu'à se compromettre
lui-même. Il joua aussi un rôle important dans l'assemblée de 1682,
où il se signala par l'ardeur de ses convictions gallicanes : le rapport
qu'il présenta en cette occasion a été imprimé à la suite de la Defen-
sio de Bossuet, Paris, 17/10, 3 vol. in-4. On a encore de lui : Éclair-
cissement louchant le sacrement de Pénitence, Lille, 1679, in-12 ;
Mémoires touchant la religion, Paris, i68i-85, 3 vol. in-12 ; Epistola
ad Martinum Steyaert de Potestale ecclesiastiea, Lille, 1688, in-4 ;
Lettre pastorale sur le culte de la Vierge, en faveur et en tête des Avis
salutaires de la Vierge à ses déoots indiscrets, de Baillet, Tournay,
171 1, in-12 ; etc. (Consulter le Journal des savants, du 27 février
1690, n" 9 ; Ant. Arnauld, Œuvres, t. I, p. 342-3^9 ; les Mémoires
de Rapin et de Godefroi Hermant ; Sainte-Beuve, Port-Royal, pas-
sim ; H. Dumas, Histoire des Cinq propositions, Liège, 1699, in-12 ;
les ouvrages de MM. Ch. Gérin et J.-Tb. Loyson sur l'Assemblée
de 1682).
23. Le P. Jean Ferrier, né le 20 janvier i6i/i à Valady, dans le
Rouergue, entra le 22 avril i632 dans la Compagnie de Jésus, ensei-
gna la philosophie et la théologie à Toulouse, succéda en 1670 au
P. Annat comme confesseur du Roi, et mourut à Paris le 29 octobre
1674. 11 prit une part très active aux discussions soulevées par le
jansénisme. Ses principaux écrits sont : Réponse à une lettre de
M. Arnauld, Toulouse, i656, in-4 ; les Sentiments des plus considé-
rables casuistes sur la probabilité des opinions de la morale, Toulouse,
1659, in-4 ; Relation fidèle et véritable de ce qui s'est fait depuis un
an dans l'affaire des Jansénistes, Paris, i664, in i ; la Soumission appa-
rente des Jansénistes à la décision de l'Eglise touchant le droit, Tou-
louse, 1666, in-4. On trouvera dans la Bibliothèque du P. Sommer-
YOgel la liste des réponses opposées à ces différents ouvrages. Cf.
Ant. Arnauld, OEuvres, t. XXI et XXIÏ ; Conférences entre les sieurs
Lalane et Girard, docteurs en théologie, et le R. P. Ferrier, jésuite.
288 CORRESPONDANCE [juill. 1700
Cet habile prélat fut si fortement persuadé de la pureté de
leurs sentiments qu'il voulut bien se rendre leur caution
auprès du pape Alexandre VII, en envoyant à Sa Sainteté les
cinq articles, et voici de quelle manière il parle au Roi dans
la lettre qu'il lui écrivit le 22 janvier i664 : « Les choses
ainsi démêlées, Sire, et que je m'offre de soutenir à la face
de toute la chrétienté, V. M. peut, quand il lui plaira, donner
la paix à l'Église de France, en suivant le généreux dessein
que sa piété lui avait fait former ; car il n'y a point de théo-
logien en France qui ne déclare qu'il condamne les erreurs
que le Pape a condamnées et qui ne dise anathème aux Cinq
propositions^*. »
Il résulte de tous ces témoignages. Monseigneur, que les
plus grands évéques de France et ceux pour la mémoire des-
quels on sait que vous avez le plus de vénération, ont été
convaincus que le jansénisme était un fantôme que l'on ne
pouvait entretenir sans calomnier les ecclésiastiques les plus
vertueux et les plus savants, et sans noircir la réputation des
communautés les plus distinguées par leur piété. Après cela,
voudriez-vous. Monseigneur, faire faire à l'Assemblée une
décision si contraire à tout ce que ces saints prélats ont
touchant les contestations présentes, en présence de Mgr l'évêque de Com-
mincjcs, s. l., i663, in-4 ; Réfutation de la fausse relation du P. Fer-
rier, i664, in-4 ', Histoire ecclésiastique du XVII^ siècle, t. II, p. 588
à 634.
2l\. Lettre de Mgr l'évêque de Comenge au Roi, s. 1. n. d., in-4
(Ld'^ 303), p. 8. Un correspondant de Quesnel, l'avocat Brunet, lui
fournissait â l'appui de cette thèse un autre argument : a II y a une
pièce excellente sur le fantôme, qu'il ne faudrait pas oublier; c'est
la lettre de M. l'archevêque de Paris sur l'affaire de Cambrai. Elle
a paru premièrement en français, et M. l'archevêque la fit traduire
en latin pour Rome ; or, dans les endroits où il s'est servi du mot de
jansénisme dans l'édition française, il y a dans l'édition latine, qui
est postérieure, /a6uia Jansenismi ou Janseniana » (Lettre du 9 juillet
1700, Bibliothèque Nationale, fr. 15796, f 364)- L'avocat Brunet
alla défendre Quesnel arrêté à Bruxelles et contribua sans doute à
l'évasion de ce célèbre janséniste, dont il a écrit une relation impri-
mée dans la correspondance de Quesnel, édition de Mme Le Roy,
t. H, p. i(j7 ; cf. p. i42.
juill. 1700J DE liOSSUET. 289
pensé ? Et de semblables variations feraient-elles beaucoup
d'honneur au clergé de France ?
Remarquez, s'il vous plait, Monseigneur, que, pour prou-
ver que le jansénisme n'est point un fantôme, il ne suffit pas
de citer deux ou trois personnes sans nom, sans liaison entre
eux, sans aucun des caractères qui forment une secte, qui se
soient exprimés dans des livres obscurs d'une manière trop
dure ou trop vive sur les contestations présentes ; s'il se trouve
une ou deux personnes coupables de cette témérité, on ne
prétend point faire leur apologie. Mais, pour prouver que le
jansénisme n'est point un fantôme, il faut faire voir qu'il y a
des gens dans l'Église qui croient et qui dogmatisent que
quelques commandements de Dieu soient impossibles aux
justes lors même qu'ils veulent et qu'ils s'efforcent de les
accomplir selon leurs forces présentes, et que la grâce qui
rend les commandements possibles leur man^que ; il faut
qu'il y ait des gens qui soutiennent que, dans cet état, on ne
résiste jamais à la grâce intérieure, etc.
Or, je ne pense pas qu'on soit encore parvenu à faire voir
qu'aucune des Cinq propositions fût contenue dans aucun
livre. Il est vrai qu'une partie factieuse de la Faculté de
théologie de Paris a voulu faire croire que la première pro-
position avait été renouvelée dans un ouvragedeM. Arnauld 2^.
35. Ici, le défenseur des jansénistes fait allusion à la Seconde
lettre de M. Arnaald à un duc et pair, du 10 juillet i655 (dans les
Œuvres d'Arnauld, t. XIX), dans laquelle le P. Annat avait relevé
ces mots : « que les Pères nous montraient en la personne de saint
Pierre un juste à qui la grâce nécessaire pour agir avait manqué. »
L'influence de Mcolas Cornet et du docteur Le Moine fit cen-
surer cette phrase par les docteurs de Paris le 3i jnnvier i656,
comme renouvelant la première des Cinq propositions. Cette censure
fut l'occasion d'incidents tumultueux au sein de la Faculté et amena
l'exclusion d'Arnauld et des soixante et quelques docteurs qui refu-
sèrent de souscrire sa condamnation. Sur ce point des querelles reli-
gieuses du xyii** siècle, voir les écrits concernant la vie d'Arnauld,
Port-Royal et les Ciuq propositions, tels que les mémoires d'Hermanl
et de Rapin, et de plus : M. L.-E. de Sainte-Beuve, Jacques de Sainte-
Beuve, Paris, i86d, in-8 ; Port-Uoyal de Sainte-Beuve, et l'abbé
\II - 19
290 CORRESPOiNUANCE (juill. 1700
Mais vous n'ignorez pas, Monseigneur, avec quelle force il
repoussa celte imposture et justifia la pureté de sa foi, en
sorte que toute l'Église a été persuadée que c'était une mani-
feste oppression : vous pouvez vous souvenir de toutes les
intrigues que l'on employa pour faire confirmer par le Saint
Siège la censure de Sorbonne, mais on n'y put réussir. La
dissertation théologique de ce savant docteur, dans laquelle
il expliquait sa proposition fut jugée très exacte et très
orthodoxe par les plus habiles théologiens de Rome ^^ ; à
la paix de l'Église, on ne pressa point M. Arnauld de ré-
tracter sa proposition, il a toujours continué d'être dans la
communion des évoques et du Saint Siège, et les brefs obli-
geants qu'il a reçus des papes '" sont entre les mains de tout
le monde.
F«^rel, la Faculté de Théologie, époque moderne, I. III, p. 170 et
suiv.
26. Dissertatio theologica quadripariita (avril i656), dans les
OEuvres d'Aniauld, t. XX. — Rome néanmoins mit à l'Index, le
3 août i656, des ouvrages apologétiques d'Arnauld : Ëpistola
et scriptum ad sacram Facultatem Parisiensem in Sorbona congregatain
die j decemb. i655 ; Scripti pars altéra ad sacram Facultatem Pari-
siensem ; Ëpistola et aller Apologeticus ad sacram Facultatem Parisien-
sem in Sorbuna congregatam die 1 7 jan. anni i656; Ëpistola ad Hen-
ricum Holdenum ; Vera sancti Thoinœ de gratia sufficienti et ejjicaci
doctrina dilucide explanata ; Propositiones theologicœ dua': de quibus
hodie maxime disputatur clarissime demonstralœ. Ces écrits étaient tous
antérieurs à la censure de Paris, et Hermant (t. III, p. 123) doit
être corrigé sur ce point. Voir VHistoire des Cinq propositions de
Dumas, p. laS, et les réflexions de Quesnel, dans la Justification de
M. Arnauld, reproduites dans les OEuvres de celui-ci, t. XX,
p. 833.
27. Nous ne connaissons aucun « bref » de cette sorte, mais on
trouve dans les Œuvres d'Arnauld, t. I, p. 773, une lettre fort
élogieuse, du 2 janvier 1677, écrite à ce docteur sur l'ordre d'Inno-
cent \I par le cardinal Gibo, en réponse h des félicitations pour l'élé-
vation de ce pape, et à l'envoi du dernier volume, de la Perpétuité de la
foi; on y lit entre autres choses : « Laeto henignoque vultu excepit
et attente legit S. S. litteras quibus ipsi magna cum gaud'i et
filial is obsequii tui significatione, pontifîcatum maximum gratuhitu.s
fnisti ; in iisque congruentes mœrori suo ob labefactatam hominum
temporumque injuria Ecclesia; disciplinam pietatis tuœ sensus libenter
juiU. 1700] DE BOSSUET. 291
ïl pst encore plus Incontestable qu'il ne s'est jamais trouvé
personne qui ait été convaincu d'avoir cru ou d'avoir enseigné
les Cinq propositions, quelque véhément désir ou quelque
intérêt que certains évèques aient eu de trouver des jansé-
nistes. Tout s'est terminé à des soupçons injustes et à des
déclamations vagues ; il n'a pas été possible, depuis plus de
cinquante ans qu'on parle de jansénisme, de convaincre juri-
diquement une seule personne d'avoir tenu la doctrine des
Cinq propositions. Tous les évèques qui vivent aujourd'hui
n'ont-ils point de zèle pour le salut des âmes et pour la doc-
trine de l'Église? Vous êtes présentement, Monseigneur, dans
une assemblée où toutes les Eglises de France se trouvent
réunies par leurs députés. Ayez la bonté de les presser de
vous dire si, comme ils ont trouvé des sectateurs de Calvin
et des quiétistes, ils ont vu aussi des personnes qui aient sou-
tenu les Cinq propositions, et l'on est assuré que les plus
prévenus conviendront qu'ils ont, à la vérité, trouvé des
ecclésiastiques accusés d'enseigner les propositions condam-
nées, mais qu'ils n'en ont pu convaincre aucun.
Vous pouvez savoir que Mgr l'archevêque de Sens^*, qui
agnovit... » (Cf. t. II, p. 9, 10 el 3o). On peut voir aussi (t. II, p.
63) une lettre du i3 décembre 1679 écrite par le cardinal Ottoboni
(qui Fut plus tard Alexandre \ III), pour remercier Arnauld de l'envoi
du livre de la Perpétuité de la foi. On a même prétendu que, si
Arnauld ne s'était pas prononcé en faveur des quatre articles de
1682, il eût reçu la p(mrpre d'Innocent XI. Après sa mort, il fut
loué en plein consistoire par les cardinaux d'Aguirre et Gasanata
(^Justification de M. Arnauld contre la censure de i65G, Liège, 1702,
3vol. in-ia; Vie de Messire Antoine Arnauld, Lausanne, 1783 et
1783, 2 vol. in-8 ; Sainte-Beuve, Port-Royal, t. V, p. ^77 ; E.
Michaud, Louis XIV et Innocent XI, t. IV, p. 43o-45o). Arnauld
et ses amis rapportent qu'Alexandre VII accueillit avec bienveillance
la Lettre à une personne de condition, ainsi que la Seconde lettre à un
iluc et pair {Œuvres d'Arnauld, t. XIX, p. xxxix-xli, 34o et 563 ;
t. XX, p. 79/i et 833; Mémoires de G. Hermant, 1. Il, p. 673, 67^,
et 719 à 722).
•î8. Hardouin Fortin de La Hoguette était, par sa mère, Louise de
Péréfixe, neveu de Péréfixe, archevêque de Paris. Son père était
Philippe Kortin de La Hoguette, seigneur deChamouillac et capitaine
292 CORRESPONDANCE [juill. 1700
n'est pas suspect de favoriser les prétendus jans(''iiistes, avoua
au Roi, il n'y a pas longtemps, que, quelque recherche qu'il
eût pu faire, il n'avait pas trouvé un seul janséniste dans son
diocèse. Pesez, s'il vous plaît, Monseigneur, toutes les circon-
stances de ce témoignage. Il s'agit de ce diocèse, gouverné si
longtemps par M. deGondrin '^^ , où les jésuites ont été interdits
de la citadelle de Blaye, dont .M. Tamizey de Larroqne a donné les
Lettres inédites (La Rochelle, 1888, in-8) et qui avait publié uq
furieux livre intitulé : Testament ou Conseils fidèles d'un bon pire à
ses enfants, Paris, i6/|8, in-12. L'abbé de La Iloguette, né en i643,
avait pris le bonnet en 1670, après avoir obtenu le premier rang à
la licence de cette année-là. Il avait été chanoine de Paris en i6(35,
archidiacre de Josas en 1668, archidiacre de Parisis en 1670, et en
même temps agent du clergé, avant d'être élevé (1675) sur le siège
épiscopal de Saint-Brieuc, d'où il passa (1680) à celui de Poitiers. Il
Fut nommé à l'archevêché de Sens le i3 novembre i6H5; mais les dif-
ficultés pendantes entre Louis XIV et la cour de Rome retardèrent
ses bulles jusqu'en 1692. Il mourut le 38 novembre 1716, fort re-
gretté des pauvres. Il avait possédé en commende (1671-1713) l'ab-
baye de Sablonceaux, diocèse de Saintes. Son humilité lui avait fait
refuser, malgré les instances de Louis XIV, le cordon du Saint-Esprit,
en 1701 ; toutefois il consentit à remplacer Bossuet au conseil
d'Etat (Huel, Comnientarius, p. 171 ; Ledieu, t. II, p. i83 ; Saint-
Simon, t. VIII et XII ; Legendre, Mémoires, p. io3 et suiv.).
29. Louis Henri de Pardalllan de Gondrin, fils d'A.ntoine Arnaud
de Pardaillaa, marquis de Montespan et d'.\ntin, et de Paule de
Sainl-Lary de Bellegarde, né en 1620, au château de Gondrin (Gers).
Après avoir étudié chez les Jésuites de La Flèche, il entra, à Paris,
au séminaire Salnt-Sulpice, d'où les fantaisies de sa dévotion le firent
congédier par M. Olier. Il n'en devint pas moins, en i644, «t grâce
aux jésuites, coadjuteur de son oncle Octave de Bellegarde, arche-
vêque de Sens, à qui il succéda de plein droit dès le 26 juillet i646.
Il est resté célèbre par ses démêlés avec les jésuites et les capucins
de sa ville archiépiscopale, comme par la bienveillance qu'il témoigna
aux jansénistes. Il travailla activement à la « paix de l'Eglise », et pres-
crivit dans son diocèse une discipline sévère qui contrastait avec les
galanteries de sa jeunesse : Mme Gornuel a dit de lui qu'il « faisait
pleurer ses péchés aux autres ». Il mourut dans son abbaye de
Chaumes (Seine-et-Marne) le 19 septembre 1671^. Il avait encouru
la disgrâce de Louis XIV pour avoir blâmé ouvertement la condi'ite
de Mme de Montespan, femme de son neveu (Voir, outre les h.jio-
riens de la paix de l'Eglise, Retz, Grands écrivains, t. 11, p. 38; les
juin. 1700J DE BOSSUET. 298
pendant vingt-cinq ans pour leur rébellion scandaleuse contre
les règles établies par leur archevêque ; de ce diocèse enfin
que le P. Daniel a eu l'insolence d'appeler le Bureau d'adresse
des jansénistes^^, et cependant M. de La Hoguetle, neveu de
M. de Péréfixe, ami intime du P. de La Chaise, déclare au
Roi même qu'il n'a pas trouvé dans le diocèse de Sens la
moindre trace de cette hérésie chimérique. Voulez-vous qu'on
publie que, pendant que M. l'archevêque de Sens rend ce
témoignage authentique à la vérité, vous êtes si convaincu qu'il
y a des jansénistes dans l'Église que ceux qui osent le nier
sont dignes, selon vous, de censure et méritent d'être traités de
téméraires et de schismatiques ? Croyez-vous que le contraste,
mis dans tout son jour, vous fit beaucoup d'honneur?
Il est vrai que les jésuites étant répandus partout, comme
ils ont intérêt de faire valoir le vain fantôme du jansénisn.e,
ils appliquent ce masque sur tous ceux qui ne leur sont pas
dévoués et qui n'adoptent pas leurs erreurs. Mais, sur ce
Mémoires de Fontaine, t. II, p. 877-387, de G. Herin<tnt et de Rapin,
les Lettres du cardinal Le Camus, édit. Ingold ; Sainte-Beuve, Port-
Royal, t. IV).
3o. Dans la réponse aux Lettres provinciales (^Note du nis.). Nous
avons vainement cherché celte expression dans l'ouvrage indiqué. —
Le P. Gabriel Daniel, né à Rouen le 8 février 16^9 et entré à dix-
huit ans chez les jésuites, enseigna successivement la rhétorique, la
philosophie et la théologie, et fut l'un des esprits les plus distingués
et les plus actifs de sa Compagnie. Il mourut à Paris, le 28 juin 1728.
Il fit la critique du cartésianisme dans le Voyage du monde de Des-
cartes. Paris, 1690, in- 12, et entreprit de réfuter les Provinciales dans
les Entretiens de Cléandre et d'Eudoxe, Cologne, 169^, in-12. Il a en
outre publié les ouvrages suivants : Lettres au R. P. Alexandre en
faveur de la nouvelle réponse aux Lettres provinciales, s. 1., 1696 et
1697, 10 vol. in-8 ; Histoire apologétique de la conduite des Jésuites de
la Chine, adressée à MM. des Missions étrangères, s. 1., 1700, in-8;
Traité touchant l'efficacité de la grâce, Paris, 1706 et 1706, 2 vol.
in-12 ; Histoire de France, Paris, 17 i3, 3 vol. in-fol. ; Histoire de la
milice française. Paris, 1721, 2 vol. in-/i ; etc. (Voir le Mercure,
août 1728 ; Cl.-Fr. Lambert, Histoire de la littérature du règne de
Louis XIV, Paris, 1751, 3 vol. in-4 : Ledieu, t. II, p. i64 ; t. III,
p. 26, 27, Sa, 3A ; Legendre, Mémoires, p. 220 à 222 ; Sainte-
Beuve, Port-Royal).
294 GORRESPONDA.NCE [juiU. 1700
pied-là, Monseigneur, j'ose dire que vous êtes vous-même un
des plus déclarés jansénistes, et quoi que vous fassiez aujour-
d'hui pour elTacer ce soupçon, vous n'empêcherez pas les jé-
suites de vous mettre au nombre de ces prétendus jansénistes.
On n'attaque point impunément. Monseigneur, la doctrine
de la probabilité, du péché philosophique et de l'attrition sans
amour de Dieu. Quiconque ose s'élever, comme vous laites,
contre la morale relâchée, il serait bientôt janséniste^*.
Mais apparemment que vous vous retrancherez, Monsei-
gneur, au troisième sens de la proposition pour soutenir que
le jansénisme n'est point un fantôme ; c'est ce qui reste à
examiner.
On veut bien convenir avec vous, Monseigneur, qu'il y a
des gens qui ne croient pas le fait de Jansénlus ^2. Si ces per-
sonnes s'élevaient avec Insolence contre la décision, vous
auriez raison de les regarder comme des esprits inquiets et
turbulents. Si le fait de Jansénius était certain et d'une noto-
riété évidente, vous auriez encore raison de regarder ceux qui
en douteraient comme des aveugles et des téméraires. Mais
sur quel fondement trallcrez-vous d'hérétiques ceux qui
doutent d'un fait qui n'a pas paru si évident à plusieurs
grands théologiens qu'il vous parait, Monseigneur ? Ensei-
gnerez-vous que l'Église est infaillible dans la décision des
faits non révélés? Ce serait vous faire injure que de penser
seulement que vous fussiez capable de renouveler sur ce point
l'hérésie que les jésuites osèrent soutenir dans leurs thèses.
En reviendrez-vous au paradoxe de rinséparabilité du fait et
du droit tant de fois renversé, et abandonné aujourd'hui par
tous les théologiens^^. Si vous convenez avec M. de Pcréllxe
3i. Voir Gh. Urbain, Du jansénisme de Bossuet, p. 9 à la (Extrait
de la Revue du Clenjé français, du i"'' août 1899).
Sa. C'est-à-dire que les Cinq propositions soient de Janst'înius.
33. Bien que ne croyant pas, comme b^énelon et les jésuites, que
l'Eg-lise fût infaillible dans les questions de fait, Bossuet estimait que
ses décisions en pareille matière exigeaient non seulement une obéis-
sance extérieure ou silence respectueux, maïs encore une ei.Jère
soumission de jugement. Voir la note 35, à la page suivante.
juin. 1700J DE BOSSUET. agS
c|n'il faudrait être malicieux ou ignoranl^^ pour croire que
l'Église exige la loi divine des faits non révélés, vous rédui-
rez-vous à la foi humaine ? Mais ce dernier retranchement a
encore été forcé par des écrits qui sont demeurés sans
réplique depuis quarante ans ^•'.
Repassez, Monseigneur, ce qui s'est fait dans l'Eglise, et
34- « ...Desquelles (constitutions) aussi bien que du formulaire, il
est certain qu'on ne saurait prendre sujet, à moins que d'être mali-
cieux ou ignorant, de dire qu'elles désirent une soumission de foi
divine pour ce qui concerne le fait, exigeant seulement pour ce
regard, comme il a été si souvent dit, une foi humaine et ecclésias-
tique, qui oblige à soumettre avec sincérité son jugement à celui de
ses supt'rieurs légitimes... « (^Ordonnance... pour la signalure du formu-
laire de foi, datée du 16 Juin, Paris, i664, in-4, p- 4)
35. Apologie des Religieuses de Port-Royal ; Traité de la foi
humaine de M. Nicole (Note du iiis.'). Le premier de ces ouvra ge**, publié,
s. 1., iG65, in-4, a pour auteurs Claude de Sainte-Marthe, Antoine
Arnauld et Nicole ; le second parut en i664, in-4. — La foi est une
adhésion ferme donnée à une idée ou à un fait dont on a connais-
sance par le témoignage. Elle exclut tout doirte et toute crainte d'er-
reur, et par là elle se distingue de Vopinion. La foi divine repose sur une
révélation surnaturelle: telle est celle par laquelle on croit la Trinité.
La foi humaine repose sur le témoignage des hommes, comme quand
on croit à l'existence de Rome sans avoir vu cette ville. Lorsqu'une
vérité révélée est proposée k la croyance par l'Eglise, elle est dite
de foi catholique, et la nier est faire acte d'hérétique. Les théolofpens
admettent en outre une foi ecclésiastique, fondée sur l'autorité de
l'Eglise et portant sur des idées ou des faits non révélés de Dieu, de
sorte que rejeter ces faits ou ces idées, c'est se rendre coupable, non
d'hérésie, mais de rébellion et de témérité. Sur les faits dogmatiques,
c'est-à-dire liés au dogme, tels que celui de l'existence de telle ou
telle erreur dans tel ou tel ouvrage, les jansénistes soutenaient que
l'Eglise ne pouvait exiger un assentiment intérieur excluant toute
crainte d'erreur et méritant le nom de foi, parce qu'en pareille ma-
tière elle n'était pas infaillible : on ne lui devait donc que le silence
et une soumission extérieure comme celle que, dans la société civile,
doit à l'arrêt de la Cour suprême le condamné qui se croit innocent.
Tout en ne croyant pas que l'Église fût infaillible sur les faits dogma-
tiques, Bossuet estimait que ces faits sont l'objet d'une foi ecclésiasti-
que, que l'Eglise prononce sur eux avec certitude, et en conséquence
a le droit d'exiger à leur égard un assentiment intérieur. A cela on
objectait qu'une conviction excluant toute crainte d'erreur ne peut
être commandée que par une autorité infaillible, car une telle convie-
296 CORRESPONDANCE [jaiU. 1700
vous conviendrez que la distinction du fait cl du droit ne
peut être révoquée en doute par un théologien. Mgr l'arche-
vêque de Reims l'a nettement établie dans une lettre écrite à
Rome, il y a quelques années ="5, imprimée par l'ordre de ce
prélat, et dont il s'est fait grand honneur.
La lettre des dix-neuf évêques de France au pape Clé-
ment IX roule entièrement sur cette maxime, que l'Église
n'exige autre chose sur les faits non révélés qu'un acquiesce-
ment de silence et de respect ^^ Ce principe est prouvé par
des raisons et par des autorités incontestables. Les dix-neuf
prélats déclarèrent au Pape que c'est le sentiment des plus
savants évêques et des plus habiles théologiens du clergé de
France. C'est sur cette lettre, qui fut approuvée à Rome, que
la paix de l'Eglise a été conclue. On ne vous citera point,
Monseigneur, les évêques de France les plus illustres par leur
tion ne se contente pas d'une simple impossibilité morale d'erreur (Voir
Damvilliers (Nicole), les Imaginaires, IV, et Quesnel, fr. 18899,
f /|iy). Bossuet répond qu'il n'est pas « obligé à résoudre cette objec-
tion », et, sans cherclier « quelle est la nature de l'autorité des juge-
ments ecclésiastiques sur les Faits non révélés », il s'appuie sur la pra-
tique constante des papes et et des conciles (Voir notre tome I, p. 122
et 123, et le traité de l'Autorité des jugements ecclésiastiques, édit.
Lâchât, t. XXIV, p. 388 et suiv.). Fénelon admettait l'infaillibilité de
l'Eglise sur les faits dogmatiques el fondait sur ce privilège la foi
ecclésiastique (Voir ses écrits contre les jansénistes, dans ses Œuvres.
t. X et suiv.). Au xvn® siècle, les théologiens étaient partagés sur
cette question (Cf. une lettre de Bissy, du i4 septembre 1706, dans
les Œuores de Fénelon, t. XII, p. agi). Aujourd'hui, l'opinion de
Fénelon est communément adoptée par les théologiens catholiques,
et quoiqu'elle ne soit pas de foi, elle est dite théologiquement certaine
(Hurter, Theologiœ dogmaticw compendium, Inspruck, 1876 et édit.,
suivantes, t. I, n. 288).
36. C'est la lettre de M. l'archevêque de Reims à M. Vivant
alors à Rome, du 2 novembre 1696.
37. Cette lettre, du i^"' décembre 1667, se trouve dans la Relation
(par Varet) de ce gui s'est passé dans l'affaire de la paix de l'Eglise,
s. 1., 170O, 2 vol. in-i2, t. I, p. 4o et 388, et dans la Paix de C7é-
men< /X, par Quesnel, Chambéry, 1700, in-12, p. 182. Elle a été
imprimée d'abord sous le titre de Plurimorum Galliœ antistitum ad sum-
mum Pontijiccm Clementem IX, de quatuor episcopis littéral, s. 1. n ^d,
(1667), in-zj.
juin. 1700] DE BOSSUET. 297
doctrine et par leur piété qui ont tous distingué le fait du
droit, soit de vive voix, soit par écrit, soit par des mande-
ments publiés dans leurs diocèses, soit par des discours faits
à la tète de leurs synodes, dont nous avons encore les actes.
Ce sont des faits trop connus pour allonger cette lettre en
vous les rapportant. On ne craint donc point que l'on puisse
jamais donner atteinte à la distinction du fait et du droit.
Mais votre zèle. Monseigneur, devrait s'élever contre des
téméraires qui osent condamner un principe si évident et
qui a été si fortement soutenu par tant de grands évêques.
Dénoncez à l'assemblée du Clergé la réponse que les
jésuites ont faite à la lettre de MM. des Missions étrangères ^^,
dans laquelle ils ont osé déférer M. Charmot comme suspect
d'hérésie parce qu'il a établi que, pour n'être point jansé-
niste, il suffit de condamner les Cinq propositions, quoiqu'on
doute si elles sont de Jansénius ou non. Il serait digne de i'As-
semblée, Monseigneur, de réprimer une témérité si injurieuse
au clergé de France; et cette proposition des jésuites: On est
hérétique en doutant du fait, mériterait plus vos censures que
ce qui regarde le fantôme du jansénisme. Mais c'est trop
vous distraire de vos grandes occupations. Monseigneur, pour
vous dire des choses que vous savez mieux que ceux qui ont
l'honneur de vous les représenter.
On espère. Monseigneur, que vous ne désapprouverez pas
que l'on vous avertisse encore d'une chose qui paraît incom-
préhensible dans votre conduite et dans vos discours, je veux
dire. Monseigneur, ce langage si différent que vous tenez sur
38. Réponse à la lettre de MM. des Missions étrangères au Pape sur
les cérémonies chinoises, in-ii, p. 107. Gel écrit avait été provoqué
par une Lettre de MM. des Missions étrangères au Pape, en date du
30 avril i-joo, sur les idolâtries et les superstitions chinoises, avec une
addition à ladite lettre par MM. Louis Tiberge et Jacques Charles de
Brlsacier, in-8. Cette lettre est reproduite dans le tome IV de l'His-
toire ecclésiastique du .YK//" siècle (par Ellies du Pin). Outre la réponse
citée plus haut, elle fui suivie d'autres écrits du parti adverse : Ré-
flex ons générales sur la lettre qui paraît sous le nom de MM. des Mis-
sions élrungères, etc., 1700, in-8 ; Histoire apologétique des jésuites de
la Chine adressée à MM. des Missions étrangères, 1700, in-8.
298 CORRESPONDANCE [juill. 1700
le jansénisme, selon les lieux où vous vous trouvez et selon
les personnes à qui vous parlez. Vous vous moquez quelque-
fois des esprits prévenus ou passionnés contre le prétendu
jansénisme, et vous faites l'éloge de ceux qui en sont accu-
sés^'* ; dans d'autres occasions, vous vous expliquez sur cette
matière comme si vous étiez vous-même plein de préventions.
Tantôt, lorsqu'on vous presse de dire ce que vous pensez de
la foi de M. Arnauld et de M. Nicole, vous déclarez qu'ils
étaient très catholiques, et ailleurs M. Arnauld est cité par
vous-même comme une preuve que le jansénisme n'est point
un fantôme. Dans un temps, vous avez justifié toutes les pro-
positions que l'on reprenait dans le livre du P. Quesnel sur
le Nouveau Testament*"; vous avez même eu beaucoup de
part aux quatre lettres publiées pour la défense de cet
ouvrage**, que l'approbation authentique de Mgr l'arche-
vêque de Paris met suffisamment à couvert de toute censure,
et cependant l'on connaît des personnes auxquelles vous avez
dit depuis que les Cinq propositions sont dans le livre du
P. Quesnel. Vous n'aurez pas apparemment oublié, Monsei-
3ç). Voir, en particutlei-, pour ce qui est du cardinal de Noailles,
la lettre de Bossuet à son neveu, du 9 février 1699 (Tome XI,
p. 129 et i3o).
4o. Allusion à V Avertissement composé par Bossuet en vue
d'une nouvelle édition du livre des Réflexions morales. Voir plus
haut, p. 5».
/il. Ces lettres étaient de l'abbé deBeaufort: Lettres d'un théolo-
gien à un de ses amis à l'occasion du Problème ecclésiastique. Anvers,
1700, in-i2. Elles ont été reproduites sous le litre de Défense du
mandement de Mgr l'Eminentissime cardinal de Noailles portant appro-
bation des Réflexions morales du P. Quesnel. I^aris, 1706, iu-12. Bos-
suet reconnaissait qu'elles contenaient toute la substance de son
Auertissement, encore que l'auteur en eût laissé de côté ce qui était
le plus décisif (Ledieu, t. II, p. 3o3, 3o4 et 383). En réalité, ces
quatre lettres ne sont pas autre chose que l'Avertissement de Bossuet
avec une disposition dlfTérente ; les paroles de Bossuet y sont repro-
duites littéralement, sauf les légers changements que devait entraî-
ner la forme épistolaire, sous laquelle on avait cru devoir les présen-
ter au public. (Ch. Urbain, Bossuet apologiste du P. Quesnel, dans I >
Revue du Clergé français, janvier 1901).
juill. 1700] DE BOSSUET. 299
gneur, que vous avez encore avoué depuis peu à un arche-
vêque de l'Assemblée que l'on trouvait dans ce livre le pur
jansénisme. Le même prélat se vante qu'il tient de vous que
les notes des P.P. bénédictins sur saint Augustin sont
pleines du jansénisme. Cependant vous devenez, Monsei-
gneur, le prolecteur de l'édition de ces savants religieux, et
vous avez revu leur dernier volume pour le faire recevoir à
l'Assemblée*"^. Vous pouvez vous souvenir, Monseigneur,
combien, dans l'affaire du quiélisme, vous avez recherché
tous ceux qu'on traite de jansénistes. M. l'abbé Bossuet, qui
agissait par vos ordres, les trouvait à Rome très catholiques**.
Comment expliquer, Monseigneur, une conduite si diffé-
rente? Lorsque vos amis, peines sur cet article, vous en ont
parlé, vous leur avez avoué, pour vous justifier, qu'il y avait
plus de vingt ans que vous travailliez sans succès pour persua-
der au Roi que vous n'étiez point janséniste'** : c'est ce qu'on
a appris d'un de vos intimes amis. Dieu veuille, Monseigneur,
que ce ne soit pas encore la même vue qui vous ait fait
prendre, aussi bien qu'à Mgr l'archevêque de Reims, des enga-
gements avec S. M. pour réaliser le fantôme du jansénisme *° !
42. Voir A. -M. -P. Ingfold, Histoire de l'édition bénédictine de saint
Augustin, Paris, igoS, in-8.
43. Nous avons à plusieurs reprises signalé ces relations de l'abbé
Bossuet avec les jansénistes de Rome. Voir t. IX, p. 3~j8, et t. X,
p. 182. On voit dans la correspondance publiée par Mme Le Roy
que Quesnel était à Paris pendant l'assemblée de 1700 et que le
célèbre janséniste dîna à l'arclievèché.
44- Ce propos fut rapporté à du Vaucel par l'abbé de Tourreil
revenu de Paris à Rome (Lettre de du Vaucel à Quesnel, du
a3 octobre 1699, citée parD. Bouix, dans son article de la Revue
des sciences ecclésiastiques du 20 août i865, sur Bossuet et le jansé-
nisme, p. 136 et 127. GP. Mémoires de Legendre, p. 264).
45. Vers la même époque, le P. Quesnel écrivait : « Il faut prier
Dieu pour M. de Meaux, qui n'est ni pur augustinien, ni pur tho-
miste, mais qui des deux a pris ce qui convient à ses idées. Il est
aussi puissant dans sa situation présente qu'il y est dangereux. Rien
que Dieu ne lui peut résister. Il continue à jeter feu et flamme
contre le jansénisme » (Lettre du 24 juillet 1700, édit. de iMme Le
Roy, t. II, p. 98).
3oo CORRESPONDxVNCE [juiU. 1700
C'est avec vine véritable douleur que l'on vous parle de
faits qui peuvent vous faire de la peine ; mais c'est pour
votre propre intérêt qu'on vous en parle. Ceux qui prennent
la liberté de vous donner ces avis, Monseigneur, ne vous
accusent point de trahir absolument votre conscience. On sait
les efTets que d'anciennes préventions sont capables de pro-
duire, et combien l'envie secrète de tenir un langage qui
plaise à la Cour peut éblouir les personnes les plus éclairées.
Mais le public jugerait autrement s'il savait tous ces faits.
Aussi, Monseigneur, je ne désire rien tant que de les ense-
velir dans un éternel oubli. L'on vous assure que cette lettre
ne sera envoyée qu'à Mgr l'archevêque de Paris et à Mgr l'ar-
chevêque de Reims, qui sont trop de vos amis pour la
publier ^^. Votre réputation, Monseigneur, est précieuse à
l'Église, et c'est pour cela même qu'on vous supplie de la
ménager, car on serait inconsolable, si l'on se trouvait dans
la nécessité de rien dire qui pût la ternir. Mais on vous con-
jure encore, Monseigneur, par un intérêt plus pressant et plus
important que le vôtre, de peser devant Dieu la démarche
que vous allez faire en vous expliquant sur le fantôme du
jansénisme. Vous aimez VÉglise, et l'on ne croit pas que vous
puissiez lui faire une plus grande plaie qu^en confirmant le
46. Quesnel (Correspondance, t. II, p. 1^2) ayant demandé com-
municiition de cette lettre afin d'en faire usage pour une nouvelle
édition qu'il projetait du Phantasme du jansénisme, il lui fut répondu :
M M. l'abbé Darobez est fort mystérieux. Je n'ai pu le voir depuis
votre dernière lettre, et je doute fort qu'il consente à l'impression de
sa lettre. La raison en est que le procès-verbal de l'Assemblée n'ayant
pas encore paru, MM. de Reims et de Meaux, qui seraient fort irrités
de l'édition de cette lettre, pourraient retrancher ou ajouter quelque
chose sur cette matière, parce qu'ils sont encore les maîtres absolus
du procès-verbal. Ainsi il semble que l'on doive différer à ne rien
publier contre cette assemblée jusqnes à ce que le procès-verbal en
ait été imprimé « (Lettre du 9 juillet 1701, Bibliothèque Nationale,
fr. 15796, f" 364). Le procès-verbal de l'Assemblée ne fut imprimé
qu'en 1708 ; quant au Phantnsme du jansénisme, il n'y en eut poin»/
de nouvelle édition avant celle qui fut donnée par les soins de Petiv
pied, s. 1., 1714, in-i2.
juin. 1700] . DE BOSSUET. 3oi
Roi dans cette pensée qail y a des jansénistes dans son royaume.
Feu M. Vialart*^ évêque de Châlons, prêt à paraître
devant Dieu, crut ne pouvoir rien faire qui lui fût plus
agréable que d'écrire au Roi pour le désabuser sur le jansé-
nisme'*. Cet illustre évêque, dont Dieu manifeste tous les
jours la sainteté par des miracles éclatants*', crut devoir
employer les derniers moments de sa vie à faire un dernier
effort pour détruire dans l'esprit du Roi le fantôme du jan-
sénisme que les jésuites et feu M. l'archevêque de Paris ont
entretenu si longtemps pour satisfaire leurs passions. Celte
lettre subsiste encore '", Monseigneur ; elle fit d'abord,
comme vous savez, des impressions très fortes sur l'esprit du
Roi ; mais l'on s'appliqua bientôt à les détruire par des
calomnies. Ne craignez-vous point, Monseigneur, l'opposition
que l'on pourrait faire entre votre conduite et celle de ce
saint évêque mourant ? Croyez-vous servir l'Église, croyez-
vous servir le Roi en l'empêchant de reconnaître que, depuis
quarante ans, on a surpris en mille manières sa religion pour
détruire de saintes communautés de religieuses'^', pour s'op-
Ay. On a vu (t. II, p. 24o et adii) que Bossuet avait projeté de
faire auprès de lui un stage pour se former au ministère épiscopal. Il
avait été (au témoignage de Ledieu, t. I, p. 178) demandé pour
coadjuteur par ce prélat.
48. Dictée le 26 mai par le prélat à des Hayes, son secrétaire, cette
lettre fut confiée à l'abbé Golfer avec mission de l'envoyer, aussitôt
après la mort de son auteur, à Louis XIV. Vialart mourut le lo
juin 1680.
49. Voir le Recueil des pièces concernantes tes informations juri-
diques faites par ordre de Mgr Gaston de Noailles sur les miracles opé-
rés par l'intercession de feu Messire Félix Vialart, Nancy, 1733,
in-i3. Cette iuformalion fut faite en 1699, par Louis Habert, doc-
teur de Sorbonne et vicaire général de Gliâlons. Voir aussi dans les
Œuvres posthumes de Mabillon, in-4, t. I, p. 5i5.
50. On on peut voir le texte dans la Vie de Messire Félix Vialart
de Herse, Cologne, 1738, in-12, p. 3o8 à 3i6.
5i. L'auteur veut parler des religieuses de Port-Royal et de la
congrégation toulousaine des Filles de l'Enfance. Celle-ci, suspecte
de jansénisme, avait été supprimée par arrêt du Conseil du 12 mai
1686, et Mme de Mondonville, sa fondatrice, avait été exilée à Cou-
tances, où elle mourut en 1708 ou 1704 (L'Innocence opprimée par la
3o2 CORRESPONDANCE [juill. 1700
poser aux plus saints évoques de son royaume, pour bannir
de saints prêtres et pour exercer contre des innocents des
traitements rigoureux qu'on n'emploie que contre des héré-
tiques déclarés? La censure du fantôme rend le passé juste
et légitime, et dispose pour l'avenir à renouveler les mêmes
persécutions.
Quelle douleur pour vous. Monseigneur, si vous voyiez, en
conséquence de votre décision sur le fantôme du jansénisme, les
plus gens de bien exclus des places et des dignités ecclésiastiques ,
les prêtres les plus savants devenus suspects, les innocents livrés
à la fureur des jésuites, des précautions pernicieuses à rÉglise
renouvelées pour détruire un fantôme et pour combattre un
monstre imaginaire, VÉglise divisée de nouveau par des disputes
quil faudrait assoupir, les faibles scandalisés, les hérétiques
profitant de nos divisions, et un feu qui était presque éteint ral-
lumé de toutes parts ! Plus votre grande capacité, Monsei-
gneur, et vos travaux pour l'Église vous ont acquis d'auto-
rité parmi vos confrères et de confiance auprès du Roi, plus
aussi vous serez responsable, au jugement de Dieu, des maux
que vous n'aurez pas empêchés.
L'on n'a plus. Monseigneur, qu'à vous prier de suivre dans
cette occasion une règle pleine d'équité que vous avez propo-
sée vous-même, il n'y a pas longtemps, à Mgr l'archevêque
de Vienne''-. Ce prélat paraissait scandalisé de la force de la
calomnie ou l'Histoire de la congrè.(jalion des Filles de l'Enfance de
N.-S. J.-C s. 1., 1687, in-8; Suite de l'Innocence opprimée, ou Rela-
tion du procès du sieur Peissonnel. etc., Toulouse, 1691, in-i3 ; Rela-
tion de l'établissement de l'Institut des Filles de l'Enfance de Jésus.
Toulouse, i68f), in-i2 ; les Nouvelles ecclésiastiques, 16 et 23 août
1735, et 8 avril 1738 ; Histoire de la congrégation des Filles de l'En-
fance, Amsterdam, 1754, 2 vol. in-12; Salvan, Histoire de l'Eglise
de Toulouse, Toulouse, 1861, li vol. in-8 ; Jaudon, Port-Royal à Tou-
louse, Toulouse, 1900, in-8 ; Histoire générale du Languedoc, t. XIII
(par Roscliach), p. 573-586 ; Léon Dutil, Lettres inédites de Mme de
Mondonville, Paris, 191 1, in-8.
Sa. Armand de Montmorin, fils de Gilbert de Moiitniorin, seig^nr^^r
de Monlaret, {fouverneur de Verdun-sur-Saône, el d'Anne d'Oisillier.
Il avait (l'abord fait profession chez les feuillants Nommt'' à l'évêclié
juin. 1700J DE BOSSUEÏ. 3o3
lettre de MM . des Missions étrangères ^^ ; vous lo priâtes do ne
pas tourner son zèle uniquement en faveur d'une des parties
sans écouler l'autre, mais d'examiner si la charité et la vérité
n'étaient point blessées du côté des jésuites. L'on ne vous
demande, Monseigneur, que l'application de cette maxime
aux affaires présentes. Vous croyez devoir chercher, dans des
livres obscurs''* et qui ne seront connus que par votre cen-
sure, des propositions téméraires dont on n'avait point
entendu parler. Mais pourquoi. Monseigneur, pendant que
vous recherchez avec tant d'exactitude et de vivacité ce qui a
pu échapper à quelque prétendu janséniste, laissez-vous sub-
sister des écrits faits par les jésuites et par vos amis, qui
mériteraient bien plus justement vos censures? L'histoire des
Cinq propositions adoptée par le sieur Dumas ^^ se débite
de Die le 17 janvier i')87, il avait été transféré à Vienne le 10 avril
1694. tl mourut le 6 octobre lyiS, à soixante-dix ans (Le P. J.-Cl.
Basset, S. J., Oraison funèbre de Mgr de Montmorin, Lyon, 1714,
in-4 ; Saint-Simon, t. Vil, p. 83 ; Cl. Gliarvet, Histoire de la sainte
Église de Vienne, Lyon, 1761, m-li ; Fr.-Z. Collombet, Histoire de la
sainte Église de Vienne, Lyon, 1847-1848, 4 vol. in-8, t. III).
53. Celle dont il a été parlé plus haut, p. 297.
54. Panegyris Janseniana ; Lettre à M. l'éaêque de Meaux, etc. (Note
du ms.). — Les quatre premières propositions censurées sont tirées
de l'Augustiniana Ecclesiœ romanœ doctrina, des Réflexions sur les
constitutions et brefs des Papes Innocent X, etc., Cologne, 1699, 2 vol.
in-i2, du Panegyris Janseniana. . . per Petrun Aurelium (par Gilles de
Witte), Grenoble (Delft), 1698, in-8, de la Lettre d'un théologien à
M. iéuêque de Meaux, oii l'on réfute la fausse apologie du véritable
amour de Dieu..., par le sieur de Loagbois (Gerberon), Cologne,
1699, in-12, de la Solution de divers problèmes très importants pour
la paix de l'Église (par Quesnel), Cologne, 1699, in-12, et de la
Lettre d'un théologien à M. l'évêque de Meaux, auquel on démontre que
M. de Cambrai n'a pas tenu les fausses maximes... (par le P. Ger-
beron), s. 1., 1699, ln-i2.
55. Hilaire Dumas, de la maison de Sorbonue, avait pris le bonnet
en 1668, après avoir obtenu le vingtième rang à la licence de cette
même année. 11 était fils de Gabriel du Mas, secrétaire du Roi, et de
Clémence Chandelier. Il fut conseiller au Parlement de Paris, et se
distingua dans les assemblées de la Faculté de théologie par son
opposition aux doctrines jansénistes, et en particulier à la théologie
du docteur Habert. Son principal ouvrage est cette Histoire des Cinq
3oA CORRESPONDANCE [juiU. 1700
impunément. Il est donc permis aux jésuites, Monseigneur,
de troubler la paix de l'Église et de répandre partout des
livres pleins d'erreurs et de calomnies, et, parce qu'ils ont
i'oreille du Prince, ils seront assurés d'une entière impunité
du côté des évèques. Est-ce l'équité? Est-ce un entier éloi-
gnement de toute partialité ? Est-ce l'amour de la paix de
l'Eglise qui inspire une semblable conduite?
Si vous êtes véritablement touché. Monseigneur, des maux
de l'Église, obtenez par votre crédit auprès du Roi que S. M.
fasse exécuter exactement cette loi si sage et si digne de sa
piété, si propre à maintenir la paix de l'Église qui fut publiée
en 1668, mais qui a été sans fruit parce qu'il a dépendu des
jésuites de la violer ; qu'on impose silence de nouveau aux
deux partis sur toutes les contestations qui regardent le jan-
sénisme^*' ; qu'on punisse rigoureusement les infractions d'un
ordre si nécessaire, et l'on verra dans peu qui sont ceux qui
aiment la paix et qui sont ceux qui cherchent le trouble. Mais,
pendant que les jésuites ont une entière liberté de publier
toutes sortes de calomnies contre l'iimocence et contre la vérité,
que des évêques ne se déclarent pas hautement contre ceux
qui sont opposés et dont ils devraient être les protecteurs !
Si vous connaissiez, Monseigneur, le cœur de ceux qui
prennent la liberté de vous parler avec tant de force, vous
propositions, Liège, 1699, in-12, à laquelle répondit Quesnel dans la
Paix de Clément IX, Gliambéry, 1700, in-i2. lia encore publié: Dé-
fense de l'Histoire des Cinq propositions, ou deux vérités capitales de
cette Histoire défendues contre un libelle intitulé : la Paix de Clément
IX, Lièfje, 1701, in-12; Lettres d'un docteur de Sorbonne à un homme
de qualité touchant les hérésies du XVH^ siècle. Paris, 1 708-1 71 5, 4
vol. in-12. Il mourut en 171/1 (et non en 17/12) (Voir la Correspon-
dance entre Boileau et Brossette, édit. Laverdet, p 5^tSet 5^9; Guujet,
Bibliothèque des auteurs ecclésiastiques du XVIII^ siècle, Paris, 1736,
t. III, p. i36 ; Histoire du Cas de conscience, Nancy, 1705, iu-12, t.
VI, p. ^7 ; Mémoires de Rapin, t. III, p. 4o6 ; Ledieu, i. II, p. 4o,
82, 358 et 36i ; Ilurter, Nomenclalor. t. IV, col. 1572; Bibliothèque
Nationale, Pièces originales). /
56. Il y a un arrêt du Conseil d'Élat rendu dans ce sens le 5 mars
1703 (Affaires étrangères, Rome, (. /IHfi, f" iio).
juin. 1700J DE BOSSUET. 3o5
seriez convaincu qu'ils n'ont point d'autre intérêt que ceux
de l'Église et de la vérité, et qu'ils sont remplis d'un profond
respect pour votre caractère et d'une singulière vénération
pour votre personne ^".
57. « Cette première lettre sur le « fantôme », adressée à M. de
Meaux même, fut suivie peu après d'une seconde, adressée à un abbé de
l'assemblée... Elle roule tout entière sur le dessein de censurer la pro-
position extraite de la préface de VAugustiniana Ecclesiai romans doc-
Irina. où est renouvelée la doctrine de la première des Cinq proposi-
tions. L'auteur fait tous ses efforts pour justifier la proposition
dénoncée, par les anciens Pères et par les scolastiqnes... Il vient
après cela à des raisons personnelles contre M. de Meaux... Cette
lettre est aussi gardée en orig^inal avec la précédente dans le porte-
feuille noir des censures, qui est à Meaux dans l'armoire du cabinet »
(Ledieu, t. II, p. 61). \m pari prépondérante de Bossuet dans les
délibérations de l'Assemblée lui valut encore d'élre attaqué dans la
Gazette de Dordreclit (Ibid.. p. 86), On sait que l'Assemblée censura
quatre propositions jansénistes et cent vingt-trois autres extraites des
casuistes et d'auteurs suspects de semi-pélagiauisme. La disproportion
numérique entre les unes et les autres a fait dire que l'on n'avait touché
aux jansénistes que pour pouvoir condamner les casuistes. Cette con-
jecture est démentie par les propos fort vifs que tenait à cette époque
Bossuet dans Tintimité sur le compte des jansénistes, et qui sont rap-
portés par Ledieu. Il ne tint pas à M. de Meaux que les jansénistes
ne fussent plus durement traités. M. Arnauld, disait-il plus tard,
méritait bien d'être condamné dans l'Assemblée de 1700, mais on
avait voulu épargner la mémoire de ce grand homme et ne pas donner
à .M. l'abbé tie Pomponne, son neveu, le déplaisir de voir son oncle
censuré à ses yeux... » (Ledieu, p. 889 ; cf. p. 70 et i34)- H est
vrai que l'nbbé Bossuet, resté secrètement en correspondance avec
les jansénistes de Home, leur expliquait qu'on ne pouvait condamner
la morale des jésuites qu'en frappant quelque peu leurs adversaires.
« On ne censure, écrivait-il, du livre dénoncé que la proposition
du Fantôme, qu'un joint avec plusieurs propositions insolentes tirées
d'autres libelles contre l'autorité des papes et de l'Eglise de France :
l'on ne pouvait faire moins dans les conjonctures, savoir pour n'être
point suspect et pour tomber ensuite avec plus de force sur les
jésuites » (Lettre citée par le chanoine Davin, Bossuet, Port-Royal
etla Franc-maçonnerie. Paris, s. d. (i883), p. 67 ; cf. p. fi-j.)
XII — 2,
3o6 CORRESPONDANCE [juill. 1700
201 5. — N. Arnaud a Bossuet.
[1700]
Monseigneur,
J'ai appris avec une joie que je ne saurais exprimer, que
ceux que Dieu a établis pour conduire et éclairer son Eglise,
pensent tout de bon aujourd'hui à faire paraître la vérité. La
joie que j'ai reçue de celte nouvelle n'a pas été stérile en moi.
Tout ce qu'il plaît au Prince des pasteurs de me donner de
zèle, m'a d'abord inspiré d'exposer, s'il vous plaît, Monsei- i
gneur, par votre moyen aux Illustrissimes et Révérendissimes j
évoques qui composent l'Assemblée*, ce qu'il plaira à l'Esprit
saint de me faire écrire.
C'est une chose honteuse que tout soit problématique
aujourd'hui dans la morale, et que par là l'on donne sujet
à la malice des hérétiques et des athées de croire que tout est
incertain chez nous. Combien de prêtres sont dans l'impuis-
sance de connaître et de discerner la vérité, dans l'état où m
sont les choses ! On ne convient pas même du premier prin-
cipe que l'on doit suivre dans la décision des cas ; on ne sait
pas si l'on est obligé de suivre le plus probable et le plus
sûr ; on ne sait pas si l'on peut suivre l'opinion la plus pro-
bable et la moins sûre, in concursu opinionis probabilioris et
tufioris ; ou si l'on doit toujours suivre tutius, id est quod
magis removet a peccato, toutes les fois qu'on n'a pas une évi-
dence, je ne dis pas morale, mais dernière, swnmam, de la
vérité. Que de péchés commet-on peut-être, non seulement
parce qu'il y a des livres pleins de corruption et de relâche-
ment, dont on peut se servir pour instruire les jeunes ecclé-
siastiques ; mais encore parce qu'il y a plusieurs livres où
l'on décide en maître, sur plusieurs points, de la grièveté du
Lettre 2015. — Cette lettre et la suivante, publiées par Deforls,
t. X, p. 64 1 et suiv., ont été négligées par les autres édlteuis. —
Nous ne saurions dire qui était ce M. Arnaud qui les adressit à
Bossuet. Certaines de ses expressions font supposer qu'il vivait Ji Tou-
louse ou dans les environs de cette ville. /
f. L'assemblée du Clergé de 1700.
J
juin. 1700] DE BOSSUET. 807
péché, ou mortel ou véniel ! C'est un péché mortel, dira-
t-on, de dîner à onze heures un jour de jeûne, de prendre
intérêt ad compensationem damni, avant l'introduction d'ins-
tance, d'obliger à restituer les intérêts qui ont été reçus dans
le prêt de commerce, de ne pas consentir à un concile géné-
ral avant l'acceptation universelle, etc. Ce sont des choses
que j'ai peut-être lues dans des auteurs qui semblent aimer
la vérité... Ce n'est pas que je décide moi-même sur ces
points ; j'attends là-dessus la décision de mes supérieurs
assemblés. Les maux sont si grands, à mon sens, qu'il n'y a
peut-être qu'un livre oecuménique et accepté de toute l'Église,
qui puisse y remédier. Cependant je suis persuadé qu'il est
du devoir des évêques de donner à leurs peuples une morale
bonne, qui les délivre de leurs embarras, dissipe leurs
doutes, etc. Il est même de leur devoir de la faire approuver,
s'il est en leur pouvoir, par toute l'Église et surtout par le
chef de l'Église. C'est à Messeigneurs à voir si la prudence
permet de faire ce que j'inspire; quoi qu'ils fassent, je pré-
sumerai qu'ils auront fait ce qu'ils auront pu, et s'ils ne font
pas là-dessus tout ce qui .sera en leur pouvoir pour secourir
ceux qui demandent leurs secours, cet écrit même deman-
dera contre eux vengeance et les rendra coupables des âmes
qui se seront perdues par leur négligence ; mais Jésus-Christ
empêchera que ce malheur n'arrive à nos pasteurs. Qu'on
ne réponde pas que la charité couvre une infinité de péchés ^
et que les peuples n'ont qu'à se laisser conduire, etc. Je sais
qu'il est écrit : Si csecus cœcum ^, etc. Je sais qu'il est très
difficile qu'un ecclésiastique, quelque génie qu'il ait, ne soit
fort perplexe dans ses décisions, voyant les divers sentiments
des uns et des autres. Qui nous assurera que nos perplexités
ne sont pas, dans le fond, de vrais doutes, que Dieu déteste
et qui retombent peut-être, ce qu'à Dieu ne plaise, sur la
tête des évêques et peut-être sur celle du Souverain Pontife?
a. I Petr., IV, 8.
3. Caecus autem si caeco Hucatum praestet, ambo in foveam cadunt-
(Matt., XV, i4).
3o8 CORRESPONDANCE [juiU. 1700
0 Dieu, que je serais heureux de donner mon sang pour
en écrire des lettres qui apprissent à toute la terre une partie
de ce que je sens en moi-même, si pourtant par là je devais
être utile k l'Eglise et rallumer le zèle de plusieurs évêques,
qui, bien loin d'imiter ceux en qui l'on voit par la grâce de
Dieu ce qu'on désire dans les grands évêques, n'ont rien
moins à cœur que la vérité !
Oserai-je, Messeigneurs, dire tout ce que je pense sur les
dogmes spéculatifs de la foi ? On n'a qu'à lire divers auteurs,
qu'à consulter divers docteurs sur les matières delà religion;
qu'en peut retirer souvent vm jeune homme, que de l'incei-
titude et de l'embarras ? Il croyait savoir les dogmes de la foi
avant d'étudier et de consulter, et il les savait en effet ; et, après
avoir lu et consulté, il doute peut-être de bien des choses dont
il ne devrait pas douter. Il se voit obligé môme d'user de toute
sa philosophie pour s'assurer de l'existence des choses présup-
posées à la foi, c'est-à-dire que l'on peut connaître même par
la raison. C'est aux évêques de l'Église de Dieu à faire que
ceux au moins qui ont l'esprit docile puissent facilement
s'instruire des dogmes de la foi et du vrai sens de ces dogmes.
Il m'est quelquefois venu dans l'esprit d'exposer à l'Eglise
ime théologie dogmatique, où j'eusse pu expliquer ce qui est
de foi divine et proprement dite, et en même temps les
diverses opinions que j'aurais cru être contraires à cette foi,
et si quelquefois il se fût rencontré quelques ditïicultés qui
m'eussent empêché de décider positivement, j'eusse pu me
contenter d'exposer ma science à l'Église. J'aurais pu lui
demander, par exemple, si non seulement les canons du con-
cile de Trente, mais encore la doctrine contenue dans les
chapitres^, sont règles de foi divine et catholique.
4- Sur chaque matière tiécicléc par le concile de Trente, les
canons sont précédés de chapitres contenant une exposition doctri-
nale. On admet généralement que les enseignements de loi catho-
lique sont moins nettement circonscrits dans les chapitres que dans
les canons. A côté de la substance de la définition, les chapitre«,con-
liennent des considérants et des arguments, qui ne s'y ratlachcdl que
d'une Façon accessoire, et qui, sans être proposes à notre croyance,
juin. 1700] DE BOSSUET. 809
J'aurais pu, dans ce livre, me comportor en suppliant sur
certaines matières, et prier les évêques de toute l'Église de
peser s'il ne serait pas à propos de déclarer que l'on n'en-
court jamais ipso /ac^o l'excommunication, mais seulement
après la sentence du juge et sa promulgation, et qu'ainsi un
excommunié occulte peut assister à la messe et ne pas éviter
le commerce des fidèles, parce qu'il ne serait pas effectivement
excommunié, etc. S'il ne serait pas à propos de réduire les
irrégularités^ à un très petit nombre, défendant à tous
casuistes de les augmenter par leurs conséquences scrupu-
leuses. S'il ne serait point à propos de faire un petit recueil
des canons, qu'un ecclésiastique pût lire en un jour, afin que,
sachant par ce moyen ce qu'il doit savoir des canons, il s'oc-
cupât à la lecture des Écritures et des Pères, et qu'il eût
plus de temps pour vaquer à la prièi-e. J'aurais pu prier les
évêques de toute l'Église, dans ce livre, de faire en sorte
auprès du Pape, qu'on ne vît plus de division entre les
peuples et Rome ; ce qui réussirait, si le Pape, de concert
avec les évêques, déclarait bonnement quels sont ses droits
et quels sont ceux des évêques ; si le Pape souffrait qu'on
décidât s'il est infaillible ou non ; et si, ne l'étant pas, comme
peut-être on le déciderait, il n'est point obligé en conscience
de consulter les évêques, d'assembler des conciles généraux,
où l'on eût une liberté entière de parler et d'agir, et d'exa-
miner les auteurs et écrits. On souhaiterait fort d'apprendre
de la bouche de Nosseigneurs les Évêques assemblés ce qu'on
doit penser de l'analyse qu'a faite M. Holden^; de la pratique
des religieuses, qui reçoivent avec les circonstances que tous
savent, des opinions du P. Malebranche sur la puissance de
Dieu, sur la grâce, etc., sur la prédestination, etc. Si la
renferment les motifs et les raisons des enseignements (VHcant,
Éludes ihéologiques sur la constitutinn du concile du Vatican, in-8, t. I,
p. !ii-f\^ ; Dict. de théologie, t. III, çol. 667).
5. L'irrégularité est un empêchement posé par le droit canon et
rendant inhabile à recevoir les ordres. Ainsi les bâtards, les épilep-
tiques, ceux qui ont versé le sang, etc., sont irréguliers.
6. Voir, p. 1 14.
3io CORRESPONDANCE [julll. 1700
doctrinecartésienne sur les modes, sur l'éloadue", etc. facilite
l'entrée des hérétiques dans l'Église, pourquoi n'impose-t-on
pas silence à ceux qui la condamnent avec trop de zèle?
Je finis, Monseigneur, en vous conjurant de croire que
j'ai un très profond respect pour tous les prélats qui compo-
sent l'assemblée ; que je n'ai d'autre vue que d'apprendre la
vérité de ceux que Dieu m'ordonne d'écouter, et qu'enfin je
suis, avec un très profond respect, de Votre Grandeur,
Monseigneur,
Le très humble et très obéissant serviteur
Arnaud, fils de l'I^glise Catliol. Apost. et Rom.
Je ne veux pas omettre, s'il vous plaît, Monseigneur, de
vous avertir que plusieurs souhaiteraient, s'il était possible,
que la doctrine de saint Thomas fût exactement enseignée
dans Toulouse" ; ce que j'ai ouï dire qui ne se fait pas : si
cela est vrai, je ne l'examine pas.
S'il y avait. Monseigneur, quelque chose à corriger dans
la présente, et qui ne dût pas être lu, je vous conjure, s'il
vous plaît, de le faire effacer, afin que le reste fasse plus
d'effet.
7. Les coiuiuentateurs arabes d'Aiistote et les péripaléticiens
modernes soutiennent que les qualités ou accidents (telles sont la clia-
leur du feu, riiumidité de l'eau) sont des entités surajoutées et réelle-
ment distinctes des substances qui en sont afTectées. Les cartésiens le
nient et croient que ces qualités ne sont pas quelque chose de sura-
jouté à la substance, mais que ce sont de simples manières d'être
(modï) ou dispositions de la substance elle-même, résultant de la con-
fi{;uration, de la place et du mouvement de ses parties (Voir Pur-
chotius, Institutiones philosophicx, Paris, lôgS, in-4 ; Maignan, Cur-
sus philosnphicus, Toulouse, i(352, 4 vol. in-8, t. I, p. ai3. Cf. Gou-
din, Philosophia, Logica major, I part., Disp. II, quaest. vi, Physic.,
III part., quaRst. III, art. ir. — La pbilosopble de Descartes a été
combattue comme contraire à la Foi catholique de l'Eucharistie par sa
notion de l'étendue essentielle à la matière. Voir t. I, p. 32/4 et suiv.
8. Voir t. XI, p. 33 1, et l\. P. Mortier, Histoire des Mailfes
généraux de l'ordre des Frères prêcheurs, Paris, igi^, iu-8, t. '-'l,
p. 247- a48.
DE BOSSUET.
2016. — Le même Arnaud a Bossuet.
Monseigneur,
Il est donc du devoir d'un chacun de faire tout ce qu'il
peut pour contribuer à la gloire du Seigneur. C'est dans
cette vue, Monseigneur, qu'après vous avoir présenté mes
très humbles respects, je vous conjure par les entrailles du
Prince des pasteurs, de faire en sorte qu'il paraisse quelle
est la foi de l'ÉLçlise sur certains points qui suivent. J'ai des
raisons particulières, et peut-être très importantes, pour faire
la prière que je fais à Votre Grandeur.
Premièrement, l'Église est infaillible en tout ce qu'elle
décide comme de foi, soit que ce soient des conséquences
éloignées qu'elle définisse, soit que ce soient des conséquences
prochaines ; et il est impossible que l'Église se trompe
jamais, même invincibiliter vel ex imprudeniia, toutes les fois
qu'elle définit qu'une chose est vraie ou licite. Secondement,
tous les canons du concile de Trente contiennent une défi-
nition de foi divine, et tout ce qui y est, directe subjectam
analhemati, est de foi divine, saltein quoad rationem liciti ;
autrement 11 faudrait savoir la Tradition pour distinguer
dans ce concile ce qui est de foi d'avec ce qui ne l'est pas.
Troisièmement, le Pape est le chef de tous les fidèles, même
des évèques, de droit divin immédiat : et qu'est-ce que cette
primauté emporte certainement et selon la foi ? Quatrième-
ment, l'Église a le pouvoir de faire des lois : elle tient ce
pouvoir de Jésus-Christ, et on est obligé en conscience de lui
obéir. Cinquièmement, Dieu est présent partout, non seule-
ment par sa puissance et par sa connaissance, mais encore
par sa substance. Sixièmement, en Dieu, les trois personnes
distinguuntur entitative et plus quam modus a modo. Tout ce
qui est absolu en Dieu est commun aux trois personnes, et
chaque personne a une entité relative qui lui est propre, la
Lettre 2016. — Cette lettre a dû suivre de près la précédente.
3i2 CORRESPONDANCE [juiU. 1700
distingue et la constitue. Septièmement, l'âme et le corps
de Jésus-Christ ont toujours été unis hypostatiquement au
Fils de Dieu, même durant les trois jours qui suivirent la
mort de Jésus-Clirist. Huitièmement, l'âme de Jésus-Christ
descendit aux enfers non solam secandum effedus, sed etiam
secundum subslantiam ; par ces enfers, l'on doit entendre des
lieux souterrains*, où étaient les âmes des saints, qui en
furent emmenées par Jésus-Christ dans le ciel. Neuvième-
ment, l'Église romaine, composée de telle et telle Église, est
la vraie Église de Jésus-Christ ; hors d'elle, il n'y a point de
salut : l'unité de l'Église exclut la pluralité des commu-
nions, etc. Dixièmement, nous ressusciterons tous sans
exception, bons et méchants, dans les mêmes corps, les
mêmes, dis-je, même quant à la matière matériellement
prise, etc. Onzièmement, l'attrition naturelle avec le Sacre-
ment ne justifie pas. Douzièmement, quoiqu'il ne soit peut-
être pas de foi, ce que j'ignore, que matrimonium non possit
dissolvi propter adullerium, etc. ^ ; il est néanmoins de foi,
1. L'Ancien Testament donne le nom de Scheol. « demeure sou-
terraine », au lieu où se rendaient toutes les âmes après la mort. Les
Septante ont traduit ce mot par i??);, et la Vulgate, par infernas,
inferi, lieu inférieur, d'où nous avons fait notre mot « enfer »,
2. Launoy, Le Courayer et, parmi nos contemporains, Esmein
(Le mariage en droit canonique, Paris, i8gi, t. II, p. agô-SoS) ont
prétendu que le canon VII du concile était purement disciplinaire.
Les théologiens admettent qu'il est en même temps doctrinal. Ne
voulant pas condamner directement les Grecs, le concile s'est borné
à dire que l'Eglise romaine ne se trompe pas en enseignant l'indisso-
lubilité du mariage. Les Grecs, en effet, soutiennent que le lien
conjugal est rompu par l'adultère de l'un des conjoints, et ils s'auto-
risent d'un verset de saint Matthieu : Omnis qui dimiserit uxorem
suam excepta fornicationis causa, facit eam mœcliari, et qui diniissam
duxerit adultérât (v, 82; cf xix, 9), comme si l'exception portait sur
les deux parties de la phrase. Cette interprétation est en désaccord
avec les versets parallèles de saint Marc, x, 11, et de saint Luc,
XVI, 18, qui ne conliennent aucune exception (cf. I Cor , vu. 10).
Ecrivant principalement pour les Juifs, chez qui la simple sép ialion
de corps n'existait pas, mais à qui leurs docteurs en grand nombre
permettaient de se remarier après avoir renvoyé leur femme sous un
prétexte plus ou moins grave, saint Matthieu défend de renvoyer sa
juin. 1700J DE BOSSUET. 3i3
Can. VII, Sess. XXIV, Ecelesiam non errare, etc., du moins
en ce sens, que la pratique de l'Église est licite ; s'il y a là-
dessus quelque autre chose qui soit de foi, je suis prêt à écou-
ter l'Eglise ^. Treizièmement, l'àme de l'homme est présente
à l'homme et à son corps, non seulement en ce sens, qu'elle
pense par rapport au corps qu'elle anime, mais encore subs-
tantiellement, ita ul sit in corpore et intra corpus, ah ipso Joca-
liter indstans. Les âmes ne sont donc pas seulement en Dieu,
sans être substantiellement et localement dans les corps, etc.
Ainsi, en communiant, nous recevons vere et sabstantiatiter
femme, parce que ce serait l'exposer à commettre un adultère en
épousant un autre homme, de même que celui qui épouserait une
femme répudiée se rendrait coupable d'adultère: il ne fait d'exception
que pour le cas d'inconduite de la femme; mais, même dans ce cas,
il ne s'ag-it que d'une séparation de corps, sans qu'on ait la pcmission
de contracter un nouveau mariage. Ce point de doctrine a été nette-
ment exposé par saint Augustin : k II est donc permis de renvoyer
l'épouse pour cause de fornication, mais le lien précédent subsiste de
telle sorte que c'est se rendre coupable d'adultère que d'épouser celle
qui a été renvoyée même pour cause de fornication » (De conjuge
adalter., II, iv,'p. L., t. XL, col. 473). Voir Mgr d'HuIst, Confé-
rences de Notre-Dame, carême de 1894, p- S^i-S-S; Filliou, Saint
Mattltieu, Paris, 1878, in-8, p. 071, à'jX; Dictionnaire de la Bible,
art. Divorce, col. i452.
3. Comme le concile s'abstint de déclarer hérétique la doctrine
de la dissolubilité du mariage en cas d'adultère, et anathématisa
seulement ceux qui disaient que l'Eglise se trompe en enseignani
l'indissolubilité absolue du mariage, même en cas d'adultère, 11
n'est donc pas de foi catholique que le mariage est indissoluble en
ce cas d'adultère, car, cette affirmation étant incidente, elle n'est
pas proprement définie par le concile. Mais il est de foi que rÉgllse
ne se trompe pas en l'enseignant. Sur les longues discussions qui
précédèrent la rédaction de ce canon et sur sa portée, on peut voir
l'Adultère et le lien du mariage dans le Dictionnaire de Théologie de
Vacant, t. I, col. igS-ôoi. On trouvera la pensée de Bossuet sur
cette question dans son Mémoire de ce qui est à corriger dans la Biblio-
theque des auteurs ecclésiastiques de M. Dupin (édit. Lâchât, t. X\,
p. 57), et dans le Deeretum de_ morali disciplina, qui devait être publié
dans l'assemblée générale du Clergé en 1682, p. u, viii (t. XXII.
p. 707. Cf. Bausset, livre XII, p. justlf.). La question est bien étudiée
dans Mgr d'Hulst, lac. cit. — Sur la foi catholique et la fol divine,
voir plus haut, p. agS.
3i/j CORRESPONDANCE [juill. 1700
dans notre estomac l'âme de Jésus-Christ, et non seulement
en ce sens que Jésus-Christ pense par rapport à ceux qui
communient. Quatorzièmement, Jésus-Christ est le même,
et selon l'âme et selon le corps, dans le ciel et dans l'Eucha-
ristie, et dans chaque partie de l'hostie, saliem post divisio-
nem ; le même, dis-je, stricte et eniitalive et idenlice ; et non
soluin quantum ad configurationem, et in eo sensu secundum
quem materia panis facta fuissel materia corporis Christi, non
per veram transsubstantiationem, sed per diversam organisatio-
nem ; quse materia panis sic organisata esset corpus Christi,
ijuatenas anima Christi cogitaret in ordine ad taie corpus^.
Ce sont des vérités Monseigneur, que je crois très ferme-
ment ; je désire savoir si elles sont toutes tellement de foi
divine et catholique que le contraire soit hérétique, et qu'on
puisse censurer ceux qui diraient le contraire en quelque
chose : ce n'est pas que je ne croie par avance, au moins sur
quelques chefs, le contraire hérétique.
J'ai une raison pressante de souhaiter que nos pasteurs
décident si l'on peut, ex charitate, ne pas restituer à un
riche ce qu'on lui doit, pour le remettre entre les mains des
pauvres ^.
On voudrait bien savoir s'il est de foi divine et catholique,
que l'action de la volonté est de sa part quelque chose de
positif et de réel, et plus qu'un pur repos, mera quies in
objeclo, et non ulterior îendentia; s'il est de foi divine et très
catholique que, ad merendum vel demerendam requiratur
libertas indifferentix , qua possumus agere et non agere, agere
bonum et malum ^ ; s'il est de foi divine et très catholique que
4. Cette opinion est celle que Descartes a avancée dans ses deux
lettres à Pierre Mesland, S. J. (1596-1678), et que Bossuet a réfu-
tée dans un opuscule publié dans la Revue Bossuet. juillet 1900,
p. i^i et suiv. CF. Dict. de Théologie, t. V, article : accidents
EUCHARISTIQUES, col. 1^27 et Suiv.
5. La restitution doit être faite à celui-là même dont les droits'ont
été lésés ou, après sa mort, à ses héritiers ou ayauts droit. C'est
seulement à leur défaut, qu'elle peut être faite en faveur des pauvres.
Telle e>t la doctrine commune.
(). Cette doctrine est de foi divine et catliolique, comme il suit de
juill. 1700] DE BOSSUET. 3i5
les livres deutérocanoniques sont en tout d'une autorité égale
aux livres protocanoniques, et si c'est une erreur contre cette
foi de croire que les deutérocanoniques sont canoniques en
ce sens qu'il n'y a rien qui n'y soit de foi, et quant aux
mœurs, et quant aux autres dogmes, et quant aux faits sub-
stantiels, quoique peut-être plusieurs choses n'y soient
qu'humainement certaines ; en ce sens Vlmitaiion de Jésus-
Chr'isl serait demain canonique, si l'Église déclarait qu'il n'y
a rien dans ce livre qui soit contre la foi ''. On demande
encore si l'on peut absoudre une personne qui serait dans
l'erreur dont je viens de parler ; s'il est de foi divine et très
catholique que l'on soit obligé de confesser au prêtre sigilla-
tim omnia et singula peccaia morlalia, tum exteriora, tam inie-
riora^, et s'il ne suffit pas de s'accuser en général, de manière
que le confesseur connaisse l'état du pénitent suffisamment
pour le sauver. J'ai vu peut-être plusieurs prêtres qui étaient
de cet avis; et au cas qu'il y en ait encore, je veux contri-
buer à les désabuser.
la condamnation de la troisième des cinq propositions de Janséniiis
(Denzinger, Enchiridion, p. 3^1, et Cl. Marc, Inslitutiones morales
Alphonsianœ, Rome, i885, in-8, t. I, p. 178).
7. Quelques auteurs après le concile de Trente, comme B. Lamy,
Apparalus biblicus. 1. II, c. v, Paris, 1728, p. 238-24i, et Jahn,
Einleilung in die gesammlen Biirher der Allen Bandes. 2« édit., t. I,
p. 2^0, ont prétendu qu'une diffi^rence d'autorité subsistait tou'iours
entre les protoeanoniques et les deutérocanoniques. CF. AlF. Loisy,
tiist. du Canon de l'Ancien Testament, Paris, 1890, in-8, p. 2i2-24i-
Mais la définition de Trente élimine la distinction proposée par
quelques Pères du concile dans les congrégations ou assemblées pré-
paratoires, entre les livres authentiques et canoniques, dont la foi
dépend, et les livres simplement canoniques, bons pour l'enseignement
et utiles à lire dans les Églises. Cf. Dict. apologétique (d'Alès), t. I,
col. 439 ; Dict. de Théolog. catholique (Vacant), t. II, col. iSgS et
suiv. Déclarer qu'un livre comme l'Imitation de Jésus Christ n'a
rien contre la foi n'est pas le rendre canonique. La canonicité n'est
que la décision faite par lEgli'ieque tel livre a été inspiré de Dieu.
L'inspiration divine doit toujours précéder la déclaration de l'Eglise
ou canonicité.
8. C'est la décision du concile de Trente, Sess. XIV, can. vu.
Cf. Cl. Marc, op. cit., t. II, p. 216.
3l6 CORRESPONDANCE fjuill. 1700
Plaise à Dieu de nous faire connaître si certaines opinions
sont bien saines ; ce que j'ignore : dès demain peut-être,
j'embrasserais, dans le dessein de concevoir un Dieu très bon,
l'opinion qui dit que Dieu fait tout de la manière la plus
parfaite, qu'il sauve tous ceux qu'il peut sauver, eu égard à
sa sagesse, etc. ; que si quelqu'un se perd, ce n'est pas que
Dieu n'ait un dessein très sincère de le sauver, même après
le péché originel, etc.
Il me semble que certaines opinions des Cartésiens sont
raisonnables et avantageuses même à l'Église. L'opinion des
modes et des apparences pures, selon Maignan ^ , ne me paraît
pas contraire à l'antiquité, et semble favoriser l'entrée des
hérétiques dans l'Église, comme aussi l'opinion de l'étendue'".
Il est vrai que je voudrais savoir sur celle-ci, si c'est contre
la foi de croire qu'à la vérité, l'essence du corps de Jésus-
Christ est dans l'Eucharistie, mais que pourtant le corps de
Jésus-Christ n'a pas dans l'Eucharistie toute l'étendue qu'il
9. Emmanuel Maig^nan, religieux minime, né à Toulouse le
17 juillet 1601, et mort le 29 octobre 1676 dans la même ville. Il
avait enseigné pendant quatorze ans les mathématiques à Rome, au
couvent de la Trinité-du-Mont, puis il était retourné dans sa ville
natale. Il ne consentit pas à quitter Toulouse, malgré les offres que
Louis XIV, frappé de ses mérites dans les sciences, lui avait Faites
pour l'attirer dans la capitale. Son principal ouvrage est un traité
de la catoptrique intitulé Perspecliva horaria, Rome, i648, in-fol.
Outre un cours de philosophie en latin, qui a été édité à Toulouse,
i652, t\ vol. in-8, et à Lyon, 1678, in-fol., il composa aussi une
Sacra philosophia, Lyon, 1662-1672, 2 vol. in-fol. Sa vie a été écrite
par un de ses disciples, le P. Saguens, De vila, moribus et scriplis
Emmamielis Magnani, Toulouse, 1697, in-^- Cette pièce a été repro-
duite en tète de la Philosophia Mairjnani scholaslica par le même
P. Saguens, Toulouse, 1708, in-4 (Voir Niceron, t. XXXI). Le
P. Maignan expliquait la permanence des accidents ou qualités sen-
sibles du pain et du vin après la consécration, dans l'Eucharistie, en
disant qu'après la disparition du pain et du vin, Dieu fait sur nos
sens les mêmes impressions qu'ils y faisaient avant la transsubstan-
tiation. Sur ce point on peut voir en particulier la Sacra Philosophie ji
t. II, Âppend. v.
lo. De l'étendue considérée comme l'essence des corps, ainsi que
l'entendait Deseartes.
juin. 1700] DE BOSSUET. 817
a dans le ciel, et qu'il n'y a même aucune pénétration des
parties dans l'Eucharistie*', parce que l'étendue de sept à
huit pans*- est accidentelle au corps humain, et que, pour
son essence, il ne laut de matière qu'autant qu'il est néces-
saire pour l'organisation.
Je n'aime point le secret, Monseigneur : si quelqu'un
erie, j'aime qu'il soit leprls ; s'il dit vrai, j'aime que les
pasteurs l'approuvent ; afin que les scrupuleux connaissant
la vérité, ils s'avancent à grands pas vers Dieu, et qu'ils ne
censurent pas Copernic, Descartes, etc.
Je conjure le Dieu du ciel et de la terre de vous remplir
de zèle et de lumière, vous et tous nos autres pasteurs. Mon-
seigneur, afin qu'ensuite, à notre tour, nous en soyons nous-
mêmes remplis, pour connaître et pour aimer ce qu'il plaira
à l'Esprit saint de nous apprendre par vos soins. Je finis en
II. Saint Thomas (III^, q. lxxvi, art. 3, k) enseif^ne que le corps
du Christ est dans l'Eucharistie d'une présence différente de celle dont
il jouit au ciel. Au ciel, il a son mode naturel, avec sa grandeur et
ses qualités visibles ; dans le sacrement de l'Eucharistie, il est présent
per modum substantiœ, à la façon des substances, c'est-à-dire affranchi
des lois de la localisation des corps, ce qui permet de dire, comme
Suarez (In 111^" partem, dist. xlvi, sect. 4) qu'il est présent « d'une
manière qui n'est pas corporelle », ou avec Bellarmin (De Eucharislia.
I. II, c. 11) qu'il « y est à la manière des esprits » (Cf. L. Labaucbe,
Lettres à un étudiant sur la sainte Eucharistie, Paris, 1912, in-i'».,
p. 86 et suiv.). On sait que, pour les scolastiques, la substance ou
forme substantielle est à la fois présente tout entière dans chacune des
parties du corps et dans le corps tout entier : tota in toto et tota in
qualibet parte. C'est ce qu'ils appellent Vubi definitivuni, qui est le
propre des formes substantielles et des esprits, tandis que les corps,
dans leur état naturel, ont un ubi circumscriptivum, c'est-à-dire que
chacune de leurs parties est présente à une partie déterminée de
l'espace, et non à une autre dans le même temps. Soit un lingot d'or:
il occupe un espace déterminé, et à chacune de ses parties corres-
pond une partie de cet espace; mais ce qui fait qu'il est de l'or et
non un corps d'une autre nature, c'est-à-dire sa forme substantielle,
est tout entier à la fois dans chacune de ses parties, et c'est pour cela
que chacune de ses parties est de l'or comme les autres parties et comme
le lingot tout entier.
12. Pan, forme abrégée, pour empan, mesure de longueur de :i4
centimètres, usitée dans le Midi.
3i8 CORRESPONDANCE [ji.ill. 1700
me disant, s'il vous plaît, de Votre Grandeur, avec un très
profond respect,
Monseigneur,
Le très humble et très obéissant serviteur.
2017, — A Lamoignon de Basville.
A Saint-Germain, 11 juillet 1700.
Je suis très aise, Monsieur, que mon Instruction
pastorale sur la perpétuelle stabilité et sur les pro-
messes de l'Eglise vous ait satisfait, et que vous la
jugiez utile à vos réunis*. Quant à la manière d'agir
avec eux, je crois en effet que j'en conviendrai aisé-
ment avec vous ; car je conviens sans peine du droit
des souverains à forcer leurs sujets errants au vrai
culte, sous certaines peines. Cela étant, toutes les
fois que nous pourrons croire que, corrigés par ces
peines, qui les auront rendus attentifs à la vérité, ils
iront de bonne foi à la messe, je ne trouve aucune
difficulté, je ne dis pas à les y recevoir, mais je dis
à les y contraindre d'une certaine façon. Toute ma
difficulté est d'y recevoir ceux qui font profession
publique de n'y pas croire, et qui, sur ce fondement,
refusent opiniâtrement de communier, sans même
témoigner pour cela la non-répugnance, par où il
faut commencer. Tant qu'ils sont en cet état, je les
crois incapables de profiter de la messe : cela même
les rend dignes de châtiment avec la modération
Lettre 2011. — i. Bossuet répond à la lettre de Basville du moi '
de juin 1700, qu'on a vue plus haut, p. 269.
juin. 1700] DE BOSSUET. 819
convenable, par pitié pour leur maladie. Mais, au
reste, de les y admettre, bien loin de les y con-
traindre de quelque manière que ce soit, c'est leur
donner une faible idée de la sainteté du mystère, et
leur inspirer de l'indifférence pour les bonnes dispo-
sitions qu'il faudrait avoir, et même pour y aller ou
n'y aller pas : c'est la disposition que je trouve ici
dans ceux qui vont à la messe si facilement, plus
prêts encore à n'y pas aller. Je serai très aise d'ap-
prendre à votre loisir ce que vous pensez sur cela, et
de profiter de vos expériences.
Je suis, Monsieur, etc.
2018. — A DoM Jean Mabillon.
A Saint-Germain, 1 1 juillet 1700.
Je suis très aise, mon Révérend Père, que vous
soyez content des résolutions de l'Assemblée * à s'op-
poser aux nouveautés de toutes les sortes qui s'élè-
vent contre la science de Dieu. L'approbation des
personnes aussi saintes, aussi habiles et aussi bine
intentionnées pour la vérité que vous l'êtes, nous
doit donner du courage. Pourriez-vous croire qu'il
se trouve des opposants, et qu'il y en a qui répon-
dent que les opinions relâchées ne sont plus soute-
nues, et qu'ainsi il faut les laisser là comme mortes,
sans combattre ce qui n'est plus qu'un fantôme^ ?
Lettre 2018. — i. L'assemblée du Clergé
■1. Cf. Ledieu, t. II, p. 80, etc.
320 CORRESPONDANCE |juili. 1700
Pour votre préface \ je l'ai admirée, el votre
modération après la victoire', qui nous oblige, indé-
pendamment et au-dessus de tout sentiment humain ,
à contenter les bonnes âmes et à fermer la bouche
aux contredisants. Priez Dieu pour nous, afin qu'il
nous donne un aussi heureux succès que nous avons
le cœur pur de tout sentiment humain. Aimez celui
qui est tout à vous.
2019. l^^DME PniOT A ROSSUET.
En Sorbonne, le il juillet 1700.
Monseigneur, il me semble qu'il y a bien du temps que je
n'ai eu de vos nouvelles. Pardonnez-moi si je débute si lami-
lièrement : la bonté dont vous voulez bien me faire l'hon-
neur d'en user avec moi, m'a accoutumé à vous parler avec
cette liberté. Depuis le jour que vous me marquâtes que vous
me donneriez vos ordres (je crois qu'il y a plus de trois
semaines), je n'en ai reçu aucun de vous. Vous m'aviez
ordonné de regarder l'autorité des évoques dans Gerson, sur
le sujet des décisions dans la censure qu'ils ont droit de faire,
dont je vous avais entretenu autrefois : je m'engageai à
revoir ce qu'il en avait dit dans son traité De examinaiione
doctrinarum. Je le fis aussi, et j'étais tout prêt à vous en
rendre compte sur le premier ordre ; apparemment vous
aurez vous-même voulu examiner la chose. Si cela n'était pas,
3. La préface de l'édition bénédictine de .saint Augustin.
/i. Le Saint Office, le a juin 1700, condamnait trois libelles des
adversaires des Bénédictins : Lettre de l'abbé de *** aux R. R. Béné-
dictins, etc. ; Lettre d'un Bénédictin non réformé, etc. ; Lettre d'un
itbbé commcndataire. Le décret en fut publié le 7 juin. Voir
\.-M.-P. Ingold, Histoire de l'édition bénédictine, I^aris, igoS, in-8,
p. ia4. ^
Lettre 2019. — L. a. s. Collection Dumas, à Bordeaux.
juin. 1700] DE BOSSUET. 821
j'y suppléerai aisément quand il vous plaira : en attendant,
vous pourrez aisément voir ce que dit cet auteur, particuliè-
rement dans deux endroits où il traite cette matière ex pro-
fessa. Le premier est dans la première partie de ses ouvrages,
dans son traité De examinalione doctrinaram^. Partie pre-
mière. Considération m, où il marque le pouvoir des évoques
de Caire dans leurs diocèses un article de foi, en usant avec
les précautions convenables. L'autre est dans la quatrième
partie de ses Œuvres, page 228, où en un feuillet il établit
sa doctrine de Propositionibus ah episcopo hseredcandis^, et
marque en quelle occasion un évèque doit user du pouvoir
qu'il a de déclarer une proposition hérétique.
Si grand qu'on dit que soit le secret que les prélats se sont
promis sur la liste des propositions à condamner, tout le
monde ne laisse pas d'en parler ici. On dit qu'il y a un
cahier imprimé, de 160 p., et qu'il fut donné à toute l'Assem-
blée lundi dernier. Je croyais que vous m'eussiez dit que
vous me donneriez des ordres sur cela ; cependant je n'en ai
rien su, et juscju'à présent, je n'ai point vu l'iinprimé, et ne
sais de quoi il s'agit. Vous savez, Monseigneur, que je ne me
mêle de rien, si on ne m'y lait entrer, et avec un autre même
je n'en parlerais pas : ce n'est que l'attachement que j'ai à
votre personne, et que j'aurai toujours inviolablement, qui
me lit vous olFrir tout ce qui serait à ma portée. Je ne doute
pas que vous ne soyez l'âme de tout ce qui se fait, et que tout
ne se décide uniquement par vos conseils. Vous savez qu'en
quelque temps que ce soit, et pour quelque aflaire qui puisse
être de mon ressort, personne n'est si absolument en votre
main que moi. Pardon de toutes mes libertés; je n'en suis
pas avec un respect moins profond. Monseigneur, votre très
humble et très obéissant serviteur.
PmoT.
I. J. Gersonii Opéra oinnia, édit. Ellies du Pin, Anvers, in-Fol.
1706, t. 1, p. 9.
a Ibid.. t. II, p. 287.
XII
322 CORRESPONDANCE [jui
2020. — A Robert Nelson.
A Saiut-Gerniaiu-en-Laye, "îk juillet 1700.
J'ai reçu, Monsieur, depuis quinze jours, une
lettre dont vous m'honorez, de Blackheath', auprès
de Londres, le i8 juillet de l'année passée, en
m'envoyant un livre du Docteur Bullus^, intitulé :
Lettre 2020. — Cette lettre Fut imprimée pour la première fois
en tète d'un écrit de Bull, The Corruptions of the Church of Rome.
qui d'abord fit partie d'un recueil intitulé Several letters which passed
between Dr G. Hickes and a popisli Priest. Londres, 1706, in-8. L'écrit
de Bull fut ensuite publié séparément (Londres, 1707, in-a^), mais la
lettre de Bossuet n'y figure que traduite en anglais. L'original a été
reproduit par R. Nelson (^The Life of Dr George Bull, Londres, t7i3,
in-8, p. 385) et par le Rév. J. Mudry, dans sa version de Bull,
Londres, i8l\8, in-12. Un extrait de notre lettre a trouvé place dans
le Dictionnaire de Ghauffepié, t. H, p. ôog, mais traduit sur la ver-
sion anglaise de Bull. — Sur Robert Nelson, on peut voir notre
tome V, p. 875.
I. Blackheath (comté de Kent, au sud de Creenwicli), hameau
environné de châteaux et de villas, lieu de promenade des habitants
de Londres, d'où l'on jouit d'une belle vue sur la capitale.
3. Georges Bull (i634-i7to), théologien de l'Église anglicane,
fut pourvu de différents bénéfices, puis nommé à révèciié de Saint-
David en 1705. Ses principaux écrits ont été recueillis : Opéra
omnia, cura Jo. Ern. Grabe, Londres, 1708, in-Pol. On y voit entre
autres la Defensio Jldei Nicsenx de œ tenta divinilate Filii Dei, Oxford,
i685, in-?^. Après la mort du Dr Bull, on publia : Some important
points of primitive christianity maintained and dcfended in several ser-
mons and other discours, Londres, I7i3, 4 vol. in-8, avec la Vie di>
l'auteur par Robert Nelson. La Defensio fidei Nicœnœ fut très favora-
blement accueillie par les catholiques (cf. t. III, p. 455). Cependant
Richard Simon (Lettres, t. I, p. 21) remarque que l'auteur attaque
violemment le P. Petau, et qu'il se préoccupe moins de justifier la fo
des Pères de Nicée que de combattre la doctrine de la transsubstan-
tiation. De son côté, Huet, tout en louant l'intention de Bull, blàrae
sa méthode et l'accuse de parti pris. « Visus enim est nimium oouXsJeiv
xrj u;:oOca£i, et non tara quid censuerint Patres illi quam quid censere
X
1
il
juin. 1700] . DE BOSSUET. 320
Judiciam Ecclesise catholicae\ etc. Je vous dirai
d'abord, Monsieur, que je ressentis beaucoup de joie
à la vue de votre écriture et de votre nom, et que je
fus ravi de cette marque de votre souvenir. Quant
à l'ouvrage du Docteur Bullus, j'ai voulu le lire
entier, avant que de vous en accuser la réception,
afin de vous en dire mon sentiment. Il est admirable,
et la matière qu'il traite ne pouvait être expliquée
plus savamment et plus à fond. C'est ce que je vous
supplie de vouloir bien lui faire savoir, et en même
temps les sincères congratulations de tout le Clergé
de France assemblé en cette ville, pour le service
qu'il rend à l'Eglise catholique en défendant si bien
le jugement qu'elle a porté sur la nécessité de croire
la divinité du Fils de Dieu. Qu'il me soit permis
de lui dire qu'il me reste un seul sujet d'étonne-
ment : c'est qu'un si grand homme, qui parle si
bien de l'Eglise, du salut que l'on ne trouve qu'en
son unité, et de l'assistance infaillible du Saint-
Esprit dans le concile de Nicée, ce qui induit la
même grâce pour tous les autres assemblés dans la
même Eglise, puisse demeurer un seul moment sans
la reconnaître ; ou bien. Monsieur, qu'il daigne me
dire, comme à un zélé défenseur de la doctrine qu'il
enseigne, ce que c'est donc qu'il entend parce mot
Eglise catholique. Est-ce l'Eglise romaine et celles
qui lui adhèrent.*^ Est-ce l'Eglise anglicane? Est-ce
ilebuerint quaesivisse .. » (Au cardinal d'Aguirre, Bibl. Nationale,
lai., II 433, t'o 5/47). Voir Niceron, t. l, et la National Biography.
3. Judicium Ecclesix cathoUcœ triuin primorum secalorum de neccs-
sltate credendi quod Dominas Noster Jésus Christus sit veias Deus asser-
tnm contra M. Simonem Episcopium aliosque, Oxford, 1696, in-8.
324 CORRESPONDANCE [juill. 1700
un amas confus de sociétés séparées les unes des
autres ? Et comment peuvent-elles être ce royaume
de Jésus-Christ, non divisé en lui-même et qui
aussi ne doit jamais périr ? Que je seiai consolé
d'avoir sur ce sujet un mot de réponse qui
m'explique le sentiment d'un si grave auteur \'
Je suis très aise, Monsieur, d'apprendre dans
votre lettre d'heureuses nouvelles de la santé de
Mme votre femme \ que je recommande de bon
cœur à Dieu avec vous et votre famille.
Ceux qui vous ont raconté les rares talents de
M. l'archevêque de Paris, aujourd'hui le cardinal de
i\oail!es, vous ont dit la vérité : il y a longtemps
que la chaire de saint Denis n'a été si dignement
remplie.
Si M. Collier ^ dont vous me parlez, a fait quelque
4. La réponse à ces questions fut remise k Nelson au moment où
lui parvenait la nouvelle de la mort de Bossuet. G est IVcrit men-
tionné plus haut : The Corruptions of the Church of Rome in relation
to ecclesiaslical Government, the rule of faith and form of dioine
Worship. in answer tho the Dishop of Meaax's queries (Cf. la Revue
Bossuet du 25 juillet igoS, p. i38 et suiv.).
5. Mme Nelson s'était convertie en i683, et avait abjuré entre les
mains de Bossuet; son frère, Georges Berkeley demanda un sauf-
conduit par l'entremise de ce prélat (Cf. l. V, p. 876).
(j. Jérémie Collier (1630-1726), théologien anglican, qui soutint les
droits de Jacques II détrôné, et fut, pour ce fait, en b'Ile aux poui-
suites des Orangistes. Sur plusieurs points, il se rapprochait de l'Eglise
romaine, et peut être considéré comme un précurseur du Dr Pusey. Il
est auteur de divers ouvrages, pirmi lesquels on remarque rEcc/esiosi/-
calhistory of Great Brilain. Londres, [708- 171^, a vol. in-fol. On a vu
(t. VI, p. 295) qu'il avait traduit en anglais les Maxim- s et réflexions
sur la Comédie, et combattu l'immoralité du théâtre anglais (Voir Ma-
caulay, Comic dramatists of the Resloration, dans les Crilical an ^his-
torical essays, l^ondres, i85o, in-8, p. 57^ et suiv., ouvrage traduit par
M. Guillaume Guizot, Essais littéraires, Paris, i865, in-8, p. 19a à
I
sept. 1700] DE BOSSU ET. 826
écrit lalin sur la nouvelle spiritualité, vous m'obli-
gerez de me l'envoyer. Mais sur tout n'oubliez
jamais que je suis avec beaucoup de sincérité, Mon-
sieur, votre très humble et très obéissant ser-
viteur.
J. Bénigne, é. de Meaux.
Sascription : A Monsieur Nelson, à Blackheath.
•2021. — Leibniz a Bossuet.
A Brunswick, 3 septembre 1700.
Monseigneur,
Votre lettre du i" juin ne m'a été rendue qu'à mon refour
de Berlin, où j'ai été plus de trois mois, parce que Mgr
l'Électeur de Brandebourg m'y a fait appeler, pour contribuer
à la fondation d'une nouvelle société pour les sciences*, dont
S. A. É. veut que j'aie soin. J'avais laissé ordre qu'on ne
m'envoyât pas les paquets un peu gros ; et comme il y avait
un livre dans le vôtre, on l'a fait attendre plus que je n'eusse
voulu. C'est de la communication de ce livre encore que je
vous remercie bien fort ; et je trouve que, par les choses et
par le bon tour qu'il leur donne, il est merveilleusement
propre pour le but où il est desliné, c'est-à-dire pour ache-
ver ceux qui chancellent. Mais il ne l'est pas tant pour ceux
ao4 ; G. F. Secretan, Memoirs of the life and limes of the pioas Robert
Nelson. Londres, 1860, in-8, p. 69 et 1 1 7 ; la Mntional Biography, etc.).
Il ne paraît pas qu'il ait écrit sur le qniélisme.
Lettre 2021. — Minute autojjr.iplie, Hanovre, Papiers de Leibniz,
<* 388. Imprimée d'abord dans les OEaures posthumes de Bossuet,
t. I, p. 5io. Dans la collection Henri de Rotbschild, se trouve une
copie de cette lettre, par Ledieu.
I. Il s'agit de l'Académie de Berlin, Fondée par l'électeur Frédé-
ric, qui, le 10 janvier suivant, devait se faire couronner en qualité de
premier roi de Prusse. Leibniz fut le président de cette sociéii'
savante.
326 CORRESPONDANCE [sept. 1700
qui sont dans une autre assielle d'esprit"^, et qui opposent à
vos préjugés de belle prestance d'autres préjugés qui ne le
sont pas moins, ou la discussion même, qui prévaut à tous
les préjugés^. Cependant il semble, Monseigneur, que l'habi-
tude que vous avez de vaincre vous fait prendre toujours des
expressions qui y conviennent*. Vous me prédisez que l'équi-
voque de canonique se tournera enfin contre moi. Vous me
demandez à quel propos je vous parle de la force, comme
d'un moyen de finir le schisme. Vous supposez toujours qu'on
reconnaît que l'Eglise a décrété^ ; et, après cela, vous inférez
qu'on ne doit point toucher à de telles décisions.
Mais, quant aux livres canoniques, il faudra se remettre à
la discussion où nous sommes ; et quant à l'usage de la force
et des armes, ce n'est pas la première fois que je vous ai dit,
Monseigneur, que, si vous voulez que toutes les opinions
qu'on autorise chez vous soient reçues partout comme des
jugements de l'Église, dictés par le Saint-Esprit, il faudra
joindre la force à la raison.
En disputant, je ne sais si on ne pourrait pas distinguer
entre ce qui se dit ad populum, et entre ce dont pourraient
convenir des personnes qui font profession d'exactitude. Il
faut ad populum phaleras^. J'y accorderais les ornements, et
je pardonnerais même les suppositions et pétitions de prin-
cipe : c'est assez qu'on persuade. Mais, quand il s'agit d'ap-
profondir les choses et de parvenir à la vérité, ne vaudrall-il
pas mieux de convenir d'une autre méthode, qui approche
un peu de celle des géomètres, et de ne prendre pour accordé
que ce que l'adversaire accorde effeclivement, ou qu'on peut
dire d'avoir déjà prouvé^ par un raisonnement exact? C'est
de cette méthode que je souhaiterais de me pouvoir servir.
3. Edit. : pour iichever ceux qui sont dans une autre assiette
d'esprit.
3. Edit. : qui vaut mieux que tous les prt^jugés.
4. Convenables à un vainqueur.
5. Édit. : décidé.
6. Pers., SaL, III, 37. »
7. Edit. : ou ce qu'on peut dire déjà prouvé.
sf'pt. 1700] DE BOSSUET. 827
Elle retranche d'abord tout ce qui est choquant ; elle dissipe
les nuages du beau tour, et fait cesser les supériorités que
l'éloquence et l'autorité donnent aux grands hommes, pour
ne faire triompher que la vérité.
Suivant ce style, on dirait qu'un tel concile a décidé ceci
ou cela ; mais on ne dira pas que c'est le jugement de
l'Église, avant que d'avoir montré qu'on a observé, en don-
nant ce jugement, les conditions d'un concile légitime et
œcuménique, ou que l'Église universelle s'est expliquée par
d'autres marques ; ou bien, au lieu de dire l'Église, on dirait
l'Église romaine.
Pour ce qui est de la réponse que vous nous avez donnée
autrefois. Monseigneur, voici de quoi je me souviens. Vous
aviez pris la question comme si nous voulions que vous deviez
renoncer vous-mêmes aux conciles que vous l'econnaissez, et
c'est sur ce pied-là que vous répondîtes à M. l'abbé de Loc-
cum*. Mais je vous remontrai fort distinctement qu'il ne
s'agissait pas de cela, et que les conciles, suivant vos propres
maximes, n'obligent point là où des grandes raisons empê-
chent qu'on les reçoive ou reconnaisse ; et c'est ce que je vous
prouvai par un exemple très considérable. Avant que d'y
répondre, vous demandâtes. Monseigneur, que je vous
envoyasse l'acte public qui justifiait la vérité de cet exemple.
Je le fis, et après cela le droit du jeu était que vous répon-
dissiez conformément à l'état de la question qu'on venait de
former. Mais vous ne le fîtes jamais ; et maintenant (par
oubli sans doute), vous me renvoyez à la première réponse,
dont il ne s'agissait plus.
Vous avez raison de me sommer d'examiner sérieusement
devant Dieu s'il y a quelque bon moyen d'empêcher l'état de
rÊglise de devenir éternellement variable ; mais je l'entends en
supposant qu'on peut, non pas changer ses décrets sur la foi,
et les reconnaître pour des erreurs, comme vous le prenez,
mais suspendre ou tenir pour suspendue la force de ses déci-
8. Voir t. V, p. 38, p. 344, et t. VI, p. 3o et suiv., et
p. 334.
328 CORRESPONDANCE [sept. 1700
sions, en certains cas^ ; en sorte que la suspension ait lieu,
non pas entre ceux qui les croient émanées de l'Église, mais
à l'égard d'autres, afin qu'on ne prononce point anathème
contre ceux à qui, sur des raisons très apparentes, cela ne
paraît point croyable, surtout lorsque plusieurs grandes
nations sont dans ce cas, et qu'il est dilTicile de parvenir
autrement à l'union sans des bouleversements qui entraînent
non seulement une terrible elTusion de sang, mais encore la
perle d'une infinité d'âmes.
Hé bien ! Monseigneur, employez-y plutôt vou'^-mème vos
méditations et ce grand esprit dont Dieu vous a doué : rien
ne le mérite mieux. A mon avis, ce bon moyen d'empêcher
les variations est tout trouvé chez vous, pourvu qu'on le
veuille employer mieux qu'on n'a fait, comme personne ne
le peut faire mieux que vous-même. Il faut être circonspect'",
et on ne saurait l'être trop, pour ne point faire passer pour
le jugement de l'Eglise que ce qui en a les caractères indu-
bitables ; de peur qu'en recevant trop légèrement certaines
décisions, on expose et affaiblisse par là l'autorité de l'Église
universelle, plus sans doute incomparablement que si on
les rejetait tout à fait comme non prononcées ; ce qui ferait
tout demeurer sauf et dans son entier : d'où il est manifeste
qu'il vaut mieux être trop réser\é là-dessus que trop peu.
Tôt ou tard la vérité se fera jour, et il faut craindre que lors-
qu'on croira d'avoir tout gagné, quand c'est par des mauvais
moyens, on aura tout gâté, et fait au christianisme même un
tort dilTicile à réparer. Car il ne faut pas se dissimuler ce que
tout le monde, en France et ailleurs, pense et dit sans se
contraindre, dans les livres et dans le public. Ceux qui sont
véritablement chrétiens et catholiques en doivent être tou-
chés, et doivent encore souhaiter qu'on ménage extrêmement
le nom et l'autorité de l'Église, en ne lui attribuant que des
dérisions bien avérées, afin que ce beau moyen qu'elle nous
f). Le-i mots : et à certains égards, ajoutas toi par les «éditions,
manquent à la minnte.
10. Kdit : C'est qu'il Faut être circonspect.
sept. 1700] DE BOSSUET. 829
fournit d'apprendre la vérité garde sans falsification toute sa
pureté et loiile sa force, comme le cachot du Prince et comme
la monnaie dans un État bien policé ; et ils doivent compter
pour un grand bonheur et pour un coup de la Providence
que la nation gallicane ne s'est pas encore précipitée par
aucun acte authentique, et qu'il y a tant de peuples qui s'op-
posent à certaines décisions de mauvais aloi.
Jugez vous-même. Monseigneur, je vous en conjure, les-
quels sont meilleurs catholiques, ou ceux qui ont soin de la
réputation solide de l'Église'* et de la conservation du chris-
tianisme, ou ceux qui en abandonnent l'honneur, pour
maintenir, au péril de l'Église même et de tant de millions
d'âmes, les thèses qu'on a épousées dans le parti. Il semble
encore temps de sauver cet honneur, et personne y peut plus
que vous. Aussi ne crois-je pas qu'il y ait personne qui v
soit plus engagé par des liens de conscience, puisqu'un jour
on vous reprochera peut-être qu'il n'a tenu qu'à vous qu'un
des plus grands biens ait été obtenu. Car vous pouvez beau-
coup auprès du Roi dans ces matières, et l'on sait ce que h'
Roi peut dans le monde. Je ne sais si ce n'est encore l'intérêl
de Rome même : toujours est-ce celui de la vérité.
Pour(|uoi porter tout aux extrémités, et pourquoi récuser
les voies qui paraissent seules conciliables avec les propres et
grands principes de la catholicité, et dont il y a même
exemple'- ? Est-ce qu'on espère que son parti l'emportera de
haute lutte? Mais Dieu sait quelle blessure cela fera au chris-
tianisme. Est-ce qu'on craint de se faire des affaires? Mais,
cuire que la conscience passe toutes choses, il me semble que
vous savez*' dos voies sûres et solides pour faire entrer les
puissances dans les intérêts de la vérité. Enfin, je crains do
dire trop quand je considère vos lumières, et pas assez quand
je considère l'importance de la matière. Il faut donc en aban-
donner le soin et l'effet à la Providence, et ce qu'elle fera sera
I. Édit. : la réputation solide et pureté de l'Église,
des exemples,
il semble que vous avez.
12. Édit.
i3. Édit.
33o CORRESPONDANCE [sept. 1700
le meilleur, quand ce serait de faire durer et augmenter nos
maux encore pour longtemps. Cependant 11 faut que nous
n'ayons rien à nous reprocher. Je fais tout ce que je puis, et
quand je ne réussis pas, je ne laisse pas d'être très content.
Dieu fera sa sainte volonté, et moi, j'aurai fait mon devoir.
Je prie la divine bonté de vous conserver encore longtemps,
et de vous donner les occasions, aussi bien que la pensée de
contribuer à sa gloire, autant qu'il vous en a donné les
moyens. Et je suis, Monseigneur, votre très humble et très
obéissant serviteur.
Leibniz.
P. S. Mon zèle et ma bonne intention ayant fait que je
lue suis émancipé un peu dans cette lettre, j'ai cru que je ne
ménageais pas assez ce que je vous dois, si je la faisais passer
sous d'autres yeux en la laissant ouverte. J'ajoute encore seu-
lement que toutes nos ouvertures viennent'* de votre parti
même. Nous n'en sommes pas les inventeurs. Je le dis, afin
(ju'on ne croie point qu'un point d'honneur ou de gloire
m'intéresse à les pousser. C'est la raison, c'est le devoir.
2022. — A DoM Jean Mabillon.
A Saint-Germain, 3 septembre 1700.
Je VOUS rends grâces, mon Révérend Père, et je
vous prie en même temps de faire mes remercî-
menls au Révérendissime Père général du beau pré-
sent* que vous m'annoncez. J'en ai déjà vu la pré-
face'', qui est admirable, et j'ai grande impatience
de voir le reste.
i4 Edit. : nos ouvertures ou propositions viennent.
Lettre 2022. — L. a. s. Collection Gràtz, h Philadelphie.
1. Les œuvres de saint Augustin, de l'édition des Bénédictins. ^
2. En manuscrit (Voir plus haut, p. v'?2o).
sept. 1700] DE BOSSUET. '331
Vos prières pour l'heureux succès de notre
assemblée ont eu leur effet, puisque la grande
affaire de la doctrine finira demain heureusement,
s'il plaît à Dieu, et avec un consentement una-
nime ^ Vous savez qu'en telles matières, la dernière
journée n'est pas la moins importante ; ainsi je vous
demande la continuation de vos prières, et suis avec
cordialité et vénération très parfaitement à vous.
J. Bénigne, é. de Meaux.
Suscription : Le Révérend Père Mabillon, à
Saint-Germain-des-Prés, à Paris.
202.H. — A l'Abbé de Rangé.
A Saint-Germain, 16 septembre 1700.
Monsieur de Séez*, votre cher évêque, se charge,
Monsieur, de vous envoyer avec cette lettre un
exemplaire de la Relation sur l'affaire de Cambrai,
et un de la censure de notre Assemblée^. Je ne doute
3. Cf. Ledieu, t. Il, p. i33. Voir p. iJ8o.
Lettre 2023. — Copie anthentique, Blbliotlièque Nationale,
Fr. i5i8o.
(. Louis d'.Vquiii, passé de Fréjus à Séez, comme on l'a dit, p. 85.
2. La relation présentée par Bossuet à l'assemblée de 1700, et la
censure portée par cette assemblée contre les casuistes : Relation des
actes et délibérations concernant la constitution fin forme de bref de
\. S. P. le Pape Innocent XII, du douzième mars iGgg, portant con-
damnation et prohibition du livre intitulé Explication des maximes des
saints sur la vie intérieure par Messire Fr. de Salignac Fénelon..., avec
la délibération prise sur ce sujet le 33 juillet i yoo, dans l'Assemblée
(jénérale du Clergé de France à Saint-Germain-enLaye, Paris, 1700,
in-4. — Censura et declaratio conventas generalis cleri gallicani congre
gati in palatio regio San-Germano, anno lyoo, in materia Jldei et
332 CORRESPONDA.NGE [sept 1700
pas que vous ne rendiez grâce à Dieu de nous avoir
inspiré ces deux choses, qui seront, s'il plaît à Dieu,
utiles à l'Eglise. Il me resterait une chose à faire,
qui serait la consolation de vous aller voir' ; mais je
crains d'être privé celte année de celte joie par le
besoin que j'ai d'aller chez moi, après quatre mois
d'absence, sans presque avoir eu le temps de pour-
voir aux affaires de mon diocèse. Aimez-moi tou-
jours. Monsieur, et soyez persuadé de mon invio-
lable attachement à votre personne et à la sainte
maison.
2024. — Circulaire aduessée au Clergé.
Monsieur,
Nous vous envoyons un règlement' que nous avons
cru devoir faire pour empêcher les évêques d'être
surpris dans les permissions qu'ils donnent de prê-
cher et de confesser dans leurs diocèses, aux reli-
gieux qui leur sont présentés par leurs supérieurs.
morum. ejnsdem generalis conuent.iis jussu publicalo et typis édita, Paris,
1700, in-/l.
3. Bossuet ne devait plus faire le voyage de la Trappe : Rancr
mourut le 27 octobre de la même année.
Lettre 2024. — L'.\ssemblée du Clerg-^, ayant adoptt^ au sujet
des rt^guliers un règlement proposé par l'archevêque de Reims,
appnvé par l5ossuet, charjjea l'évèque de Meaiix de rédiger In lettre
circulaire par laquelle on porterait cette ordonnance à la connais-
sance de l'Église de France {Procez verbal de l'assemblée (jéiiérnle du
Clergé de France tenue à Saint-Gerinain-en-Laye. au Chdteau-ncuf. en
l'année mil sept cent, Paris, 1708, in-Pol., p. 623, séance du 17 sep-
tembre).
I. Le texte de ce règlement est imprimé dans le procès-verbal.
p. /18q.
sept. 1700] DE BOSSUET. 333
L'Evangile nous appn nd que les trésors célestes,
tels que sont la prédication de la parole de Dieu et
l'administration du sacrement de pénitence, doivent
être mis entre des mains sûres, et distribués à cha-
cun selon sa propre vertu, secundum propriam vir-
tutem^ : de peur que, si la dispensation de ces grâces,
qui font toute la richesse de l'Eglise, était conimise
indilTéremment et sans connaissance à toute sorte de
sujets, elle n'échut, trop facilement et contre notre
intention, au serviteur inutile qui ne saurait pas les
faire valoir. C'est pour éviter cet inconvénient, que
plusieurs prélats^ avaient réglé depuis quelques
années que les religieux qu'on envoyeiait pour tra-
vailler dans leurs diocèses, n'y paraîtraient pas
a. Matt., XXV, i5. Bossuet ne fait que répéter ici ce qu'il avait
dit dans 1'A.ssemblée, le ar août. «... M^jr l'évpqiie de Meaux, chef
de la commission, a dit que le {gouvernement ecclésiastique se réjjlait
ou par le droit étroit et par les canons, ou par la condescendance et
par l'équité ; qu'à regarder le droit et les canons, il n'y a rien de
mieux établi que la disposition de l'ordonnance de Mgr l'archevêque
de Reims, que les lettres testimoniales se trouvaient dès l'origine du
christianisme et même dans les Epîlres de saint Paul ; que c'est pour
cela qu'il demandait aux Gorintliieiis : Avons-nous besoin de lettres de
recommandation auprès de vous ? que, lorsqu'il s'agit de porter à Jéru-
salem les aumônes des Églises, le même saint 1 au! avait expressé-
ment marqué qu'on en chargerait ceux qui seraient approuvés par
leurs lettres, quos probareritis per epistolas ; que, s'il fallait avoir un
bon témoignage pour porter des trésors temporels, combien plus en
avaient besoin ceux qui étaient les dispensateurs des grâces spiri-
tuelleî; que la coutume des lettres testimoniales venait même par la
tradition de l'ancien peuple ; que le même saint Paul étant arrivé à
Rome, les Juifs lui dirent qu'ils n'avaient reçu de Judée aucune
lettre ni aucun témoignage contre lui ; qu'il n'était pas nécessaire de
marquer dans toute la suite des siècles la continuation d'un usage si
nécessaire ; que les religieux ne doivent pas être exempts de cette
obligation... » {Procez-veibal, p. diSS).
3. Les archevêques de Reims et de Rouen j les évêques de Noyon,
d'Arras et d'Amiens.
334 CORRESPONDANCE [sept. 1700
sans le témoignage, non seulement de leurs supé-
rieurs par rapport à la régularité, mais encore, et à
plus forte raison, sans celui des évêques du lieu où ils
auraient servi, par rapport aux fonctions ecclésias-
tiques. Quoique ce règlement soit très sage,
quelques Ordres religieux ne s'y sont pas soumis,
pour des raisons que nous n'avons pas approuvées.
La nature du gouvernement épiscopal, qui, pour être
tout paternel, doit être rempli de charité et de dou-
ceur, nous a engagés à chercher des tempéraments
qui pussent en même temps satisfaire au devoir de
nos consciences et contenter la déhcatesse^ des régu-
liers, que nous chérissons comme nos enfants. C'est
ce qui nous a portés à faire un nouveau règlement,
qui, en remédiant à un mal constant et trop com-
mun, ne leur donnera pas le moindre prétexte de
dire qu'on veuille entamer leurs privilèges. Nous
vous l'envoyons avec la délibération que nous avons
prise sur ce sujet le vingt-unième du mois d'août
dernier. Vous y verrez les raisons pour lesquelles
nous avons cru devoir réserver aux assemblées plus
nombreuses que celle-ci ^ la revue des anciens règle-
ments faits pour les réguliers dans les assemblées de
1625, de i635 et de i645. Nous avons seulement
jugé à propos de vous prier de tenir la main à leur
exécution et de redoubler vos soins pour obliger vos
/i. Délicatesse, susceptibilité. Fénelon a dit : « Cette délicatesse
qui vous rend si facile à être blessé » (Dialogues des morts, XVII).
Cf. t. II, p. 378, « les tendres oreilles des Romains ».
5. L'assemblée de 1700 était une « petite assemblée », et n'av;..l
l'té convoquée que pour la reddition quinquennale des comptes.
Trente-six membres seulement y avaient pris part.
sept. 1700] DE BOSSUET. 335
diocésains à fréquenter la messe et l'office paroissial ;
c'est une pratique où toute l'Eglise, et nos prédé-
cesseurs en particulier, ont fait le plus consister la
piété et l'exercice de la communion ecclésiastique.
Nous sommes, Monsieur, vos très humbles et très
affectionnés serviteurs et confrères les archevêques,
évêques et autres ecclésiastiques députés en l'Assem-
blée générale du Clergé.
Charles M., arch. duc de Reims, président.
Par Nosseigneurs de l'Assemblée,
L'abbé Desmarets ^ Sec™.
A Saint-Gennain-en-Laye, le 17 septembre 1700.
2025. ClRCULAIUE ADRESSEE AU ClERGÉ.
Cardinales , Archiepiscopi, Episcopi aliique Ecclesia-
stici viri permissione regia in Regio Palatio San-
Germano congregati, Cardinalibus, Archiepiscopis .
Episcopis, et universo Clero per Gallias consistenti.
Salutem in Chris to.
Fuit is pridem décor chrislianœ disciplinae,
6. Vincent François Desmaretz, fils de Jean Desmaretz et de ^Nlarie
Golbert, était frère de Nicolas Desmaretz, directeur des finances,
puis contrôleur général, et de Jacques Desmaretz, évèque de Riez. Il
avait servi d'abord dans la marine et avait été capitaine de vaisseau
en 1677 sous le nom de M. de Vouzy. Il eut en 1680 une compagnie
aux gardes françaises, puis, en 1687, entra dans l'élut ecclésiasti-
que. 11 fut agent du Clergé en 1698, et il était grand vicaire de
Kouen pour le vicariat de Pontoise, lorsqu'il fut nommé évèque de
Saint-Malo le i5 avril 1702. .Il mourut le 25 septembre 1789, h
quatre-vingt-un ans. Il s'était soumis à la bulle Unigenitus, après en
avoir appelé (Voir la table des Nouvelles ecclésiastiques ; Ogée,
Dictionnaire historique de la Bretagne, Nantes, 1778-1780, a vol. ln-4)-
Lettre 2025. — Publiée dans le Procez-verbal de l'Assemblée gêné-
336 CORRESPONDANCE [sept. 1700
qiiem bealus Aposlolus commendaret his verbis :
De cœtero, Fratres, qusecamqae sunt vera, quœ-
rumque pudica, qiisec unique jus ta, quœcurnque sancta,
qusecumque amabilia, quœcurnque bouse faniœ, si
qua virtus, si qua laus disciplinas, hœc cogilate\
Hsec enim illa est pulchritudo juslilise ; hoc veri
studium ; is splendor sanctitatis ; haec amabilitas
morum ; haec chrisliani nominis fama, quae ad
Ghristum omnia facile pertraheret : neque ahud
fuit quo scandalum Crucis, quo praedicalionis stul-
titia magis nobihtari posset. Quare, cum ad exlrema
ventum est tempora, in quibus décor pristinus,
imminuta fide, refrigescente charilate, labente disci-
pUna, morum corruptehs, ac denique, ut fit, falla-
cium opinionum illuvie deteri videbatur, id egcrunt
omnes pii alque ipsa prœsertim Ecclesia Gallicana,
ut moralis theologiœ dignitatem vindicarent. Huic
igitur operi ut jam vel maxime salutares admovealis
manus, et nostra judicia vestra consensione firmelis,
communis officii ratio et charitatis vinculum et Col-
legii noslri unilas et auctoritas suo quodam jure
postulant.
Et^ quidem doctissimae ac celeberrima» ïheolo-
rale du Clergé de France tenue à Saint-Germain-en-Laye , au Château
neuf, en Vannée mil sept cent, Paris, 1708, in-fol., p. 617. — Bossuet
avait pris une part préponcif'rante clans les di'libf^ratioiis qui abouti-
rent à la censure de cent vingt-cinq propositions. L'.Vssemblt^e lui
(■onfia, le 4 septembre, le soin de rédiger la circulaire par laquelle
cette censure serait notifiée à l'Église de France. L'évèque de Meaux
en donna lecture le 16 septembre, dans la séance de l'après-midi ;
elle y fut approuvée et signée.
r. Philip., IV, 8.
a. Bossuet va rappeler brièvement les mesures pris(!s contre les
sept. 1700] DE BOSSUET. 887
gicœ Facultates. maxime vero Parisiensis cum Lova-
casuistes. Mis en éveil par les Provinciales, les curés de Rouen
demanderont à leur arclievèque de condamner ces moralistes, puis
sollicitèrent les curés de Paris de s'associer à leurs démarches.
L'affaire fut déférée à l'Assemblée du Clergé de i655, et celle-ci,
obligée de se séparer sans avoir eu le temps de prononcer une cen-
sure, ordonna du moins, sur lu rapport de Godeau, évèque de Vence,
d'envo. er dans les provinces une nouvelle édition des Instructions aux
confesseurs, de saint Charles Borromée. Mais, bientôt après, parut une
Apologie pour les casuistes contre les calomnies des jansénistes (Paris,
1637, in-4), écrit anonyme du P. Georges Pirot, jésuite, qui souleva
de vives protestations. Les curés de Rouen adressèrent à leur arche-
vêque, contre cet ouvrage, deux lettres vigoureuses rédigées par
Gh. du Four, curé de Saint-Maclou et abbé d'Aulnay (i(i58); on
répandit sous le nom des curés de Paris une dizaine d'écrits, dont
plusieurs sont dus à Pascal ; V Apologie, condamnée par la Faculté de
Paris le 16 juillet i658 et par un grand nombre d'évèques de France
à la sollicitation de leurs curés, fut enfin censurée par Alexandre VII,
le ai août lôjg. La campagne contre la morale relâchée recommença
à propos d'une réimpression d'un ouvrage du jésuite espagnol Mathieu
de Moya, paru sous le pseudonyme d'\madaeus Guimenius (Opuseu/um
singularia uniuersœ fere theoloçjise moralis complectens, Lyon, i664,
in-4). Cet ouvrage, censuré le 3 février i665 parla Faculté de Paris,
fut mis à l'Index le 18 avril 1666, bien que, dans l'intervalle,
Alexandre VII eût condamné la censure de la Sorbonne, dont le gal-
licanisme l'avait mécontenté. Les casuistes trouvèrent un autre apo-
logiste dans la personne du P. Honoré Fabri, jésuite, dont un
ouvrage intitulé Apologeticus doclrime moralis Societatis Jesu (Lyon,
1670, in fol.) fut mis à l'Index, en 1672 et 1673 (Voir : Septième écrit
des curés de Paris, ou Journal de tout ce qui s'est passé, tnnt à Paris que
dans les provinces, sur le sujet de la morale et de l'Apologie des casuistes,
Paris, 1609, in-i4 ; le P. Annat, Recueil de plusieurs faussetés et impos-
tures contenues dans l'imprimé qui a pour titre : Septième écrit des curés,
etc., Paris, iGSg, in-4 ; les Œuvres de Pascal, édit. L. Brunsclivicg,
P. Bout roux et F. Gazier, dans la collection des Grands écrivains,
t. VII et VILI ; l'abbé Jacques Boileau, Recueil de diverses pièces concer-
nant les censures de la Faculté de théologie de Paris sur la hiérarchie et
la morale. Munster, 1666, in-i2; Ellies du Pin, Histoire ecclésiastique
du XVW siècle, t. II et III ; .Mémoires de d'Avrigny, aux années iGSg
et i665; Mémoires de Rapin, t. III, p. i/j et i5 ; de G. Hermant,
t. III et IV ; le P. Sommervogel, Bibliographie, aux mots Fabki, Mota
et Pikot; Ledieu, Clé de la censure. Bibliothèque Nationale, fr.
i38o8).
XII - 33
338 CORRESPONDANCE [sept. 1700
niensi ' conjuncta, etiam interrogantibus episcopis,
pro olficio suo gliscentem novandi libidinem lepres-
serunt. Gompresbyteri qunque nostri parochialium
Ecclesiarum redores, caeterique doctores in amplis-
simis civilatibus constituti, ad nostra usqiie tempora
non cessarunt exaltare vocem suam in pluteis Sion,
atque episcopos in alliore spécula collocatos assidiiis
efilagitalionibus incilarunt : qui quidem eorum
vocibus et ipsa rei necessilate commoti, pro loci
sui auctoritate, valentiore manu gladium spiritas''
assumpsei'unt quod est verbum Dei, ad dirumpenda
cervicalia et pulvillos inani arte consutos sub omni
cubito manus^, ne infelices animaî in morte obdor-
miscerent, ac par falsse pacis somnium ad aeterna
supplicia raperenlur. Neque tantum fratres nostri,
apostoli Ecclesiarum, gloria Chrisli, in suis quique
diœcesibus ascenderunt ex adverso, sed et plenitudo
exercilus Israël, ipsi nempe Conventus Gleri Galli-
cani, in Ghristi nomine rite adunali, de fide et
moribus ediderunt pr*clara conslituta, gravesque
censuras, quarum baud exiguam partem comme-
morandam repelendamque censuimus.
Nec tacere possumus, Religiosissimi Patres,
memorabilem sententiam qua maximus ac doclissi-
mus Gœlus, anno i655 et sequenlibus Parisiis con-
gregalus, gravissimo judicio suo damnavit perversani
3. Lii Faculté de Louvain avait censuré en i653 et en 1657 un
certain nombre de propositions de morale lelûcliée ; elle condamna
aussi le livre de Guimenius avant celle de Paris.
4. Kphes., VI, 17.
5. Ezecli., xiii, 18. Ce verset est la source de l'expressio i sou-
vent répétée : « Mettre des coussins sous les coudes des pécheurs. >>
sept. Ï700] DE BOSSUET. 889
ac falsi nominis scientiam, xjua instructi homines
non jam accommodarent mores suos ad evangelicw
doctrinœ normam, sed et ipsam poilus regulam ac
sancta mandata ad cupiditates suas infœcterent et
detorquerent, novaque et inani philosophia christia-
nam disciplinam in academicas qusestiones ac dulnas
jluc tuante s que sententias ventèrent^. Hspc illi : qua
sententia versalilem illam ac noxiani opinionum
flexibilitatem, hoc estipsummali caput, conterebant.
lllud vero judicium sancti Caroli Borromaei commo-
nitionibus ad ministros pœnitenlicC dafis prœfixum
ad collegas suos sanctos Ecclesiarum Gallicanarum
episcopos transmiserunt, ac deplorata sœculi caeci-
tale, id quoque indoluerunt, quod in ipso Comitio-
rum exitu, oppressi negoliis, congrua medicina
grassantes morbos propellere non potuerinl. Quibus
sane verbis ea remédia non omisisse prorsus, sed in
opportuniora tempora dislulisse, eamque provin-
ciam secuturis Convenlibus demandasse visi sunl.
Hanc paternam veliit haereditatem Cleri Gallicani
Cœtus anno 1682 Parisiis congregatus exceperat,
sed, conventuinteiTupto, nesalutaris consiliimemo-
ria intercideret, sapientissimi Patres pravarum pro-
positionum indiculum, anleaquam discederent, edi
ac per Ecclesias milti voluerunl, ut futuris Conven-
6. Lettre de l'assemblée de i655, en tète de l'édition des Instruc-
tions de saint Charles Borromée aux confesseurs de sa ville et de son
diocèse... imprimées par le commandement de l'Assemblée générale du
Clergé, Paris, i656, in-i6. Le soin de préparer cette édition avait éti-
confié à l'abbé Gabriel de Ciron, chancelier de l'Eglise et de l'Uni-
versité de Toulouse, le même qui fonda, avec Mme de Mondonville,
la congrégation des Filles de l'Enfance de Jésus.
34o CORRESPONDANCE [sept. 1700
libus velut digito indicarent quidtum Gallicana para-
ret Ecclesia, aut quid a posteris exspectari par esset.
Ex his profecto liquet Episcopis Gallicanis ad Dei
gloriam semper intentis non aniinum unquam, sed
opportunitatem defuisse ; quam nacti occulta quadam
divini numinis providentia, opus in manus resum-
psimus, hoc vel maxime tempore quo fratres noslros
a fide calholica devios, maximo Rege praeeunte,
revocare nitimur ad Ecclesiam, cum nihil sit quo
magis optimi ac religiosissimi Principis studia adju-
vare possimus, quam si demus operam ut cliristianae
de moribus régulée, castitas et honestas, magis
magisque in dies, nec tantum decretis atque sen-
tentiis, verum etiam factis et executione enitescat :
quippe qua vel maxime ad Ghristum omnia trahi
atque etiam infidèles ab extremo orbe ad fidem con-
verti solere diximus.
Nec defuturam speramus Ecclesiae laboranti eam
quae semper adfuit regiam auctoritatem. Extant
nostris temporibus ', Rege ipso praesente, regii Con-
silii suprema judicia de coercendis erroribus qui ad
Ecclesiae ac Reipublicae exilium publiée docerentur,
castigatis quoque ac repressis eorum auctoribus.
Neque quidquam est boni utilisque consilii quod
Ludovici Magni temporibus non exspectari possit.
aut est quidquam hujus regni gloriae ac splendori
congruentius quam ut religionis ac disciplinas puri-
tas sanctitasque floreat.
Hujus ergo rei gratia, nos in Spiritu sancto et in
Chrisli nomine adunati, ejusque ope freti, non tam
7. En i64/|. >
sept. 1700I DE BOSSUET. 34 1
novum opus aggredimurquam sancta décréta, quoad
fieri potuit, colligimus, ordinamus, adhibitis notis.
cerlisque principiis indicalis, quibus instrucli coo-
peratores nostri, sacramentorum administri, errores
subinde in Ecclesia renascentes non modo perspi-
cere, verum etiam facile confulare possint. Hoc
opus non tam nostrum quam vestrum, vestris
quippe auspiciis, vestro spiritu gestum, sanclissimi
ac religiosissimi Consacerdotes, vestrse pietati,
vestrae fidei commendamus, hoc in tutela praesi-
dioque vestro ponimus : hoc fidèle depositum cum
caeteris egregiis monu mentis vestrorum Cœtuum
componendum et in communes Ecclesiarum usus
adhibendum relinquimus, ut in Christo Jesu, quo
uno confidimus, Ecclesise Gallicanae, immo etiam
Catholicae gloria inclal•escat^ Valete in Domino.
Datum in Palatio Regio San-Germano XV Kal.
Ociobris M. DCC.
8. La condamnation portée par l'assemblée fut critiquée, nous dit
Ledieu (f. II, p. 16^), dans une Lettre d'un abbé à son ami sur la cen-
sure des propositions de l'Assemblée du Clergé, attribui'e au P. Daniel.
Cette censure visait des propositions sans en nommer les auteurs,
(j'élait une lacune que voulut combler l'abbé Ledieu, et à cet edet 11
composa la Clef de la censure, qui est restée manuscrite et dont la
BibliothèqneNationale(fr. i38o8) possède une bonne copie. Ledieu la
lut à Bossuet. Le prélat, écrit Ledieu lui-même, « m'a tranché le mot:
qu'il jujjeait cet ouvrage utile à l'Eglise, qu'il désirait fort de le voir
imprimé..., mais qu'il fallait bien prendre garde à qui on confiait un
tel dessein ; qu'au surplus, s'il venait à être découvert, il fallait
m'attendre qu'il serait obligé de me désavouer. » Et la raison, c'est
que, « quand il avait obtenu du Roi la permission de faire la censure
des casuistes dans la dernière assemblée, c'avait été à la condition
expresse qu'on ne nommerait aucun auteur condamné, pour ne rien
aigrir, et qu'il était obligé de tenir cette parole donnée si solennelle-
ment... » (Ledieu, t. II, p. ^24 et l^25).
342 CORRESPONDANCE [sept. 1700
L.-A. GARD. DE NoAiLLEs, Archiep. Parisiensis,
Prœses.
Cauolus m., Arch. Dux Remensis.
Anna. Arch, Auxitanus.
Armandus, Arch. Viennensis.
Léo, p. p., Arch. Bituricensis.
Armandus, Arch. Burdigalensis.
; J. Benignus, Episcopus Meldensis.
Henricus, Episcopus et Cornes Cabilonensis.
'l Joannes Baptista, Episcopus Rhedonensis.
Garolus, Episcopus Massihensis.
Henricus, Episcopus Montisalbani.
-|- Henricus, Episc. Gadurcensis.
-|- Garolus, Episcopus Glandavensis.
-|- JosEPHus Ignatius, Episcopus Aptensis.
-j- LuDovicus, Episcopus Sagiensis.
^ Franciscus, Episcopus Trecensis.
RoGERius de Bussy-Rabutin.
Joannes Bap. de Gailus.
Joannes F. P. de Gaumarlin. Abbas B. M. de
Buzayo.
Franciscus Prosper Ghoart de Buzanval.
LuDovicus Armandus de Gourgue.
Gamillus Le Tellier de Louvois.
Franciscus Thomassin de S. PauL
Gl. de Biet de Maubranches.
Joannes de Gatellan.
J. F. Petit de Ravanne. f
HoNORATus de Beaujeu.
G. Le Mazuyer.
Jacobus Benignus Bossuet, Abbas Saviniaci.
sept. .700! DE BOSSUET. 3^3
Flodoardus Moret de Bourchenu, Praepositus
Ecclesiae Sancti Andreae Gralianopolis.
Carolus Mauritius Colbert de Villacerf, nuper
Agens, nunc Promolor.
H. Carolus Arnauld de Pomponne, Abbas Sancti
Medardi.
C. Mauritius du Bouzet de Roquépine, Abbas
Sancti Nicolai Andegavensis.
Gabriel de Cosnac, Agens in rébus Cleri.
Carolus Andrault de Langeron Maulevrier, Agens
in rébus Cleri,
ViNCENTius Franciscus Desuiaretz, nuper Agens
in rébus Cleri, nunc a Secretis.
2026. — Lamoignon de Basville a Bossuet.
Vous avez été si occupé, Monsieur, depuis quelque temps,
et à des affaires si importantes % que je n'ai o^é vous in-
terrompre, quoique je dusse, pour satisfaire à la dernière
lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire^, vous
mander mes pensées sur les réflexions que vous avez bien
voulu faire touchant la question de savoir si l'on peut con-
traindre par des voies modérées les nouveaux convertis d'aller
à la messe. J'ai employé ce temps à conférer sur cette impor-
tante matière avec MM. les évoques de Rieux, de Mirepoix et
Lettre 2026. — Grand séminaire de Meaux. De la main d'un se-
crétaire ; la signature seule est autographe. •
1. L'affaire des Maximes des saints et l'assemblée du Clergé, de
1700.
2. Celle du II juillet, p. 3 18.
344 CORRESPONDANCE [sept. 1700
de Nîmes. Je leur ai même communiqué votre lettre ; et,
après y avoir bien réfléchi, ils ont écrit eux-mêmes les
réflexions que je vous envoie *, qui valent bien mieux que
tout ce que je pourrais penser : j'y ajouterai seulement ce
que l'expérience m'a appris depuis dix-huit ans que je tra-
vaille aux afl'aires de la religion.
Je vois, Monsieur, que votre principale difliculté est que
l'on donne une faible idée de la sainteté du mystère* aux
nouveaux convertis, qui y vont avec indifl'érence et même
avec répugnance.
Il est certain que, s'il n'y en avait qu'un petit nombre, on
devrait ne les y admettre qu'après une épreuve ; et ce devrait
être comme le dernier sceau de leur foi. Il faudrait leur faire
désirer un aussi grand bien, et qu'ils ne pussent le recevoir
qu'après en avoir connu parfaitement l'excellence. Mais, lors-
qu'il y a dans une seule province plus de deux cent mille
nouveaux convertis, il semble que le grand nombre doit faire
changer de conduite. Vous savez mieux que moi combien
cette raison du grand nombre a été forte dans tous les temps;
que saint Paul et saint Augustin, et même le Sauveur du
monde, y ont eu beaucoup d'égard : c'est ce que M. de Mire-
poix a très bien démontré dans un petit traité qu'il a fait sur
cette matière''.
Il semble, en effet, que c'a été de tout temps l'esprit de
l'Église*. Nous avons plus de soixante-dix lois laites par neuf
empereurs orthodoxes depuis Constantin, pratiquées par les
rois goths contre les ariens, par Charleinagne contre les
Saxons, par saint Louis contre les albigeois, qui contiennent
des peines rigoureuses contre les hérétiques réunis, pour les
porter à suivre les exercices de notre religion. Elles ont été
faites souvent à la prière des évêques, et quelquefois des con-
ciles ; elles ont été louées et approuvées par les Pères de
3. On les trouvera en apprendice, p. 4i8 h 435.
4- Voir la lettre du 11 juillet, p. Sig. '
5. Sans doute le mémoire annoncé dans une lettre du 6 août 1698
à M. de Noailles (cf. J. Lemoine, op, cit., p. 176).
6. Cf. t. IX, p. 317.
sept. 1700] DE BOSSUET. 345
l'Église. Craignait-on en ce temps-là de profaner le mystère,
ou de n'eu pas donner une assez grande idée? Les arien.s
réunis par la crainte des lois, et entrant à l'Église parce
qu'ils y étaient coutraints, avaient-ils dans les commence-
ments une foi bien vive de la divinité de Jésus-Christ ? Cepen-
dant non seulement ils y étaient soufferts, mais on les obli-
geait d'y aller, parce qu'ils étaient en grand nombre, que
plusieurs d'entre eux se déterminaient à croire par l'instruc-
tion. Ils entraient à l'Église encore hérétiques dans le cœur :
le temps, le soin des pasteurs, la vue de nos mystères, la grâce
qui y est attachée les détrompait peu à peu. La foi venait
insensiblement : faible dans les premiers temps, elle se for-
tifiait dans la suite ; et la bonne nourriture prenant pour
ainsi dire la place de la mauvaise, les conversions devenaient
parfaites et sincères.
C'est, Monsieur, ce qui arrive encore aujourd'hui dans ce
que nous appelons nouveaux convertis. Si on ne leur
demande rien, ils demeurent abandonnés à eux-mêmes, dans
une espèce de langueur, sans culte, sans religion ; et l'ou-
vrage du Roi ne consisterait à leur égard qu'en ce qu'il leur
aurait ôté celle qu'ils professaient.
Quand on les presse d'une manière modérée, bien moins
sévère que celle qui est portée par les lois des empereurs, et
qui se termine après tout au précepte de saint Paul : Inslo,
increpa, obsecra'' , nous voyons qu'ils se réveillent de ce som-
meil léthargique; que, venant à l'église, ils se détrompeni
des fausses idées qu'ils ont prises dès leur naissance. Ils com-
prennent ce que c'est que la messe, en la voyant dire ; en
lisant eux-mêmes ce qui s'y dit, ils sont surpris de n'y trou-
ver que des prières admirables, dont ils sont très édifiés ; et
j'en ai vu plusieurs bien convertis, qui m'ont avoué qu'ils
n'auraient jamais été détrompés, s'ils n'avaient pas pris sur
eux d'y aller dans les commencements, même avec répu-
gnance.
7. Le texte tiiblique complet porte : insta opportune, importune :
argue, obsecra, increpa (II Timotli., iv, 2).
346 CORRESPONDANCE [sept. 1700
Il y aurait d'ailleurs une espèce d'impossibilité de les
instruire, s'ils ne se rassemblaient. Comment un seul curé
pourrait-il en détail instruire deux ou trois mille nouveaux
convertis qui sont dans sa paroisse? Si on les rassemble hors
le temps de la messe, rien ne (ait un plus mécliant eiïet : ils
se fortifient, par cet éloignement, dans les fausses idées qu'ils
ont du mystère ; et ils se croient en droit de demeurer tou-
jours dans leurs erreurs, quand ils n'ont pas fait ce premier
pas pour en sortir.
11 me semble que tout doit céder à l'expérience. On voit
que, sans force, sans violence, et par la seule application
qu'on se donne à presser, à exhorter, à faire voir la nécessité
qu'il y a de suivre les engagements qui ont été pris par
l'abjuration, en exilant seulement dix ou douze personnes
dans tout le Languedoc, qui y donnaient un très mauvais
exemple et qui faisaient gloire de le donner, presque toutes
les églises sont maintenant remplies. N'est-il pas plus avan-
tageux d'y voir le troupeau rassemblé, que d'avoir à courir
après toutes les brebis égarées ? Il est certain qu'un grand
nombre revient de bonne foi, cl que l'on voit un fruit très
('•vident de la parole de Dieu.
Plusieurs, à la vérité, vont encore à l'église sans foi; mais
plusieurs y acquièrent de la foi tous les jours : ceux qui l'ont
faible sentent qu'elle se fortifie, et marchent insensiblement
au point de perfection ; elle vient aux uns plus tôt, et aux
autres plus tard; mais enfin nous en voyons les progrès.
On compte toujours, dans les lieux où l'on travaille avec
application, quelque conquête nouvelle et assurée ; et nous
n'entendons dire autre chose à des gens bien revenus, si ce
n'est qu'ils bénissent la main qui les a l'ail entrer à l'église
avec quelque espèce de contrainte, parce que, sans cela, ils
n'auraient jamais pris la résolution d'y venir. Plusieurs
attendent le moment qu'on leur parle avec fermelé, et ils se
déterminent dès qu'on leur a parlé ; ils le disent ainsi eux- ^
mêmes.
Je dois ajouter, Monsieur, qu'il y a un nombre très grand
sept.i70o] DE BOSSUET. 3^7
de nouveaux convertis, qui sont fatigués de vivre sans reli-
gion. Le peu de résistance qu'on trouve en eux d'aller à
l'église et à la messe vient de ce principe ; mais ils sont encore
arrêtés par une fausse honte, par le mauvais exemple de
quelque esprit malin. Quand on rompt ces liens, ils en sont
ravis ; et rien ne leur fait plus de plaisir que de voir impri-
mer un mouvement général qui les entraîne, et qui les porte
où ils iraient d'eux-mêmes, s'ils n'étaient retenus par les pré-
jugés, qui ont fait de tout temps tant de peine aux héré-
tiques.
Si je ne m'arrêtais en cet endroit, je répéterais ou plutôt
j'affaiblirais ce que ces savants prélats, dont je vous envoie
les écrits, vous représentent. Je me contenterai de vous dire
que, s'il y a quelque inconvénient de ne pas donner une
grande idée du mystère à ceux qui n'en sont pas persuadés,
cela est bien récompensé pur le nombre de conversions sin-
cères qui se font tous les jours, et qui ont commencé par un
mouvement de contrainte. Le respect et la vénération pour
le mystère ne manquera pas de venir, lorsqu'ils seront assez
heureux pour goûter l'instruction, et qu'ils commenceront à
vouloir connaître de bonne foi notre religion telle qu'elle est :
cependant l'habitude se forme, et l'habitude aide beaucoup
les hommes pour suivre les exercices de la religion.
Mais, comme je n'ai rien plus à cœur que de ne point excé-
der les bornes du véritable zèle, que je dois avoir pour rem-
plir mes fonctions, et que je ne puis mieux trouver cette
juste mesure que dans vos lumières, je serai ravi d'en pou-
voir profiter, et qu'elles règlent ma conduite. Mais permet-
tez-moi de vous supplier encore une fois déconsidérer un peu
l'état de cette province, la situation présente des affaires de la
religion, que je viens de vous expliquer. Jugez, par toutes
ces circonstances plutôt que par des principes séparés du fait
dont il s'agit, si l'on doit avoir de la peine à se résoudre de
faire venir les nouveaux convertis à la messe, quand on sait
par une expérience certaine qu'il n'y a qu'à parler pour être
obéi ; et si le scrupule d'y déterminer quelques personnes
348 GORRESPOiNDANCE [sept 1700
sans foi, doit l'emporter sur le fruit certain de voir naître
cette même foi dans les cœurs de plusieurs*.
Au surplus, nous ne voyons personne qui nous dise : Je
vais à la messe, je n'y crois point. C'est un langage qui nous
est inconnu ; et, si j'entendais parler ainsi, j'empêcherais
celui qui tiendrait ce discours d'aller à l'église. Il faut donc
pénétrer dans leurs cœurs, et interpréter à mal les exercices
extérieurs qu'ils pratiquent? N'est-ce pas pousser la chose
trop loin? L'Église, étant une aussi bonne mère, doit-elle
faire cette espèce d'inquisition ? Ils ne se présentent pas,
dit-on, à la communion ; il est essentiel de faire ses pâques
tous les ans. Mais plusieurs les font ; les autres s'y prépa-
rent : il y en a eu cette année beaucoup plus qui s'y sont
présentés, que les années précédentes. Quand ils y viendront
tous, l'ouvrage sera dans sa perfection. Il faut travailler pour
l'y mettre, et croire qu'il n'y sera qu'avec du temps et beau-
coup de peine; mais l'objet du travail mérite bien qu'on en
prenne, et qu'on ne se rebute pas aisément. Il me semble
qu'il n'est rien si important par rapport à la religion que de
finir, s'il est possible, celte grande entreprise ; et je puis dire
encore, par rapport à l'État et à la politique.
Il n'est question dans tout ceci que de savoir si l'on peut
obliger les nouveaux convertis d'aller à la messe : car, pour
la participation des sacrements, il ne peut y avoir deux avis,
et l'on ne peut pas douter que ce ne soit très mal fait de les
y admettre, quand ils n'ont pas les dispositions nécessaires ;
ce qui dépend uniquement de la connaissance que les supé-
rieurs ecclésiastiques en doivent prendre, en examinant en
détail la foi de ceux qui sont commis à leurs soins.
Je suis avec respect. Monsieur, votre très humble et très
obéissant serviteur.
De Lamoignon de Basville.
A Montpellier, le 21 septembre 1700.
8. Plusieurs, un grand nombre (Académie ; Hii-belet). « Je doute
qu'il doive continuer d'écrire, s'il préleredn moins sa propre satisFac-
tion à l'utilité de plusieurs » (La Bruyère, préface des Caractères).
oct. 1700] DE BOSSUET. 3^9
2027. A M"' CORNUAU.
A Paris, a octobre 1700.
Il ne tint pas à moi, ma Fille, que vous ne fussiez
avertie queje pourrais aller hier vous voir. Aujour-
d'hui, je suis occupé tout le jour ; demain, je ne puis
assurer aucun moment : je terai ce que je pourrai
l'après-dînée pour vous aller voir, mais je ne puis
vous l'assurer. Je dois aller bientôt à Pomponne",
et assurément j'irai à Torcy*. En attendant, vous
n'avez rien à craindre pour votre salut dans 1 affaire
que vous savez, et votre conscience est déchargée
entièrement. Vivez en repos, ma Fille, puisque per-
sonne ne vous peut dire que vous soyez tenue à
davantage que ce que vous avez fait. Agissez tou-
jours ainsi au nom du cher et céleste Epoux, qui
vous remet au jardin clos', où vous lui avez donné
votre foi.
Je n'abandonnerai point Torcy tant que vous y
a) Les mss. ; à P*** ; édit. : à Paris.
Lettre 2027. — Cent cinquante-sixième dans Lâchât comme dans
Ledieu, qui l'acopiée tout entière; cent cinquante-cinquième dan s Na et
Ma ; centcinquante-quatrième dans Ne; centcinquante et unième dans
Nd. Date fournie par Mme Gornuau :« A Paris, dimanche matin 1700;
c'était les derniers jours du mois de septembre. » Date dans Ledieu :
A Paris, 2 octobre 1700 (Le dernier dimanche de septembre 1700 était
le 26 de ce mois; le 2 octobre était un samedi); le ms. ï : 1699. Entête,
Mme Gornuau a mis un sommaire : « Sur ce que cette personne, étant
k Paris, était sortie lorsque ce prélat lui fit l'honneur de la venir voir,
et sur le retour de Mme son abbesse et elle dans sa maison. »
I. Torcy est voisin de Pomponne. Ces deux localités font partie
du canton de Lagny. Le Journal de Ledieu ne porte pas trace de ce
voyage à Pomponne.
a. Gant, cantii-., sv 12.
:i5o CORRESPONDANCE [oct. 1700
serez. Notre-Seigneur soit avec vous à jamais. Soyez-
lui fidèle épouse, il vous sera un bon et parfait
époux. Allez en son nom au lieu où il vous a attirée,
et où il a reçu votre foi. Regardez-le en votre supé-
rieure : attachez- vous à lui obéir plus que jamais et
à la soulager dans les choses qu'elle voudra vous
confier, allant même au devant de ses désirs, on
sincérité et simplicité, sans empressement.
jNotre-Seigneur soit avec vous.
2028. — A M"* DE Beringhen.
A Paris, a octobre 1700.
Gomme j'espère, Madame, être dans peu de jours
dans le diocèse*, où je verrai moi-même les présen-
tations et provisions de la cure de Faremoutiers"^, je
vous rendrai compte de celte affaire, et je vous prie
seulement de charger quelque homme de créance de
voir avec moi ce qui sera dans nos registres, afin de
vous en instruire.
Quant aux pensionnaires qu'on vous propose,
Lettre 2028. — i. Nous iipprenons de Lodieu que Bossuel se ren-
dit de Paris <i Meaux le vendredi 8 octobre.
•2. L'^vpque de Meaux et Mme de Beringhen ne s'entendaient pas
sur le droit de nommer à la cure de Faremoutiers. Un inventaire des
papiers de l'abbaye (Seine-et-Marne, H ^^6) mentionne une lettre du
II juin 1700 par laquelle Bossuet reconnaît que ce droit appartient à
l'abbesse, un mi^moire à consulter sur ce sujet et une protestation du
i4 novembre 1700 contre la prise de possession de la cure par l'ecclé-
siastique qui y avait éu'' nommé par l'évoque. Ici, Bossuet déclare
qu'il s'en rapportera aux précédents, et va consulter les actes rédigés .
à l'occasion des différentes vacances de la cure de Faremoutiers.
oct. 1700] DE BOSSUET. 35 1
dont l'une vous convient et l'autre non, je m'accom-
moderai toujours à vos sentiments, sans que vous y
paraissiez qu'autant que vous le jugerez à propos :
et pour cela, il faudra que vous me mandiez les qua-
lités de l'une et rie l'autre, et les circonstances qui
peuvent déterminer, pour fonder mon consentemenl
ou mon refus là-dessus.
Je ne doute point, Madame, que vous et Mme
d'Armainvilliers n'entriez dans nos sentiments sur
la perte que nous avons faite de M. le Procureui-
généraP, et je vous en ronds grâces très humbles.
9029. — Le Comte de Pontchahtrain a Bossuei
A I-'ontainebleau, 4 octobre [1700].
Le nommé Le Prince, à qui le Roi a donné la charge de
feu Féréol*, a remis Ici entre les mains de M. Le Fèvre-,
3. Arnaiild de La Briffe, mort le 24 septembre 1700. Il possé-
dait la terre de Ferrières, dans le voisinage de Faremoutiers. Sa fille,
Marguerite-Marie de l-a Briffe avait épousé, le 22 février précédent,
Louis Bossnet, neveu de l'évèque et maître des requêtes.
Lettre 2029. — Inédite. Archives Nationales, O^ 4/j, f" 432.
Copie. Clérembault, 563 (Bibl. Nationale), donne un texte un peu
dil-Térent.
1. Antoine Ferréole, mort subitement à Saint-Germain le 2 sep-
tembre i',oo, avait en réalité possédé deux charges de tapissier valel
de chambre, l'une cliez le Roi, qui fut donnée à Michel Le Prince,
et l'autre chez la duchesse de Bourgogne, qui passa à Pierre Pacquo.
Il était aussi tapissier de M. de Meaux. Celui-ci lui témoignait de la
bienveillance, et intervint en faveur de la veuve et des enfants,
auprès du Roi, qui, le 21 septembre, accorda à la veuve Ferréole
environ cinq mille francs sur le prix des deux charges de son mari
(Ledieu, t. II, p. i3/l et i47).
2. Philippe Le F'ebvre, receveur des finances à Soissons, contrô-
leur de l'argenterie en i685, trésorier de la maison de la duchesse
352 CORRESPONDANCE [oct. 1700
contrôleur de l'argenterie, la somme de Sooo** destinée à ses
héritiers^. Prenez la peine de me mander ce que vous désirez
qu'il en fasse. Au premier avis, il peut compter cette somme,
à Paris, à qui vous ordonnerez. Je suis...
2o3o. — A M""* DE Beringhen.
A Germigny, 18 octobre 1700.
Je viens, Madame, de recevoir votre lettre du
1 5 octobre ; je vous envoie la confirmation de votre
élection', et je retiens M. Fouquet selon votre
intention.
Quant à la pensionnaire que vous agréez, j'y con-
sens. Je me tiendrais honoré de donner l'habit de
novice à Mlle d'Helicour^ ; mais je me réserverai
rie Bourgogne eu 1698, trésorier de la maison de la Reine de 1725
à 1732, etc. Il reçut des lettres de noblesse en 1710 (Saint-Simon,
(^dit. de Boislisie et Lecestre, t. XXII, p. 4o3).
3. Antoine Ferréole avait épousé dans la chapelle de l'évèché de
Meaux, le 18 novembre 1687, Suzanne Guérin, fille de Jean Guérin,
écuyer, fourrier des logis du Roi, et de Suzanne Patron. De ce mariage
étaient nées, à notre connaissance, quatre filles : Suzanne Germaine,
baptisée le 12 octobre 1688 ; Louise Geneviève, baptisée le 10 mars
1690; Marianne, baptisée le Ix mai 1696, et Suzanne Madeleine,
baptisée en 1698 (Registres des paroisses Notre-Dame de Ghaage et
Saint-Christophe, aux archives municipales de Meaux).
Lettre 2030. — i. D'un visiteur triennal, qu'aux termes d'une tran-
saction du 21 février 1682, l'évèqne choisissait sur une liste de trois
noms dressée par l'abbesse. Ou va voir que Bossuet désigna le chanoine
Fouquet, désiré par Mme de Beringhen (Archives de Seine-et-Marne,
H Ue, p. 58; cf. E. Jovy, dans le Bulletin du Bibliophile, 1918, p.
',95).
3. Mlle d'IIélicourt était Louise Antoinette Théodose Rouault.
Elle fit, en effet, sa profession, sous le nom de Sœur de Sainte-Féli-
cité, entre les mains de Bossuet, le 8 novembre t70i, et le P. de La
Tour, général de l'Oraioire, prêcha à cette cérémonie. Celte reli-
gieuse, connue aussi sous le nom de Mme de Gamaches, née à Paris,
oct. 1700] DE BOSSUET. 353
plus volontiers pour la profession, si Mme la com-
tesse de Gayeux l'a agréable. J'entendrais avec joie le
Révérend Père général ^ ; je lui envoie tout pouvoir.
Quant ^ à la démission, on a peine à trouver des
provisions, le cas n'étant arrivé de longtemps^ : on
cherche pourtant ; et, si vous envoyez à Meaux de
mardi en huit, on vous donnera connaissance de
tout, mais vous voulez bien que je vous dise que
c'est à vous à prouver, et que, faute de preuve de
votre part, non seulement la présomption, mais le
droit même est tout entier et incontestablement à
l'évêque. Néanmoins je veux bien encore faire re-
chercher tous les éclaircissements qui vous peuvent
être favorables, s'il s'en trouve, voulant toujours
prendre avec vous les partis les plus honnêtes.
Je salue toute la bonne compagnie, et suis,
comme vous savez, très sincèrement attaché à ce
qui vous touche.
le 20 juin i683, et baptisée le 29 à Saint-Sulpice, était fille de
Louise Madeleine de Loménie de Brienne et de Claude Jean-Baptiste
Hyacinthe Rouault, comte de Gayeu, marquis de Gamaches, mestre
de camp, qui fut l'un des menins du duc de Bourgogne. Son oppo-
sition à la bulle Unigenitus la fit interner par le Roi à la Visitation
ide Meaux (juillet 1734), puis chez les Ursulines de Melun, où elle
mourut le 11 juillet 17^9 (Bibl. Nationale, fr. iiôôg; Ledieu,
t. II, p. 2^6 ; les Nouvelles ecclésiastiques de 1784, p. ih-t ; la Con-
stitution Unigenitus déférée à l'Église universelle, t. III, p. 556 et suiv. ;
ï Saint-Simon, t. VI, p. 357).
3. De l'Oratoire. C'était le P. de La Tour.
h. Cet alinéa est relatif aux contestations survenues entre l'évêque
et l'abbesse au sujet de la cure de Farettioutiers. Cf. .p 35o.
; 5. Bossuet veut dire qu'il ne trouve point de provisions de la cure
j de Faremoutiers, données à la suite de la démission du précédent
titulaire. On a vu qu'il voulait se régler sur ce qui s'était fait anté-
rieurement pour la collation de ce bénéfice.
XII —33
354 CORRESPONDANCE [oct. 1700
2o3i. — DoM Jean Mabillon a Bossuet.
[Octobre] 1700.
Je crois que la pièce dont Votre Grandeur me fait l'hon-
neur de m'écrlre est celle de Guillaume, abbé de Metz ', qui
se trouve dans le premier tome de nos Analecles^, page 281,
avec ses lettres, qui précèdent dans le même tome, où il parle
fort avantageusement de la grâce, surtout dans la sixième.
Tous nos Bénédictins ont toujours été extrêmement attachés ,
aux sentiments de saint Augustin. Nous avons dans la Biblio- !
thèque des Pères^, l'ouvrage d'un Franco, religieux d'Affli- I
Lettre 2031. — Cette lettre, sans indication de mois ni de Jour
dans les éditions, doit avoir été écrite au mois d'octobre, c'est-à-dire
peu de temps après la clôture de l'assemblée du Clergé, à laquelle
l'archevêque de Reims, chez qui se rendait Mabillon, assista jusqu'fi
la fin (21 septembre).
1. Guillaume, surnommé le Wallon, abbé de Saint-Arnoul de
Metz. Il essaya vainemeni de rétablir la di-cipline dans le monastère
de Salnt-Reniy de Reims, dont il fut quelque temps supérieur. Il fut
aussi évêque intrus de Metz, mais se repentit d'avoir usurpé cette
dignité. 11 mourut à Saint-Arnoul le 32 décembre 1099 (Outre les
Analeta de Mabillon, consulter D. Calmet, Bibliothèque lorraine,
p. io4i ; IJ. Ceillier, Histoire des auteurs ecclésiastiques, t. XXI;
Ellies du Pin, Bibliothèque des auteurs ecclésiastiques, t. XI ; Fabri-
eius, Bibliotheca mediœ et infimse latinitatis, t. II ; Histoire littéraire de 1
France, t. Vlll, p 3o5 ; Paquot, Histoire litttéraire des Pays-Bas,
édit. de 176/i, t. IV). ;
2. Veterum analeclorum toinus I, Paris, 1676, in-8. La pièce visée |
par Mabillon est intitulée : Oratio in commémora tione sancti Augaslini I
ante consccralionem fncienda. Dans la seconde édition, Vêlera analecta,
Paris, 1733, in-fol., elle se trouve à la page 46o. Elle est reproduite
dans Migne avec les lettres de Guillaume [P. L., t. CL, col. 871 et 1
suiv.].
3. Il y a, sous ce titre, deux collections célèbres : l'une de Cologne, 1
Bibliotheca magna veterum Patrum. 1618 et 1623, i4 vol. /n-fol. ;
l'autre de Lyon, Maxima bibliotheca veterum Patrum. Lyon, 1677,
27 vol. in-fol., auxquels on a joint une table, Genève, 1707,
in-fol.
nov. 1700J DE BOSSUET. 355
ghem*, en Brabant, touchant la grâce, qui est du douzième
siècle. En même temps vivait en Suisse un Frovuinus ^, abbé
du Mont des Anges ^"', dont j'ai vu un excellent ouvrage sur
le même sujet, qui est manuscrit dans la bibliothèque
d'Einsiedeln, et dont j'ai pris seulement la table des cha-
pitres ■^ .
Je prends la liberté de dire à Votre Grandeur que je dois
partir vendredi prochain pour Reims, où M. l'archevêque
m'a ordonné de l'aller trouver. J'aurais été ravi d'avoir eu
cette occasion d'aller rendre mes devoirs à Votre Grandeur ;
mais je crois que je serai obligé de prendre la voie du car-
rosse public.
Je suis, avec un profond respect, etc.
2082. M. DE TORCY A BoSSUET.
A Fontainebleau, ce 1"'' novembre fyoo.
Le Roi ayant remarqué, par ce qui lui a été écrit de l'élal
des nouveaux convertis de son royaume, que rien n'est plus
4. Afflijîfhem, abbaye bénédictine fondée près de Bruxelles en
Brabant et dans le diocèse de Cambrai (Gallia chrisliana. t. V ;
A. Berthod, Histoire de l'abbaye d Afjliyhem, dans les Mém. doc.
hist. de Franche-Comté, i844, t. lll ; Pitra, dans la Revue catholique.
Louvain, 18/19 j ^'^ wiedererrichtele Abtei Afjliyhem in Belgien, dans
Stud. Miltheil. Bened. Cist. Ord., 1887, t. VIII). Francon mourut le
i3 septembre Ii35 (D. Ceillier, t. XXI ; Fabricius, I. II; Foppens,
Bibliotheca Belgica. 1789, t. I; Histoire littéraire de France, t. XI ;
Paqiiot, t. II ; Varenbergh, dans la Biographie belge, t. VII). Le
traité de Francon, de Gratia et benejiceniia Dei se trouve au tome
GLXVI de la patrologie latine de Migne.
5. P'rowin est mort le 7 mars 1178.
6. Le Mont des Anges ou Engelberg, canton d'Lnterwald {Gallia
christiana, t. V, col. io65).
7. Mabillon, Annales ordinis sancti Benedieti, t. VI, reproduit dans
Migne fP. L., t. GLXXIX, col. 1801].
Lettre 2032. — Bausset (livre XI, § xxiv) dit que cette lettre est
une circulaire et qu'elle paraît avoir été dictée par Bossuet.
356 CORRESPONDANCE [nov. 1700
nécessaire, pour parvenir au grand ouvrage de leur conver-
sion, que de les engager par tous les moyens que la prudence
peut suggérer, d'aller aux instructions que Sa Majesté ne
doute pas que vous n'ayez établies dans votre diocèse. Sa
Majesté m'a ordonné de vous écrire qu'elle espère que vous
renouvellerez votre attention sur ce sujet. Et, comme elle a
reconnu que les voies d'exhortation et de douceur font sou-
vent plus d'elTet que tous les autres moyens, elle croit qu'ils
doivent être préférablement employés. Il faut, sur toutes
choses, éviter que personne ne soit forcé d'aller à la messe ;
mais, s'il y a des opiniâtres dans votre diocèse, qui par leur
méchante conduite sur la religion causent du scandale et
donnent de mauvais exemples aux autres nouveaux conver-
tis, vous prendrez la peine d'en informer Sa Majesté, afin
qu'elle ordonne de leur châtiment suivant la peine qu'ils
auront méritée : j'écris la même chose à M. l'Intendant.
A l'égard des jeunes personnes au-dessous de quatorze ans,
comme Sa Majesté a pourvu aux moyens de les faire aller
aux instructions, il n'y a qu'à faire exécuter les ordres
qu'elle a donnés sur ce sujet. Je suis, etc.
De Torcy.
2o33. — Au P. Jacques de L.\ Cour.
A Germigny, 3 novembre 1700.
Monsieur,
Quoique la nouvelle que vous me mandez me
Lettre 2033. — Revue sur la copie officielle, fr. i5i8o, f» 3a.
— Dom Jiicques de La Cour était originaire de Soissons. Sa santé
ne lui permettant pas de supporter le régme de la Trappe, où il était
entré à l'âge de seize ans, il était passé à l'abbaye du Pin, ordre de
Cîteaux, où il fit profession. Quelque temps après, il revint à la
Trappe, et y fit le vœu de stabilité le ai janvier 1686. Il remplit
dans ce monastère diverses charges et fut, en parliculier, maître des
novices ; il alla ensuite aider l'abbé Berryer à mettre la réforme d iis
son abbaye de Perrecy. Après la démission de D. Gervaise, Jacques
de La Cour fut cboisi par Louis XIV comme abbé de la Trappe, et il
nov. 1700] DE BOSSUET. SBy
soit bien dure, par la perte que je fais d'un tel ami',
je vous suis obligé de l'attention que vous avez eue
à m'en donner part. Je vous demande de tout mon
cœur la même part à votre amitié que celle dont
m'honorait le cher défunt. Je ne puis en dire autre
chose, sinon que c'était un autre saint Bernard en
doctrine, en piété, en mortification, en humilité, en
zèle et en pénitence ; et la postérité le comptera
parmi les restaurateurs de la vie monastique. Dieu
veuille multiplier ses enfants sur la terre ! Il sera
bien reçu de ceux qu'il a envoyés dans le ciel devant
lui en si grand nombre^. Assurez la sainte maison
de ma constante et inviolable amitié. Je me promets
bien que l'on continuera à y bien recevoir mes
visites ordinaires, que j'espère renouveler dans la
saison qui le permettra. Je sais bon gré à M. de Séez
de tout le soin qu'il prend du saint monastère, et je
salue vos frères et suis \ avec un amour et vénéra-
tion cordiale. Monsieur, votre très humble ser-
viteur.
J. Bénigne, é. de Meaux.
prit possession au mois d'nvril 1^99. H résigna ses Fonctions en
1713, et mourut le 25 mai 1720. Voir Saint-Simon, édit. de Bois-
lisle, t. V, p. /io3 ; l'abbé Dubois, Histoire de l'abbé de Rancé, t. II,
p. 608 et suiv.
1. Delà mort de l'abbé de Rancé, décédé le 27 octobre. CP.
Ledleu, t. Il, p. 160 et 161.
2. Voir l'ouvrage de Rancé, Relations de la mort de quelques reli-
gieux de l'abbaye de la Trappe, troisième édition, Paris, 1765 et
1758, k vol. in-i2.
3. La copie porte à tort : vos frères et lui.
358 CORRESPONDANCE [uov. 1700 1
ao34. — Le Comte de Pontghartrain a Bossuet.
Fontainebleau, 4 novembre 1700.
Monsieur, les chanoines de l'église d'Uzès m'ont présent»*
le placet dont je vous envoie la copie. Je l'ai communiqué
par ordre du Roi à M. l'évêque d'Uzès' pour savoir de lui
s'il serait content de ce qui est proposé par son chapitre^, et
j'attends sur cela sa réponse pour en rendre compte à S. M.
Cependant je suis obligé de vous dire que, comme l'affaire
dont il s'agit n'est pas d'une longue discussion, le Roi sou-
haite qu'elle finisse incessamment, et qu'il est persuadé que
votre présence contribuera beaucoup à la faire finir. S. M.
m'a fait l'honneur de me marquer que vous lui feriez plaisir
si vous pouviez, pour quelques jours, quitter votre diocèse et
prendre votre temps pour vous assembler avec les deux autres
commissaires, afin d'examiner cette affaire au plus tôt et de
donner conjointement votre avis". Faites-moi savoir, je vous
prie, si quelque chose peut vous empêcher de donner au Roi
cette satisfaction.
Je suis. Monsieur, votre très humble et affectionné ser-
viteur.
Lettre 2034. — Im-dite. Copie authentique, à la Bibliothèque
nationale, fr. 211 19. Recueil des lettres du comte de Ponlchar train.
1. Michel Poncel de La Rivière, évèque d'Uzès de 1678 à 1728.
2. Le chapitre d'LJzès était en différend avec son évèque. Les cha-
noines, étant des réguliers de Sainte-Geneviève, entendaient n'être
pas soumis ^ certaines ordonnances du prélat. Bossuet, l'archevêque
d'Auch et le P. de La Chaise, Purent, le lo mai 1700, nommés com-
missaires pour étudier cette affaire (Voir à l'appendice V, p. 486).
3. Les commissaires conclurent à la sécularisation du chapitre, le
la février 17JI, et un arrêt Put rendu en conséquence le 21 Pévrier.
Mais les contestations ne prirent fin qu'après un nouvel arrêl, du
^4 mai, ordonnant, sur l'avis des commissaires, la visite des maisons
claustrales du chapitre d'Uzès par l'évêque de Nîmes (Ledieu, ê. II,
p. 17a; Archives Nationales, E 1918; Revue Bossuet, Suppl. I, a5 juin
1905, p. 8 ft lo).
DE BOSSUET. 869
2o35. — A Pierre de La Broue.
A. Germigny, 6 novembre 1700.
J'aurais souhaité autant que vous, Monseigneur,
que l'assemblée * eût pu condamner la pernicieuse
doctrine du cardinal Sfondrate ; mais la conjoncture
des temps n'en permettait pas davantage que ce que
nous avons fait : et nous avons cru faire beaucoup,
selon le temps, de marquer l'approbation de la lettre
des cinq évêques, qui s'explique nettement contre,
et un désir manifeste avec une attente que Rome fît
son devoir ; ce qu'on a dit aussi, en se déclarant pour
la doctrine de saint Augustin contre le pélagianisme,
en est une espèce de condamnation. Il me semble
aussi que la censure des propositions Facienti quod
in se est^, frappe assez rudement les semi-pélagiens
Lettre 2035. — Copie authentique au Grand séminaire de
M eaux.
I. L'assemblée du Clergfé de 17OO.
3. FacietUi quod in se est Deus non denegat gratiam. — Dans son rap-
port ri l'assemblée de 1700 sur ces propositions, Bossuet avait expli-
qué « que la grâce n'était pas donnée selon les mérlles, ce qui excluait
précisément les mérites naturels et tout ce qui pouvait faire croire
que le discernement entre les justes et ceux qui ne l'étaient pas se
rapportât finalement aux dispositions ou aux œuvres naturelles, contre
f;es paroles de l'Apôtre : Quis le discernit (I Cor., iv, 7)? Qu'à la
vérité, on ne pouvait disconvenir qu'il y eût quelques anciens scolas-
tiques qui établissaient un mérite de congruo dans les œuvres purement
naturelles, par rapport à celles de la grâce ; mais que c'était une
opinion généralement abandonnée comme demi-pélagienne, et qu'on
s'en tenait à la décision de saint Thomas dans sa Somme (I ^ II »,
q. cix, art. vi, ad. 2 ; q. cxii, art. m), oii ce saint docteur ne rece-
vait l'axiome. Facienti quod in se est, etc., qu'à l'égard de celui qui
Faisait quod in se est, secundum quod est motus a Dec « (Collection des
36o CORRESPONDANCE [nov. 1700 i
nouveaux, et les attaque dans leur fort. C'est tout \
ce qu'on a pu faire dans la conjoncture présente \ \
où l'on avait à ménager un bon pape, très bien dis- 1
posé, et très favorable à la France. i
Nous souhaitons à M. de Saint-Pons une con- i
damnation de ses rebelles \ que la France puisse
proces-verbaux du Clergé, t. VI, p. 48ii et /i85 ; Pièces justificatives, :
p. 196 et 197).
3. Par respect, l'assemblée sYtait abstenue de juger un livre déjà '
soumis à l'examen du Saint Siège.
4. Les récollets, avec qui M. de Montgaillard était en dilTérend
(t. VIII, p. i5o, i85, 354 ; t.X, p. 16, etc.). Nous empruntons à Deforis
(t. X, p. 263) le texte d'un petit mémoire relatif à cette affaire, qui
fut envoyé à Bossuet.
« Il y a longtemps que les récollets de son diocèse ont accusé les
ouvrages de cet évèque à Rome, comme contenant des opinions
insoutenables. Le Saint Office les ayant fait examiner, il y a environ
quatorze ans, n'y trouva rien à redire. Les récollets, fort irrités
contre cet évèque, l'ont accusé tout de nouveau, et parce qu'il a
envoyé un député pour sa défense, les récollets ont fait agir des
puissances pour empêcher qu'on n'examinât cette affaire durant que
ledit député serait à Rome, afin de renouveler leurs instances après
son départ. M. le cardinal de Bouillon a fait entendre au Pape
qu'étant une cause majeure, il fallait plutôt la faire juger in parlibiis,
et que c'était l'intention de S. M. Ledit seigneur évèque ayant f.iit
faire des oppositions contre le P. Damascène, à qui on avait donné
la revision de ses ouvrages, le cardinal de Bouillon a agi, afin que
ledit Père fût maintenu dans cette commission, quoiqu'il soit du
même Ordre, et que le Pape ait ordonné par deux fois qu'on en char-
geât un autre théologien. Le Pape avait même nommé ce théologien,
qui est le P. Latenay, carme, contre lequel on a donné des excep-
tions, parce qu'étant interrogé sur les opinions de M. de Sainl-Pons,
il avait répondu qu'elles étaient toutes orthodoxes.
« Les principales difficultés qu'on objecte contre cet évèque regar-
dent la lecture de l'Ecriture en langue vulgaire, l'invocation des
saints, l'intention des ministres pour la validité des sacrements et le
droit des évêques pour corriger les bréviaires de leurs Églises qui ne
suivent pas le romain.
(f L'évèque de Saint-Pons avait accusé quelques ouvrages desdits
Pères récollets de son diocèse, comme contenant des erreurs fort ^os-
sières, entre lesquelles il y a celle-ci : qu'il faut adorer le lait, le sang
nov. 1700] DE BOSSUET. 36l
accepter sans restriction : celle qu'on a apportée à
leur proprio motu devrait les'' en désabuser. Il est
vrai que Rome s'éclaire, et ce sera un grand sujet
de joie, si elle commence à voir clair sur les versions
de la Bible en langue française et sur les lectures
des Saints Livres. M. de Saint-Pons aura rendu un
grand service à l'Eglise, s'il peut sur ce sujet impor-
tant la rendre traitable*.
J'attends pour publier notre censure \ que j'aie
et la chair de la sainte Vierge dans l'Eucharistie. On a chargé de
l'examen ledit P. Damaseène, religieux du même ordre de saint
François. Le cardinal de Bouillon empêche même qu'on n'examine
cette affaire, pour éviter d'en voir le jugement durant la vie de M. de
Saint-Pons. »
5. Ici, Bossuet parle des Romains, et fait allusion aux difficultés
soulevées en France contre le bref qui avait condamné les Maximes
des saints.
6. Les récollels avaient dénoncé à Rome vingt-huit propositions
extraites par eux des écrits de M. de Montgaillard, et en particuiiei'
de son Instruction contre le schisme des prétendus réformés {2" édition,
Toulouse, 1686, in-8 de 619 pages). Ils lui reprochaient, entre autres
choses, sa facilité à permettre la lecture de la Bible en langue vul-
gaire, et il s'en est expliqué dans Vingt-huit propositions déférées au
saint Siège comme extraites de quelques livres de M. l'évêque de Saint-
Pons, avec les remarques de ce prélat, et dans un parallèle entre sa
doctrine et celle des récollets sur l'Ecriture sainte (Recueil Lk^ 689,
in-4, à la Bibliothèque Nationale). L'affaire ne se termina point
comme le souhaitait Bossuet. Le 27 avril 1701, le Saint Office con-
damna, avec un certain nombre d'écrits des récollets, plusieurs
ouvrages de Montgaillard, en particulier : Du droit et du pouvoir des
évêques de régler les offices divins dans leurs diocèses, et même, avec la
mention donec corrigatur, V Instruction contre le schisme. Toutefois^
pour éviter les difficultés auxquelles elle s'était heurtée à l'occasion
des Maximes des saints, la Congrégation s'abstint de porter un juge-
ment sur chacune des propositions déférées à son examen. Sur le sens
et la portée de cette condamnation in globo, on peut voir une lettre
de l'abbé de Montgaillard à Noailles (Fr. 2/I980, f 3l6).
7. Bossuet veut parler des décisions de l'assemblée du Clergé, doni
la promulgation devait être faite par l'ordinaire de chaque diocèse.
302 CORRESPONDANCE [nov. 1700
vu celle de M. de Reims, afin d'agir en unité. ^Te ne
larderai pas à vous donner part de ce que je ferai
sur cela. M. le cardinal de Noailles a donné un
grand exemple sur cela*; et c'est un grand pas
d'avoir exterminé dans Paris la mauvaise morale.
Je suis, Monseigneur, avec le respect que vous
savez, votre très humble et très obéissant ser-
viteur.
J. Bénigne, é. de Meaux.
2036. — A M^^CORNUAU.
Il n'y a rien qui presse, ma Fille ; vous pouvez
différer de me parler ou de m'écrire. Rien ne vous
presse non plus pour aller à confesse, Dieu a
exaucé vos vœux. Je serai lundi à R[enlilly] ', d'où
le lendemain je vous irai voir et écouter^. Disposez-
vous-y, et préparez votre cœur, ouvrez tout au
8. Le mandement par lequel l'archevêque de Paris (le 3 octobre)
publia la censure et la déclaration de l'assemblée du Clergé.
Lettre 2036. — Inédite. Elle se trouve dans Na (p. IfS-] et 488),
Ma et So. Elle porte dans le premier de ces manuscrits la date du 11
ilécembre 1700, et dans les deux autres, celle du 11 déc. 1702 ; c'est
par erreur, car le ii décembre 1700, Bossuet était à Paris, et non à
Germigny (Ledieu, t. II, p. 166). Le voyage proieté par Bossuet sup-
pose la lettre écrite le 11 novembre 1700. Le ms. de Gomerfontaine
donne cette dernière date.
1. Rentilly, écart de la commune de Bussy-Saint-Martin, canton
de Lagny. Le château et la terre de Rentilly, propriété de la famille
de Ligny, appartenaient alors à Marie de Ligny, princesse de Furs-
l«*nberg.
2. Le Journal de Ledieu (t. II, p. 162 et i63) nous apprend que le
II novembre 1700, Bossuet était à Germigny, que le lundi suivant,
i5, il se rendit à Rentilly, où il fut l'hôte de la princesse de
Furstenberg, et d'où il alla le mardi à Torcy.
nov. 1700] DE BOSSUET. 363
céleste Epoux. Je le prie, ma Fille, dêlre avec
vous.
J. B., é. de M.
A Germiçny, 11 [uorembre] 1700'-.
2087. — A Lamoig.non de Basville.
A Germigny, ce 12 novembre 1700.
Pendant, Monsieur, que je suis ici solitaire et
libre, j'ai profité du repos que je m'y suis donné
pour lire et étudier à fond vos savantes réflexions,
avec celles des savants prélats, sur une de mes
lettres \ et en même temps un docte écrit que
M. de Montauban m'a donné en nous séparant^, sur
la contrainte dont on doit user contre les hérétiques.
J ai tâché, sur ces beaux écrits de personnes dont
j'estime tant les sentiments, de former dans mon
esprit une résolution sur cette importante affaire ;
et comme j'ai cru avoir pris tout le temps dont
j'avais besoin pour y réfléchir, et que je prenais la
plume pour vous expliquer ma pensée, il est venu
un ordre de la Cour ^ qui mande de se donner garde
de forcer personne ù la messe ; ce qui semblait vou-
loir décider notre question. Mais, comme la Cour a
ses raisons et ses vues, qui peuvent changer selon
Lettre 2031. — 1. La lettre de Basville, du 21 septembre, sur celle
de Bossuet, du il juillet; les réflexions des évêques de Mirepoix, de
liieux et de Nîmes (plus haut, p. 3^3).
2. Au moment de la clôture de l'assemblée du Clergé.
3. La circulaire de Torcy, du i*"" novembre, qu'on a vue p. 355.
364 CORRESPONDANCE [nov. 1700
les temps, je me suis déterminé à faire deux choses :
l'une, d'examiner la matière en elle-même, indé-
pendamment de cet ordre ; l'autre, d'examiner ce
qui est à faire, et ce qu'on doit remontrer à la Cour
sur cet ordre même.
Je commence donc à traiter en soi la question, si
et jnsqu'oii l'on peut contraindre les hérétiques ; et
je déclare d'abord, ce que je crois aussi avoir fait
paraître dans ma lettre qui a donné sujet aux
Réflexions qu'il vous a plu m'envoyer ; je déclare,
dis-je, que je suis et que j'ai toujours été du senti-
ment, premièrement, que les princes peuvent con-
traindre, par des lois pénales, tous les hérétiques à
se conformer à la profession et aux pratiques de
l'Eglise catholique; deuxièmement, que cette doc-
trine doit passer pour constante dans l'Eglise, qui
non seulement a suivi, mais encore demandé de
semblables ordonnances des princes.
En établissant ces maximes comme constantes et
incontestables parmi les catholiques, voici 011 je
mets la difficulté : c'est à savoir si on a raison de
faire une distinction particulière pour la messe, et
d'employer des contraintes particulières pour y for-
cer les hérétiques.
C'est ce qu'il me semble qu'il fallait prouver, si
l'on voulait s'opposer à mon sentiment : il fallait,
dis-je, prouver que les lois dont on s'est servi pour
contraindre les hérétiques, ou par des supplices plus
modérés, comme il a été pratiqué contre les dona-
tistes, ou par les derniers supplices, comme l'ont
fait les siècles suivants contre les Albigeois et les
nov. 1700] DE BOSSUET. 365
Vaudois, ont fait une distinction particulière de la
messe d'avec les autres exercices.
Or c'est constamment* ce qui n'a jamais été. On
a condamné à des amendes tous les donatistes ; on
les a déclarés inteslables et incapables de succéder, à
moins que de pratiquer la religion catholique. Mais
qu'on les en tînt quittes pour seulement venir à la
messe, pendant qu'ils montreraient une répugnance
invincible aux autres pratiques de l'Eglise autant ou
plus nécessaires, c'est assurément ce qui n'a jamais
été pensé.
Ce n'est pas dans la messe seule que consiste
l'exercice de la catholicité ; le réduire là, ce serait
une manifeste erreur : aussi n'y a-t-il aucune loi
des princes, aucune règle de l'Eglise, aucun passage
des Pères qui contraigne en particulier à la messe.
La contrainte n'a jamais regardé que l'exercice de la
religion catholique en général : de sorte que, ou
l'on ne prouve rien, ou l'on prouve plus qu'on ne
veut, en alléguant ces anciens décrets.
Qu'ainsi ne soit", je demande pourquoi l'on
n'emploie pas la même contrainte pour obliger les
hérétiques à se confesser que pour les obliger
d'aller à la messe. C'est sans doute qu'on ne les y
croit pas disposés et qu'on craint de les engager à
un sacrilège, en les engageant à la confession contre
leur conscience. C'est donc qu'on les met au rang
des mécréants ; et si on les met en ce rang, com-
ment les force-t-on d'aller à la messe, oii ils ne
4. Constamment, de l'aveu de tous.
3. Qu'ainsi ne soit, qu'il en soit ainsi. Cf. t. V, p. 8a et 433.
366 CORRESPONDANCE [nov. 17W
peuvent assister avec édification sans commettre ce
qu'ils jugent être une idolâtrie?
Voici donc ce que je crois être la règle certaine de
l'Église.
Premièrement, que l'on peut user de lois pénales
plus ou moins rigoureuses, selon la prudence,
contre les hérétiques.
Deuxièmement, que, ces peines étant décernées
par l'autorité des princes, l'Eglise reçoit à sa com-
munion tous ceux qui y viennent du dehors, quand
elle peut présumer qu'ils y viennent de bonne foi,
et que la vexation qui les a rendus plus attentifs les
a aussi éclairés.
Troisièmement, qu'on ne peut présumer de la
bonne foi que quand ils se soumettent également à
tout l'exercice de la religion cathohque.
Ce qui me fait donc penser qu'on ne doit point
contraindre à la messe ceux qu'on n'ose contraindre
au reste des exercices, c'est que la répugnance opi-
niâtre qu'ils montrent à les pratiquer, fait voir
qu'ils sont indignes de la messe comme du reste.
Je n'entre point par là dans la question des dispo-
sitions nécessaires pour assister utilement à la messe ;
c'est ce qu'il ne sert à rien d'examiner : il me suffit
qu'on est d'accord que les mécréants manifestes ne
doivent pas y être contraints, et qu'on doit prendre
pour marque certaine de mécréance une répugnance
invincible à se confesser premièrement, et ensuite à
communier.
Je dislingue pourtant ici entre exclure les héA-
liques de la messe, ou les y contraindre. Je ne les en
nov. 1700] DE BOSSU ET. 367
exclurai pas, quand je pourrai présumer qu'ils vien-
nent de bonne foi, et du moins avec quelque bon
commencement des dispositions nécessaires.
Mais, quand je les vois déterminés à ne passer pas
outre, c est- à-dire à refuser la confession et ses
suites, je prends cela pour marque évidente d'incré-
dulité ; et les contraindre à la messe en cet état,
c'est les induire à erreur et ravilir la messe dans leur
esprit ; c'est en même temps déroger aux clioses
plus nécessaires, comme, par exemple, à la confes-
sion, et leur faire croire que l'exercice de la religion
catholique consiste en un culte extérieur, auquel
même on fait voir d'ailleurs qu'on ne croit pas.
C'est ce que je crois avoir expérimenté en ces pays-
ci ; et, sans parler des expériences, qui peuvent être
différentes en différents endroits, la règle me paraît
indubitable.
Il resterait à réfléchir sur le dernier ordre de la
Cour ; et aussitôt qu'elle sera de retour, je me pro-
pose de représenter qu'il est un peu trop général.
Car, si l'on n'excepte de cette douceur ceux qui ont
tout promis pour se marier, ou pour réhabiliter leurs
mariages, sans après rien exécuter de ce qu'ils ont
promis et déclaré, et que l'on n'use envers eux
d'aucune contrainte, je crois pouvoir démontrer que
c'est tout perdre, et que c'est autoriser une espèce
de relaps qui se moquent publiquement et impuné-
ment de la religion. Je fais un mémoire® pour cela,
dont je prendrai la liberté de vous envoyer copie, et
que je voudrais pouvoir concerter avec vous-même.
6. On ne retrouve pas trace de ce noiiveHu mt'moire.
368 CORRESPONDANCE [nov. 1700
Car on avance bien plus, dans de telles discussions,
par la vive voix que par des écrits, où Ton ne trouve
point de repartie. Cependant, Monsieur, ne nous
lassons point de traiter une matière si difficile et
en même temps si essentielle. Il me semble que les
écrits que vous m'avez fait l'honneur de m'envoyer,
et tous les autres que j'ai pu voir sur ce sujet, n'en-
visagent point la matière du côté que je la regarde
ici. M. l'évêque de Montauban, avec qui j'ai eu l'oc-
casion de m'expliquer, vous dira ce que nous avons
dit ensemble, et qu'assurément je pousse au plus
loin la doctrine des contraintes, sauf à se régler dans
l'exécution par des tempéraments de prudence.
Si Dieu vous donne quelque chose sur cette
lettre, ne me le refusez pas. Car je cherche : je vois
la difficulté de tous ses côtés, et je vous assure,
Monsieur, que je suis disposé à profiter non seule-
ment des lumières de ces saints et savants prélats,
mais encore et plus particulièrement des vôtres, par
la connaissance que j'ai qu'ayant joint tant d'expé-
rience au bon esprit, à la bonne intention et au
savoir, vous êtes l'homme du monde le plus à écou-
ter en cette occasion.
Je finis en vous assurant de mon sincère respect
que vous connaissez.
J. Bénigne, é. de Meaux.
Je crains, en faisant décrire \ de perdre le temps
de faire partir cette lettre, et je vous demande par-
don d'épargner si peu vos yeux. "
7. Décrire, transcrire.
8. On verra au tome XIII les réflexions de Basville, de l'évêque de
Rieux, etc., sur cette lettre de Bossuet.
DE BOSSUET. 369
2o38. — A M. DE Saint-André.
A Meaux, 1/4 novembre 1700.
J'accorderai volontiers à M. Lefebvre' l'attesta-
tion qu'il mérite. Je suis fâché que nous le per-
dions^.
Il est impossible, Monsieur, que je me charge
moi-même de composer l'histoire du saint abbé de
la Trappe ; mais je ne fais nulle difficulté d'en char-
ger quelqu'un et de recevoir les mémoires. Mais qui
charger.^ Il y faut penser. J'approuve fort de faire
ce qu'il faudra pour empêcher certaine sorte de
gens^ de travailler à la chose, de crainte qu'ils ne la
tournent trop à leur avantage.
Dieu bénisse votre voyage et votre retour.
J. BhNiGNE, é. de Meaux.
Suscription : A Monsieur, Monsieur le Curé de
Vareddes.
Lettre 2038. — L. a. s. Biblioilièque de Lille. Cf. E. Griselle,
dans les Études des P. P. Jésuites, 5 juin 1898. Cette lettre, dans
l'édition de Versailles, suivie par Lacliat et autres éditeurs, porte la
date du 26 novembre. Mais, ce |Our-là, Bossuet n'était pas à Meaux;
du reste, l'autographe porte bien : i4 novembre donné par Deforis.
1. M. Lefebvre était sans doute un prêtre qui quittait le diocèse de
Meaux, où il avait été emploté, et vraisemblablement Pierre Le
Febvre, que nous trouvons, en 1697, vicaire à Quincy.
2. Ce début manque aux éditions.
3. On voit parla lettre du 28 janvier 1701, que Bossuet entendait
par là soit les bénédictins, soit les jésuites.
XII — 2/i
370 CORRESPOND\^'CE [nov. 1700
2089. — A M. DE Saint- André.
A Versailles, 26 novembre 1700.
La lettre que vous avez pris la peine de m'écrire
est venue à moi après beaucoup d'allées et de venues
qui en ont retardé la réception '.
Vous m'avez fait grand plaisir, Monsieur, d'avoir
procuré la conservation en main sûre des papiers
dont je vous avais autrefois entretenu, et dont l'im-
portance m'était bien connue ^ Bien des gens s'em-
presseront de faire passer le saint homme pour tout
autre qu'il n'était ; et il n'est rien de plus nécessaire
que de conserver des témoignages de ses sentiments,
dont on puisse se servir en temps et lieu, selon que
la prudence le fera connaître. Ce papier est sans
doute un de ceux de la plus grande conséquence.
Jenesaisoii cette lettre vous pourra trouver; mais,
en quelque endroit que ce soit^ faites connaître
Lettre 2039. — L. a s. Collection H. de Rothschild. Il est à noter
que Bossiiet, le a6 novembre, n'était pas à Versailles, mais à Paris
(Ledieii, t. II, p. i64). Bien qu'il ait pu aller à Versailles et en revenir
en quelques heures, il ne paraît pas, d'après le t»^molgnage de son
secrétaire, qu'il se soit absenté de Paris. Sans doute par distraction,
Bossuet aura écrit Versailles au lieu de Paris, ou bien 36 au lieu de
:</( novembre.
I. Phrase omise par les éditeurs.
3. Il y avait là, en particulier, un projet de lettre à M. de Tillemout,
déclaration anti-janséniste que l'abbé de Rancé avait composée en
réponse aux attaques dont il avait été l'objet à cause de sa lettre à
l'abbé Nicaise sur la mort d'Arnauld (cF. notre t. VII, p. 22), et qui
n'avait pas été publiée. J
3. Bossuel ne savait si son correspondant n'avait pas déjà quitté la
J rappe pour revenir dans sa paroisse.
nov. 1700] DE BOSSUET. 871
mes sentiments à M. l'abbé de la Trappe*, en l'as-
surant de la continuation de mon amitié pour lui et
pour sa sainte maison.
Tout à vous, comme vous savez.
J. Bénigne, é. de Meaux.
Au bas de la 3"" page : M. le Curé de Vareddes.
20/io. — A M""* DE Bering HE.\.
A Paris, 36 novembre 1700.
Je suis bien aise, Madame, que vous ayez agrée
l'expédient que j'ai pris\ Il fallait finir cette affaire,
et ne pas laisser plus longtemps un si grand trou-
peau sans pasteur : si les pièces qu'on a montrées à
Meaux à M. Loyseau^ sont telles qu'on me les a
rapportées, elles sont plus que suffisantes. Quoi
qu'il en soit, c'est assez que vous ayez un bon
sujet, et celui que vous avez désiré. Vos protesta-
tions vaudront ce qu'elles pourront à l'avenir ; elles
n'empêchent pas l'effet présent, que nous souhai-
tions tous deux. Je ne crois pas, au surplus, que
vous trouviez rien que vous puissiez opposer au titre
d'évêque, qui se soutient seul.
Je salue Madame votre sœur, et suis toujours ce
que vous savez.
l^. Dora Jacques de La Cour, nommé par le Roi le i*^"^ janvier
169g et de qui il a été question, p. 356.
Lettre 2040. — i Pour finir la contestation entre l'abbesse et
l'évêque.
2. Sans doute Charles Loyseau, qui était à celte époque avocat et
lieutenant général en l'élection de Coulommiers.
^72 CORRESPONDANCE [nov. 1700
20/il. — A M"»* GORNUAU.
A Paris, 29 novembre (?) 1700.
Voilà, ma Fille, ce qui m'est venu sur l'épitaphe
de feu M""* d'Albert, 11 en faudrait dire davantage.
si, dans cette matière, il ne fallait trancher court.
Présentez-la de ma part à M™" de Luynes, dont je
voudrais bien contenter l'amour par quelque chose
de plus étendu".
Gl-GIT
Marie-Henriette-Thérèse d'Albert de Luynes, etc.
Elle préféra aux honneurs d'une naissance si illustre et si
distinguée le titre d'épouse de Jésus-Christ, en mortification
et en pauvreté **. Humble, intérieure, spirituelle en toute
simplicité et vérité. Elle joignit la paix de l'innocence aux
saintes frayeurs d'une conscience timorée. Toujours fidèle à
celui qui, presque dès son enfance, lui avait mis dans le
cœur le mépris du monde, elle fut longtemps l'exemple du
saint et célèbre monastère de Jouarre; d'où étant venue en
cette maison pour accompagner Mme sa sœur'', elle y mourut*
de la mort des justes le trois'' février 1699'', subitement en
apparence, en effet avec les mêmes préparations que si elle
avait été avertie de sa fin.
Pour vous, ma Fille, comme je vous l'ai dit tant
a) So ; tendre. — 6) Lâchât : piété ; Deforis : pureté. — c) Lâchât :
une sœur chérie. — d) Lâchât : //. — e) Les mss : i6g8.
Lettre 2041. — Cent soixantième dans Na; cent soixante-quatrième
dans So. Les éditeurs l'ont placée, non point parmi les lettres à Mme
Cornuau, mais à la fin des lettres h Mme d'Albert. Mme Cornuau donne
la date : A Paris, 39 décembre 1700 ; mais, ce jour-là, Bossuet se
Irouvail â Meaux, et non à Paris. Le ms. de Sorbonne : 1702. Le
ms. de GomerPontaine : 29 novembre 1700. A cette date, Bossuet se
trouvait bien à Paris (Ledieu, t. II, p. i64). /
I. On verra à l'Appendice, p. Agi, le récit de ses derniers moments
écrit par Mme Cornuau.
!
I
déc. 1700] DE BOSSUET. 878
de fois, vivez et mourez sous les yeux d'une si sainte
amie,
Notre-Seigneur soit avec vous.
20/12. — Le Comte de Pontchartrain a Bossuet.
A Versailles, i*' décembre 1700.
Le Roi m'a ordonné de vous envoyer ce mémoire, qui a
été donné en faveur du Sr Saurin', ministre converti, qui
demande que S. M. place dans un couvent une de ses filles ^,
qui témoigne de la vocation pour être religieuse. S. M.
désire savoir de vous si cet homme et le reste de sa famille
font bien leur devoir de catholiques, où il fait sa résidence
ordinaire*, et quelles sont ses facultés. Je suis...
2043. — A Clément XI.
Beatissime Pater,
Te nostris potissimum temporibus, manifesta
Lettre 2042. — Inédite. Archives Nationales, O' 44, f" 586. Copie.
I. Joseph Saurin. Cf. t. V, p. 96, ^75 et suiv.
3. Saurin s'étant marié plusieurs années après la révocation de l'édit
de Nantes, l'enFant pour qui il sollicitait la charité du Roi, ne pouvait
pas avoir plus de dix ou onze ans. En 171Q, Saurin est dit « chargé de
cinq grandes filles ». Quatre de ces filles vivaient encore en 1740. La
filleule de Bossuet, Bénigne Catherine, née en 1694, mourut proba-
blement en 1753.
3. Saurin demeurait sur la paroisse Saint-Landry, à l'Hôtel des
Ursins {Ibld., p. 496). En 1708, son curé certifia que les époux Sau-
rin élevaient leurs enFants avec beaucoup de soin et donnaient toutes
les preuves d'une sincère réunion à l'Eglise catholique (Archives
Nationales, G* 244 et 747).
Lettre 2043. — Rome, Lettere di vescovi, t. XCIII, f» 666. Copie
374 CORRESPONDANCE [déc. 1700
supremi Numinis voluntate, ad fastigium aposto-
licae potestatis evectum, vimque factam modestiîP
tuae, et multum reluctanti', ac tantum non invito,
onus impositum consensione mirabili, id quidem,
non Sanclitati Tuae, sed Ecclesiœ Dei ac rébus
humanis gratulari nos decet. Quis enim non videat
omnino fulurum, ut quo magis reformidaveris non
modo oblatam, verum etiam infartam ac velut incul-
catam supiemam dignitatem, eo confidenlius ac
promptius tain praesentis Numinis auctoritate sus-
ceptam exerceas et géras ; atque Ecclesiae catholicie
Pontificem exbibeas eum, qui cum innata solertia,
tum labore, industria et rerum experientia clarus,
magnifiée sapientiam tractet, arcana legis pandat,
solvat dubia, exscindat errores, bonitatem, et disci-
plinam, et scientiam doceat, pacem orbi christiano,
melioribus quam unquam auspiciis aflulgentem, fir-
met ac foveat ; omnia denique apostolatus munera,
Deo adjuvante, naviter exequatur?
Ac de pace quidem, Beatissime Pater, quis non
eam perpetuam speret^? quippe quam jam non fœ-
dera, sed ipsa etiam natura conciliet, et Magni
avec conclusion e( signature autographes. — Le cardinal Albano avait
été élu pape le 2^ novembre 1700, sous le nom de Clément XI.
Cette lettre fut fort approuvée par le Roi et par M. de Torcy, et, à
la demande de ce ministre, on en fit pour lui une copie (Ledieu,
t. II, p. 167).
1. Albano était resté trois jours avant de consentir à son élection.
2. La rivalité de la l'^rance et de l'Espagne, cause de tant de
guerres, avait pris fin par le testament de Charles II, en vertu duquel
le duc d'Anjou, petit-fils de Louis \IV, fut proclamé roi d'Espagne le
a4 novembre 1700. L'Europe n'en fut pas plus tranquille, pui ^ue
l'avènement de Philippe V déchaîna la longue guerre de la succession
d'Espagne.
.léc. 1700J DE BOSSUET. SyS
Ludovic! augusiique Delphini paternus aeque jam
in Hispanias atque in Gallias animus ; sublalis inter
incl^-tas gentes, quas tota maxime Europa suspiciat,
inimicitiarum causis, ac velut média soluta mace-
lia, quo firmius coalescant ? Mihi vero assidue
cogitanti in hanc temporum necessitudinem inci-
disse auspicatissimum Ponlificatum tuum, et cum
hac magnanimi Régis gloria, et Gallicani nominis
majestate esse conjunctum, exclamare libet : A
Domino factum est istud, et est mirabUe in oculis
nostris^ ; magnaque spes subit per sapientiam tuam
eventurum ut, quod olim Simoni JudaiccC gentis
summo Pontifici contigisse sacra; Lifterae commé-
morant : Det nobis Dominas jucunditatem cordis,
etfirm.ari pacem in diebus nostris in Israël per dies
sempiternos '\
Te vero, clementissime atque optime Pontifex, in
lanta celsitudine, tantaque exultatione applaudentis
Ecclesiae, ne pigeât paternos conjicere oculos, et in
me, quem non semel singulari tuae benevolentiae
iestificatione beaveris, et in nepotem meum, cui,
peculiari divinae Providentiae gratia, sapientiam
illam tuam et coram intueri, et exinde infixam
animo suspicere, venerari, et qua potuit voce, pro
sua tenuitate, celebrare licuit". Nos ergo simul
3. Ps. cxvii, 28.
l\. Eccli., L, a5 (La Vulgate, au lieu de firmari, donne : fieri).
5. Il est piquant de rapprocher ceci des lettres écrites, soit par l'abbé
Bossuet le 7 janvier, le 4 février et le 16 décembre 1698, les 8 jan-
vier, 8 février, i3, 17 et 3i mars 1699, soit par son oncle le 9 et
le 16 février 1699, etc. (tomes X, p. 1 15 et 161 ; t. XI, 6, 61, 120,
139, 189, 208, 228 et suiv., etc.). Bossuet doit songer à frayer à son
neveu les voies de l'épiscopat.
376 CORRESPONDANCE |déc. 1700
adusi sacra tissimis pedibus, Sanctitati Tuae diutur-
num pontificatutn auguramur, quem Ipsa nalura
polliceri videatur ; et benedictionem apostolicam
humiles ac supplices expectamus.
Beatissime Pater,
Sanctitatis Vestr^e,
Addictissimus ac devotissimus famulus ac filius,
J. Benignus, Eps. Meldensis.
Datum in palatio Versaliano, pridie idus decemb. 1700.
20/48 bis. — A Clément XI.
Très saint Père,
Ce n'est pas seulement V. S. que nous devons féliciter de
son exaltation ; mais l'Église de Dieu et toute la terre doi-
vent encore se réjouir de ce qu'il a été donné principalement
à nos jours, de vous voir élevé au comble de la puissance
apostolique par la volonté de Dieu, clairement manifestée
dans ce consentement unanime qui a fait violence à voire
modestie, et qui vous a chargé comme malgré vous de la
sollicitude pastorale. Car qui ne voit ce qui doit arriver, que,
plus vous avez craint cette suprême dignité, qui non seule-
ment vous a été offerte, mais encore imposée avec une espèce
Lettre 2043 bis. — Cette traduction a été faite'par Ledieu ; bien
qu'elle ne soit pas de Bossuet, nous la donnons parce qu'elle fui
approuvée par ce prélat et présentée par lui au Roi lorsqu'il lui
demanda la permission d'envoyer l'orig^inal au Pape. On lit, en effet,
~ sur la copie de Ledieu (Colleclion de M. Dumas, à Bordeaux) : « Celte
* version faite par moi et approuvée par Mgr de Meaux même, et par lui
présentée au Roi, en lui demandant la permission d'envoyer son é^tre
latine à Rome. Fait à Versailles, ce i îs de décembre 1700. Ledieu,
chancelier de Meaux o (Cf. le Journalde Ledieu, t. II, p. 166 et 167).
.léc. 1700I DE BOSSL'ET. 377
(Je force, plus aussi vous l'exercerez el la remplirez avec con-
fiance et ov<^c facilité, après l'avoir reçue d'en haut d'une
manière où la présence du Saint-Esprit s'est si visiblement
déclarée? Ainsi l'Église catholique verra en votre personne
un pontife qui, déjà connu par ses talents naturels et acquis,
par sa capacité et par son expérience dans les affaires, don-
nera de mémorables exemples de sagesse, expliquera les
secrets de la loi divine, résoudra les doutes, exterminera
l'erreur, enseignera la bonté, la discipline et la science,
affermira et entretiendra dans le monde chrétien la paix,
qui se présente avec de meilleures espérances que jamais
d'une éternelle durée ; un pontife enfin qui, avec le secours
du Ciel, accomplira dignement tous les devoirs de l'apos-
tolat.
En effet, pour ce qui regarde la paix, qui ne doit espérer.
Très saint Père, qu'elle sera éternelle, puisqu'on la voit éta-
blie non seulement sur la foi des traités, mais encore par les
liaisons les plus étroites du sang et par la bonté paternelle
de Louis le Grand et de Monseigneur le Dauphin, laquelle
se fait aujourd'hui sentir à l'Espagne autant qu'à la France
même ? C'est ainsi que seront ôtées les causes des inimitiés
entre ces deux grandes nations, qui semblaient décider du
sort de toute l'Europe ; et la muraille, pour ainsi parler, qui
les tenait séparées, étant abattue, on voit que leur union sera
immortelle et inébranlable. Pour moi, quand je considère
avec attention que votre pontificat, dont nous espérons toutes
sortes de biens, se rencontre dans ces heureuses conjonctures,
où la gloire d'un Roi magnanime et la majesté du nom fran-
çais éclatent davantage, je ne puis m'empécher de m'écrier :
Ceci est Vouvrage du Seigneur, et nos yeux en sont frappés
d'élonnement. Ce qui aussi me fait concevoir cette ferme
espérance, que, comme la sainte Écriture raconte qu'il
arriva autrefois à Simon, souverain pontife des Juifs, ainsi.
par votre sagesse, le Seigneur nous accordera la joie de notre
cœur, et dans nos jours il affirmera la paix à jamais en Israël.
Cependant, Très saint Père, dans cette suprême élévation el
• iyS CORRESPONDANCE [déc. 1700
au milieu des applaudissements de l'Église, qui est toute en
joie, qu'il me soit permis de supplier Votre Sainteté, après
toutes les marques de bienveillance dont elle a daigné m'ho-
îiorer, qu'elle veuille bien encore jeter ses regards paternels
sur moi et sur mon neveu, qui, par une grâce particulière, a
eu le bonheur de voir de ses yeux cette sagesse, et qui, s'en
étant rempli l'esprit, n'a cessé de l'admirer, de la respecter,
et de la célébrer autant qu'il en a été capable. Nous donc,
prosternés ensemble à vos pieds, ^nous souhaitons à Votre
Sainteté un long pontificat, tel que la nature même semble
le lui promettre ; et nous vous demandons, en toute humi-
lité et respect, votre bénédiction apostolique.
Très saint Père, de V. S. le très humble et très dévoué
serviteur et fils,
J. Bénigne, é. de Meaux.
A Versailles, 12 décembre 1700.
90/i/i. A M""* CORNUAU.
A Paris, 13 décembre 1700.
Je n'ai appris